CONFERENCE DE PRESSE CONJOINTE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

DE MONSIEUR THABO MBEKI PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE SUD AFRICAINE, PRESIDENT DE L’UNION AFRICAINE

DE MONSIEUR KOFI ANNAN SECRETAIRE GENERAL DES NATIONS UNIES

DE MONSIEUR OMAR BONGO PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU GABON

DE MONSIEUR LAURENT GBAGBO PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE

DE MONSIEUR ABDOULAYE WADE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU SENEGAL PRESIDENT DE LA CEDEAO

ET DE MONSIEUR ROMANO PRODI PRESIDENT DE LA COMMISSION EUROPEENNE A L’ISSUE DE LA CONFERENCE DES CHEFS D’ETAT SUR LA COTE D’IVOIRE

PARIS- DIMANCHE 26 JANVIER 2003

LE PRESIDENT – Bien, Mesdames, Messieurs,

Nous sommes au terme de notre réunion qui devait conclure les travaux qui se sont déroulés à Marcoussis entre les représentants des différentes forces politiques ivoiriennes, afin de trouver une sortie de crise qui respecte les principes de la démocratie et qui permette de retrouver l’union par la réconciliation. C’était l’objectif des travaux de Marcoussis et l’objectif de notre réunion d’hier et d’aujourd’hui.

Je voudrais dire d’abord au Président Thabo MBEKI, au Président de l’Union africaine, toute notre reconnaissance pour la part déterminante qu’il a prise en sa qualité dans l’évolution des choses. Je voudrais également dire au Président de la CEDEAO, Monsieur WADE, Président du Sénégal, combien son rôle a été déterminant ainsi que celui de plusieurs autres Chefs d’Etat de la région, remercier notre doyen, le Président Omar BONGO, dire au Président Romano PRODI combien nous avons, ce matin, apprécié l’intervention extrêmement claire et précise sur l’aide que l’Union européenne apportera au redressement d’une Côte d’Ivoire réconciliée et, enfin, naturellement, remercier le Président GBAGBO qui a fait tous les efforts nécessaires pour que la réconciliation puisse être menée à son terme dans le respect des principes de la Constitution.

En effet, le consensus qui s’est dégagé et qui a été à l’origine de l’accord final respecte les principes intangibles que sont le maintien de l’intégrité territoriale, le respect de la légalité constitutionnelle -la Constitution de la Côte d’Ivoire est respectée-, l’autorité de l’Etat, avec le respect de la Présidence et la nomination par le Président d’un Premier ministre qui fait, je dirais, le consensus des forces politiques, et le principe de l'accession au pouvoir par des voies démocratiques.

Voilà le résultat de ces réflexions et de ces réunions. Je souhaite maintenant que chacun, dans le domaine politique et dans le domaine économique, respecte au pied de la lettre les engagements qu’il a pris.

Peut-être que le Président MBEKI pourrait d’abord dire un mot, puis le Secrétaire Général de l’ONU dont le rôle, naturellement, a été tout à fait essentiel dans l’ensemble de l’évolution de ce dossier et puis, naturellement, nous répondrons aux questions. Et les autres participants, après Monsieur GBAGBO, apporteront leurs propres réflexions.

LE PRESIDENT MBEKI – Merci beaucoup Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs les journalistes, je voudrais tout d’abord vous dire, en parlant au nom du continent africain, que nous sommes très heureux que le Président CHIRAC et le gouvernement français aient pris l’initiative qu’ils ont prise pour aider à régler le conflit en Côte d’Ivoire. Nous avons discuté de cela avec le Président CHIRAC par téléphone, puis ensuite avec le ministre des Affaires étrangères, Dominique de VILLEPIN, qui a proposé de discuter du problème, et nous nous sommes mis d’accord pour dire qu’il fallait prendre cette initiative. Nous sommes très heureux, également, de la conclusion des négociations. Heureusement, ce matin, à la fois les pays de la région d’Afrique de l’Ouest et la communauté internationale dans son ensemble, avec notamment Romano PRODI, la Banque Mondiale, le FMI, les Nations Unies, la Banque Africaine de Développement, donc, heureusement, comme je le disais, tous se sont engagés à soutenir cet accord dans son application.

L’Union africaine va tenir un sommet extraordinaire dans une semaine environ, à Addis-Abeba, et discutera de ce point-là pour voir également ce que le continent africain peut faire de plus pour apporter tout le soutien nécessaire à cet accord. Il est clair que nous devons passer maintenant rapidement à la mise en oeuvre de l’accord, étant donné l’importance de la Côte d’Ivoire pour l’ensemble du continent, puisque c’est un pays africain important et que c’est également un pays très important dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Et nous voulons que la Côte d’Ivoire participe à la reconstruction du continent. Alors, quels que soient les problèmes, je suis sûr que ce sera couronné de réussite. Bien sûr, il y aura quelques difficultés, mais le Président GBAGBO, le Premier ministre et les forces politiques ont indiqué leur engagement pour résoudre tous ces problèmes. Donc, une fois de plus, remercions le Président CHIRAC de la contribution qu’il a apportée pour nous aider à régler ce problème. Merci beaucoup, Monsieur le Président.

MONSIEUR KOFI ANNAN – A mon tour, je tiens à remercier le Président CHIRAC et le gouvernement français de nous avoir invités ici à Paris et d’avoir facilité brillamment cette négociation à Marcoussis, puis le sommet, ici. J’espère qu’en rentrant, tous les leaders politiques qui ont participé, qui ont signé l’accord vont expliquer à la population ce que le Président CHIRAC vient de lui dire. C’est pour arrêter la guerre, c’est pour la paix et pour créer une atmosphère où l’on peut travailler calmement et respecter la Constitution.

Je voudrais également dire que je suis un voisin de la Côte d’Ivoire. Et la Côte d’Ivoire que je connaissais était une Côte d’Ivoire pacifique, un îlot de stabilité dans la région. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est en détresse, connaît de profonds troubles. Et c’est une situation à laquelle nous ne nous attendions pas du tout. Les dirigeants, à Paris, ont eu le courage de parvenir à un accord, un accord entre eux qu’ils ont négocié et signé. S’il est appliqué de bonne foi dans la durée, nous sortirons de la crise. Et, ce matin, comme vous l’avez entendu, la communauté internationale, qui a participé à cette réunion, a indiqué ce qu’elle ferait en termes concrets pour aider la Côte d’Ivoire, si elle travaille en toute honnêteté dans l’application de cet accord. Ce ne sera pas facile. Mais je pense que les Ivoiriens demandent la paix, demandent la fin du conflit parce qu’ils ont beaucoup souffert au cours des derniers mois. Et ils méritent la stabilité et la paix. Et les dirigeants ont le devoir de les leur accorder.

Il est inadmissible que ceux qui ont pris les armes continuent à le faire, parce que nous avons discuté dans la paix. Ce que nous voulions, ici, c’était mettre fin au conflit tout en respectant l’intégralité territoriale du pays et pour revenir à la Côte d’Ivoire que nous connaissions avant. Et je suis sûr que la population travaillera avec les dirigeants, acceptera les décisions prises ici aujourd’hui, à Paris, afin que nous retrouvions cette Côte d’Ivoire que nous avons connue et que nous admirions.

LE PRESIDENT GBAGBO – Merci au Président CHIRAC, à vous tous, Secrétaire Général de l’ONU, Président de l’Union africaine, Président de la CEDEAO, Monsieur PRODI, Président BONGO, vous tous, je vous remercie, parce que nous avons tous veillé au chevet de la Côte d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire n’a pas laissé la communauté internationale indifférente. Crise nationale, sa crise est devenue régionale, puis africaine, puis internationale. C’est pourquoi nous nous trouvons ici aujourd’hui et, personnellement, je suis heureux qu’on ait abouti à cet accord là.

Que dit cet accord ? Jacques CHIRAC l’a dit, mais il faut qu’on le répète bien pour que cela soit très clair pour tout le monde.

L'accord de Marcoussis est intervenu entre les forces politiques. Cet accord-là nous a été distribué ici et a été résumé par Pierre MAZEAUD. Il confirme l'intégrité territoriale, le respect de l'intégrité territoriale. Je crois qu'on ne fait pas suffisamment attention au contenu. J'ai dit plusieurs fois en Côte d'Ivoire que j'ai reçu la Côte d'Ivoire avec 320 000 km². Et je la laisserai à mon successeur avec 320 000 km². Je crois que c'est l'essentiel. C'est vraiment important pour tout homme politique, il faut qu'il laisse le pays dans la dimension qu'il l'a reçue mais il faut qu'il le laisse plus prospère. C'est l'ambition de tout homme politique. Donc, l'intégrité territoriale.

Deuxièmement, la paix retrouvée. C'est ça que dit l'accord. Nous avons décidé de faire taire les armes pour parler. Donc, deuxième point, la paix retrouvée. L'intégrité territoriale garantie, la paix retrouvée. L'intégrité territoriale sera garantie aussi bien par la force de la CEDEAO que par la force française. Nous avons demandé au Secrétaire Général des Nations Unies de faire un effort, nous avons demandé au Président de l'Union africaine s'il peut nous donner un coup de main pour que l'intégrité territoriale soit respectée. La paix retrouvée.

Troisièmement, troisième point de l'accord, la prospérité. C'est un objectif de tout homme politique. Si vous venez appauvrir votre pays, ce n'est pas la peine de faire de la politique. La prospérité. Nous avions engagé depuis deux ans des réformes et nous étions en train de travailler avec les institutions financières internationales. Je les ai toutes remerciées parce qu'aucune d'entre elles n'a suspendu son programme avec la Côte d'Ivoire.

Naturellement, dans le bilatéral, je remercie principalement la France qui, non seulement n'a pas arrêté de nous aider mais, même, nous a permis avec le déclenchement de la crise de mettre entre parenthèses le remboursement de l'AFD pour des jours meilleurs. Mais aussi les autres nations, le Japon, le Canada, etc... ont fait des déclarations pour nous soutenir.

J'ai écouté avec satisfaction Romano PRODI, tout à l'heure, au nom de l'Union européenne, indiquer la taille de ce que l'Union européenne peut faire pour venir en aide, pour la reconstruction et le redressement économique de la Côte d'Ivoire. Ce sont de véritables acquis. J'ai cité le Japon, j'ai cité le Canada, j'ai cité, je crois, les Etats-Unis. Je vous ai dit que ce n'était pas la peine de citer la France parce que c'était permanent. Donc, la prospérité.

Quatrième point que l'accord indique, c'est la voie démocratique comme voie unique pour accéder au pouvoir. Je crois qu'il faut qu'on dise les choses. Beaucoup ont demandé la démission de GBAGBO, la plupart d'entre vous me connaissez, je n'use pas de la langue de bois. Au plan personnel, moi, je suis un universitaire. Donc, je fais de la politique, donc je gagne le pouvoir et je vais y rester. Mais je dis que partir n'est pas la chose la plus compliquée. C'est même la chose la plus facile. Et quand j'ai évoqué cela, le Président BONGO m'a dit : "mais tu es un lâche, tu veux laisser la Côte d'Ivoire dans la difficulté pour aller te mettre au frais" ?. Mais, si je pars, ou bien si cette voie était retenue, ça voudrait dire que la communauté internationale qui se penche sur l'affaire de la Côte d'Ivoire abandonne pour ce pays la voie démocratique d'accès au pouvoir. Voilà, je crois, ce qui me vaut le soutien. Ce n'est pas un soutien à GBAGBO, à une personne ou à une famille politique, c'est le soutien principal.

Donc, je dis que je suis heureux parce que ces quatre points ont été, sont contenus dans l'accord : l'intégrité territoriale, la paix retrouvée, la prospérité et la voie démocratique garantie. Je ne peux rien demander d'autre.

Ce que je peux faire maintenant ? Je constate qu'il y a des mouvements divers en Côte d'Ivoire. J'ai appelé au calme qui, je crois, est en train progressivement de se rétablir. Je vais donc repartir en Côte d'Ivoire plus tôt que prévu mais il faut que les gens comprennent qu'on ne sort pas d'une guerre comme on sortirait d'un dîner de gala. Il y a deux manières de sortir d'une guerre. On fait la guerre et on la gagne militairement. Mais, quand on ne l'a pas gagnée, on discute et on fait des compromis. Moi, je n'ai pas gagné la guerre. Je n'ai pas gagné la guerre. Donc, l'autre voie qui me reste, c'est de discuter et de faire des compromis, pour aboutir au même résultat qui sont les quatre points que je vous ai indiqués tout à l'heure. Je m'en vais à Abidjan pour dire aux Ivoiriens que je n'ai pas gagné la guerre. Il faut donc qu'on en tire les leçons. Si j'avais gagné la guerre, il n'y aurait pas eu Marcoussis, il n'y aurait pas eu Paris. Mais je ne l'ai pas gagnée.

Il faut donc que tout homme politique en tire les leçons. Donc, la stabilité de la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui et de demain demande qu'on comprenne dans l'esprit cet accord et qu'on ne tressaille pas un peu mais qu'on regarde par l'esprit. Tout est préservé, je ne dis pas que l'essentiel est préservé, je dis que tout est préservé, tout ce que la Côte d'Ivoire a à gagner par la voie de la démocratie, tout ce pour quoi nous avons lutté durant des décennies pour que la Côte d'Ivoire rentre dans la démocratie, tout est préservé.

C'est pourquoi je suis un homme heureux, je m'en réfère à ma part de travail pour que la paix revienne et que le gouvernement s'installe. Je termine en vous disant que j'ai demandé à certains Chefs d'Etat, dont le Président MBEKI, le Président BONGO, le Président WADE, de trouver le temps pour venir à Abidjan le jour où nous allons installer officiellement le gouvernement. Ils m'ont donné leur accord. Je suis heureux de compter déjà sur eux. Je vous remercie.

LE PRESIDENT WADE - Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies, Monsieur le Président de l'Union africaine, Monsieur le Président BONGO, Monsieur le Président PRODI, Mon Cher Laurent GBAGBO, Mesdames, Messieurs, je voudrais en très peu de mots réexprimer le point de vue de la CEDEAO. D'abord, lorsque l'idée d'une table ronde à Paris a été émise, bien entendu, le Président GBAGBO a été le premier consulté mais c'était ensuite la CEDEAO. Et j'ai donné mon accord et j'ai soutenu très fermement cette idée. J'insiste là-dessus parce que les journalistes avec qui j'ai eu l'occasion de parler sont tous revenus sur la question du "Pourquoi vous n'avez pas pu faire ça en Afrique ?" Mais parce que nous ne pouvons pas, tout simplement. Nous avons fait ce que nous avons pu et ce que nous pouvions, c'est-à-dire réaliser un cessez-le-feu, mais il n'est pas dans notre capacité de réaliser un accord politique avec les garanties de respect et de mise en oeuvre. Je crois qu'on ne peut pas nous reprocher de ne pas tout pouvoir.

C'est la raison pour laquelle nous tous, aussi, aujourd'hui, et beaucoup de Chefs d'Etat, nous sommes là pour soutenir le processus qui est engagé. Je crois que nous n'avions pas tort puisque cela a abouti à un accord qui règle la crise ivoirienne dans tous ses détails. Il ne reste que la mise en oeuvre.

La deuxième chose que je voudrais dire, c'est que la crise ivoirienne, la solution à la crise ivoirienne nous intéresse au plus haut point étant donné la position économique et l'importance de la Côte d'Ivoire dans l'économie de l'Afrique de l'Ouest, dans l'Union économique de l'Afrique de l'Ouest et aussi dans la CEDEAO. Nos implications sont telles que c'est pratiquement la même économie, la même monnaie. La faiblesse de la Côte d'Ivoire, c'est notre faiblesse. La force de la Côte d'Ivoire, c'est notre force.

La troisième chose que je voudrais dire, c'est que les pays de l'Afrique de l'Ouest, de la CEDEAO, se sont engagés à côté de la Côte d'Ivoire et à côté de la légitimité incarnée par GBAGBO depuis le départ. Et nous entendons rester dans cette position. Et c'est sur cette base que nous avons commencé à fournir les forces militaires nécessaires sur le terrain. Et nous en fournirons autant que cela sera encore nécessaire.

Je voudrais simplement terminer en remerciant tous les bailleurs de fonds, en remerciant toutes les institutions internationales mais en remerciant particulièrement le Président CHIRAC, et donc la France, qui a ici joué un rôle de premier plan. Sans son initiative, sans la détermination du Président CHIRAC dans une opération, qu'il le dise ou pas, qui comportait quand même quelques risques, eh bien, sans cela, nous n'aurions pas abouti aux résultats que nous avons aujourd'hui.

Sur le terrain, nous collaborerons, nous, forces de l'Afrique de l'Ouest, nous collaborerons très étroitement avec les forces françaises, avec la vocation d'ailleurs de les relever parce qu'à mon sens, s'il y a quelque chose à faire sur le plan militaire, cela nous incombe d'abord en tant qu'Africains. Et ça, ça fait partie des choses que nous pouvons faire. Je vous remercie.

LE PRESIDENT - Monsieur Le Doyen

LE PRESIDENT BONGO - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, vraiment je n'ai pas grand chose à dire. Sinon une chose. Et, si je le dis, évidemment, vous allez dire : le Président BONGO et le Président CHIRAC sont des amis, BONGO ne pouvait pas dire autre chose que ce qu'il a dit. Mais je crois que c'est une erreur. Aujourd'hui, je voudrais franchement affirmer, confirmer, réaffirmer qu'il est vrai qu'on appelle CHIRAC l'Africain. Ce n'est pas facile pour un Chef d'Etat de se réveiller le matin, entendre que tel pays est en train de s'embrouiller et prendre les décisions. C'est ce que CHIRAC a fait en dépit de critiques, en dépit de la démocratie, en dépit de l'indépendance de chaque pays. Il a envoyé son ministre des Affaires étrangères, Dominique de VILLEPIN, qui est un vieil ami aussi, et qui a fait le tour, le tour, le tour, le tour pour venir enfin au secours de l'Afrique. Parce que vous les avez tous entendus, quand ils ont eu à parler de là-bas, et ici, tous ces Chefs d'Etat vous ont dit, et je le répète à leur place, que la Côte d'Ivoire constitue l'ossature même de l'Afrique. A travers la Côte d'Ivoire, c'est le Mali, c'est le Burkina-Faso, c'est d'autres pays, et le mal qui a atteint la Côte d'Ivoire nous atteint tous.

Pour moi, la Côte d'Ivoire est plus que chère. Hier c'était HOUPHOUET, après c'était BEDIE, aujourd'hui c'est GBAGBO. Il y a des relations très particulières entre GBAGBO et moi que vous ne pouvez même pas ignorer. La preuve, le jour du coup d'Etat, il était avec moi dans mon bureau, à côté de moi, et je lui ai dit "prends l'avion mon petit, va !". Ceci, c'est pour dire que la France a joué là un rôle important. Ce n'est pas pour sauvegarder un régime. Non, il a sauvé l'Afrique parce qu'aujourd'hui, vous poserez la question au Président du Mali, sur ce qu'il pense de la crise ivoirienne. Ce qu'il vous dira, c'est que ce n'est pas une affaire de la Côte d'Ivoire, c'est aussi une affaire malienne.

C'est pourquoi je voudrais ici, au nom de l'Afrique centrale, ce n'est pas pour faire un parallélisme avec mon frère WADE, on se comprend depuis longtemps, vieux opposants, il le sait et je le sais, ceux qui nous entourent le savent, donc WADE a parlé au nom de la CEDEAO, je voudrais dire un mot au nom de l'Afrique centrale, à CHIRAC, pour lui dire mon cher Jacques, merci. Avec toi, le gouvernement français, et particulièrement le ministre des Affaires étrangères, parce que là-bas ils sont beaucoup de ministres, de ministres délégués, de secrétaires d'Etat, bref, je passe, de VILLEPIN, merci mon cher Dominique, tu as bien joué ton rôle.

Et, aujourd'hui, nous avons trouvé ce qu'il fallait. Hier, comme il vous l'a dit, Laurent, effectivement, par deux reprises, il m'a dit "Il ne me reste qu'à donner ma démission, il ne me reste qu'à donner ma démission". La troisième fois, je lui ai dit "Eh dis donc, si tu le fais, tu es un lâche. Cesse". Nous n'avons fait que ce que les Ivoiriens ont cherché, voulu et trouvé. Et cet accord a été signé par tout le monde.

Si, aujourd'hui, quelqu'un dit : "GBAGBO a eu tort ou GBAGBO a fait ceci", GBAGBO n'a appliqué que ce que les Ivoiriens de toutes tendances ont voulu. Et nous sommes heureux que tout se soit terminé de cette façon-là. Et je voudrais enfin, pour terminer, dire merci à Monsieur le Secrétaire Général de l'ONU qui nous a été d'un concours très précieux. A mon ami MBEKI, je lui dirai très bien, l'Union africaine n'a connu que des problèmes, toujours des problèmes, voilà encore un qui vient d'arriver. Moi, j'en ai laissé un là-bas, entre la Centrafrique et le Tchad, mais on va arriver à le contourner, à le résoudre.

Mais aujourd'hui, je voudrais franchement, au nom de l'Afrique centrale, et pourquoi pas au nom de l'Afrique, parce que je suis l'un des doyens, je voudrais, Monsieur le Chef d'Etat de la République française, te dire merci pour ce que tu as fait pour la Côte d'Ivoire et, à travers la Côte d'Ivoire, pour toute l'Afrique. Voilà ce que je voudrais dire.

MONSIEUR ROMANO PRODI – Vraiment, je pense que la table ronde de Marcoussis est bien réussie. Alors, la Commission européenne, l'Union européenne se sont engagées à donner tous les efforts parce que cela revient à donner pour la région, pour la paix. Et ça, c'était la raison pour laquelle je me suis engagé, je suis venu ici. Et l'engagement n'est pas négligeable, nous nous sommes engagés pour une enveloppe globale de 400 millions d'euros, dont 150 millions rapidement utilisés, pour la sortie de la crise. Et nous avons fait tout cela pour intervenir, accompagner cet effort de paix pour lequel je voudrais démontrer ma gratitude au Président CHIRAC, au Secrétaire Général des Nations Unies, à tous les Chefs d'Etat qui ont travaillé à l'ensemble des questions. Et nous avons simplement mis la condition que les accords soient respectés, que les règles de la démocratie soient respectées. Et alors ça, c'est à mon avis un exemple pour la résolution de crise. Et, simplement, je voudrais que dans tous les cas où il y aura des questions de ce type, il y aura encore Monsieur CHIRAC, ou Monsieur CHIRAC l'Africain, pour faire une intervention, pour résoudre les problèmes. L'Union européenne sera toujours avec lui pour donner l'aide à la paix.

QUESTION – Une question pour le Président GBAGBO et vous-même, Monsieur le Président CHIRAC. Des bâtiments officiels de la France et du Burkina-Faso ont été attaqués depuis la nuit dernière, certains ont été en partie incendiés, pillés. Quelle mesure comptez-vous prendre pour protéger les ressortissants de la France et du Burkina-Faso en Côte d’Ivoire ?

LE PRESIDENT – Avant de donner la parole au Président GBAGBO, je vous dirai qu’une évolution de cette nature implique automatiquement quelques excès. Vous savez, la démocratie, c’est la reconnaissance des partis politiques. Les partis politiques, cela fonctionne avec des militants, et les militants, cela s’enflamme très rapidement. Le problème, c’est que, lorsqu’on a une autorité, on doit les contrôler. C’est très exactement ce qui s’est passé, avec des excès que je condamne, que le Président GBAGBO a condamnés et qu’il s’est engagé, naturellement, à maîtriser.

De toute façon, le gouvernement français a pris un certain nombre de dispositions, je dirais, de nature militaire, pour que les intérêts français soient naturellement protégés et, au-delà des intérêts français, les intérêts des étrangers à Abidjan.

LE PRESIDENT GBAGBO – Rien de spécial à ajouter à ce qu’a dit le Président CHIRAC, sauf que c’est pour cela j’écourte mon voyage. Après cette conférence de presse, je me rends à Abidjan pour être sur place et mieux contrôler la situation.

QUESTION – Ma première question s’adresse à Kofi ANNAN et ma deuxième à Monsieur MBEKI et à Monsieur WADE. Il est bien qu’un accord ait été signé et que l’initiative ait été prise par le gouvernement français. Simplement, je ne sais pas exactement quel est le message que vous envoyez parce qu’en fait, des concessions ont été faites et, selon certains sources proches des négociateurs, hier, il semblerait que vous ayez essayé très activement de convaincre le Président de Côte d’Ivoire d’accepter les termes de l’accord, Monsieur le Secrétaire Général. Alors, je ne sais pas exactement ce que vous pensez, quel est le message qui sera transmis à l’Afrique. Est-ce que c’est une façon de légitimer l’usage de la force ?

Deuxième question, à Monsieur MBEKI, quel est exactement le rôle que l’Union africaine et la CEDEAO ont joué initialement ? Il semblerait que ce soit le gouvernement français qui ait, en quelque sorte, détourné cette initiative et l’accord a été signé suite à l’initiative française. Alors, je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. Il semblerait que l’Union africaine et la CEDEAO aient dû attendre l’intervention du gouvernement français avant de parvenir à quelque chose.

MONSIEUR KOFI ANNAN - Je pense que, dans cette conférence de presse, nous avons donné des précisions sur les objectifs de l’accord. D’abord, c’est un accord négocié par les partis ivoiriens à Marcoussis, avant que les Chefs d’Etat ne soient venus ici. C’est un accord accepté par toutes les parties pour la paix et la stabilité et l’intégrité territoriales du pays.

Ce qui s’est passé ici à Paris, c’est que les Chefs d’Etat ont approuvé, appuyé ce processus et que l’application de l’accord a commencé. Ils se sont mis d’accord sur un gouvernement d’unité nationale, avec un Premier ministre désigné par le Président, et j’espère que le Premier ministre, le cabinet et le Président vont tous travailler à la mise en oeuvre de cet accord que tous les partis politiques ivoiriens ont accepté. Et je pense que, dans cette situation, il faut que les gens se retrouvent, se réunissent et règlent leurs différends. C’est ce qui s’est passé.

L’accord et la paix ne peuvent pas être imposés, l’aspiration à une paix durable, viable, doit venir des dirigeants de la Côte d’Ivoire et c’est ce qui s’est passé à Marcoussis. Nous avons, bien sûr, aidé en ce sens, mais ce sont eux qui vont devoir rentrer chez eux et faire en sorte que l’accord soit appliqué avec le soutien de la communauté internationale. C’est ce que l’accord vise et c’est pour cela qu’ils vont tous devoir rentrer, et les dirigeants vont devoir travailler à la paix et à la stabilité dans leur pays. Comme le Président l’a dit, ceci s’inscrit dans le respect de la Constitution, avec la règle de la démocratie et de la stabilité respectée dans le pays.

LE PRESIDENT MBEKI - Avec la CEDEAO, nous nous sommes mis d’accord pour dire que la CEDEAO prendrait l’initiative pour régler cette question et agirait au nom de l’Union africaine. Cela s’est produit dans d’autres pays précédemment, comme la Sierra Léone. Mais l’Union africaine a délégué un émissaire spécial pour travailler, d’abord le Président de Sao Tomé. Et l’Union africaine a donc appuyé la CEDEAO dans ce processus. Nous avons discuté avec le Président CHIRAC, comme je l’ai mentionné précédemment, concernant l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire et nous avons dit, nous sommes convenus qu’il était important que tous les dirigeants de Côte d’Ivoire et les rebelles se réunissent, y compris le gouvernement, pour définir la voie de l’avenir pour la Côte d’Ivoire. Nous nous sommes mis d’accord-là-dessus, nous savions que c’était nécessaire. Mais, bien sûr, il était important que cela soit discuté avec le Président GBAGBO, avec la CEDEAO et cela l’a été.

Donc, comme je le disais précédemment, Dominique de VILLEPIN, le ministre des Affaires étrangères, et le Président CHIRAC nous ont dit que, dans ce contexte-là, il y avait des mesures a proposer. Il nous a semblé, comme nous devions régler cette crise aussi rapidement que possible, qu’une intervention du Président CHIRAC, compte tenu de ce que nous avions décidé, nous permettait d’aller plus vite de l’avant et de régler ce conflit, et donc de sauver davantage de vies humaines. Et, quand cette proposition d’aide de la France nous a été faite, j’ai immédiatement accepté, parce que je pensais que plus vite nous réglions le conflit en Côte d’Ivoire, mieux c’était. Nous avions besoin de davantage de stabilité. Donc, compte tenu de ce que nous avions décidé à ce sujet, sachant bien sûr que tout cela avait été fait en accord avec le Président et la CEDEAO, en consultation avec la CEDEAO, nous avons agi de concert, Union africaine, CEDEAO, Nations Unies, France, toutes ces parties ont agi de concert pour essayer de régler ce problème aussi rapidement que possible. Et c’est ce qui a été obtenu.

QUESTION – Ma question s’adresse au Président de la République et à Monsieur GBAGBO. On a remarqué qu’à Marcoussis, il y avait pas l’état-major des forces loyalistes. Ne craignez-vous pas une frustration de certains factions de Côte d’Ivoire ? Et ma seconde question, est-ce que la nomination d’un Premier ministre, alors que l’actuel Premier ministre n’a pas démissionné officiellement, est constitutionnellement valable ?

LE PRESIDENT GBAGBO – Je peux commencer par votre deuxième question. Si on lit la Constitution, la Constitution de la Côte d’Ivoire n’est pas la Constitution française, et souvent vous faites des erreurs. Dans la Constitution française, c’est le Premier ministre qui démissionne. Chez nous, c’est le Président de la République qui nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Voilà, évidemment, j’ai téléphoné au Premier ministre pour l’avertir et je l’ai rencontré ici avant qu’il ne parte. Et il savait. Cela fait depuis au moins un mois que lui et moi nous discutons quand même de certaines choses, nous avons assez d’amitié l’un pour l’autre pour faire cela.

Deuxièmement, ce n’était pas l’état-major qui était invité. C’était les partis qui ont vocation à gouverner qui étaient invités ici. Ce n’est pas moi qui ait fait les invitations, mais on n’a pas invité les états-majors, sinon je leur aurai payé un billet d’avion. Donc, voilà.

QUESTION – Je voudrais demander à Monsieur Kofi ANNAN quelles sont les mesures envisagées par les Nations Unies pour l’application de l’accord signé et j’aimerais demander à Monsieur CHIRAC si les forces françaises vont être renforcées en Côte d’Ivoire pour la mise en oeuvre de cet accord ?

MONSIEUR KOFI ANNAN - Je sais que le Conseil de Sécurité va discuter de la question de la Côte d’Ivoire mardi et je pense qu’il va discuter d’autres mesures concrètes pour appuyer cet accord. Pour l’instant, nous sommes très actifs sur le plan humanitaire, pour les déplacés internes et les réfugiés. Nous leur apportons de la nourriture pour aider les plus démunis. Nous sommes très actifs également dans le domaine des Droits de l’Homme. Nous avons envoyé une équipe pour faire une enquête sur les violations des Droits de l’Homme, rapport que nous aurons la semaine prochaine. Et nous souhaitons travailler avec le gouvernement pour renforcer le respect des Droits de l’Homme et des institutions.

Pour la question d’autres mesures, il faut d’abord en discuter avec le Conseil, ce que je ferai en rentrant à New-York. Donc, je ne peux pas rentrer dans les détails.

LE PRESIDENT – Pour ce qui concerne les forces françaises, je ne vois pas de raison de les augmenter aujourd’hui. En revanche, une coopération renforcée avec les Forces de la CEDEAO et, éventuellement, dans le cadre d’une opération de l’ONU sera, bien entendu, la bienvenue.

QUESTION – Pour le Président de la CEDEAO : il sera mis sur pied un Comité de suivi, est-ce que cela traduit la fin de la mission de la CEDEAO ? N’y aura-t-il pas d’initiatives de la CEDEAO ? Et, Monsieur GBAGBO, vous, comment envisagez-vous votre nouvelle cohabitation ? Vous n’avez cité à aucun moment les autres mouvements, comment vous envisagez la cohabitation ?

LE PRESIDENT GBAGBO – Je vais vous faire, parce que vous parlé de nouvelle cohabitation, l’historique du gouvernement depuis que je suis élu. Monsieur KEREKOU y a fait allusion tout à l’heure. Quand j’ai été élu, le 22 octobre, et que j’ai prêté serment, le 26 octobre, j’ai fait un premier gouvernement avec trois partis. C’était avant les élections législatives. Après les élections législatives, nous avons pris dans le gouvernement un quatrième parti. Après les élections des Conseils généraux de juillet 2002, nous avons pris dans le gouvernement un cinquième parti. Donc, que des partis viennent s’ajouter au gouvernement, c’est n’est pas nouveau. Voilà ce que je voulais dire.

QUESTION – C’est une question au Président GBAGBO. Je voudrais savoir à propos des troubles et des violences qui continuent, si cela continue encore lorsque vous serez de retour, est-ce qu’ils peuvent être instrumentalisés pour que les accords ne soient pas appliqués ?

LE PRESIDENT GBAGBO – Je m’attendais à une question de ce genre de votre part, et donc je ne suis pas du tout surpris. Ils ne continueront pas.

LE PRESIDENT - Je conclus sur la réflexion du Président GBAGBO, après lui, pour faire, d’une part, un appel à tous les Ivoiriens, à toutes les Ivoiriennes, pour que la transition se fasse dans le respect des institutions, dans la sérénité, dans la paix, et dans le respect de l’autre. Parce que le chemin du progrès passe toujours par la sérénité et le respect de l’autre. Et j’en appelle aussi à tous les Européens et, à ce sujet, je renouvelle ma gratitude au Président PRODI, et à tous les Africains, pour renforcer leur solidarité. Aujourd’hui, c’est la Côte d’Ivoire, demain ce sera d’autres problèmes auxquels l’Afrique a à faire face. Il est essentiel que l’Afrique et l’Europe renforcent leur solidarité.

Je vous remercie.