Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien japonais "ASAHI SHIMBUN".

Palais de l'Elysée - Paris le lundi 21 mars 2005.


LE PRESIDENT - Si vous le permettez, je voudrais tout d'abord dire mon émotion lorsque j'ai appris hier le tremblement de terre qui a frappé le Kyushu. Et je voudrais transmettre à la famille de la personne qui est décédée, aux blessés, aux autorités du Kyushu et aux autorités japonaises toute ma compassion pour cette épreuve et leur dire toute mon amitié.

QUESTION - Il s'agit de votre quarante-cinquième visite au Japon ce week-end, selon le Ministre des affaires étrangères du Japon ?

LE PRESIDENT - Quarante-quatrième ou quarante-cinquième, je crois, si l'on inclut les visites non officielles. Ma dernière visite a eu lieu pour le G8 : nous sommes allés à Okinawa en l'an 2000 et j'en ai gardé un très bon souvenir. C'était la première fois que j'allais à Okinawa. Je m'étais, à l'époque, intéressé à l'histoire et à l'archéologie de cette ville. En 2003, je devais faire un voyage officiel suivi d'une visite privée au moment du début de la guerre en Irak, mais j'ai dû l'annuler.

QUESTION - Quel est l'objet principal de votre visite ?

LE PRESIDENT - Il y en a plusieurs. Le premier, c'est que j'avais milité dès l'origine pour le choix d'Aichi pour l'Exposition universelle. La France a immédiatement soutenu la candidature d'Aichi. A l'époque, j'avais d'ailleurs reçu le gouverneur d'Aichi et je lui avais dit que je soutiendrais cette candidature. J'étais donc heureux de voir le beau résultat de cette initiative parce que je sais que c'est une grande réussite, que cela va être une grande réussite..

J'ajoute que le thème c'est le développement durable, un thème auquel je suis particulièrement sensible. C'était une raison supplémentaire d'aller à Aichi : le développement durable est un domaine dans lequel, à l'avenir, le Japon et la France peuvent, notamment en matière de technologies ultra-modernes, coopérer de façon très positive. Nous avons la vocation et la capacité de travailler ensemble dans les domaines de la recherche sur les technologies pour le développement durable.

La deuxième raison, c'est une raison purement politique : les relations politiques, économiques, culturelles entre nos deux pays sont excellentes et il était normal que j'aille faire le point, cela fait partie des traditions que de venir parler des problèmes.

Je me réjouis beaucoup d'avoir une soirée, une séance de travail avec le Premier ministre, M. KOIZUMI, sur l'ensemble des problèmes bilatéraux ou internationaux. C'est la deuxième raison : les rapports politiques, confiants et amicaux qui existent entre nos deux pays.

Il y a une troisième raison : je commençais à être impatient de retourner au Japon. Je trouvais que près de cinq ans sans aller au Japon, c'était pour moi insupportable. Voilà, alors il fallait que je vienne pour retrouver l'ambiance du Japon. Cela me donne l'occasion d'aller passer l'après-midi de la quatorzième journée au tournoi de sumo, et de dîner avec les lutteurs. Je les connais tous, je les connais bien, personnellement et donc je suis très heureux d'aller à ce tournoi. Il y a une coupe du Président de la République qui est remise à chaque tournoi, mais ce n'est pas moi qui la remettrai puisque cela aura lieu le lendemain.

QUESTION - Le champion actuel de sumo est mongol. J'ai entendu dire que vous pensiez que le Japon devait avoir un champion japonais. Que pensez-vous de la difficulté pour les Japonais pour trouver un nouveau champion et aussi, nous avons également appris que le père de TAKANOHANA venait d'entrer à l'hôpital pour un cancer. Est-ce que vous lui rendrez visite au Japon ?

LE PRESIDENT - Je ne suis pas sûr de le pouvoir. Je connais très bien TAKANOHANA, qui vient régulièrement me voir en France. J'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour lui.

Quant au champion à venir, d'abord je note que ce n'est pas un problème de nationalité. Le sumo est, à mes yeux, un sport international et éternel. Il est au-dessus de ces considérations. Deuxièmement, les Japonais ne sont pas seuls à jouer, le champion peut être d'origine mongole, ou autre. Il y a maintenant des jeunes qui montent et qui ne sont pas tous japonais : il y a des Russes, des Bulgares··· Ceci étant et sans faire d'ingérence dans les choix du Japon, j'émets le voeu que le prochain grand champion soit un Japonais.

QUESTION - Sur les relations entre les pays asiatiques, notamment entre la Chine et le Japon, les relations avec la Chine ne sont pas très bonnes. Avec l'expérience européenne de réconciliation entre la France et l'Allemagne, avez-vous des conseils à donner à ces deux pays pour améliorer leurs relations ?

LE PRESIDENT - Je ne dirais pas que ces relations ne sont pas bonnes ; ensuite, je fais toute confiance dans la sagesse des autorités chinoises et des autorités japonaises pour que les problèmes qui peuvent encore se poser soient réglés dans un esprit de tolérance, de respect mutuel et de paix. Je ne suis donc pas inquiet.

Je comprends que chacun puisse avoir ses problèmes mais je le répète, je fais confiance à la sagesse des autorités des deux pays pour régler ces problèmes dans la tolérance et dans la paix.

QUESTION - Sur l'ONU, que pensez-vous du projet de candidature du Japon au Conseil de sécurité ?

LE PRESIDENT - La France a toujours soutenu la candidature du Japon au Conseil de sécurité, alors nous allons voir maintenant quelles seront les propositions qu'a faites le Secrétaire Général, pour lequel nous avons beaucoup de respect et de confiance. La France a toujours soutenu la présence du Japon et de l'Allemagne au Conseil de sécurité.

QUESTION - L'Union européenne se propose, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, de lever l'embargo sur les armes à destination de la Chine. Le Japon s'en inquiète et craint que la modernisation de l'armée chinoise n'entraîne un déséquilibre en Asie orientale. Que pouvez-vous dire pour rassurer l'opinion publique japonaise à ce sujet ?

LE PRESIDENT - La politique étrangère de la France a pour objectif prioritaire, comme celle du Japon, la paix et la sécurité internationales. C'est donc d'abord au regard de cet objectif qu'est examinée la question de la levée de l'embargo sur les armes à destination de la Chine, en ayant bien entendu à l'esprit les préoccupations de nos partenaires et alliés.

Je souhaite rassurer les Japonais qui expriment des inquiétudes.

Levée de l'embargo ne veut pas dire vente d'armes. Les Européens n'ont aucune intention de s'engager dans une politique d'exportation d'armements vis-à-vis de la Chine, qui ne le demande pas.

Ce que veulent les Européens, c'est normaliser leurs relations avec la Chine. Quinze ans après l'adoption de cette mesure, le maintien d'un régime de sanctions ne correspond plus à la réalité de la Chine d'aujourd'hui, pays sélectionné par exemple pour l'organisation des JO à Pékin en 2008 et pour l'exposition universelle à Shanghai en 2010. Le Japon, l'Australie, le Canada et bien d'autres, l'ont compris depuis longtemps.

Levée de l'embargo ne veut pas dire non plus levée des contrôles sur les exportations d'armement. Les pays européens sont des pays responsables. Ils ont, en particulier la France, des régimes de contrôle rigoureux, notamment en ce qui concerne les technologies sensibles. Ces régimes sont en cours de renforcement. Parmi les principes qui guident notre politique d'exportation nationale, il y a la sécurité de nos forces et de celles de nos Alliés. Nous serons donc attentifs aux préoccupations du gouvernement japonais avec lequel nous avons naturellement un dialogue très approfondi sur cette question, comme sur d'autres questions de sécurité.

J'aborderai ce sujet avec le Premier ministre KOIZUMI. Je souhaite, dans l'esprit d'amitié et de confiance exceptionnelle qui préside à nos relations, lui apporter tous les éclaircissements nécessaires.

Plus généralement, ma conviction est que le dialogue que l'Europe développe avec la Chine contribue au progrès de nos valeurs, au respect de la règle internationale et à la stabilité du monde. C'est la meilleure contribution que les Européens puissent apporter à la sécurité de l'Asie qui, nous le savons bien, vit dans des conditions très différentes de celles qui existent en Europe. Je note qu'Européens et Japonais se rejoignent pleinement sur la nécessité de favoriser l'engagement et la responsabilisation de la Chine sur la scène internationale. Je pense en particulier aux efforts de médiation déployés par la Chine en faveur d'un règlement de la crise nord-coréenne. Un climat de dialogue est la clé de la stabilité en Asie.

QUESTION - La France a manifesté son soutien à l'entrée du Japon parmi les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Dans cette perspective, quel rôle, selon vous, le Japon doit-il jouer sur la scène internationale dans les années à venir ?

LE PRESIDENT - J'ai toujours soutenu la candidature du Japon à un siège permanent au Conseil de sécurité car le Japon occupe une place éminente sur la scène internationale, au service de la paix et de la sécurité, du développement. Nous apprécions son soutien au multilatéralisme et son sens des responsabilités. En témoignent le niveau élevé de son aide publique au développement ou sa participation à des misions de paix. Unis par les mêmes valeurs démocratiques, nous pouvons favoriser l'affirmation d'un ordre international plus juste et plus sûr, fondé sur les principes de la Charte des Nations Unies. La présence permanente du Japon au Conseil de sécurité renforcera la légitimité et donc l'efficacité des Nations Unies.

Dans le monde global où nous vivons, il est de la responsabilité des grands pays de s'engager pour plus de responsabilité, plus de solidarité, plus de justice, une réponse collective plus efficace aux grands fléaux contemporains.

J'observe que sur la plupart des grandes questions qui touchent à l'organisation du monde, les positions du Japon et de la France sont proches. Nous travaillons ensemble à la réforme des Nations Unies. A Kyoto, en 1997, nous nous sommes engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique. En 2000, lors du G8 d'Okinawa, nous avons défendu côte à côte la création du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nous agissons également en commun dans la lutte contre la prolifération ou contre le terrorisme. Comment faire mieux encore, ensemble ? Cette question sera au cœur de mes entretiens avec le Premier ministre KOIZUMI.

Nous y reviendrons également avec les entreprises japonaises et françaises à l'occasion du Forum franco-japonais organisé par le NIKKEI et la Chambre de commerce et d'industrie française au Japon où j'interviendrai lundi sur le thème de l'Alliance franco-japonaise au service du développement durable.

QUESTION - Que pensez-vous de l'avenir des relations entre la Chine et le Japon au moment où la position du Japon semble s'affaiblir devant une Chine populaire en pleine expansion économique ?

LE PRESIDENT - Je ne partage pas votre analyse. J'observe au contraire que l'économie japonaise a su tirer parti du dynamisme économique de la Chine. La région du Kansai, où j'aurai le plaisir de me rendre, est ainsi l'un des principaux partenaires de la Chine. J'observe aussi que le Japon, grâce à ses capacités technologiques, à ses investissements, reste de loin la première économie de la région.

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce que devraient être les relations entre le Japon et la Chine, mais j'observe que l'Asie et le monde ont tout à gagner à des relations politiques et économiques aussi structurées et denses que possible entre ces deux grandes puissances.

Sur le plan politique, le gouvernement japonais a adopté une approche volontariste pour donner à ces relations économiques une meilleure organisation grâce à des accords de libre-échange ou à des mécanismes de solidarité. Il appuie aussi toutes les institutions régionales comme l'ASEAN+3. Je crois que ce processus d'organisation de la région est excellent.

De bonnes relations entre voisins viennent aussi de l'acceptation commune de leur passé. Ce que l'Allemagne et la France ont réussi à faire me semble démontrer qu'il n'est aucune blessure de l'histoire que la volonté politique ne permette de surmonter.

QUESTION - Actuellement, ce qui préoccupe le plus les Japonais, c'est la question nucléaire en Corée du Nord. Les pays européens ont joué un rôle important dans le règlement de la question nucléaire en Iran. Pensez-vous que les Européens pourront également intervenir activement dans l'affaire nord-coréenne ?

LE PRESIDENT - La France partage la préoccupation du Japon et est totalement engagée dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Il est inacceptable pour la sécurité du monde et pour la fiabilité de l'ordre juridique international que des pays rompent les engagements qu'ils ont pris. Face à des pays qui déstabilisent la sécurité régionale par leurs comportements proliférants, la Communauté internationale doit faire preuve de la plus grande fermeté.

A contrario, il est normal que les pays qui respectent leurs obligations en matière de non-prolifération et qui apportent la preuve de la nature pacifique de leurs ambitions puissent bénéficier des technologies auxquelles les règles internationales leur donnent légitimement accès et puissent vivre en paix dans la sécurité.

Tel est l'esprit des négociations que mènent l'Allemagne, le Royaume Uni et la France avec l'Iran. Tel est aussi le but des négociations qui se déroulent dans le cadre à six avec la Corée du Nord et qui sont fermement soutenues par la France et toute l'Union Européenne.

Nous espérons que ce processus pourra reprendre dans les meilleurs délais et permettra d'enregistrer des progrès concrets en faveur du démantèlement par la Corée du Nord de l'ensemble de ses programmes nucléaires militaires.

Dès le début de la crise coréenne, la France a marqué son appui au Japon sur la question des enlevés dont nous mesurons la sensibilité pour le peuple japonais.

L'Europe est prête, si les parties le souhaitent, à s'impliquer plus directement dans la recherche d'un règlement de la crise nord coréenne. Elle conçoit son rôle en appui des pays de la région avec lesquels nous sommes en contact étroits.

QUESTION - Comme on l'a constaté au sommet de Bruxelles, la dernière visite en Europe du président George W. BUSH s'est déroulée dans une atmosphère beaucoup plus amicale que lors de son premier mandat. Qu'est-ce qui a changé dans les relations entre l'Europe et les Etats-Unis ? Est-ce seulement « l'atmosphère » qui a évolué ? Ou bien est-ce un changement plus profond ?

LE PRESIDENT - La rencontre entre les Etats-Unis et l'Union européenne à Bruxelles, le 22 février dernier, a été un succès. Les Européens ont tous été sensibles à la volonté du Président américain d'affirmer, au tout début de son second mandat, son attachement à l'Alliance Atlantique et son appréciation pour la construction européenne.

En particulier, la rencontre avec les membres du Conseil européen a souligné la nécessité pour les Etats-Unis et l'Europe, confrontés aux mêmes défis, de travailler ensemble.

Le monde dans lequel nous vivons est un. Personne ne peut en résoudre seul les problèmes. L'Europe a besoin des Etats-Unis tout comme les Etats-Unis ont besoin de l'Europe. Celle-ci est pour les Etats-Unis un partenaire politique. Dans les Balkans occidentaux, en Afghanistan, en Méditerranée, dans le conflit israélo-palestinien, en Afrique, la politique étrangère de l'Union européenne associe moyens et volonté d'action. En Macédoine et au Congo hier, en Bosnie aujourd'hui, les premières opérations militaires de l'Union européenne ont permis d'organiser, en toute confiance, un nouveau partage du fardeau avec les Etats-Unis. Tout ceci est positif. Nous sommes tous conscients que notre action n'est jamais aussi efficace que lorsque l'Europe et les Etats-Unis, mais aussi d'autres puissances, comme le Japon, unissent leurs forces.

QUESTION - Face à l'unilatéralisme américain, la plupart des pays européens dont la France défendent une vision multipolaire du monde. En dépit des sujets de divergence sur l'Iran, l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine ou le Protocole de Kyoto, pensez-vous que la France et les Etats-Unis parviendront à coopérer pour favoriser l'établissement de relations internationales plus harmonieuses ?

LE PRESIDENT - Les relations entre les Etats-Unis et la France reposent sur une histoire commune aussi ancienne que l'Indépendance américaine, sur une alliance qui s'est manifestée avec éclat tout au long du vingtième siècle, sur une communauté de valeurs. Elle est riche des liens humains, politiques, économiques, culturels, qui nous attachent. Elle est beaucoup plus dense qu'on l'imagine et s'est approfondie ces dernières années, malgré nos divergences sur l'Irak.

Dans de nombreux domaines, je qualifierais d'exemplaire la coopération entre nos deux pays. Qu'il s'agisse de la lutte contre le terrorisme, ou la prolifération ou des solutions que nous tentons, ensemble, d'apporter, à plusieurs crises ou conflits régionaux (Haiti, Balkans, Côte d'Ivoire, Liban/Syrie), nous travaillons ensemble, sur le terrain. Sur l'Irak, la Communauté internationale a pu se retrouver dans le cadre du processus politique fixé par la résolution 1546.

Au-delà, vous avez raison de souligner que les grands débats de ces derniers mois ne se résument pas à des problèmes bilatéraux entre les Etats-Unis et la France, mais sont des sujets à propos desquels l'Europe, comme bien d'autres pays dans le monde, aspire à ce que les Etats-Unis s'engagent davantage sur la voie du multilatéralisme. C'est vrai par exemple du Protocole de Kyoto, de la Cour Pénale Internationale, du développement.

Sur ces sujets, les différences d'appréciation ne sont pas des sujets d'affrontement, à condition qu'elles soient abordées en gardant à l'esprit la solidarité fondamentale qui nous rassemble et la volonté de trouver, par un dialogue amical et respectueux, des voies communes. Le déplacement du Président BUSH a confirmé la nécessité pour les Américains et les Européens de travailler ensemble. La France, dans le respect de ses principes, y est évidemment prête.

QUESTION - La France reste ferme dans sa résolution à ne pas envoyer de troupes en Irak. Or la communauté internationale devrait apporter son soutien au gouvernement transitoire iraquien. Le rôle de la France va-t-il se limiter à la formation des forces de sécurité hors des frontières iraquiennes ? Pensez-vous que la position de la France concernant le déploiement de ses troupes en Irak pourra évoluer ? Si oui, à quelles conditions ?

LE PRESIDENT - En Irak, la France veut contribuer à la stabilité et à la poursuite du processus politique fixé par la résolution 1546. La tenue des élections a constitué un premier pas vers cet objectif : rendre, au plus vite, au peuple iraqien la pleine maîtrise de son destin.

Dans le respect des engagements pris, la France participe, dans le cadre de l'OTAN, à l'action de formation des forces de sécurité iraqienne. A titre bilatéral ou dans le cadre de l'Union européenne, elle fait porter son effort sur la consolidation de l'Etat de droit et la formation de la police iraquienne. Ses propositions en font aujourd'hui le principal contributeur à la mission que l'Union européenne va engager dans les prochaines semaines.

Sur le plan économique, la France a accepté l'annulation de 80 pour cent de la dette iraquienne, selon les modalités mises au point par le Club de Paris. Cela représente pour nos finances publiques un effort de plusieurs milliards de dollars.

Nous poursuivrons les coopérations engagées avec le Japon et l'Allemagne en Irak dans les domaines de la formation des cadres, des responsables régionaux d'irrigation, et d'archéologues.

Pour la réussite du processus engagé, l'essentiel est que que toutes les composantes de la société iraquienne se reconnaissent dans les institutions nouvelles qui se mettent en place. Ce n'est pas encore le cas. Il faut donc poursuivre le processus politique en créant les conditions d'un vaste dialogue national. Alors que la résolution 1546 évoque la perspective d'un retrait de la force multinationale, la question de l'envoi de forces françaises n'aurait pas de sens. Il ne serait pas de nature à convaincre les Iraquiens que l'Etat qui se met en place est le leur.

QUESTION - Le chancelier allemand SCHROEDER a récemment affirmé que l'OTAN « n'est plus le lieu principal où les partenaires transatlantiques discutent et coordonnent leurs stratégies » et appelé à sa réforme. Partagez-vous cette opinion ?

LE PRESIDENT - L'OTAN, comme toute organisation, doit s'adapter en permanence.

Le Chancelier fédéral allemand a eu raison de souligner qu'elle devait continuer à prendre la mesure des changements intervenus sur le continent européen.

Il ne s'agit pas de remettre en cause le lien transatlantique, mais au contraire de s'assurer de sa pérennité à travers les canaux de dialogue les plus efficaces.

A cet égard, au-delà de l'OTAN qui garde tout son sens en tant qu'alliance militaire, la rencontre entre le Président Bush et les membres du Conseil européen a été une occasion pour les Européens de montrer que l'Union progresse, notamment dans le domaine de la politique étrangère et de la défense et qu'il y avait un intérêt pour les Etats-Unis à dialoguer davantage avec elle.

QUESTION - Depuis le décès de M. Yasser ARAFAT, le processus de paix au Moyen-Orient semble avoir retrouvé des couleurs. La France, qui a traditionnellement de bonnes relations avec le monde arabe, peut-elle jouer un rôle actif, avec les Etats-Unis, dans le processus de paix au Moyen-Orient ?

LE PRESIDENT - Amie d'Israël et des pays arabes, la France s'est toujours engagée aux côtés de ceux qui veulent la paix et la sécurité. Elle voit dans les développements récents un motif d'espoir et elle est prête, avec ses partenaires européens, à aider à concrétiser cet espoir.

L'élection de Mahmoud ABBAS à la présidence de l'Autorité palestinienne et la détermination du Gouvernement israélien à mettre en œuvre son plan de désengagement de Gaza et du nord de la Cisjordanie offrent une occasion de relance du processus de paix que la communauté internationale s'attache à saisir.

Le dialogue direct a repris, lors du Sommet de Charm-el-Cheikh. Les prochaines échéances sont la poursuite du processus de réforme de l'Autorité palestinienne, qui a fait l'objet de la réunion de Londres du 1er mars, ainsi que le désengagement israélien de Gaza et du nord de la Cisjordanie.

La France et l'Union européenne soutiennent activement ces initiatives, à travers le Plan Solana de l'Union européenne, et par leur activité au sein du Quartet, qui regroupe l'Union européenne, les Etats-Unis, la Russie et les Nations Unies.

Au-delà, l'objectif de la France est la mise en œuvre de la « Feuille de route » du Quartet qui doit aboutir à la création d'un Etat palestinien. Nous plaidons pour l'organisation d'une conférence internationale dans la période qui suivra le désengagement de Gaza. Il importe en effet d'ouvrir rapidement une perspective politique, qui reste le plus sûr moyen de surmonter la menace toujours présente d'un retour de la violence entre les parties. Nous travaillons la main dans la main avec tous nos partenaires pour y parvenir.

QUESTION - Le référendum sur la Constitution européenne est prévu pour le mois de mai ou de juin. En Espagne, le taux de participation au scrutin était d'environ 40 %. Un faible taux de participation pourrait avoir un impact sur la légitimité de ce texte. Comment comptez-vous susciter l'intérêt des Français à l'égard du référendum ?

LE PRESIDENT - Le traité instituant une constitution pour l'Europe est à la fois le couronnement de l'oeuvre européenne engagée avec le Traité de Rome et le point de départ d'une nouvelle ambition pour notre continent, rassemblé autour de politiques et de valeurs communes. Il est soumis à la ratification des Etats, qui y procèdent chacun selon ses lois et ses traditions. Vous évoquez le référendum qu'a organisé le gouvernement espagnol le 20 février. Nos amis espagnols ont montré la voie en approuvant le traité de façon éclatante, à 77 %.

Il était naturel, dans la pratique française de la démocratie, qu'un texte d'une telle envergure, qui engage l'avenir, soit directement présenté à l'approbation des citoyens. J'ai décidé que le référendum aura lieu en France le 29 mai.

S'ouvrent à nous quelques semaines pour informer les Français sur ce qu'est le traité constitutionnel, pour conduire un grand débat démocratique.

Pour ma part, je souhaite souligner l'importance du traité pour l'Europe, qui en tirera les moyens de mieux fonctionner et de progresser, d'être plus efficace pour répondre aux nouveaux défis de notre temps et aux nouvelles attentes des Européens.

Je souhaite souligner son importance pour la France car l'Europe est aujourd'hui le cadre naturel de notre action, le lieu où s'enracine un modèle de développement économique et social qui nous est propre, mais aussi qui nous est cher.

QUESTION - Je voudrais terminer par une question sur l'avenir de l'Union européenne. Quelle forme souhaiteriez-vous donner à cet ensemble qui en définitive transcendera l'Etat-Nation ?

LE PRESIDENT - La construction européenne est profondément originale.

Elle est d'abord le fruit de la volonté commune des Etats et des peuples qui la composent de former une union toujours plus étroite, autour d'une ambition essentielle : enraciner la paix, la démocratie, les droits de l'Homme sur le continent européen.

L'enjeu du traité constitutionnel, c'est bien de confirmer solennellement cette volonté, de consolider une communauté de valeurs, autour d'objectifs partagés. Nous le faisons en améliorant encore un ensemble institutionnel qui est plus qu'une organisation internationale classique, mais qui n'est pas un Etat.

Vous savez que l'Union s'est donnée une devise : "unie dans la diversité", c'est-à-dire capable d'être forte à plusieurs, mais composée de nations distinctes, attachées à leur identité et à leurs compétences.

Voilà ce que je souhaite pour l'Union : une Union européenne forte. Forte à l'intérieur, comme le permet le traité constitutionnel, en adoptant un modèle de développement économique et social fondé sur la solidarité et en encourageant l'initiative et la croissance.

Une Union forte également à l'extérieur. Car, dans le monde, l'Europe a aussi un rôle à jouer. Elle doit faire entendre sa voix dans ce monde multipolaire : elle a un message à porter, des valeurs à défendre, une certaine conception des relations internationales.