Tribune de M. Jacques Chirac, président de la République, accordée au quotidien Libanais "As Safir"

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30 décembre 1996

La France a, avec le Proche-Orient, une relation intime, profonde et essentielle. Dès 1958, le Général de Gaulle disait : "Tout nous commande de reparaître au Caire, à Damas, à Amman, et dans toutes les capitales de la région, comme nous sommes restés à Beyrouth : en amis et en coopérants". La France est unie au monde arabe au-delà des souvenirs du passé, par la volonté de construire l'avenir. Un avenir de paix, de dialogue, de sécurité et de prospérité.

La politique proche-orientale et méditerranéenne de la France a trois axes prioritaires : l'union des rives de la Méditerranée, le soutien au processus de paix, l'appui à la renaissance du Liban.

La politique de la France est indissociable de sa politique méditerranéenne. Je suis intimement convaincu que la France et l'Europe d'une part, le monde arabe d'autre part, ont un avenir à construire ensemble. Nous devons bâtir un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité autour de la Méditerranée. Pour cela il faut renforcer notre dialogue, un dialogue entre partenaires égaux qui s'estiment et se respectent. Ainsi, serons-nous mieux à même de faire face aux défis et aux mutations du vingt-et-unième siècle.

Dans cette perspective, la construction de la paix au Proche-Orient est une nécessité de l'histoire. Aujourd'hui, beaucoup dans la région sont enclins à se laisser aller au doute. Il y a quelques mois, la marche vers la paix nous semblait irréversible. Elle peut paraître maintenant enlisée, bloquée par les méfiances réciproques, les extrémistes de tous bords. Depuis 1991, cependant, le processus de paix a permis de s'engager sur la voie de progrès que personne, auparavant, n'aurait cru possibles. Il n'est pas concevable de revenir en arrière et je veux être confiant dans la volonté de paix de tous les responsables de la région.

C'est pourquoi la France s'est engagée avec détermination en faveur de la poursuite du processus de paix et de la reprise des négociations. Deux principes fondamentaux, reconnus par la communauté internationale, doivent être pris en compte : le droit des peuples à l'autodétermination, ce qui signifie pour les Palestiniens le droit à disposer d'un Etat, et l'échange des territoires contre la paix. La sécurité ne peut être garantie par la force. Seul le respect et la mise en oeuvre des accords signés permettra de faire retomber la tension et de donner un sens à l'autonomie provisoire des Territoires palestiniens. Cependant, le démarrage des négociations sur le statut final, y compris sur les questions difficiles concernant Jérusalem, les réfugiés et les colonies de peuplement, est indispensable et urgent.

Avec la Syrie aussi, un accord doit être trouvé. La méfiance de part et d'autre, les craintes et les procès d'intention réciproques doivent être dépassés. La Syrie est en droit d'obtenir la restitution du plateau du Golan. Israël est en droit être rassuré sur sa sécurité. La France suit avec beaucoup d'attention ce volet et s'inquiète des tensions renaissantes. Elle favorise, là aussi, tout ce qui peut permettre la reprise du dialogue.

Plus que tout autre, peut-être, le Liban a souffert dans sa chair, des conséquences du conflit israélo-arabe. La mise en place du groupe de surveillance, à laquelle la France a largement contribué et dont elle exerce la co-présidence avec les Etats-Unis, a permis de faire baisser la tension au Sud Liban, d'éviter l'escalade militaire et ainsi de sauver de nombreuses vies humaines. Mais son action ne saurait remplacer un véritable accord de paix. Notre position constante a toujours été la défense de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Liban. Nous sommes très attentifs à ce que ce pays, cher à notre coeur, ne se retrouve pas un jour victime du règlement du conflit israélo-arabe. C'est pourquoi toute solution ne peut être fondée que sur la résolution 425.

Ainsi, la France, parce qu'elle entretient de bonnes relations avec toutes les parties, continuera à s'investir et à appuyer avec force les acteurs de la paix. Elle le fera à titre national, mais aussi avec ses partenaires de l'Union européenne. L'Europe a un rôle essentiel à jouer tant sur le plan politique que sur celui du développement économique de la région, dont elle est déjà, et de très loin, le premier bailleur de fonds.

Mais la politique de la France ne serait pas ce qu'elle est sans la relation spécifique que nous entretenons avec le Liban. J'ai effectué cette année deux visites officielles au Liban. Les liens culturels, intellectuels, économiques, politiques, mais aussi du coeur, qui existent depuis toujours entre Français et Libanais, sont des liens particuliers. Quelle que soit l'adversité de la situation à laquelle il ait à faire face, le Liban sait qu'il pourra toujours compter sur la France. Depuis mon élection à la présidence de la République française, l'engagement de la France vis-à-vis du Liban s'est intensifié. Nous appuyons avec détermination l'effort de reconstruction, conduit avec courage par le gouvernement de M. Rafic Hariri. Nous l'avons fait notamment lors de la préparation de la réunion du Groupe des amis du Liban. La France n'a pas ménagé ses efforts pour que cette réunion soit un succès et la contribution qu'elle y a annoncé, un milliard de francs pour 1997, en est la meilleure preuve.

Malgré les immenses résultats déjà obtenus, comme le retour de la paix civile et la mise en route de la reconstruction économique, des inquiétudes persistent chez certains. Je peux les comprendre. Cependant, il faut que tous les fils et les filles de cette terre se tournent résolument vers l'avenir et croient profondément aux chances du Liban.

Le rassemblement, l'esprit de concorde et de réconciliation, doivent prévaloir afin de relever et de gagner le défi de la reconstruction. Je suis persuadé que le Liban, pleinement indépendant, souverain dans ses frontières internationalement reconnues, retrouvera la place et le rayonnement qui ont toujours été les siens au Proche-Orient.