INTERVIEW

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A RFO

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PREFECTURE DE SAINT-PIERRE

SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

MARDI 7 SEPTEMBRE 1999

QUESTION : Monsieur le Président, bonsoir, merci de nous accorder cet entretien. En 1987, lors de votre première visite, l'archipel était en pleine guerre de la morue, aujourd'hui est-ce que les échanges que vous avez eus vous rendent plus optimistes ?

LE PRÉSIDENT : D'abord, je veux remercier les Saint-Pierrais et les Miquelonais pour leur accueil particulièrement chaleureux et auquel j'ai été très sensible. Je suis heureux d'être ici.

C'est vrai que lors de mon dernier passage, nous étions dans une situation économiquement difficile avec la guerre de la morue et disons, politiquement très tendue avec nos partenaires canadiens. Alors, aujourd'hui, je suis, en effet, un petit peu plus optimiste, pour deux raisons.

D'abord parce qu'il y a un nouveau souffle fondé sur les perspectives d'une diversification économique, qu'il faut aider et encourager, mais qui montre, qu'une fois encore les hommes et les femmes de Saint-Pierre et Miquelon ont su maîtriser et reprendre en main leur destin. Et la deuxième raison pour laquelle je suis optimiste, c'est qu'aujourd'hui nos relations avec le Canada, sont vraiment des relations excellentes, qui créent des relations beaucoup plus favorables, faciles, pour négocier. C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous profitions de cette période, pour approfondir la coopération entre Saint-Pierre et Miquelon et le Canada.

QUESTION : Alors vous parlez de la coopération régionale, vous souhaitez qu'elle se développe, mais Saint-Pierre et Miquelon a souvent le sentiment de ne pas réussir à se faire entendre des autorités canadiennes parce que Saint-Pierre et Miquelon est un tout petit territoire. Est-ce que la France n'a pas un soutien plus important à apporter ?

LE PRÉSIDENT : La France a toujours soutenu Saint-Pierre et Miquelon, mais je dirais que le Canada était plus ou moins réceptif et cela venait de la nature de nos relations qui n'ont pas toujours été aussi bonnes qu'elles le sont aujourd'hui. Il y avait des problèmes politiques liés notamment au problème du Québec, il y avait des problèmes économiques où nous ne partagions pas les mêmes convictions, les mêmes ambitions. Les choses étaient un peu tendues. Je me souviens, en 1987, avoir eu des discussions au Canada, extrêmement tendues, notamment en présence du Premier ministre de Terre-Neuve. Ceci n'existe plus aujourd'hui, et la France doit, naturellement, profiter de cette opportunité, de cette très bonne relation qui existe avec le Canada, notamment au sein du G7, pour appuyer ou soutenir au maximum les intérêts de Saint-Pierre et Miquelon.

Je viens de passer, à l'occasion du Sommet de Moncton, trois jours avec le Premier ministre du Canada, M. Chrétien. Je lui ai beaucoup parlé de Saint-Pierre et Miquelon, non pas de problèmes spécifiques, parce que l'occasion ne s'y prêtait pas, mais j'ai l'intention de faire une intervention beaucoup plus précise auprès de lui, sur les différents sujets qui intéressent l'archipel. Mais je l'ai trouvé beaucoup plus ouvert. Autrement dit, le désir de nos amis canadiens de nous être agréables est beaucoup plus fort qu'il ne l'était dans le passé. Et notre désir de leur être agréable, sur d'autres domaines, est également plus fort qu'il ne l'était dans le passé. Et donc, il y a une ouverture possible. Ce soir, je vais dîner avec les élus et responsables de l'archipel. C'est un dîner de travail, au cours duquel justement, je voudrais déterminer quels sont les principaux sujets sur lesquels il serait positif de faire une offensive amicale sur nos amis canadiens. Et je compte bien le faire dans les jours et semaines qui suivront mon retour à Paris.

QUESTION : Sur le statut de la collectivité, vous avez déclaré que c'est plutôt un bon statut, mais il a une quinzaine d'années d'existence, est-ce qu'il ne mérite pas, malgré tout, un toilettage ?

LE PRÉSIDENT : Vous savez, d'abord, je ne suis pas convaincu que lorsqu'il y a des problèmes c'est en changeant les textes qu'on les règle. Souvent on en crée plus qu'on en règle. Deuxièmement, je trouve que le statut est bon. Mais troisièmement, je dirais que c'est d'abord et avant tout aux Saint-Pierrais et Miquelonais de dire, s'il le faut, comme vous le dites, un toilettage. Moi, je ne suis absolument pas hostile à une évolution du statut si elle est nécessaire, naturellement, il faut savoir s'adapter aux conditions, notamment économiques, alors il n'y a pas de la part des autorités françaises, de refus particulier dans ce domaine, mais d'abord que les Saint-Pierrais et Miquelonais fassent ensemble le point et déterminent s'il convient ou non de faire évoluer ou non un statut dont moi je trouve qu'au total il est assez bon, mais qui peut très bien évoluer si nécessaire.

QUESTION : Le Sommet de Moncton avait pour thème la jeunesse, celle de Saint-Pierre est plutôt inquiète pour l'avenir. Est-ce que vous comprenez les jeunes quand ils demandent une priorité d'accès à l'emploi public par exemple ?

LE PRÉSIDENT : Oui moi, je le comprends. C'est une réflexion personnelle que je fais. Quand on se promène dans Saint-Pierre et Miquelon et qu'on voit tous ces jeunes, tous ces enfants plus exactement qui sont très très nombreux, on se dit : " que vont-ils devenir ? " Quand on regarde les études supérieures au-delà du baccalauréat, on s'aperçoit que nombreux sont ceux qui vont en métropole faire leurs études supérieures. Cette année, si je ne m'abuse, ils sont 230 jeunes de Saint-Pierre-et-Miquelon qui font des études supérieures en métropole. Et faire des études en métropole c'est très bien, mais alors ensuite que fait-on ? On s'installe en métropole, certains peuvent le souhaiter. Ceux qui le souhaitent naturellement, sont les bienvenus et ils ont les mêmes droits que tous les autres petits jeunes Français. Mais beaucoup souhaitent revenir ici. Si on les décourage, on peut très bien imaginer qu'ils soient tentés par l'appel américain au sens large du terme, peut-être pas encore aujourd'hui très fortement, mais demain. Le rêve américain est quelque chose qui existe et on peut imaginer ce risque. Comme la situation économique ne permet pas de donner des emplois à tous ceux qui reviennent avec des formations de techniciens, d'ingénieurs etc., je crois que l'emploi public doit être prioritairement réservé à ceux qui ont les capacités naturellement pour l'assumer. Alors, je sais bien que la tradition française ne va pas dans ce sens. On dira : " mais si on met uniquement des Saint-Pierrais et des Miquelonais dans l'administration de l'archipel, on va créer des conditions suspectes. On ne pourra pas dire que ce sont vraiment les intérêts généraux de la France que serviront ces jeunes fonctionnaires, ce sera peut être plutôt les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est peut-être pas sain ". Je connais tous ces arguments. Ils ont, peut-être, eu leur valeur dans leur temps. Aujourd'hui, je ne crois pas qu'ils soient fondés quand on fait le bilan des avantages et des inconvénients des mesures de cette nature. Je crois qu'on a intérêt à donner une priorité, une forte priorité dans l'accès aux emplois publics au sens le plus large du terme aux jeunes d'ici.

QUESTION : Mais est-ce que vous pensez que cette disposition pourrait, par exemple, s'étendre aux autres départements ou territoires d'outre-mer où la question ne se pose pas ?

LE PRÉSIDENT : Je n'en suis pas certain, je crois que dans ces affaires, il faut être pragmatique et voir les choses un peu au cas par cas. Chacun a sa culture, a sa civilisation et ce qui est bon pour l'un n'est pas obligatoirement bon pour l'autre. Alors, je ne me prononcerai pas sur cette dernière question, mais pour Saint-Pierre-et-Miquelon, compte tenu de la culture de cette terre, de la qualité de ses enfants, je crois que ce serait une solution acceptable.

QUESTION : Un mot, si vous le voulez bien, sur le désenclavement. C'est l'une des préoccupations de l'archipel, et il y a maintenant un nouvel aéroport, mais est-ce que l'intérêt général ne justifie pas que la France facilite peut-être l'ouverture d'une ligne directe Paris-Saint-Pierre ?

LE PRÉSIDENT : Cela c'est un problème qui concerne essentiellement la compagnie nationale Air France ou d'autres compagnies privées. Le problème, naturellement, c'est la rentabilité, et je ne suis pas un expert dans ce domaine. Mais je reconnais que la complication du voyage Paris-Saint-Pierre est un handicap pour l'archipel. Alors, on a fait un gros effort, quand je dis on, c'est à la fois la métropole et l'archipel qui se sont associés dans un effort financier pour réaliser le nouvel aéroport, qui est une réussite, et qui est déjà un pas important dans la bonne direction. Je souhaiterais pour ma part, qu'une ligne directe puisse fonctionner, faut-il encore qu'elle soit rentable et cela, je ne suis pas fondé à l'affirmer.

QUESTION : Sur l'identité culturelle française que vous avez beaucoup défendue au Canada. Quelle est la place de RFO dans la défense de cette identité ?

LE PRÉSIDENT : Je crois que c'est une place très importante. On ne pèse pas la rentabilité d'un service public uniquement à son coût. La rentabilité d'un service public est fonction du service qu'il rend. Et RFO, incontestablement, rend un service important. Il le rend, bien entendu, sur l'archipel, où il a l'exclusivité de l'information pour les Français de Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est tout de même déjà très important en soi. Je dirai presque que cela n'a pas de prix. Ce qui ne dispense pas, naturellement, de faire des efforts nécessaires pour que le rapport qualité-prix soit le meilleur possible.

Puis, RFO a naturellement une vocation élargie, forcément, c'est l'expression d'une culture qui est la nôtre et que nous avons tout intérêt à propager tout autour de nous. J'étais hier à Iqaluit, en terre inuit, dans ma chambre il y avait une télévision et j'ai été frappé de voir le nombre d'émissions anglophones. Je me disais, tout de même, si j'avais pu capter quelque chose en français, j'aurais été très content. Je suis très content de pouvoir le faire et surtout que les Inuits sont francophones, pour un certain nombre et où le français est une langue officielle au même titre que l'anglais et que leur langue traditionnelle. Donc je crois que c'est une vision moderne de RFO qu'il faut avoir.

- - - - : Monsieur le Président, je vous remercie.