DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

CENTRE SPATIAL GUYANAIS

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Kourou - Lundi 24 Novembre 1997

Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président du CNES,

Mesdames et Messieurs les Elus,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d’abord m'adresser à celles et à ceux qui ont contribué au succès du second lancement d'Ariane 5, le 30 octobre dernier. Tout au long des 17 derniers mois j'ai suivi vos efforts ; je connais les difficultés et les contraintes que vous avez dû surmonter au prix d’un engagement de chaque instant, au prix aussi d’un énorme travail collectif comme on vient de le voir tout à l'heure, Monsieur le Président. Je suis fier d'être à vos côtés aujourd'hui comme je l’étais hier lorsque, le vol 502 réussi, j'ai demandé au Président Alain BENSOUSSAN, de vous transmettre immédiatement mes félicitations et c'était celles du coeur.

Je voudrais aussi exprimer mon estime et ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui font du Centre Spatial Guyanais un lieu exceptionnel d’excellence, et je voudrais d’abord remercier son Directeur, Michel MIGNOT. Que de chemin parcouru depuis les premiers lancements de Diamant que vous avez évoqués tout à l'heure. C'était, hier, en 1970 ! Et quelle accélération ces dernières années ! Premier tir d'Ariane en 1979, cinquantième tir en 1992, treize ans après, mais centième tir en 1997, seulement cinq ans plus tard ! Et je n’oublie pas la performance qu'a représenté la construction des installations destinées à Ariane 5. Ce "grand chantier" a marqué la Guyane pendant cinq années, de 1988 à 1992. Il a été le second d'Europe, ce que l'on ne sait pas toujours, après le Tunnel sous la Manche.

Le programme spatial français, le programme spatial européen, sont remarquables à plus d'un titre. Par leur organisation, qui permet à des acteurs divers de travailler ensemble aussi harmonieusement qu'il est humainement possible. Le succès d'Arianespace bâti, hier, par Frédéric d'ALLEST et par Charles BIGOT et poursuivi aujourd’hui par Jean-Marie LUTON en est la preuve. Mais aussi par leur conception qui, de manière judicieuse, repose sur un subtil équilibre entre science et technologie, compétitivité industrielle et solidarité, coopération et souveraineté.

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Equilibre entre science et technologie. Il ne peut mieux s’exprimer que par les quatre questions fondamentales que posait Daniel GOLDIN, Administrateur de la NASA, lors d’un récent congrès d’astronautique à TURIN.

* 1ère Question :

Comment se sont formées, et comment évoluent, les planètes, les étoiles et les galaxies ?

* 2ème Question :

Est-ce que la vie, sous quelque forme que ce soit, simple ou complexe, basée sur le carbone ou non, existe ailleurs que sur la Terre ? Y a-t-il des " planètes Terre " hors de notre système solaire ?

* 3ème Question :

Pouvons-nous, en utilisant notre connaissance de la Terre, du Soleil et des autres planètes, développer des modèles du climat, des ressources naturelles et des écosystèmes, prévoir des catastrophes aussi, ceci pour accroître la qualité de notre vie sur Terre et assurer un durable développement ?

* 4ème Question :

Quel est le rôle de la gravité et des rayons cosmiques dans les processus physiques, chimiques et biologiques, sur Terre comme dans l’Espace ? Comment cette connaissance peut-elle, là aussi, améliorer la vie sur Terre mais, qui plus est, nous aider à établir une présence permanente dans l’espace ?

Je crois que tout est dit dans ces questions : notre connaissance de l’univers et de la vie, notre présence sur Terre et dans l’espace. Et rien qui n’apparaisse hors d’atteinte puisque ce qui sera demain peut déjà s’adosser à ce qui est aujourd’hui. En me limitant à la seule première question, qui a trait à l’observation de l'univers, comment ne pas être raisonnablement optimiste en rappelant quelques-uns des projets scientifiques en cours ?

* ISO, satellite d’astronomie infrarouge mis en orbite en 1995 par Ariane.

* SOHO, satellite d’étude du soleil et de l’héliosphère lancé en 1995.

* L’orbiteur CASSINI, équipé de la sonde HUYGHENS, dont l’objectif est d’étudier Saturne et son principal satellite Titan, lancé en octobre dernier.

* INTEGRAL enfin, satellite d’astronomie gamma qui sera lancé en 2001.

Comment ne pas être conscients de notre propre valeur, puisque la France et les autres pays de l’Agence Spatiale Européenne pilotent certains de ces projets et participent aux autres ?

La technologie, quant à elle, s’articule autour de deux questions :

Quelles techniques et capacités d’ingénierie devrons-nous développer pour conduire ce programme de recherche de la façon la plus productive et la moins onéreuse ?

Comment transférerons-nous efficacement connaissances fondamentales et technologies de pointe, à la vie industrielle ?

Vie industrielle qui, dès aujourd’hui, inclut le transport aérien et spatial, les réseaux d’information et de communication et les systèmes de navigation. Qui inclura demain imagerie et détection en agriculture, pêche et environnement et, sans doute après-demain, les biotechnologies.

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Equilibre entre compétitivité et solidarité. Car une nation qui est compétitive par les siens doit être solidaire pour les siens.

L’espace est entré dans son âge commercial. Sous le double signe de l’imagination et de la concurrence. Imagination d’où surgissent tant d’applications possibles. Imagination qu’illustre le satellite : d’un côté le satellite géostationnaire, bien adapté aux télécommunications, de l’autre la constellation de satellites frappant à la porte du ciel, bien adaptée, elle, au multimédia, au transfert de données et à Internet. Concurrence, bien entendu, entre les pays et leurs champions industriels, qui doivent mettre au point les technologies les plus sophistiquées tout en étant tournés vers leur production de masse. Concurrence agressive qu’Aérospatiale, Matra et Alcatel vivent chaque jour dans le domaine des satellites, Arianespace dans celui des lanceurs.

L'activité du Centre Spatial Guyanais nous apporte la preuve que nous pouvons gagner des marchés dans cette bataille acharnée. Cent lancements des versions 1 à 4 d'Ariane nous ont apporté près de 80 milliards de francs de chiffre d'affaires,

démontrant ainsi, s'il en était besoin, que le marché des lanceurs est désormais lié à des enjeux économiques lourds, démontrant aussi que, au fur et à mesure de la production du lanceur, chacun a pu s’organiser pour en abaisser les coûts.

Nous allons à présent procéder de même avec Ariane 5. Pour mieux adapter le lanceur aux besoins du siècle prochain, l'Agence Spatiale Européenne a engagé, dès 1995, les "programmes complémentaires Ariane 5" tandis qu'Arianespace lançait le programme d'amélioration Perfo 2000. Ici même, en Guyane, le Centre National d'Etudes Spatiales améliore chaque jour davantage sa productivité.

Dans un tel contexte commercial, l’initiative se déplacera naturellement vers le secteur industriel, public et privé. Ceci implique, pour le CNES, d’intelligents partenariats. Je pense à la nouvelle plate-forme PROTEUS réalisée avec Aérospatiale. Elle sera en particulier utilisée pour le satellite JASON qui prolonge TOPEX-POSEIDON dont j’avais décidé la construction avec les Etats-Unis en 1987. Qu’il me soit permis, en passant, de regretter que l’apport essentiel de TOPEX-POSEIDON à l’étude du phénomène El Nino ne soit en général évoqué qu’avec discrétion. Je pense aussi à l’association entre le CNES et Alcatel sur le projet SKYBRIDGE.

Plus en amont, le CNES doit se consacrer aux idées audacieuses, aux projets hardis qui peuvent faire bondir la science, tirer la technologie, enrichir les générations à venir. Découvrir ce qui est possible, aller de l’avant avec optimisme, voilà le Centre National d’Etudes Spatiales que vous avez vous-mêmes souhaité en élaborant, tous ensemble, votre propre Plan Stratégique, initiative à laquelle se rallient d’autres agences nationales en Europe comme, aussi, l’Agence Spatiale Européenne.

Projets et succès sont indissociables du site de lancement où nous nous trouvons, à Kourou en Guyane. Ici, tout particulièrement, efficacité rime avec solidarité

: En 1964, ne l'oublions pas, le projet du Général de Gaulle fut bien de créer une

entreprise compétitive, mais aussi une entreprise bien insérée dans une Guyane dont elle favoriserait le décollage économique. Loin de lui l'idée, sans aucun doute de former une enclave isolée, ignorant la société et l'économie guyanaises.

Trente-trois ans après sa création, le Centre Spatial a eu un impact considérable sur le développement de la Guyane. Il en est même devenu le principal moteur d'activité : mille cinq cents personnes très qualifiées y travaillent dont la moitié sont des Guyanais et de plus en plus parmi les cadres, comme le soulignait ce matin Monsieur MIGNOT.

Bien sûr, si le Centre Spatial a contribué à l'essor de la Guyane, il l'a aussi contrainte à de profonds bouleversements : une société rurale traditionnelle ne peut être imperméable à l'implantation en son sein de technologies sophistiquées servies presque exclusivement, du moins au départ, par des professionnels qui lui sont étrangers.

Mais cette transformation, cette conversion à la modernité, si elle fut difficile à assumer, fait qu'aujourd'hui la population guyanaise est dotée, sans qu'elle se soit reniée, sans que son patrimoine et sa culture se soient appauvris, d'atouts très forts pour son développement.

Pour autant, on ne doit pas éluder les questions qui demeurent.

Le poids prépondérant du spatial dans l'économie guyanaise constitue une source d'interrogation. L'importance de ce secteur, même s'il est plein d'avenir, pourrait constituer une fragilité pour la région. Il est certain que loin de la freiner, le succès du spatial doit favoriser la nécessaire diversification de l'économie guyanaise.

Beaucoup se fait à cet égard, notamment au travers du contrat de plan Etat-région, et le C.S.G. y prend toute sa part. Mais il faut encourager cette osmose et cette intégration.

Chaque succès d'Ariane met en contraste les plus hautes performances technologiques avec les retards que connaît encore la Région. Je comprends que l'on en soit choqué et que la Guyane réclame les justes retombées de sa contribution aux programmes de lancement.

Comme vous le savez, je n'ai jamais voulu occulter ce débat, et cela, je crois, dans l'intérêt de tous. J'ai toujours souhaité que la communauté spatiale fasse preuve de l'écoute, du respect, du sens des responsabilités nécessaires pour parvenir à un partage harmonieux et légitime des bénéfices créés par l'activité du Centre. Je note que c'est ce que vous faites aujourd’hui, Monsieur le Directeur, peut-être pour une raison très simple, c'est que vous aimez profondément cette terre. Ce qui est une caractéristique probablement aussi importante que vos compétences intellectuelles et techniques, et je m’en réjouis d’autant que ce ne fut pas toujours le cas.

Et je ne peux qu'encourager le Centre Spatial à poursuivre dans cette voie. Pourquoi d'ailleurs ne pas étendre au-delà du spatial l'utilisation en Guyane des hautes technologies ? Je pense en particulier au téléenseignement et à la télémédecine, dont les applications y seraient multiples. De façon plus générale, la Guyane est aujourd'hui un domaine potentiel extraordinaire d’utilisation des possibilités liées à la société de l'information. Finalement, ce n'est là qu'un juste retour des choses.

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Equilibre entre coopération et souveraineté.

L’espace, je l'ai dit, est entré dans son âge commercial. Il participe de la guerre économique qui nous est livrée et que nous livrons. En cela il sépare, voire oppose, les nations. Mais tout autant, plus même, il peut contribuer à les rapprocher. Dorénavant, devenant comme d’autres grands enjeux scientifiques -

environnement et climatologie, santé et maladies infectieuses- l’endroit où peuvent naître les solidarités et partenariats si nécessaires au développement raisonnable de notre planète.

Solidarité avec les pays en développement pour lesquels l’espace peut et doit être un moyen de brûler les étapes lorsqu’il permet de se passer d’infrastructures terrestres lourdes. En matière de télécommunications et de transfert de l’information, en particulier pour l’enseignement et la santé. En matière aussi de prévention des pollutions, catastrophes naturelles et dégradation des écosystèmes.

L’espace peut aussi apparaître comme le domaine d’action de nations rapprochées, rassemblées par la coopération, le partenariat scientifique et technologique.

La station spatiale internationale en est le plus beau symbole. La participation de l’Europe, qui consacre sa place dans le spatial, a d'ailleurs été décidée en 1995, à l'initiative de la France, à la Conférence de Toulouse dont Monsieur MIGNOT nous parlait tout à l'heure.

Dans le spatial, coopération et partenariat sont liés à souveraineté. Par la maîtrise des lanceurs et des vols habités, une nation ou un groupe de nations peuvent en effet acquérir ou conserver le statut de grande puissance.

Les lanceurs Ariane traduisent bien la volonté de l'Europe de disposer d'un accès autonome à l'espace pour les systèmes spatiaux qu'elle juge nécessaires à sa science, à son industrie, à son économie, à sa défense, bref, à sa puissance.

L’homme dans l’espace est aussi affirmation de notre présence. Par ses accords de coopération avec les Etats-Unis et l'U.R.S.S., puis la Russie, la France a fait séjourner dans l'espace des Français. Je n'oublie certes aucun de nos astronautes, mais je voudrais saluer Jean-Loup Chrétien qui le premier a séjourné dans l'espace, à bord de la station Saliout 7 et qui vient d'effectuer son troisième vol, à bord cette fois de la navette américaine. En octobre 1995, j'ai souhaité que l'Europe participe à la station spatiale internationale, y construise un laboratoire, en assure, grâce à Ariane 5 et depuis Kourou, une desserte automatique.

Le prolongement logique de ces deux premières étapes est l'étude par l'Europe d'un véhicule de transport, moins onéreux que la navette, pouvant envoyer des astronautes à bord de la station et les faire revenir sur Terre. Cette étude, décidée à la Conférence Européenne de Toulouse, est en cours. Pour certains de ses aspects, elle se fait en bonne et fructueuse intelligence avec les ingénieurs de la NASA. Il m'apparaît sage qu’elle soit menée à son terme. Alors seulement viendra, sur une base solide, le temps des choix, le temps des décisions, pour la France comme pour ses partenaires européens.

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Mesdames, Messieurs, je voudrais rendre hommage au Centre National d'Etudes Spatiales, ce qui signifie aussi dire à chacune et à chacun de vous mon estime, ma reconnaissance et mon soutien. Vous êtes à l’origine de l’ensemble des grands succès que je viens d'évoquer. Grâce à vous le CNES est respecté dans le monde comme l’un des tout premiers centres d’excellence en technologie et systèmes spatiaux. Grâce à vous il est un atout irremplaçable pour la France. Il doit continuer à aller de l’avant, partout où la quête de la connaissance le porte. Je compte sur vous pour cela.

Je vous remercie.