DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

A L’OCCASION DE L’INAUGURATION DES NOUVEAUX ESPACES

DU COLLÈGE DE FRANCE

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PARIS - Vendredi 18 septembre 1998

Monsieur le Ministre,

Madame la Ministre,

Monsieur l’Administrateur,

Monsieur l’Administrateur honoraire,

Mesdames et Messieurs les Professeurs du Collège de France,

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, Monsieur l'Administrateur, le Collège de France dévoile son nouveau visage. Et c’est un grand jour pour tous ceux qui ont conçu, conduit, participé à ce beau projet. Mais c'est aussi un grand jour pour la communauté scientifique française et internationale, et pour notre pays tout entier. Notre pays dont le rayonnement culturel doit tant au Collège de France.

Ces lieux transformés ont valeur de symbole. En effet, par essence et par vocation, le Collège de France, cinq fois centenaire, doit toujours changer, se métamorphoser, se rénover. C’est à cette condition qu’il peut poursuivre avec le même enthousiasme et la même audace la grande aventure de l’esprit. C'est ainsi qu'il reste fidèle à certains principes en forme d'exigences : liberté, ouverture, remise en question.

C'est une histoire singulière que celle du Collège de France, et qui explique sa place singulière dans notre univers scientifique. Les fondateurs, Guillaume Budé, François Ier, voulaient qu’il fût un berceau de l’humanisme, échappant au monopole de la Sorbonne, de son enseignement en latin, de son encadrement par les clercs de l’Eglise.

Leur rêve, celui de leurs contemporains, c’est l’universalité du savoir, c’est le progrès de l’homme, c’est son affranchissement. Leur idée-force, c'est que l’esprit puisse s’abreuver en toute liberté à des sources multiples, qu’il s’ouvre à de nouvelles influences, qu’il s’enrichisse de la rencontre, du dialogue, de la concertation. C’était le temps où, dans l’Europe d’alors, le savoir ne connaissait pas de frontières. Un temps où l’on pouvait rêver d’embrasser tous les champs de la connaissance.

Geste pionnier que cette fondation, puisque le Collège de France fut la première institution d'Etat. Geste hardi, à une époque où la liberté, et d’abord celle de l’esprit, ne va pas de soi.

La liberté, c'est celle de l’enseignement et de la science en premier. Liberté absolue pour le Collège de choisir ses disciplines, ses chaires, leurs titulaires. Et de les choisir où il veut, souvent à l’Université, c’est vrai, mais aussi partout ailleurs, pourvu qu’ils soient les plus éminents et les plus créatifs dans leur domaine. Liberté pour les professeurs d’orienter, comme bon leur semble, leurs recherches, leurs cours. Liberté pour les auditeurs de suivre l’enseignement de leur choix. Car, depuis toujours au Collège de France, l’esprit tient table ouverte.

La liberté, c’est bien sûr l’ouverture. Ouverture à tous, sans condition ni préalable. Etudiants, chercheurs, avides des derniers développements de la science, mais aussi tout un chacun mû par le désir d’apprendre. Ouverture à tous les savoirs, sans exclusive ni limite. La fondation du Collège de France comblait une absence, celle du grec, des mathématiques, de l’hébreu dans l’enseignement universitaire d’alors. Il n'a cessé de s'adapter aux évolutions de la science et d'accueillir, voire d'inventer, de nouvelles disciplines.

Ouverture à toutes les recherches, menées en France mais également en Europe et dans le monde. Ouverture aux laboratoires universitaires, aux grands établissements français à l’étranger, aux équipes de recherche travaillant au-delà de nos frontières. Ouverture, enfin, en développant les nouveaux outils de la communication, et en étant présent sur les grands réseaux de l’information.

Oui, le Collège est bien un espace de liberté, mais une liberté exigeante, assurée par la collégialité des grands choix et la remise en question constante. Chaque professeur le sait et l’accepte : jamais deux fois le même cours. C’est le secret d’une insatiable curiosité, d’une recherche incessante, d’une pensée en mouvement perpétuel. C’est ce qui confère son aura au Collège de France. C'est le viatique qui lui a permis de traverser les siècles, de résister aux soubresauts et aux changements de l’Histoire, d’affirmer sa place, sa nécessité, son prestige. Dès l’origine, il allait, l’idée qu’il avait fondée allait dans le sens de l’Histoire.

Pourtant, travailler, fréquenter le Collège de France s’est parfois apparenté à un parcours héroïque. Déjà, à sa création et jusqu’au XVIIIè siècle, quand eurent lieu les travaux de Chalgrin, les " lecteurs royaux ", que l’on évoquait tout à l’heure, regrettaient l’absence de locaux et d’équipements adaptés à leur mission. Dès l’origine, la chronique rapporte la presse et la cohue des premiers cours. Ces dernières années, le Collège de France, certes " basty en hommes " comme l’écrivait en son temps Etienne Pasquier, étouffait néanmoins dans des locaux hérités d’un autre temps.

C'était la rançon du succès, des succès scientifiques en même temps que des succès d’audience. Les progrès, la spécialisation des sciences, la multiplication des disciplines, la sophistication de la recherche, les nécessités de la coopération, l’assiduité d’un public toujours plus important, avaient rendu difficiles les conditions de travail et de vie au sein de votre Communauté. Jusqu'à ce jour, le Collège de France ne disposait d’aucune salle de plus de cent places quand ses auditeurs sont plus de 5 000. Les laboratoires accusaient une vision ancienne de la science, désormais dépassée.

Il y a sept ans, l’Etat prenait ses responsabilités. Mon prédécesseur, le Président François Mitterrand, inscrivait la rénovation et l’agrandissement du Collège de France parmi les grands travaux de la République.

Il ne s’agissait pas seulement d’améliorer ce qui devait l’être et de donner au Collège un peu d’air et d’espace. Il fallait lui permettre d'assumer ses nouvelles missions, avec ses nouveaux chercheurs, avec ses grands programmes nationaux et internationaux. Il fallait qu'il puisse répondre aux impératifs d’une recherche scientifique de pointe. Il fallait permettre à un Collège de France transformé et modernisé d'aborder dans de bonnes conditions le prochain millénaire.

Nous venons de parcourir ensemble ce qui fut le chantier de sept années : le Grand amphithéâtre, l’amphithéâtre Guillaume Budé, de nouvelles salles, bref, de nouveaux équipements enfin dignes de l'Institution. Un chantier que vous avez porté de toutes vos forces, Monsieur l’Administrateur honoraire, avant de passer le relais.

Je félicite toutes celles et tous ceux qui, à un titre ou un autre, lui ont apporté leur concours. Et d’abord celles et ceux qui ont relevé le formidable défi technique de cette renaissance.

Je pense notamment bien sûr aux architectes Bernard Huet et Jean-Michel Wilmotte qui ont accompli une véritable prouesse, en conciliant l’audace et la retenue, la tradition et l’innovation. Prouesse technique parce que, pour respecter les lieux, leur histoire, leurs racines, leur beauté, il a fallu creuser et créer en sous-sol ce qui ne pouvait l’être en surface. Votre ambition était de donner à ce lieu une cohérence nouvelle sans attenter à son intégrité d’origine. Pour reprendre votre formule, Messieurs, il fallait " opérer une greffe qui paraisse si naturelle qu’elle semble relever d’un phénomène de croissance organique ". Avec les ingénieurs et les techniciens, vous avez réussi une restauration, Monsieur l’Administrateur général, exemplaire.

Au moment où elle va laisser place à un nouvel établissement public, je tiens à saluer également la Mission interministérielle des grands travaux qui était maître d’ouvrage, et qui là-aussi ou là encore a accompli un travail tout à fait remarquable.

Bien sûr, l’aventure de la rénovation se poursuit. A partir de l’an prochain, elle portera sur les laboratoires, la Bibliothèque générale et le Centre d’accueil des chercheurs étrangers. Il s’agit, encore et toujours, de favoriser les rencontres des disciplines et des chercheurs. Il s’agit d’affirmer l’audience internationale du Collège de France et, au-delà, l’autorité de la recherche française, l’une des premières du monde. Et qui l’est en grande partie grâce à vous, Mesdames et Messieurs, grâce à vos grands prédécesseurs, grâce au Collège de France et à ses fondateurs visionnaires.

En vous rendant visite aujourd’hui, en partageant avec vous ce moment de votre histoire, je voudrais vous témoigner mon attachement et celui de notre pays, notre gratitude, notre fierté et notre confiance pour l’avenir.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.