POINT DE PRESSE CONJOINT

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

ET DE MONSIEUR BERNARD KOUCHNER REPRÉSENTANT DES NATIONS UNIES AU KOSOVO

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AÉROPORT DE PRISTINA - KOSOVO

SAMEDI 25 NOVEMBRE 2000

M. BERNARD KOUCHNER - Bonjour, il me revient de vous présenter, ce qui est drôle, le Président de la République. Donc, je suis très heureux ainsi que l'ensemble des membres de l'UNMIK, la MINUK en français, d'accueillir M. Jacques CHIRAC, Président de la République française et Président en exercice de l'Union européenne. Après le Sommet de Zagreb, hier, le Président est venu visiter les troupes françaises et il arrive directement de Mitrovica. Monsieur le Président, soyez le bienvenu ici, nous sommes heureux d'être avec vous.

LE PRÉSIDENT - Merci, cher Bernard KOUCHNER. Après le Sommet de Zagreb, et après mon passage à Athènes, j'ai souhaité venir ici, d'abord et avant tout pour saluer les forces françaises qui sont au Kosovo. Ce que j'ai fait aujourd'hui. J'ai été heureux de pouvoir leur apporter le témoignage de reconnaissance et d'estime du peuple français pour ce qui concerne leur mission au service de la paix, du respect des droits de l'Homme, de la liberté et leur apporter le témoignage de ma propre confiance en tant que Chef des Armées. Et, bien entendu, venant au Kosovo, j'ai souhaité, même si nous nous étions déjà rencontrés il y a une semaine à Paris, faire le point de la situation avec le représentant du Secrétaire général des Nations Unies qui dirige donc, ici, la MINUK. Nous avons eu un entretien approfondi. Nous en avons tout à fait régulièrement. J'ai voulu dire à Bernard KOUCHNER, là encore, toute l'estime que nous-même, mais également la communauté internationale, sur ce point je pouvais parler en son nom et, en particulier l'Union européenne, toute l'estime que nous avions pour l'action dynamique, courageuse, réaliste qu'il avait menée ici et qui a permis, dans des circonstances particulièrement difficiles, je dirais, petit à petit, d'améliorer les choses, même si elles restent fragiles et notamment de réaliser, sans drame, des élections alors que, peu de temps avant, nombreux étaient celles et ceux qui prévoyaient que c'était pratiquement impossible à faire. Il a réussi. Et c'est à son honneur et à l'honneur de l'ensemble de ses collaborateurs au sens le pus large du terme. Nous nous sommes bien entendu réjouis que ces élections aient eu pour résultat de donner la confiance, majoritairement et sans aucun doute possible, aux modérés, ce qui nous a paru de bon augure. Et, naturellement, nous avons évoqué tous les problèmes qui, hélas, restent encore sur le chemin de la paix, de la stabilité et de la liberté pour les peuples du Kosovo. Mais je suis naturellement tout prêt, et Bernard KOUCHNER est également tout prêt à répondre à vos questions, de préférence en français.

QUESTION - Monsieur le Président, on connaît vos relations amicales avec la Serbie, mais on connaît aussi la participation de la France aux bombardements et à la présence de la KFOR, ici, au Kosovo. Est-ce que votre politique a changé vis-à-vis de la situation ici ? Est-ce que votre politique a changé, principalement sur la question du Kosovo et, aussi, est-ce que vous prévoyez des élections au printemps prochain au Kosovo ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord qu'il soit clair qu'il ne s'agit pas d'amitié à l'égard des uns ou des autres. Nous sommes depuis des années, dans cette région, dans une situation de crise et la France n'a qu'un objectif, qui est le rétablissement de la paix, de la stabilité et de la démocratie. C'est dans cet esprit qu'elle a participé aux opérations militaires, avec ses alliés, et je rappelle que nous avons été les plus importants contributeurs européens pour ce qui concerne -puisque vous avez évoqué les actions de l'armée de l'Air-, les actions aériennes. Et qu'aujourd'hui encore, nous sommes l'un des principaux, le deuxième contributeur, en ce qui concerne les personnels mis à la disposition de cette région et que l'Union européenne, à elle toute seule, représente les deux tiers des personnels de la KFOR. Je dis tout cela pour vous indiquer que notre engagement est clair et que cet engagement a pour objectif de retrouver la paix, la stabilité et la démocratie. Alors vous me dites : y aura-t-il des élections ? Lorsque Bernard KOUCHNER a proposé de faire des élections municipales dès septembre, c'était la proposition initiale, de cette année, la France l'a approuvé et l'a soutenu, même si beaucoup considéraient que c'était extrêmement hasardeux. Bernard KOUCHNER estime que l'on est en mesure, ou que l'on devrait être en mesure, l'année prochaine, de faire des élections générales. J'y suis pour ma part tout à fait favorable, naturellement dans toute la mesure où elles pourront être organisées de façon sérieuse et où l'on pourra espérer qu'elles se dérouleront comme se sont déroulées les élections municipales. Et, dans ce contexte, oui, je suis favorable à des élections générales.

QUESTION - M. KOUCHNER, vous avez dit hier, à l'issue du Sommet de Zagreb, que vous trouvez qu'on va trop vite en besogne, pourquoi ?

M. BERNARD KOUCHNER - Madame, c'est la conférence de presse du Président de la République française, pas la mienne. En un mot, je vous l'ai expliqué hier, les difficultés, les meurtres, les souffrances sont très proches. Il faut laisser du temps à la cicatrisation de ces plaies. Et il faut laisser du temps pour que cette base légale qu'est la résolution 1244 puisse être appliquée. La venue de M. KOSTUNICA est un bien, c'est un progrès évident vers la stabilité et la démocratie. Nous l'approuvons. Je dis simplement : n'allons pas trop vite, car les Albanais du Kosovo me semblent un peu perdus dans ce mouvement. Mais la réponse du Président de la République française et du Président de l'Union européenne va certainement leur permettre d'y voir beaucoup plus clair.

LE PRÉSIDENT - Vous savez, les choses sont en train d'évoluer. Vite. Personne n'aurait pu imaginer il y a quelques mois que l'on puisse tenir la réunion que nous avons tenue il y a deux jours à Zagreb, honnêtement. C'est tout de même un progrès, après tant de difficultés, de souffrances, de problèmes. Faisons un peu confiance. On risque d'être déçu, mais faisons un peu confiance. Je crois que l'évolution de la Serbie sera un point très important. Cette évolution peut apporter le meilleur ou le pire. Elle a longtemps apporté le pire, dans la mesure où les régimes autoritaires ne peuvent apporter que le pire. Alors, il y a une ouverture de la Serbie vers la démocratie. Espérons que cette ouverture sera confirmée. Et facilitons les choses à cette ouverture. D'autant que la réponse sera très prochaine. C'est le 23 décembre, je crois, que les élections doivent avoir lieu en Serbie. Beaucoup dépendra de ces élections. S'il apparaît clairement que les démocrates, ce qui n'est pas le cas encore aujourd'hui, prennent le pouvoir en Serbie, assument le pouvoir, alors beaucoup de choses auront réellement changé. Pour le moment, c'est l'esprit qui a changé. Ce n'est pas encore tout à fait la réalité, même s'il y a des progrès. Mais si les démocrates se voient vraiment confirmer par les Serbes le pouvoir alors, beaucoup de choses seront sans aucun doute facilitées et il appartiendra, à ce moment-là à ces démocrates, et au Président KOSTUNICA, premier d'entre eux, de faire la preuve de leur esprit réellement démocratique. Et je souhaite qu'ils le fassent. Je n'ai pas de raison d'en douter. Mais, attendons qu'ils aient les moyens de le faire. Voilà une simple observation que je voulais faire à ce sujet.

QUESTION - Monsieur le Président, que pensez-vous de la position des partis politiques albanais quant au statut du Kosovo ? Est-ce que vous êtes d'accord avec leur vision vers une indépendance ? Et que pensez-vous des événements qui se déroulent en ce moment dans la vallée de Presevo et dans tous les lieux où il y a ces tensions ?

LE PRÉSIDENT - La communauté internationale s'est prononcée dans la situation de crise que connaissait cette région. Elle s'est prononcée clairement dans une résolution qui s'appelle la résolution 1244 de l'ONU, laquelle, aujourd'hui, prévoit un système d'autonomie substantielle dans le cadre de la République fédérale de Yougoslavie. Cela, c'est le droit aujourd'hui. Vous ne pouvez pas me demander naturellement d'avoir une autre position. Je ne peux que confirmer et soutenir cette position. S'agissant de ce qui se passe dans cette vallée de Presovo, je ne suis pas expert pour me prononcer. Mais ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a encore malheureusement, nous le voyons dans la vallée de Presovo, mais nous l'avons vu aussi récemment lorsqu'un attentat a été commis contre une personnalité serbe ou lorsque l'un des adjoints de M. RUGOVA a été assassiné tout récemment, on voit qu'il y a encore des actes inacceptables qui sont commis actuellement. C'est en réalité du terrorisme. C'est très exactement du terrorisme. Et nous ne pouvons que lutter contre le terrorisme. Nous ne pouvons pas accepter le terrorisme, qui est le fait d'extrémistes dont nous condamnons l'action et qui, par ailleurs, sont très largement minoritaires bien entendu et qui voudraient perturber la marche vers la paix.

QUESTION - Est-ce qu'un référendum va être organisé pour que le peuple du Kosovo puisse décider d'une indépendance ou non du Kosovo ? Et si le peuple du Kosovo, lors d'un référendum, va choisir cette indépendance, est-ce que la communauté internationale va être d'accord ?

LE PRÉSIDENT - Madame, il y a eu beaucoup de drames qui se sont passés dans cette région, beaucoup d'exactions, beaucoup de misère, beaucoup d'intolérance au point que la communauté internationale a dû intervenir pour éviter le pire. Elle est intervenue. Elle est intervenue, si j'ose dire, juridiquement, c'est la 1244, et elle est intervenue sur le plan militaire, et puis dans des actions militaires pour le maintien de la paix. C'est la situation actuelle. La communauté internationale n'a pas changé d'avis. Et dans l'état actuel des choses, je le répète, sa position c'est de soutenir l'application de la résolution 1244.

QUESTION - À cause des événements de cette semaine, l'attentat et aussi l'assassinat d'un politicien, est-ce que vous pensez que l'idée de l'indépendance est moins possible pour le Kosovo ? Ceci est ma première question. Deuxième question, les forces françaises ici, les soldats français ici, sont d'abord accusés d'avoir divisé Mitrovica. Ils sont accusés d'avoir reculé leurs blindés pendant que les gens sont attaqués dans la rue. Quelle politique y-a-t-il derrière tout cela ?

LE PRÉSIDENT - Une politique tout à fait simple, qui est d'assumer avec le plus de rigueur possible les exigences de la paix. C'est-à-dire s'opposer aux actes irresponsables des extrémistes. Et le faire avec calme pour éviter de tomber dans les pièges tendus par ces extrémistes. Je vais vous donner mon point de vue, pour avoir observé pendant longtemps les forces françaises, les autres aussi d'ailleurs. Je trouve qu'elles ont été admirables de sang-froid, de compétence, d'expérience pour faire face bien souvent à des actions qui auraient justifié des réactions beaucoup plus fermes. Elles ont été aussi équilibrées que possible. Et elles ont évité bien des drames. Alors, moi, je tiens à leur rendre hommage, non pas seulement parce qu'elles sont françaises et que je suis leur chef, mais tout simplement parce que je considère qu'elles ont eu une action exemplaire. J'observe d'ailleurs que c'est le jugement, notamment à Mitrovica, que la communauté internationale, que tous les responsables politiques et militaires portent sur l'action de ces forces, même si cela doit déplaire à quelques extrémistes ou à quelques terroristes.

QUESTION - Monsieur le Président, les Serbes du Kosovo estiment que vous êtes venu aussi aujourd'hui pour eux et à cause d'eux. Quand peut-on espérer le retour des Serbes au Kosovo ?

LE PRÉSIDENT - Le retour des Serbes au Kosovo, je l'espère. J'espère qu'il pourra se faire normalement, dans un Kosovo apaisé. Je ne vois pas ce qui devrait obliger indéfiniment deux communautés à se haïr et à se battre. Ce n'est pas dans la nature des choses. Ce n'est pas un réflexe normal. C'est simplement le fruit de l'ambition d'hommes d'un autre temps, qui ont d'autres conceptions des choses, mais des conceptions auxquelles on ne peut naturellement plus se rallier aujourd'hui. Le retour petit à petit à la solidarité, au respect de l'autre, est une exigence absolue. Le Kosovo ne pourra tout de même pas être indéfiniment la terre où, dans le monde, on s'affronterait par haine de l'autre ou par mépris de l'autre. Cela n'est pas possible. Alors, ce sera long, je le sais. Il faudra petit à petit évoluer. Je compte sur les jeunes, sur la jeunesse pour comprendre qu'il vaut toujours mieux tendre la main que le poing.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit qu'il faut faire confiance à la Serbie. Et pensez-vous que la Serbie, justement, si elle revient ici, va se comporter de façon démocratique et respectueuse envers les Albanais ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je n'ai jamais dit qu'il fallait faire confiance à tel ou tel pays. Je dis qu'il fallait faire confiance à la communauté internationale pour conduire ici la meilleure ou la moins mauvaise des politiques, pour essayer de maintenir une certaine stabilité, je dirai un minimum de civilisation dans les rapports entre les hommes. Je dis aussi que, naturellement, une Serbie démocratique faciliterait les choses. Et je souhaite que le processus politique engagé en Serbie confirme le caractère démocratique du pouvoir serbe. Alors, je me dis que les choses auront vraiment changé. Et qu'entre responsables, dirigeants, peuples ayant les mêmes références idéologiques, c'est-à-dire le même respect pour la démocratie et pour les droits de l'Homme, alors on pourra probablement s'entendre. D'où l'importance que j'attache au mouvement vers la démocratie qui est engagé en Serbie et d'où mon souhait de le voir se confirmer, notamment à l'occasion des élections du 23 décembre. Je vous remercie.

M. BERNARD KOUCHNER - Je remercie le Président de la République. Sa visite nous a fait plaisir et nous a honorés. Et je n'oublie pas que les responsables les plus élevés de l'armée française étaient avec eux. Je les remercie également, ainsi que toute la délégation et mon collègue MASSERET.