Déclaration aux Français de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, sur le référendum français sur le Traité constitutionnel pour l'Europe.

Palais de l'Elysée - Paris le jeudi 26 mai 2005.

Mes chers compatriotes de Métropole,
d'Outre-mer et de l'étranger,

Nous arrivons au terme d'un débat démocratique exemplaire. Ensemble, depuis des semaines, nous parlons de la France et de l'Europe.

J'ai voulu ce référendum. C'est l'honneur et la vitalité de notre démocratie. Vous vous êtes informés, vous avez écouté, dialogué, pesé les arguments pour comprendre et apprécier les enjeux du Traité. Le 29 mai, chacune et chacun de nous devra faire un choix en responsabilité et en conscience.
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Avant tout, nous ne devons pas nous tromper de question. La décision qui est devant nous dépasse de très loin les clivages politiques traditionnels. Elle n'est ni de droite ni de gauche. Il ne s'agit pas de dire oui ou non au Gouvernement. Il s'agit de votre avenir et de celui de vos enfants, de l'avenir de la France et de l'Europe.

Face à ce Traité, quelles sont les questions qui se posent, que vous vous posez ?

Le Traité rend-il la France plus forte en Europe ? Oui, notre pays sera plus influent. Le nombre de voix dont nous disposerons dans les Conseils européens va augmenter de 50 %. C'est un grand atout pour permettre à la France de défendre ses intérêts et de rester l'un des moteurs de l'Europe.

Le Traité conforte-t-il notre modèle social ? Oui, parce qu'il met le progrès social et le plein emploi au cœur de toutes les politiques de l'Europe. C'est une avancée déterminante, qui va tirer tous les pays vers le haut. Avec le développement économique et social des nouveaux membres, c'est une réponse forte aux risques de délocalisation. C'est la raison pour laquelle la confédération européenne des syndicats, qui représente 60 millions de travailleurs européens, s'est engagée pour ce texte.

Oui, notre modèle social est conforté parce que nous avons obtenu que nos services publics soient enfin reconnus par l'Europe. Le traité dit, noir sur blanc, que chaque Etat est libre de consacrer à ses services publics les financements nécessaires pour accomplir toutes leurs missions d'intérêt général.

Le Traité rend-il l'Europe plus démocratique, plus respectueuse des Nations, plus proche des citoyens ? Oui, parce qu'il dit clairement que l'Europe doit intervenir là, et seulement là, où elle est la plus efficace. Oui, parce qu'il donne plus de pouvoirs au Parlement européen, aux Parlements nationaux et aux citoyens, c'est-à-dire à chacune et à chacun d'entre vous.

Et j'ai voulu aussi que vous revienne la décision souveraine sur la question des frontières de l'Europe. La Constitution française a été modifiée pour cela. A l'avenir, aucune nouvelle adhésion, et je pense en particulier à la Turquie, ne pourra se faire sans que vous l'ayez acceptée par référendum.

Le Traité va-t-il apporter de nouvelles protections aux Européens ? Oui, nous franchissons des étapes essentielles : la défense commune, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, l'environnement, la protection contre les épidémies, le contrôle des frontières et la lutte contre l'immigration irrégulière.
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Mais alors, me direz-vous, puisque ce Traité présente tant d'avancées, pourquoi ces craintes, pourquoi ces hésitations ?

Vous voulez savoir où nous allons avec ce Traité.

Ce Traité, c'est la réponse de l'Europe aux changements du monde, à la mondialisation qui s'accélère, chacun le voit dans son travail et dans sa vie quotidienne. Ce sont vingt-cinq Nations souveraines, amies, unies, qui s'organisent pour relever trois défis essentiels :

- celui de la compétition économique avec les autres grandes puissances, les Etats-Unis, le Japon, la Chine, demain l'Inde et d'autres ;

- celui de la solidarité, pour faire face à cette compétition sans rien abandonner de notre modèle social ;

- celui des valeurs de paix et de justice auxquelles nous croyons, que nous devons défendre et affirmer dans le monde entier.

Pour cela, il nous faut dépasser la situation actuelle. Il nous faut une Europe politique capable de faire émerger une véritable puissance européenne.

Une puissance européenne forte de 450 millions d'habitants pour, ensemble, mieux protéger nos intérêts et pour peser dans les négociations commerciales internationales.

Une puissance européenne pour aller à la conquête de nouveaux emplois. Airbus, Ariane. Nous sommes les premiers lorsque nous sommes unis. L'urgence, c'est maintenant de lancer une grande politique industrielle européenne. C'est de lancer une grande politique de recherche et d'innovation. Nous ne le ferons qu'ensemble.

Une puissance européenne pour humaniser la mondialisation. Pour défendre la paix, la démocratie, le droit international. Pour défendre le progrès social. Pour défendre le dialogue des cultures, la solidarité avec les pays pauvres, la protection de l'environnement, l'application du protocole de Kyoto.
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Mes chers compatriotes,
Le oui du peuple français donnera à la France plus de force pour peser sur les choix de l'Europe.

A l'heure de la décision, il est aussi de mon devoir de vous dire les conséquences d'un non pour l'Europe et pour la France.

Le rejet du traité serait vécu par les Européens comme un non à l'Europe. Il ouvrirait une période de divisions, de doutes, d'incertitudes. C'est une illusion de croire que l'Europe repartirait de plus belle avec un autre projet. Car il n'y a pas d'autre projet. L'Europe serait en panne, à la recherche d'un impossible consensus. Le monde, lui, continuerait d'avancer d'une manière accélérée.

La France serait moins forte pour défendre ses intérêts. Bien sûr, nous continuerions à nous battre. Mais croyez-vous vraiment que nous pourrions défendre avec la même force nos intérêts économiques, sociaux, régionaux, ou de sécurité ? Croyez-vous que nous pourrions défendre avec la même influence la politique agricole commune, dont les paysans français sont les premiers bénéficiaires ? Croyez-vous que nous pourrions défendre avec le même poids notre modèle social ou notre exception culturelle ?

Si la France est affaiblie, si le couple franco-allemand est affaibli, si l'Europe se divise, ceux qui ont une conception ultralibérale de l'Europe prendront la main. Ils le feront pour nous amener vers une Europe sans ambition politique, sans esprit d'indépendance, une Europe réduite à une simple zone de libre échange. Et, ne nous y trompons pas, ce sont les plus vulnérables qui en souffriront le plus.

Et quelle responsabilité face à l'histoire, si la patrie des droits de l'Homme empêchait l'entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux ! Quelle responsabilité si la France, pays fondateur de l'Europe, prenait le risque de briser l'union de notre continent !
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Mes chers compatriotes,

Durant ce débat, il n'a pas seulement été question de l'Europe. Des inquiétudes et des attentes se sont exprimées. J'en ai pleinement conscience. J'y répondrai en donnant une nouvelle impulsion à notre action. Pour plus de solidarité. Pour plus de dynamisme. Pour mieux faire vivre notre pacte républicain.

Mais Dimanche, c'est de l'Europe et de l'avenir de la France en Europe qu'il s'agit.

C'est une responsabilité historique qui engage chacun de nous. Faisons le choix de la confiance en nous-mêmes. Faisons le choix d'une France forte. Dimanche, chacun aura entre ses mains une partie du destin de la France.

Vive la République,
Vive l'Europe,
Vive la France.