DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DU 50EME ANNIVERSAIRE

DU CNPF

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POITIERS

LUNDI 16 SEPTEMBRE 1996

Monsieur le Président du Sénat,

Madame et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président du CNPF,

Mesdames, Messieurs,

Si j'ai répondu avec plaisir à l'invitation de Jean GANDOIS à l'occasion du cinquantenaire du CNPF, si je suis donc parmi vous ce soir, c'est d'abord, parce qu'il n'y a pas de démocratie sans partenaires sociaux forts. Nous avons besoin de syndicats forts. Nous avons besoin d'organisations professionnelles fortes.

C'est ensuite parce que j'ai voulu saluer les chefs d'entreprises et rendre hommage à leur action. La France, vous l'avez rappelé Monsieur le Président, a la chance de compter plusieurs millions de créateurs de richesses, animés par l'esprit d'entreprise ; ils sont, c'est vrai, parmi les meilleurs du monde. Or, il n'y a pas de réussite pour notre pays sans succès de ses entreprises. Votre rôle a toujours été essentiel. Il l'est plus encore aujourd'hui alors qu'il nous faut dissiper les doutes et aller de l'avant sans complexe.

Enfin, j'ai été séduit, je ne vous le cache pas, par le thème que vous avez retenu pour fêter le cinquantième anniversaire du CNPF. Plutôt que de célébrer l'institution, c'est l'esprit d'entreprise que vous avez mis au coeur de cette manifestation. Et d'ailleurs, le lieu nous y convie : le Futuroscope, que nous devons au Président MONORY et qui est non seulement une superbe réussite, mais également l'emblème d'une France tournée vers le XXIème siècle.

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Certains, amateurs de chamailles attendent que je vous donne quelques leçons bien senties, ils en seront pour leurs frais.

Tout au contraire, je suis venu, ici, aujourd'hui, vous dire, et à travers vous à tous les entrepreneurs de notre pays, mon soutien et ma confiance : l'entreprise est l'un de ces repères forts dont la France a besoin.

Ne nous trompons pas d'époque. Nous vivons, c'est vrai, une profonde transformation de notre société et de notre économie. Cette mutation résulte d'abord de la révolution du savoir, née du formidable développement des technologies de l'information. Elle correspond aussi à l'émergence rapide d'une économie globale où capitaux et informations ne connaissent plus de frontières. Au-delà des matières premières et des ressources naturelles, priment aujourd'hui le savoir, la qualité du travail et de son organisation.

Plus que jamais, il n'y a de richesse que d'hommes. La clé de la compétitivité, c'est l'invention, l'imagination, l'envie de créer, la volonté d'entreprendre, en un mot l'esprit d'entreprise.

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Dans ce nouveau monde, la France, quatrième exportateur mondial, deuxième exportateur de services, est bien placée pour faire la course en tête.

Déjà, un français sur quatre travaille pour l'exportation. La croissance et l'emploi dépendent largement de nos performances à l'extérieur : pour citer un seul exemple, les quelques 100 milliards de francs de grands contrats, pour ne parler que d'eux, signés en 1995 ont permis de créer ou de maintenir près de 200 000 emplois.

Réunissant, il y a quelques jours, l'ensemble de nos Ambassadeurs, je leur ai demandé de placer ce combat de tous les jours en faveur de l'exportation au coeur même de leur action. D'être les avocats de nos entreprises petites, moyennes et grandes, auprès des autorités locales. De prendre, lors de leurs séjours en France, tous les contacts appropriés pour alerter nos grands groupes, ou nos PME, sur les possibilités que peuvent offrir leurs pays de résidence. De proposer toutes les initiatives susceptibles d'accroître les chances de nos produits sur les marchés mondiaux.

Pour ma part, j'ai voulu, dans mon action extérieure, être au service de nos entreprises, comme le sont, depuis longtemps, la plupart des Chefs d'Etat des grands pays industrialisés. Dans tous mes déplacements à l'étranger, je défends les intérêts de "l'entreprise France". J'aide les chefs d'entreprises, petites et grandes, à nouer les contacts nécessaires. J'interviens, comme je l'ai fait à Chicago et à Singapour, devant les décideurs économiques étrangers pour faire valoir le dynamisme de nos entreprises, la compétitivité de notre économie et les atouts de notre pays.

Pas une semaine, pas un jour, sans que, à la demande de tel ou tel d'entre vous, j'intervienne pour défendre nos intérêts à l'étranger, faire progresser une négociation délicate, arracher la conclusion d'un contrat.

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Mais la croissance, c'est vous qui la faîtes. En créant de nouveaux produits, tirant parti des fantastiques possibilités qu'offrent les nouvelles technologies. En conquérant de nouveaux marchés notamment en Asie, en Amérique Latine, dans ces régions qui connaissent un formidable développement et où nous ne sommes pas suffisamment présents.

Il faut aller chercher la croissance là où elle est.

Les exemples qui vous ont été présentés cet après-midi, les témoignages que vous avez entendus, le montrent : la France peut s'enorgueillir d'aventures industrielles, d"'histoires à succès" comme disent les Américains, qui consolideront la croissance et donc l'emploi. Le T.G.V. exporté en Asie et en Amérique. La carte à puce, lancée ici, en France, et dont le marché devrait atteindre près de quatre milliards d'unités en l'an 2000. Les clubs de vacances, créés après-guerre, qui sont aujourd'hui présents sur tous les continents. Le téléphone mobile, dont la réussite illustre bien ce que les nouvelles technologies peuvent apporter au développement de notre économie. Et je pourrais citer maints et maints autres exemples.

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L'esprit d'entreprise, l'esprit de conquête, passe aujourd'hui par la définition de nouvelles formes d'organisation du travail. La conquête de nouveaux marchés, la création de nouveaux produits repose d'abord sur la compétitivité des entreprises. Et cette compétitivité dépend, pour une grande part, de votre capacité à concevoir et à mettre en oeuvre de nouvelles formes d'organisation. L'aménagement et la réduction du temps de travail en sont l'un des aspects.

Ces enjeux ne sont pas nouveaux pour vous. En 1972 déjà, Antoine RIBOUD les évoquait lors de vos Assises de Marseille. En 1987, il les développait dans le rapport " modernisation, mode d'emploi " qu'il avait rédigé à ma demande.

Beaucoup d'initiatives sont prises, je m'en rends compte régulièrement, lorsque je visite vos entreprises. En matière d'organisation du travail, il n'y a pas de prêt à porter. C'est dans les entreprises et les établissements qu'on peut imaginer les solutions adaptées, concilier au mieux les exigences de la compétitivité, des conditions de travail et de l'emploi. Cela implique la participation des salariés, c'est à dire à la fois la concertation avec l'ensemble des acteurs et la négociation avec les représentants du personnel.

Au fond, que pouvons-nous attendre d'une meilleure organisation du travail ? L'amélioration de la qualité des produits et des services, clef de la compétitivité ; une capacité à réagir plus rapidement aux variations de la conjoncture ; une plus grande aptitude à innover, aptitude de plus en plus nécessaire tant il est vrai qu'il n'y a plus de rente de situation durable sur les marchés. Enfin, et ce n'est pas le moins important, une amélioration des conditions de vie et de travail des salariés. En libérant du temps pour la vie familiale et sociale, mais aussi en préservant leur santé et leur sécurité.

Au bout du compte, c'est l'emploi qui s'en trouve favorisé. L'emploi par l'innovation, l'innovation par la mobilisation de toutes les énergies et de tous les talents, voilà bien, vous l'avez dit Monsieur le Président, l'objectif.

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Cet esprit de conquête, comment pourrait-on le concevoir sans y associer notre jeunesse ? Votre responsabilité de chef d'entreprise est, là aussi, tout à fait essentielle.

Bien sûr, il revient d'abord à l'Etat de donner aux jeunes une formation de base, générale et technique. Si des progrès considérables ont été accomplis, puisque les 3/4 d'une classe d'âge, contre 1/4 seulement il y a 20 ans, atteignent aujourd'hui le niveau du bac, beaucoup reste à faire, notamment pour ouvrir l'Education Nationale sur le monde de l'entreprise et adapter ses formations aux besoins de notre économie : c'est l'un des enjeux majeurs de la réforme de notre système éducatif.

Mais le savoir initial n'est pas tout. Votre rôle est irremplaçable pour insérer nos jeunes dans la vie professionnelle, pour leur donner cette expérience qui est le complément indispensable à toute formation.

Vous faites déjà beaucoup :

Vous employez près de 300.000 apprentis.

Vous formez 170.000 jeunes en alternance.

Vous accueillez près d'un million de jeunes de l'école ou de l'université pour des stages.

Mais il faut aller plus loin et je sais parfaitement que vous êtes prêts à faire plus.

J'ai participé, il y a quelques jours, avec le Président GANDOIS au lancement de la campagne "Cap sur l'avenir" pour l'insertion professionnelle des jeunes. Cette campagne, qui fait suite à celle déjà menée avec succès en 1993-94, doit donner un nouvel élan aux contrats d'apprentissage et de qualification pour atteindre un flux de 200.000 embauches en apprentissage et de 120.000 en qualification.

Votre engagement dans ce combat est un engagement vital. Vous qui vivez, tous les jours, dans les ateliers, dans les bureaux, sur les chantiers avec les salariés, vous savez que leur préoccupation profonde c'est plus que jamais l'avenir de leurs enfants. C'est en aidant les jeunes à franchir ce passage difficile de la formation à la vie active que nous redonnerons à notre société cette confiance qui lui fait encore défaut, cet élan nécessaire à la réussite de "l'entreprise France".

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Pour se créer et se développer, les entreprises ont besoin d'un environnement favorable. Vos débats de cet après-midi ont permis de mieux cerner tout ce qui freine, dans notre pays, l'esprit d'entreprise. Et notamment, c'est vrai Monsieur le Président, la routine de l'administration.

J'ai une claire conscience - croyez-le bien - des obstacles qui, aujourd'hui, entravent encore la liberté d'entreprendre.

Je mesure à quel point nous ne tirons pas tout le parti possible, beaucoup s'en faut, de nos talents et de nos énergies.

Le principal handicap de la France aujourd'hui, c'est aussi la trop faible part de l'économie marchande par rapport à celle de l'économie administrée. Les dépenses publiques et les transferts sociaux représentent actuellement 55% de la Production Intérieure Brute. Nous avons trop peu de producteurs et il y a trop d'obstacles sur leur chemin. Il faut, donc, réduire la dépense publique, la repenser, améliorer constamment sa productivité. Mais, plus encore, il faut élargir la base marchande de notre économie.

N'oublions pas qu'il n'y a pas d'emploi sans croissance. Et il n'y a pas de croissance sans finances saines.

L'assainissement financier, dans notre pays, était nécessaire. Il a permis une baisse significative de nos taux d'intérêt et il a garantit la stabilité de notre monnaie. La remise en ordre de nos finances publiques sera croyez-le bien poursuivie. Elle doit s'accompagner, pour être efficace et durable, de la réforme de l'Etat et de la réforme de nos grandes institutions, publiques et sociales, parce que la compétitivité d'un pays, c'est à la fois la compétitivité de ses entreprises et la compétitivité de ses systèmes publics, administratifs et sociaux. Après des années de dérive, le meilleur service que l'Etat puisse rendre aux entreprises, c'est de se réformer lui-même.

Mais si les réformes de structure et l'assainissement financier sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants. Dans notre pays où il fallait, sous l'Ancien Régime, des lettres-patentes royales pour créer une entreprise, nous devons libérer l'initiative de tous ceux qui travaillent, qui entreprennent, qui investissent.

Que quelqu'un ait l'idée de créer une activité nouvelle, de se mettre à son compte, qu'un petit entrepreneur achète une machine, agrandisse son bâtiment, embauche un demandeur d'emploi, qu'il trouve les crédits et les capitaux nécessaires, et voici que s'amorce le cercle vertueux de la croissance et que recule le chômage.

Pour engager cette dynamique, il n'y a qu'une voie : mobiliser l'ensemble des énergies au service de cette force vive de notre économie qu'est l'entreprise créatrice d'emplois et de richesses. Libérer un maximum d'initiatives, d'intelligence et de créativité. C'est ainsi que nous ferons le plein emploi de nos talents.

Depuis un an, le Gouvernement s'est engagé dans cette voie. C'est le sens du Plan P.M.E. C'est le sens de la réforme fiscale, de la réforme du financement de la protection sociale. Il ne faut pas pénaliser ceux qui travaillent, ceux qui prennent des risques. Il faut les encourager. Trop d'entre eux aujourd'hui partent à l'étranger, y travaillent, y investissent, y créent des emplois, tout simplement parce qu'ils y sont mieux traités. Mais ces réformes ne se feront pas en quelques semaines ou quelques mois, c'est un travail en profondeur qu'il faudra conduire avec toute la détermination nécessaire, je puis vous dire que ce sera le cas.

Les réformes en faveur des entreprises sont des réformes en faveur de notre pays. Et si les entreprises ont des devoirs, c'est vrai, elles ont aussi des droits : droit à moins de formalités, droit à des financements accessibles, droit à un statut juridique modernisé, droit à être soutenues à l'exportation ou dans leurs efforts de recherche-développement.

Il n'y a pas, d'un côté, les P.M.E. et, de l'autre, les grandes entreprises.

Je crois bien sûr, au rôle entraînant des grandes entreprises performantes, engagées dans la compétition internationale, même si elles ne créent pas directement les emplois qui nous manquent.

Je crois aussi au renouveau de la petite et moyenne entreprise, de l'entreprise familiale. Elle a joué un rôle fondamental dans la première grande révolution industrielle au 19ème Siècle. Dans la nouvelle économie qui est en train de se dessiner, ces entreprises vont à nouveau jouer un rôle décisif.

On redécouvre aujourd'hui les vertus, la souplesse, la capacité d'innovation, l'apport irremplaçable en matière de création d'emplois, des entreprises indépendantes et familiales. Les petits entrepreneurs ne constituent pas je-ne-sais quelle survivance du passé. Ils sont la préfiguration d'une activité économique à taille humaine, telle qu'elle va se développer sans aucun doute dans les prochaines années.

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Mesdames, Messieurs,

C'est en renforçant votre compétitivité, en gagnant des parts de marché, en créant de nouveaux produits, que vous développerez l'emploi. Dans le secteur marchand qui est le vôtre, l'emploi doit être la résultante de la compétitivité des entreprises et non l'inverse. C'est en cultivant l'esprit d'entreprise, cet esprit de conquête, que vous apporterez, à votre place et avec vos responsabilités, une contribution déterminante au redressement nécessaire de l'emploi.

Mais il n'y a pas de compétitivité, surtout dans un pays comme le nôtre, sans cohésion sociale. C'est vrai dans l'entreprise. Chacun d'entre vous le sait bien : il n'y a pas d'entreprise performante sans concertation et dialogue entre la direction et les salariés. C'est vrai dans notre pays. Il n'y a pas d'économie compétitive sans solidarité réelle du corps social. C'est le sens de l'action qui sera également longue et difficile, engagée par le Gouvernement pour consolider notre protection sociale et pour lutter contre l'exclusion. C'est vrai dans la construction de l'Europe. Il n'y aura pas d'Europe forte sans cohésion de nos sociétés. C'est la raison pour laquelle je suis si attaché à la défense du modèle social Européen.

Entre le combat que mène chacune et chacun d'entre vous dans son entreprise et celui que mène le Gouvernement pour réduire la fracture sociale, il n'y a aucune antinomie mais, au contraire, une parfaite synergie. C'est en développant l'esprit d'entreprise que vous apporterez votre contribution à la nécessaire cohésion de notre société.

Mesdames, Messieurs, je suis tout simplement aujourd'hui venu vous demander d'être vous-mêmes.