DISCOURS

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DU 40E ANNIVERSAIRE

DE L'ECOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE

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BORDEAUX - GIRONDE

VENDREDI 1ER OCTOBRE 1999

Madame la Ministre de la Justice, Garde des sceaux,

Monsieur le Maire de Bordeaux,

Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur général de la Cour de cassation,

Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur général de la Cour d'appel de Bordeaux,

Mesdames et Messieurs les magistrats,

Monsieur le Directeur,

Mesdames et Messieurs les auditeurs de Justice,

Il y a quarante ans, en décembre 1958, Michel DEBRE, alors Garde des sceaux, décidait, pour accompagner la réforme du statut de la magistrature, de créer un institut de formation destiné à tous les magistrats. Ainsi naquit le Centre national d'études judiciaires qui allait prendre par la suite le nom d'Ecole nationale de la magistrature.

L'initiative du Garde des sceaux suscite à l'époque nombre d'interrogations et de critiques dans le monde judiciaire. Beaucoup pensent qu'une telle entreprise est nécessairement vouée à l'échec, le métier de juge ne pouvant s'apprendre que " sur le terrain ", par la pratique et l'expérience professionnelle.

Ces objections apparaissent aujourd'hui bien dérisoires et bien dépassées. L'Ecole nationale de la magistrature a permis de renouveler le recrutement des magistrats, en favorisant notamment un brassage social qui a beaucoup enrichi le corps judiciaire. Elle a accompagné un mouvement de féminisation de la magistrature, qui a eu des conséquences heureuses sur l'humanisation de la justice et son rapport à la réalité sociale. En quarante ans, elle est devenue la pierre angulaire de notre système judiciaire. Lieu de formation autant que de réflexion, elle contribue à son rayonnement à l'étranger. En choisissant comme parrain Nelson MANDELA, la dernière promotion a témoigné de son ouverture au monde et de son attachement aux idéaux de tolérance et de générosité.

Au-delà de l'hommage, légitime et mérité, que je tiens à rendre à l'Ecole nationale de la magistrature, je voudrais, à l'occasion de cet anniversaire, évoquer avec vous l'avenir, votre avenir, c'est-à-dire l'avenir de notre justice, car l'Ecole n'est pas dissociable des fonctions auxquelles elle prépare et des idéaux qui la fondent.

Comme aux débuts de la Ve République, l'institution judiciaire se trouve à un nouveau tournant de son histoire. L'ordre juridique connaît depuis quelques années des mutations profondes. Omniprésent, le droit devient sans cesse plus touffu, plus difficile d'accès. Dans le même temps, nos concitoyens, de mieux en mieux formés et informés, de plus en plus conscients de leurs droits, attendent toujours davantage des magistrats et de l'institution judiciaire.

La justice française est-elle aujourd'hui capable de satisfaire ces nouvelles exigences ? A-t-elle les moyens de répondre au besoin de justice qui s'affirme chaque jour ? S'est-elle suffisamment adaptée aux changements du monde ? Telles sont les questions qui se posent avec acuité, questions essentielles car il en va de la confiance même de nos compatriotes dans l'institution judiciaire et, au-delà, de la bonne santé de notre démocratie.

En tant que garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et du bon fonctionnement des institutions, il est de mon devoir de veiller à ce que la France puisse s'appuyer, aujourd'hui et dans les années à venir, sur une institution judiciaire solide, efficace, moderne et respectueuse des libertés. Dans un monde qui évolue de plus en plus vite, notre appareil judiciaire doit, lui aussi, s'adapter, se transformer. C'est tout le sens de la réforme de la justice que j'ai lancée en janvier 1997 et qui se met peu à peu en place. Réforme nécessaire pour notre vitalité démocratique. Nécessaire pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Nécessaire, aussi, pour que la France tienne son rang au plan mondial car une bonne justice et une bonne administration sont désormais des atouts essentiels dans la compétition des territoires, notamment au regard de l'investissement et de l'emploi.

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Que notre ordre juridique soit en pleine transformation, nul ne peut le contester. Il subit en effet les conséquences des évolutions contemporaines. Sous l'effet de la mondialisation des échanges et du développement des technologies de l'information et de la communication, un univers nouveau apparaît, un univers fluide et sans frontières, dans lequel hommes, marchandises, capitaux, informations circulent librement. Cet univers comporte aussi une face cachée, une face noire : celle des trafics internationaux, notamment de stupéfiants, celle du crime organisé et des circuits de blanchiment de l'argent sale.

Cet univers qui s'invente chaque jour nous oblige à établir des règles nouvelles, à définir de nouveaux enjeux et de nouvelles ambitions.

Notre premier objectif doit être de trouver des instruments de régulation inédits afin de pallier les insuffisances des moyens nationaux dont nous disposons actuellement. S'il n'y a ni règle ni arbitre, c'est la loi du plus fort qui tend à s'installer.

Il faut donc mettre en place rapidement à l'échelle internationale une organisation juridique fondée sur des règles adaptées, librement négociées par les Etats, et sur des institutions communes capables de les faire respecter.

C'est d'abord au sein de l'Union européenne que nous devons construire un système adapté à ces nouvelles exigences. L'Europe doit s'affirmer comme un espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce sera l'enjeu du Conseil européen qui se tiendra dans deux semaines à TAMPERE, en Finlande, et qui, pour la première fois dans l'histoire de l'Union, sera consacré aux affaires intérieures et de justice.

La coopération judiciaire européenne a progressé ces dernières années, mais pas au même rythme que le marché intérieur ou la libre circulation des personnes. Les frontières juridiques demeurent. Les procédures d'entraide judiciaire sont encore insuffisantes. Ce qu'il faut réaliser, c'est un véritable espace judiciaire européen, dont il conviendra de préciser les contours.

Sur le plan mondial aussi, l'état de droit international progresse. Une nouvelle étape a été franchie, avec la création de la Cour pénale internationale par la convention signée à Rome le 17 juillet 1998.

Les négociations commerciales qui vont bientôt s'ouvrir seront par ailleurs l'occasion de faire prendre en compte, par l'Organisation mondiale du commerce, un certain nombre de règles fondamentales touchant aux garanties sociales de l'Organisation internationale du travail, aux normes de sécurité sanitaire édictées par l'Organisation mondiale de la santé ou encore à l'environnement. C'est ainsi que se construit peu à peu le nouvel ordre juridique international que la France appelle de ses voeux.

Mais beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne le monde des réseaux pour assurer la sécurité des transactions, la protection des données personnelles, la sauvegarde des personnes, et en particulier des plus exposées d'entre elles, je pense bien sûr aux enfants.

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Si la mondialisation des échanges et la construction de l'Europe exigent la définition de nouvelles règles, elles nous obligent aussi -c'est le second enjeu- à tirer le meilleur de l'inévitable mise en concurrence des différents systèmes juridiques.

Dans le monde occidental, chacun le sait, les principaux systèmes juridiques se divisent en deux grandes familles : celle inspirée du droit romain, qui domine en Europe continentale, et celle de la common law. Ce sont deux logiques en partie différentes, reposant, l'une sur l'autorité d'une jurisprudence censée " découvrir le droit ", et l'autre sur celle de l'Etat chargé d'en construire et d'en prononcer les principes. Chacune a ses mérites comme ses inconvénients.

Le système de la common law permet de construire le droit à partir des situations vécues. En cela, il est pratique et concret. Mais il s'avère aussi extrêmement coûteux pour la société, en temps et en argent, et souvent fort inégalitaire. Quant à notre propre système, s'il est plus logique, plus cohérent et plus majestueux, il pêche trop souvent par abstraction, complexité, méconnaissance des réalités. Par ailleurs il réserve aux activités publiques un traitement très différent du droit commun.

A l'évidence, chaque système a quelque chose à apprendre de l'autre. Nous parviendrons d'autant mieux à résister à la pression anglo-saxonne que nous saurons faire évoluer positivement notre propre système, sans en abandonner l'esprit et les ambitions.

L'enjeu est de taille : à la fois économique, linguistique, culturel et politique. A nous de veiller à ce que le droit international en construction prenne le meilleur de chaque système sans donner la primauté au droit anglo-saxon.

L'Ecole nationale de la magistrature, par sa vocation internationale, joue un rôle majeur dans ce combat : en accueillant un grand nombre de magistrats étrangers, en participant à la création d'autres écoles du même type, en servant de modèle, elle contribue au rayonnement du droit français et conforte son influence.

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Troisième exigence dans ce nouveau contexte européen et mondialisé : redonner toute sa force à la loi, tout en favorisant de nouvelles solutions juridiques.

Au cours des dernières années, la loi, c'est une évidence, a perdu en force et en autorité. Toujours plus nombreux, les textes de loi sont aussi plus bavards, au risque d'en devenir inconsistants. L'irruption dans notre droit de nouvelles notions venues du droit communautaire et souvent inspirées de la common law ne contribue pas à améliorer la clarté des textes. Fréquemment modifiés, pas toujours appliqués, ils ne respectent plus guère la règle d'or définie par Portalis, selon laquelle " la loi ordonne, permet ou interdit ". Or, la loi n'est plus la loi quand elle perd son efficience et son autorité. L'amélioration du fonctionnement de notre système judiciaire dépend d'abord de la qualité du travail législatif. Le législateur doit en prendre conscience et agir en conséquence.

Il doit en particulier donner toute sa place à des solutions juridiques nouvelles.

Se développent en effet depuis le début des années 1990 des modes alternatifs de règlement des litiges en matière civile comme en matière pénale : transaction, conciliation, médiation.

La souplesse et la rapidité qui caractérisent ces procédures, la sécurité qu'elles procurent, répondent à une attente profonde de nos sociétés, et c'est pourquoi il faut les favoriser. Elles correspondent à une société plus mûre, plus responsable, plus moderne qui préfère le dialogue et le contrat aux conflits et aux procès, une société qui reconnaît le bien-fondé de solutions juridiques adaptées pour prendre en compte la diversité des situations.

C'est ainsi que nous pourrons faire obstacle à la judiciarisation excessive de nos sociétés modernes qui peut conduire à des dérives dangereuses, non seulement pour la société mais aussi pour la justice elle-même. Hier, le requérant en appelait à la justice pour faire valoir ses droits et obtenir réparation des dommages subis. Aujourd'hui, il se tourne de plus en plus souvent vers la justice pour que soient en outre recherchées, dans tous les cas, des responsabilités pénales. C'est une évolution des mentalités et des comportements à laquelle il faut être attentif.

Parce que la faute pénale suppose la mauvaise intention, il n'est pas sain que la recherche en responsabilité pénale soit l'issue normale de tout dysfonctionnement. Il serait en effet très grave de décourager par avance toute initiative, tout projet collectif, toute prise de responsabilité, notamment par les décideurs publics, au nom d'un risque zéro qui n'existe dans aucune activité humaine. La faute doit être sanctionnée. Mais il ne faut pas tomber dans l'excès qui consisterait à voir dans tout accident, dans toute défaillance, une sorte de main invisible que la justice devrait couper en manière de rite expiatoire.

Il est clair cependant que l'excès de pénalisation pourra être d'autant mieux évité que, de leur côté, la société civile et le politique auront mis en place des mécanismes solides de responsabilité civile et professionnelle. Il y a là pour les magistrats et pour l'ensemble des acteurs sociaux un thème de réflexion important : ensemble nous devons concourir à ce que notre société tout entière soit une société de juste responsabilité.

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Dernier objectif : faire progresser notre justice dans le cadre des exigences européennes.

Ainsi que vous le savez, les normes européennes provoquent un véritable bouleversement de nos procédures.

La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg exercent, en effet, sur le fonctionnement de notre appareil judiciaire, une influence grandissante.

Il s'agit, en réalité, d'un retour aux sources. Les principes et les libertés que la Convention européenne proclame, ce sont ceux que la France, patrie des Droits de l'Homme, a contribué à défendre et à illustrer depuis plus de deux siècles.

Ces règles de liberté et de droit, la Cour de Strasbourg nous les rappelle, en soulignant parfois les insuffisances, non des principes qui fondent nos institutions, mais de leur fonctionnement.

Certains ne voient dans l'existence de la Cour de Strasbourg qu'une atteinte insupportable à notre souveraineté nationale.

Même si l'on peut débattre du bien-fondé de la jurisprudence de la Cour sur tel ou tel point de fond, force est de constater que l'essor du droit européen a permis d'améliorer nos procédures juridictionnelles en renforçant les garanties offertes aux justiciables.

A travers la notion de droit à un procès équitable, la Convention européenne met l'accent sur deux principes fondamentaux dont notre droit processuel n'avait peut-être pas tiré jusqu'ici toutes les conséquences.

Il s'agit tout d'abord du principe de loyauté et d'équilibre. Cela signifie que toutes les parties à l'instance doivent disposer des mêmes armes, quel que soit leur statut. Cela signifie aussi qu'elles doivent être assurées de l'impartialité de leur juge.

Ai-je besoin de dire combien cette impartialité est au coeur des devoirs de votre fonction et des attentes de la société en ce qui concerne votre action ? L'impartialité et tout ce qu'elle suppose : la compétence indispensable pour comprendre toutes les données du litige, et la droiture requise pour juger juste. Je suis garant de votre indépendance, dont votre statut répond ; vous êtes comptables de votre impartialité, de par votre serment.

Il s'agit ensuite du principe de dialogue, et de son corollaire, le principe du contradictoire. L'instruction puis l'audience sont en réalité autant d'occasions d'établir ou de rétablir, sous l'égide du juge, un dialogue entre des parties aux intérêts divergents, afin de parvenir à une solution aussi équilibrée et juste que possible.

Magistrats, auxiliaires de justice, justiciables ont tout à gagner à ce que les procédures qui se déroulent devant nos juridictions soient conformes à ces deux principes. Pour cela, nous devrons sans doute modifier, voire bouleverser les règles que nous avions coutume d'appliquer jusqu'ici, comme en témoigne la décision rendue récemment par la Cour de cassation à propos de la Commission des opérations de bourse. Peut-être faudra-t-il en venir à une procédure moins inquisitoriale ?

Enfin, un bon procès, ce n'est pas seulement un procès équitable, c'est également un procès qui se déroule dans un délai raisonnable. Cela aussi, la jurisprudence exigeante et rigoureuse de la Cour de Strasbourg a le mérite de nous le rappeler.

Désormais, chaque justiciable a les moyens d'exiger et d'obtenir le respect de ce droit élémentaire. Lorsqu'une affaire s'éternise sans raison, la responsabilité de l'Etat se trouve de plus en plus fréquemment engagée.

Equilibre, dialogue, célérité, voilà ce que nos concitoyens sont en droit d'attendre de la justice. Par le rappel de ces principes fondamentaux, par le rôle d'aiguillon qui est le sien, par le dialogue des juges auquel il donne naissance, le droit européen joue désormais un rôle de premier plan dans le fonctionnement de nos institutions judiciaires.

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Dans cet ordre juridique en pleine évolution, plus ouvert, plus éclaté, la mission du juge est plus complexe que jamais. Votre métier est déjà en lui-même aussi passionnant que difficile. Placés au coeur de notre société, témoins privilégiés de ses transformations, vous êtes en prise directe avec ses contradictions, ses conflits, ses violences. Vous êtes confrontés chaque jour aux problèmes majeurs de notre époque au premier rang desquels l'insécurité et le chômage.

C'est pour vous permettre d'assumer les exigences d'un métier d'exception et d'exercer votre tâche dans les meilleures conditions qu'il faut adapter et moderniser l'institution judiciaire. Pour cela, il faut, me semble-t-il, progresser dans quatre directions.

Il faut d'abord revaloriser la place des magistrats dans la cité et renforcer les moyens de la justice.

Mais au-delà des aspects protocolaires, se pose la question de votre statut. Il convient de le réformer, comme le Gouvernement a commencé à le faire, pour accélérer le déroulement de carrières aujourd'hui trop lentes du fait de la situation démographique de votre corps.

Lorsque j'ai lancé en janvier 1997 la réforme de la justice, j'avais demandé que ses moyens soient augmentés dans les cinq années à venir, compte tenu du faible niveau du budget du ministère de la Justice par rapport à celui des autres grands pays européens. Notre appareil judiciaire doit sortir de la misère et de la vétusté qui ont été trop longtemps les siennes. Des efforts réels ont été faits par le Gouvernement, qu'il s'agisse du montant des crédits, des créations d'emplois, ou du recrutement exceptionnel de magistrats. Ils doivent être poursuivis.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la réforme de la carte judiciaire, trop longtemps repoussée et aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Il faut que la justice adapte sa présence et ses moyens aux réalités nouvelles de notre territoire. C'est à ce prix qu'elle pourra oeuvrer efficacement à la lutte contre les violences urbaines et l'insécurité.

Il convient, en second lieu, d'adapter votre formation à l'élargissement de vos missions. Les fonctions qu'un magistrat peut être appelé à exercer au cours de sa carrière sont nombreuses et multiformes. Au-delà de la distinction entre siège et parquet, coexistent en effet, au sein du même corps, des catégories de magistrats aux activités très différentes. Quoi de commun, à première vue, entre le juge des enfants, le magistrat affecté dans des sections financières ou anti-terroristes, le juge aux affaires familiales ou le juge d'application des peines ?

Pour remplir au mieux les missions très diverses qui vous sont confiées, vous devez faire preuve à la fois de qualités humaines, de bon sens et de larges compétences.

Les qualités humaines restent primordiales. Sens de l'essentiel, volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes, indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion, autant de traits de caractère indispensables lorsque l'on travaille directement " la pâte humaine ", lorsque l'on est amené à prendre des décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence, l'équilibre d'une famille ou le destin d'une entreprise. C'est pourquoi il est si important que votre Ecole soit le lieu de résonance de tous les courants d'idées, de toutes les opinions, de tous les approfondissements de la pensée, sans exclusive.

Dans un univers sans cesse plus complexe, toutes ces qualités indispensables doivent être étayées par de solides compétences juridiques mais aussi techniques.

La formation initiale des futurs magistrats doit être aussi complète que possible, associant théorie et pratique et ouverte aux évolutions de la société. Je sais que des efforts importants ont déjà été accomplis dans ce domaine. Ainsi figurent désormais parmi les cours dispensés à l'Ecole nationale de la magistrature des enseignements d'économie, de comptabilité ou de droit européen. Les magistrats du XXIe siècle devront, en effet, être ouverts sur le monde, au fait des expériences étrangères, être à même de suivre les problèmes économiques et sociaux sur le plan européen et international.

Mais, aussi complète soit-elle, la formation initiale n'est pas tout. Il faut encore que les magistrats aient la possibilité, tout au long d'une carrière souvent longue, de perfectionner et de compléter leurs connaissances.

Aussi est-il indispensable de développer la formation continue des magistrats. Des progrès sensibles ont été réalisés au cours des dernières années. Il faut encore amplifier nos efforts pour permettre à l'ensemble du corps judiciaire français d'avancer au même rythme que la société tout entière.

Pour faciliter votre tâche, il faut, en troisième lieu, procéder à un effort massif de simplification. C'est l'un des axes majeurs de la réforme que j'ai souhaitée.

La justice doit devenir plus facile d'accès, plus rapide et moins coûteuse. Pour cela, il faut simplifier nos procédures et développer les procédures d'urgence chaque fois que c'est possible. Il faut aussi aider les justiciables à connaître leurs droits et à s'orienter dans le dédale des juridictions et des procédures. Il faut enfin, je le répète, développer la conciliation et la médiation qui peuvent éviter nombre de procédures contentieuses souvent longues, traumatisantes et coûteuses. Je souhaite que les réformes en cours permettent d'améliorer sensiblement la qualité du service rendu aux usagers du service public de la justice.

Améliorer la qualité de la justice, c'est aussi renforcer les garanties offertes au justiciable en matière pénale et faire en sorte, en particulier, que la présomption d'innocence, principe constitutionnel, soit respectée. J'attache une particulière importance à l'adoption du projet de loi actuellement en discussion devant le Parlement, et je suis persuadé que le dialogue entre les deux assemblées sera fructueux.

Des moyens accrus. Une formation adaptée. Des procédures plus efficaces et plus rapides. C'est à ce prix que nous pourrons rendre notre justice plus proche et plus performante. C'est à ce prix que nous pourrons faciliter votre travail et vous permettre d'exercer votre mission dans de meilleures conditions.

Mais, en définitive, beaucoup repose sur vous. Figure emblématique du monde judiciaire, le magistrat se trouve par la force des choses en première ligne.

Sa responsabilité se place essentiellement sur le terrain déontologique, professionnel et, dans les cas extrêmes, disciplinaire.

La responsabilité des juges est en effet le corollaire de leur indépendance. Elle doit être à la mesure des pouvoirs qui leur sont dévolus. Il ne saurait y avoir, dans une démocratie, d'autorité incontrôlée.

L'affirmation de la responsabilité des magistrats, que les textes actuellement en cours d'examen prévoient de renforcer, n'est pas dirigée contre eux. Elle est un gage supplémentaire du bon fonctionnement de notre justice.

Mais c'est avant tout par une modernisation profonde des méthodes de travail que l'on fera progresser l'esprit de responsabilité.

Il est souhaitable que se généralise dans toutes les juridictions un suivi de l'activité des magistrats, sur la base d'indicateurs transparents et fiables, tenant compte, bien sûr, de l'évolution des moyens mis à votre disposition. Des objectifs doivent être définis. Des échéances fixées. Comme d'autres services publics, la justice doit entrer à son tour dans une logique d'évaluation. Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence comporte des dispositions de procédure qui s'inscrivent dans cette logique. Dans ce domaine également, la justice doit avancer au même rythme que l'ensemble de la société. La société démocratique est par excellence une société de responsabilité. Il est normal que le juge, qui occupe dans le fonctionnement de la démocratie une fonction éminente, assume pleinement les siennes.

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Mesdames, Messieurs,

Au cours des siècles passés, les magistrats ont souvent joué un rôle déterminant dans l'histoire de notre pays.

Ils ont accompagné, et parfois suscité, les évolutions de la société.

Les magistrats sont au coeur des changements. Rien de ce qui travaille le corps social ne leur est étranger. Ils sont témoins de ses doutes et de ses faiblesses. Ils sont arbitres de ses audaces. Ils vivent l'émergence d'un monde nouveau. Ils aident notre société à trouver ses marques dans le processus de mondialisation, avec ses risques et ses promesses.

Mesdames et Messieurs les Auditeurs de justice, vous allez assumer une lourde responsabilité, qui peut sembler parfois écrasante. Mais c'est aussi une tâche exaltante, porteuse de stabilité et d'harmonie. Le visage humain de la mondialisation, ce sera bien souvent le vôtre, celui du juge chargé d'en réguler les effets.

Nos concitoyens croient en leur justice et attendent beaucoup de leurs juges. Les traditions que vous portez, votre vocation au service du droit, votre engagement personnel vont à la rencontre des exigences morales de notre pays. Il vous appartient de mériter jour après jour sa confiance en rendant une justice indépendante à l'égard de toutes les influences, ouverte sur les réalités de notre monde, humaine, bien sûr, mais jamais émotionnelle, jamais emportée ni vindicative. Une justice dont la fonction régulatrice est en train de connaître un renouveau profond et nécessaire. Une justice qui doit s'exercer avec une sérénité qui fait sa force et son autorité, en se souvenant toujours qu'à la fin, seule la conscience des juges est garante du droit.

Je vous remercie.