Interview accordée à CNN par M. Jacques CHIRAC, Président de la République.


Palais de l'Elysée, Paris le jeudi 13 septembre 2001


QUESTION - Les États-Unis essaient de susciter un soutien politique et éventuellement militaire afin de faire face à ce qui s'est passé aux États-Unis mardi. Les alliés ont qualifié ces événements d'attaques non seulement contre les États-Unis mais aussi contre l'ensemble du monde civilisé et démocratique. Le Président français Jacques CHIRAC se trouve à Paris et nous accorde sa première interview sur le sujet. Merci, Monsieur le Président, d'être avec nous depuis la France. Est-ce que vous pouvez dire maintenant au peuple américain, au Président américain, que vous, que la France se tient résolument derrière les États-Unis dans les circonstances qu'ils traversent et derrière ce qu'ils envisagent de faire ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, le peuple français a été véritablement traumatisé par ces événements. Une infinie tristesse, une immense émotion. La violence des images, d'abord. Ces photos d'hommes, de femmes, d'enfants, cherchant un être cher disparu et marquant leur angoisse et leur désespoir. Tout cela a touché profondément les Français.

Il vient d'y avoir un sondage qui vient d'être publié en France et qui montre que 96% des Français sont totalement solidaires du peuple américain et des autorités américaines. Je n'ai pas le souvenir historique d'une telle unanimité dans la solidarité. Et, surtout, le pourquoi. L'impossibilité de répondre à ce pourquoi. Cette espèce de folie, cette absurdité, cette cruauté. Rien, rien ne peut justifier cela et les Français sont, oui, je vous le répète, totalement solidaires des Américains.

QUESTION - Les États-Unis essaient de bâtir une coalition avec les alliés et d'autres nations pour lutter, agir, être présents de ce côté-ci de la bataille, comme ils disent. Pour la première fois de son histoire, l'OTAN, hier, a invoqué un article du Traité qui dit qu'une attaque contre un État membre est une attaque contre l'ensemble des membres. De votre point de vue, qu'est-ce que cela signifiera pour la France, lorsqu'elle évaluera son soutien aux États-Unis dans leur réponse à ces attaques ? Qu'est-ce que la France fera ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, les Américains n'essaient pas. Ils ont réalisé l'unanimité autour d'eux dans la lutte contre le terrorisme. C'est vrai en particulier pour l'OTAN, et cela a été prouvé hier soir à la réunion de cette organisation. J'en avais d'ailleurs parlé avec le Président BUSH, qui m'avait téléphoné une ou deux heures avant, et à qui j'avais confirmé que la France serait naturellement solidaire pour ce qui concerne la mise en oeuvre de l'article 5, auquel vous faites allusion, du Traité de l'Atlantique nord. Cela veut dire que la France sera solidaire des Américains, comme d'ailleurs tous les pays de l'OTAN et, j'en suis sûr, la quasi-totalité des pays du monde.

QUESTION - La France faisait partie de la coalition pendant la guerre du Golfe. La France fait partie de la coalition dans les Balkans. Si les États-Unis concluent qu'ils détiennent des renseignements qui les conduisent à mener une action militaire, est-ce que la France contribuera dans tous les cas à cette action militaire ?

LE PRÉSIDENT - La France, je vous le répète, sera totalement solidaire. Alors, naturellement, il convient d'examiner la situation. Il faut chercher les coupables. Les États-Unis font actuellement un effort considérable et, me semble-t-il, très efficace, avec la recherche de tous les indices, puis des coupables, de façon à ce que l'on puisse déterminer qui est à l'origine de cette folie meurtrière. Et quand il s'agira ensuite de sanctionner cette folie meurtrière, oui, la France sera aux côtés des États-Unis.

QUESTION - Le Président des États-Unis a décrit ce qui se passe comme une attaque, comme une lutte entre le bien et le mal. Il a dit que les États-Unis remporteraient cette bataille et que le bien finirait par triompher. Est-ce que vous faites vôtre cette appréciation ?

LE PRÉSIDENT - Je ne doute pas un seul instant que le terrorisme, toujours fanatique, aveugle et fou, que le terrorisme représente bien dans le monde d'aujourd'hui le mal. Et, à ce titre, il doit être combattu avec la plus grande énergie.

QUESTION - Est-ce que vous voyez la situation comme un choc de civilisations, et pas seulement comme une attaque contre les États-Unis ou la démocratie ? C'est-à-dire quelque chose de plus profond ?

LE PRÉSIDENT - Je ne parlerai pas de choc de civilisations parce que cela voudrait dire qu'un type de civilisation pourrait adopter le terrorisme comme moyen normal et naturel d'expression, comme élément de culture. Je ne veux évidemment pas imaginer que quiconque, aucun être humain organisé au sein d'une civilisation puisse adopter une telle position. Par conséquent, je crois que le terrorisme représente plutôt l'action de séquelles de telle ou telle civilisation et, je le répète, à ce titre, il doit être considéré comme une aberration qui doit être extirpée de la civilisation mondiale, qui doit respecter naturellement les droits de l'Homme.

QUESTION - Vous-même, comme d'autres dirigeants du monde et, bien sûr, les États-Unis, avez décrit ce qui s'est passé comme une atrocité monumentale. Mais beaucoup de gens dans le monde ont dit qu'il s'agissait d'une attaque contre certains aspects de la politique étrangère américaine. Ce n'est un secret pour personne que la France a eu des divergences avec les États-Unis à propos de la politique étrangère. Est-ce que cela vous créera des difficultés lorsque vous envisagerez de participer à une coalition et de prendre toutes les mesures que les États-Unis et les alliés jugeraient nécessaires ?

LE PRÉSIDENT - Non, on peut très bien ne pas être toujours d'accord sur tout. C'est la caractéristique de toutes les familles et il en va de la famille internationale comme de toutes les familles. Mais, en revanche, il y a un point sur lequel il ne peut pas y avoir de divergences de vues, où il ne peut pas y avoir de différences, c'est la nécessité de lutter contre cette maladie perverse, ce vice qu'est le terrorisme. Et dans ce domaine, naturellement, il ne peut pas y avoir de différences entre l'attitude de la France, l'attitude de tous les pays civilisés, quelles que soient par ailleurs leurs références religieuses, économiques, philosophiques, et les États-Unis.

QUESTION - Est-ce que vous pensez qu'une réponse militaire sera nécessaire, que cet acte de terrorisme a lié les mains non seulement des États-Unis mais des démocraties et des alliés qui disent qu'ils doivent rester unis face à cet acte ?

LE PRÉSIDENT - Les États-Unis ont été visés. Ils sont les premières victimes de ce phénomène, qui concerne le monde entier. Mais ils sont aujourd'hui les premières victimes. Il leur appartient d'abord -et c'est ce qu'ils font- de déterminer d'où vient l'attaque. A partir de là, de prendre les dispositions qui s'imposent pour éradiquer le mal. Et, de ce point de vue, la France, je le répète, sera à leurs côtés. Quels sont les moyens que les Américains proposeront ? Il ne m'appartient pas d'en préjuger. C'est à eux de le déterminer. Mais ce que je peux vous dire, c'est que, s'agissant d'éradiquer le terrorisme, de lutter contre le terrorisme, la France, comme j'en suis sûr la plupart des pays du monde, ne pourra être que solidaire des Américains.