INTERVENTION DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, LORS DE LA TABLE RONDE "BIODIVERSITÉ, DIVERSITÉ CULTURELLE ET ÉTHIQUE"

À L'OCCASION DU SOMMET MONDIAL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE


JOHANNESBURG - AFRIQUE DU SUD MARDI 3 SEPTEMBRE 2002

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir à cette table ronde sur la diversité culturelle, la biodiversité et l'éthique, organisée avec l'UNESCO, à l'initiative du Programme des Nations Unies pour l'Environnement et de la France. Le développement durable n'est pas seulement une question technique ou économique. C'est une réponse à la crise écologique et sociale mondiale. C'est une vision éthique, qui nous interpelle sur les droits et les devoirs de l'Homme face à la nature et à la création.

Le temps est venu de compléter nos décisions politiques ou économiques par un dialogue des cultures et une réflexion en profondeur sur la nature du défi auquel nous sommes confrontés. * Je suis pour ma part porté par quatre convictions.

La première, c'est que l'épanouissement de toute collectivité humaine repose sur la confiance dans son identité culturelle.

La deuxième, c'est qu'il n'y aura pas de mondialisation humanisée et maîtrisée sans respect de la diversité des cultures et des langues. Car il n'y a rien de plus étranger au génie humain que l'évolution vers une civilisation uniforme, de même qu'il n'y a rien de plus hostile au mouvement de la vie que la réduction de la biodiversité.

Ma troisième conviction, c'est que la mondialisation doit s'accompagner d'un effort de dialogue des cultures. Ce dialogue est nécessaire à la paix, parce qu'il contrebalance le risque de crispation identitaire et favorise le respect que les cultures du monde se doivent mutuellement.

Ma quatrième conviction, c'est que nul ne détient seul la solution aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés. Nous devons progresser dans l'échange des expériences et des visions.

Comment par exemple construire une éthique écologique sans prendre en compte non seulement les progrès de la science, mais aussi ceux de la pensée sur tous les continents ? Sans tirer parti des réflexions philosophiques et des valeurs que nous lèguent, par exemple, les grandes religions du monde ?

Comment réduire le fossé entre l'homme moderne et la nature sans respecter les peuples premiers, sans respecter leur place dans le monde, afin que la culture, le savoir, la science qu'ils ont acquis au cours des millénaires nous éclaire ?

Comment construire une éthique mondiale sans réhabiliter les traditions orales d'Afrique, d'Asie ou d'Océanie ? * Malgré les immenses promesses dont elle est riche, la mondialisation menace la diversité. Telle qu'elle se développe aujourd'hui, elle s'appuie notamment sur les progrès fulgurants des technologies virtuelles qui altèrent les liens avec la réalité sensible. Elle est fondée sur la consommation de masse : la logique qui la porte pousse à la standardisation des produits, des normes et des langues. Fondée sur le commerce, elle tend à tout réduire à une marchandise. Prenons garde qu'elle ne devienne une force sans frein, ignorant les valeurs et sans autre finalité qu'elle-même.

Si nous négligeons d'encadrer la mondialisation par des lois, elle aboutira à l'appauvrissement de l'humanité.

Une des réponses que la France propose, c'est l'adoption par la communauté internationale d'une Convention mondiale sur la diversité culturelle. Elle serait le pendant de la Convention sur la diversité biologique. Elle donnerait force de loi internationale aux principes de la déclaration que vient d'adopter l'UNESCO.

Une telle Convention se situerait dans le cadre des valeurs universelles qui forment notre socle commun. Ces valeurs, nous les connaissons : ce sont celles de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et des pactes et traités qui en découlent. Celles qui reconnaissent le caractère sacré de l'Homme et de la vie, dont le respect s'impose comme impératif catégorique à toutes les activités humaines.

Une telle Convention affirmerait que la diversité culturelle appartient au patrimoine commun de l'humanité, qu'elle est un droit dont chaque État peut se prévaloir. Elle affirmerait l'égale dignité de toutes les cultures humaines.

Une telle Convention devrait naturellement concrétiser les droits et devoirs des États en la matière : - respect du pluralisme linguistique et mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde : on estime qu'au rythme actuel, la moitié d'entre elles auront disparu dans ce demi-siècle. C'est une perte incommensurable ; - affirmation du droit des États à soutenir la création par des politiques volontaristes et des actions appropriées ; - affirmation du caractère exceptionnel des biens culturels, qui ne sont pas des biens comme les autres et dont la spécificité doit être respectée ; - reconnaissance de la nécessité du dialogue des cultures pour avancer vers un monde plus pacifique et pour trouver ensemble les réponses aux problèmes contemporains ; - mise au point de mécanismes internationaux de coopération pour aider les pays à préserver leur patrimoine, matériel et immatériel, ainsi qu'à défendre leurs créations culturelles.

Cette Convention, il revient à l'UNESCO d'en prendre la responsabilité. C'est ainsi que cette organisation prendra sa part à l'édification des lois qui doivent gouverner la mondialisation. Avec ses partenaires intéressés, et d'abord avec ses partenaires francophones, la France y présentera une proposition dans les prochains mois. * Mesdames, Messieurs, la table ronde que nous formons illustre l'importance de notre débat. Je suis heureux qu'aient souhaité venir des chefs d'État et de Gouvernement et des ministres de tous les continents. Ils témoignent, par leur présence, que notre préoccupation est largement partagée.

Je suis heureux que des personnalités éminentes, emblématiques de ce que le monde contemporain a de plus prometteur, se soient jointes à nous. Je pense en particulier à mon amie Rigoberta MENCHU, Prix Nobel de la paix, à qui la renaissance des peuples et civilisations amérindiennes doit tant. Je pense aussi au grand écrivain africain et Prix Nobel de littérature Wole SOYINKA.

Grâce à vous, l'éthique et la recherche des valeurs auront une place essentielle dans notre discussion. Grâce à vous, le coeur et l'écoute ne feront pas défaut à notre sommet. Grâce à vous, la culture s'imposera peu à peu comme le quatrième pilier du développement durable aux côtés de l'économie, de l'environnement et de la préoccupation sociale.

Je vous remercie.