CONFÉRENCE DE PRESSE CONJOINTE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

DE MONSIEUR ALEKSANDER KWASNIEWSKI PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE POLOGNE

DE MONSIEUR GERHARD SCHROEDER CHANCELIER DE LA RÉPUBLIQUE D'ALLEMAGNE

A L'OCCASION DU SOMMET TRIPARTITE DU TRIANGLE DE WEIMAR

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HÔTEL DE VILLE - NANCY - MEURTHE-ET-MOSELLE

VENDREDI 7 MAI 1999

LE PRÉSIDENT - Monsieur le Maire de Nancy,

Je voudrais tout d'abord vous remercier chaleureusement pour l'accueil que vous avez bien voulu nous réserver. Je le fais au nom, naturellement, du Président de la Pologne et du Chancelier allemand. Nous avons été très sensibles à cet accueil.

Je voudrais saluer tous les représentants de la presse présents, Polonais, Allemands, Français, peut-être d'autres d'ailleurs, et leur dire que notre échange de vues, cela ne vous étonnera pas, a été fructueux. Et quand je dis que cela ne vous étonnerait pas, imaginez un tel échange, une telle réunion il y a seulement dix ou quinze ans. Celui qui l'aurait imaginé aurait été taxé de fou. Eh bien, cela se passe aujourd'hui sous le soleil de la Lorraine et de Nancy, de la façon la plus décontractée et la plus agréable.

Nous avons d'abord évoqué, notamment sur la proposition du Chancelier allemand, Président de l'Union, l'élargissement de l'Union européenne, les conditions de cet élargissement.

Nous nous sommes réjouis du bon fonctionnement de la coopération trilatérale, décidée à Poznan l'année dernière, au premier sommet du triangle de Weimar, et qui s'est beaucoup développée dans le cadre des jumelages du programme européen "PHARE" et qui fait qu'un certain nombre de ministères polonais, allemands et français ont une action conjointe, notamment dans le domaine de la justice, de l'agriculture, de l'environnement, de la sécurité. Et nous avons décidé d'élargir cette action qui nous permet d'avoir des liens qui se tissent entre nos gouvernements, nos administrations, nos centres de décisions.

Nous avons également constaté, avec satisfaction, qu'un certain nombre d'initiatives culturelles à trois se développent, et je pense en particulier au projet de centre de sciences sociales auquel le Président polonais est très attaché, nous aussi d'ailleurs, et que nous voulons voir se créer à Varsovie le plus rapidement possible.

Nous avons eu, ensuite, des échanges approfondis sur les problèmes de la sécurité. Les Quinze ont lancé l'euro, c'est une grande réforme qui renforce la cohésion de l'Union européenne. Et après cette réforme, la suivante, à l'évidence, concerne la défense, l'identité européenne de défense, et il est temps, dès maintenant, de discuter de ces évolutions avec nos partenaires polonais, avec l'ensemble d'ailleurs de nos partenaires, mais notamment avec nos partenaires polonais.

Sur tous ces points, il y a eu une unanimité de vues.

Puis nous avons évoqué, très rapidement, le problème de la situation au Kosovo. Je dis rapidement, car c'est le sujet essentiel de notre déjeuner de travail. Mais nous avons pensé que nous ne pouvions pas faire cette conférence de presse sans évoquer ce sujet. Et c'est la raison pour laquelle nous en avons parlé. Je voudrais vous dire en quelques mots ce que nous avons dit.

D'abord, je voudrais souligner la grande convergence de vues entre la Pologne, l'Allemagne et la France sur la crise du Kosovo. Une même condamnation de la politique d'épuration ethnique conduite par les autorités serbes, une même solidarité à l'égard des centaines de milliers de réfugiés et aussi des pays qui les accueillent, qui justifie notre inquiétude, mais qui justifie aussi l'effort d'aide humanitaire qui s'est déjà exprimé de façon très importante. Mais je voudrais souligner que le Président Kwasniewski, a particulièrement mis l'accent, à juste titre, sur la nécessité d'amplifier cet effort humanitaire.

Nous avons ensuite examiné la situation créée par l'accord qui a été réalisé hier. C'est sous la Présidence allemande qu'un pas décisif a été fait. Je voudrais dire qu'une fois de plus, il est nécessaire de rendre un hommage particulier à la présidence allemande, qui a réussi, ce qui n'était pas évident et ce qui n'était pas facile, à convaincre l'ensemble des alliés et les Russes d'adopter, face à la crise du Kosovo, une position commune. Je voudrais à nouveau le souligner et féliciter nos amis allemands. Vous savez comment se présente cet accord, nous y reviendrons le cas échéant si vous le souhaitez.

Je voudrais également saluer la position qu'a prise la Russie dans cette affaire, en adoptant une position commune avec les alliés. La voie est désormais ouverte à l'élaboration d'une résolution du Conseil de sécurité qui reprendra les cinq points, que vous connaissez, que nous adoptons tous intégralement et sans réserve, et qui les reprendra avec toute l'autorité du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. La détermination des alliés, vous le savez, est totale dans la conduite de leur action, et nous l'avons tous les trois approuvée aujourd'hui. Il reste donc au régime de Belgrade à accepter les cinq exigences fondamentales dont la mise en oeuvre peut seule ouvrir la voie à une solution d'ensemble à ce problème.

Au-delà, nous avons confirmé notre accord sur la proposition que nous avions faite à l'occasion du dernier Conseil européen à Bruxelles, et qui concernait l'administration provisoire du Kosovo, assumée, si l'on se met d'accord naturellement, par l'Union européenne. Et nous avons tous les trois, comme l'a fait l'Union européenne, apporté notre soutien sans réserve à la proposition allemande d'une conférence balkanique et d'un pacte de stabilité pour toute la région. J'ajoute que tous les pays de la région ont manifesté l'importance qu'ils attachaient au bon développement de l'initiative allemande, approuvée par l'ensemble de l'Union européenne.

Le Président polonais et le Chancelier allemand me permettront d'ajouter juste un mot, parce que je n'ai pas pu le faire hier, je le dis essentiellement aux journalistes français.

J'ai eu hier un entretien très intéressant avec les équipages des mirages 2000D, de retour de leur base de déploiement en Italie. J'ai pu apprécier à la fois leur motivation et leur professionnalisme, autant les pilotes que les personnels mécaniciens. Et je souhaite que les Français soient conscients des risques que prennent les pilotes alliés, et en particulier les pilotes français, face à la défense antiaérienne de la Serbie. Ils sont les cibles permanentes des tirs venant du sol et ils prennent des risques très grands, et ils les gèrent avec une intelligence et une compétence qui fait que, jusqu'ici, nous n'avons pas eu à déplorer de pertes. Je profite de cette occasion, là je m'adresse aux journalistes français, pour rendre hommage à l'ensemble de nos soldats, aussi bien ceux qui relèvent de l'armée de l'air que ceux qui, en Macédoine et en Albanie, participent à l'assistance humanitaire pour les réfugiés du Kosovo. Ils font tous un travail très remarquable.

LE PRÉSIDENT KWASNIEWSKI -Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, Mesdames et Messieurs,

Tout d'abord, je voudrais vous remercier très cordialement. La ville de Nancy, pour un accueil si chaleureux, et Monsieur le Président Chirac. Je le remercie beaucoup d'avoir choisi Nancy comme lieu du deuxième sommet de Weimar, car j'ai le sentiment d'être un peu privilégié. J'ai entendu de très bons souhaits de la part de Stanislas Leszczynski qui se trouve derrière cette fenêtre, sa statue, c'est aussi un héros de l'histoire de Pologne. Nous sommes rencontrés à ce deuxième sommet, la Pologne pour la première fois comme un membre de l'OTAN, ce qui fait bien sûr que nos entretiens sur les problèmes de sécurité ou du Kosovo sont en même temps, des entretiens du triangle de Weimar, et des alliés de l'OTAN. Je ne peux que dire que les opinions, les appréciations sont convergentes. Je n'ai pas beaucoup à ajouter par rapport à ce que le Président Chirac vient de dire.

Je voudrais néanmoins présenter d'autres questions qui sont pour moi, naturellement, très importantes. Ainsi de la position exprimée par le Chancelier, qui est Président de l'Union européenne actuellement, ainsi que par le Président de la France, à savoir que le processus de l'élargissement de l'Union européenne n'est pas menacé, que les réformes internes institutionnelles de l'Union devraient se terminer vers la fin de l'année 2000, au cours de la présidence française, et que les années les plus proches, ce seront les années de l'adhésion efficace et concrète de nouveaux membres à l'Union. La Pologne veut être prête pour la fin de l'année 2002, je pense que c'est un objectif ambitieux mais réaliste. Ayant un tel soutien de la part de nos partenaires, je pense que nous pouvons le réaliser.

Je trouve aussi que le développement de la coopération dans le cadre du triangle de Weimar accélère et facilite notre adaptation à l'Union européenne. C'est pourquoi, avec satisfaction, nous accueillons le fait que, très régulièrement, ont lieu des sommets au niveau des chefs d'États. Nous avons été invités par le Chancelier au troisième sommet du triangle de Weimar, cette fois-ci en Allemagne. Nous nous réjouissons beaucoup de cette coopération tripartite très étroite dans le domaine des affaires étrangères, dans le domaine des affaires internes, de la justice, de la protection de l'environnement, de la culture, de l'agriculture. Tout cela, chaque année, apporte des effets très concrets, des évènements très concrets du point de vue polonais. Tout cela est indispensable, car cela accélère notre préparation, notre voie vers une pleine adhésion à l'Union européenne, et je pense que le signal qui est transmis de Nancy aujourd'hui, c'est que cette coopération tripartite est non seulement soutenue dans divers domaines, mais aussi développée et approfondie. Nous tenons beaucoup à ce que dans cette coopération ait lieu, aussi, la coopération entre les régions. Pour la Pologne, cela est d'autant plus important qu'à partir du 1er janvier 1999, la structure administrative du pays a changé. Nous avons seize régions et non pas quarante-neuf. Nous voulons que la coopération entre les jeunes se développe, et nous soutenons aussi cette idée de l'Académie européenne, qui fonctionnerait à Varsovie et soutenue par la France et l'Allemagne, serait un lieu de formation des jeunes des pays de l'Europe centrale orientale, à ce que ces jeunes gens puissent après constituer un fondement pour des sociétés civiles, un fondement pour le développement de la démocratie dans leur pays. Je pense que la création d'une telle Académie pourrait avoir des effets positifs pour la création de la stabilité et de la démocratie dans la région de l'Europe centrale et orientale, ainsi qu'une influence sur les Balkans.

En ce qui concerne la sécurité, nous avons parlé aussi de la question suivante : nous avons besoin d'une réforme rapide de l'Organisation des Nations unies. Les dernières expériences indiquent que ce genre de changements vont renforcer la position des Nations unies, lui permettront d'agir d'une façon plus efficace. Cela signifie aussi le changement de la structure de Conseil de sécurité. Tout cela est un défi du moment, la nécessité du moment.

Nous avons parlé aussi de l'importance de l'OSCE, dont le sommet aura lieu à Istanbul en novembre prochain, et la Pologne qui a présidé cette organisation l'année dernière se trouve de plus en plus intéressée à s'intégrer aux activités de prévention, à la solution des problèmes qui interviennent. Il faut donc de nouvelles impulsions, de nouvelles initiatives qui devraient être discutées, justement, au sommet d'Istanbul.

Une fois encore, je réitère mes remerciements pour l'accueil et pour cet entretien très concret, très ouvert que nous avons eu avec Monsieur le Président et avec Monsieur le Chancelier.

Merci beaucoup de votre attention..

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je voudrais adresser mes remerciements à la ville de Nancy et au Président de la République pour leur hospitalité, comme à l'accoutumée. Le Président de la République a parfaitement résumé la teneur de nos propos, je n'ai rien à y ajouter.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, la République de Macédoine se trouve dans une situation assez difficile avec l'afflux des réfugiés. Pour le moment, il y a beaucoup d'aide financière d'urgence qui est promise à la Macédoine, qui s'élève à environ deux cent millions de dollars. Pour le moment, en Macédoine, sont arrivés seulement seize millions de dollars. De l'autre côté aussi les promesses pour l'évacuation des réfugiés de Macédoine ne sont pas tenues, ce qui place le gouvernement macédonien et la population de Macédoine dans une situation un petit peu désespérée. Dernière question, comment peut-on aider ce pays, et également tous ces pays, pour être intégrés vers l'Union européenne ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais dire que la situation de la Macédoine, comme d'ailleurs celle de l'Albanie, est présente tous les jours à l'esprit et au coeur des responsables européens. Il est vrai que notre système fait qu'il y a toujours un délai entre une décision et le moment où elle s'exécute. Nous en sommes bien conscients, nous sommes désolés, nous faisons tout pour accélérer au maximum les choses. Et chacun d'entre nous a eu l'occasion, notamment le Chancelier Schroeder, en sa qualité de Président de l'Union, à la fois d'engager l'Union européenne vers une politique d'aide aussi importante que possible, et qui va aller croissante, et deuxièmement, d'intervenir à maintes reprises auprès de la Commission pour accélérer les versements de ces aides. Tout récemment encore, le Premier ministre français est allé en Macédoine et a été l'objet des mêmes questions.

Donc, nous avons nos difficultés, c'est vrai, mais nous avons une vraie volonté d'apporter une aide aussi importante que nécessaire à la Macédoine. Et je puis vous assurer, mais c'est à la Présidence allemande de le dire plus qu'à moi, je puis vous assurer que nous le ferons.

LE CHANCELIER SCHROEDER - En ce qui concerne l'aide matérielle, sur un plan bilatéral, l'Allemagne a dégagé seize millions de marks, l'Union européenne deux cent cinquante millions d'euros et ces fonds doivent pour une partie être dépensés pour aider les réfugiés arrivant dans la région. Par ailleurs, il s'agit aussi de fonds qui peuvent être utilisés pour une aide budgétaire directe. Ce que le Président vient de faire remarquer est exact, il y a parfois des difficultés pour la mise en oeuvre d'une décision politique de cette nature. Nous devrons à nouveau nous entretenir avec la Commission pour essayer d'accélérer la mise en oeuvre de ces mesures.

En ce qui concerne la question des réfugiés, il est exact qu'en Macédoine, notamment, se posent des problèmes considérables et le gouvernement macédonien, -pas plus tard qu'hier, j'ai téléphoné au Premier ministre macédonien- donc la Macédoine attend une solidarité concrète des États membres de l'Union européenne. En d'autres termes, la majorité des réfugiés doit rester dans cette région, puisque le but est un retour dans leur pays d'origine de ces populations. C'est le sens de toute notre action militaire de permettre aux réfugiés de rentrer chez eux, dans la sécurité et dans la liberté.

Mais les États membres de l'Union européenne ont exprimé leur volonté d'être prêts à accueillir des réfugiés chez eux. L'Allemagne a décidé d'en accueillir dix mille. Dix mille réfugiés sont venus en Allemagne, les ministres de l'Intérieur des Länder ont décidé aujourd'hui d'en accueillir cinq mille de plus, et il y en aura à nouveau cinq mille de plus, parallèlement aux efforts des autres États membres de l'Union. Chacun fait ses efforts à sa manière, mais je suis bien convaincu que tout le monde est bien conscient que cette forme de solidarité concrète, par l'accueil de réfugiés, est nécessaire, en tout cas pour un temps, pas définitivement. Et l'exemple allemand que nous avons voulu délibérément donner, cet exemple devrait faire école. Permettez-moi d'ajouter que le Président américain, qui était à Bonn hier, a déclaré que les États-Unis accueilleraient vingt mille réfugiés. Je suis bien convaincu qu'il veillera à ce que cette décision soit très rapidement suivie d'effets.

QUESTION - Monsieur le Président Chirac, vous vous êtes félicités tout à l'heure des résultats de la réunion du G8, hier à Bonn. Si j'ai bien compris, les Russes et les alliés sont d'accord pour qu'une fois la paix revenue, une présence internationale civile et de sécurité efficace s'installe au Kosovo. Je voudrais vous poser la question ainsi qu'à vos deux collègues : pour vous quelle serait la meilleure composition de cette présence internationale ?

LE PRÉSIDENT - Chaque chose en son temps. La réunion d'hier a conduit à l'acceptation par l'ensemble des parties de la mise en place au Kosovo d'une force. Et alors là, il y a des termes qui ont été diplomatiquement pesés, d'une force civile et de sécurité efficace. N'étant pas personnellement diplomate, je peux me permettre quelques libertés. Cela veut dire une force militaire, n'est-ce pas, chacun l'a bien compris. C'est un grand succès.

Alors, comment sera-t-elle constituée ? Les négociations sont en cours. Il ne m'appartient pas d'en préjuger. Il y aura sans aucun doute les Alliés, les pays de l'OTAN.

Mais je souhaite, et là je n'engage que moi, enfin que la France, je souhaite qu'il y ait également une participation russe, ukrainienne. Autrement dit, nous, Français, souhaitons qu'il y ait un système qui soit un peu de la même nature que la SFOR, la même nature.

LE PRÉSIDENT KWASNIEWSKI - Je pense que la situation est telle que vient de le dire M. le Président. A l'heure actuelle, les négociations se déroulent, c'est très difficile de dire comment sera composée cette force. Je ne peux que présenter la position de la Pologne. S'il le fallait, eh bien, les Polonais sont prêts à participer dans cette force de paix. Notre bataillon, depuis plusieurs années, se trouve en Bosnie, nous avons envoyé une compagnie militaire en mission pacifique en Albanie. Si telle est la solution, la Pologne réalisera une telle tâche.

LE CHANCELIER SCHROEDER - La position allemande recouvre pleinement la position française pour ce qui est des forces militaires de sécurité. Le noyau doit être l'OTAN, mais il est exact que tous les efforts doivent être consentis pour que les deux pays évoqués par le Président, la Russie et l'Ukraine, soient associés à une telle force de sécurité.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, est-ce que l'ensemble de la région, à terme, la région des Balkans, a vocation à entrer dans l'Union européenne ?

LE PRÉSIDENT - Peut-être que le Chancelier, qui est à l'origine du plan de stabilisation et de développement des Balkans, pourrait répondre le premier ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je crois que l'ensemble de la région a besoin d'une perspective européenne. En effet, si nous voulons instaurer une paix durable, il faudra un développement économique et un développement politique qui ne peut suivre qu'une orientation européenne. Alors, qu'est-ce que cela signifie en termes d'étapes concrètes, ce n'est pas défini. Un exemple : tant l'Albanie que la Macédoine ont des accords de coopération avec l'Union européenne. Et il est tout à fait dans la volonté de la France et de l'Allemagne que la Commission, à partir de ces accords de coopération conduise des négociations d'association. C'est une mesure concrète pour que les pays de cette région, notamment les États limitrophes, puissent être rapprochés de l'Europe. Si on se place dans une perspective, la seule réponse à cette question est oui. Si nous voulons la paix dans le sud-est de l'Europe, ces pays ont besoin d'une perspective d'adhésion à moyenne échéance. Sous quelle forme cela se déroulera dans un premier temps et quels seront les calendriers ? Cette question est encore ouverte. D'ailleurs, à la lumière des structures économiques dans ces pays, on ne pourrait pas répondre maintenant à cette question. Mais il faut que la perspective politique soit sans ambiguïté.

LE PRÉSIDENT - La France a exactement le même sentiment que le Chancelier.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, le Président français vient de rendre hommage au résultat du Sommet de Petersberg. Est-ce que ce plan de paix pourra être mis en oeuvre contre la résistance de Belgrade ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Il ne m'appartient pas d'avancer des spéculations sur la question de savoir qui va accepter quoi et quand. Une chose est sure : ce document qui a été approuvé hier représente un progrès substantiel, le Président l'a fait observer, et notamment sur la question de la sécurité militaire pour les réfugiés qui peuvent rentrer chez eux. Il y a eu une grande évolution et c'est là-dessus qu'il faut greffer les choses. La diplomatie, la politique a retrouvé davantage ses droits dans cette région. Nous poursuivons une double stratégie. D'un côté, il s'agit de montrer par l'emploi de moyens militaires que nous avons la volonté de défendre sans concessions les droits de l'Homme, nous avons la volonté de mettre un terme aux persécutions et aux assassinats. Voilà ce qui justifie les mesures militaires. Ce n'est pas une fin en soit, une action militaire. Voilà l'objectif poursuivi.

L'autre volet de cette stratégie, c'est de ne jamais cesser d'essayer d'arriver à une solution politique. Les deux choses sont liées, c'est une stratégie unique. C'était une étape importante, le Petersberg hier. Maintenant il y a les étapes suivantes. Le Président en a déjà parlé tout à l'heure, il s'agira, à partir de ce document convenu, d'arriver à une résolution chapitre sept du Conseil de Sécurité. Ce sera le travail des diplomates, ce sera l'étape suivante. Et j'espère que nous y arriverons rapidement.

QUESTION - Monsieur le Président, c'est aujourd'hui le quatrième anniversaire de votre élection. La France se trouve confrontée à cette affaire Corse, c'est une affaire que vous avez soulignée vous-même comme étant extrêmement grave. Par ailleurs, il y a les élections européennes dans un peu plus d'un mois. Alors, qu'est-ce que vous souhaiteriez formuler comme voeu aujourd'hui ?

LE PRÉSIDENT - Je souhaite le plein succès à la réunion du triangle de Weimar et n'ai pas du tout l'intention de faire de commentaire sur les problèmes strictement intérieurs de notre pays.

QUESTION - Monsieur le Président, si les forces armées polonaises se trouvent dans le cadre des forces de paix au Kosovo, avez-vous déjà une idée sur le nombre de soldats ? Comment serait résolue la situation financière ? Je pose cette question étant donné qu'un des membres du Gouvernement polonais parlait hier de l'envoi des soldats polonais, donc cette question devient plus concrète.

LE PRÉSIDENT KWASNIEWSKI - Je vous propose de ne pas devancer les faits pour l'instant. Hier la proposition a été déposée de la solution du conflit. Aujourd'hui, il faut qu'il y ait des efforts diplomatiques avant que l'on puisse la réaliser. Si les efforts diplomatiques arrivent à leur fin heureuse, il faudra proposer aussi des solutions techniques.

Dans le cadre de ces solutions techniques, il y a un nombre de questions ouvertes, et notamment quelle composition sur ces forces de paix, de qui se composeront-elles, est-ce que la Pologne sera invitée à ce groupe ? Si oui, c'est nous qui allons définir nos possibilités. Ce ne sont pas des possibilités inconnues, nous savons très bien de quoi nous disposons et ensuite ce sera la question des finances, qui doit être assurée dans le cadre de la solidarité internationale.

Je pense que ce qui est aujourd'hui notre force commune à propos du Kosovo, c'est que nous maintenons une solidarité très profonde, très grande, une solidarité internationale.

Autrement, toute action serait impossible. Nous sommes en mesure de prévenir cette catastrophe et de chercher la paix uniquement à condition d'agir non seulement comme alliés mais aussi dans le cadre d'une solidarité internationale très large, très vaste. Cela demande des efforts, une co-responsabilité et des moyens financiers pour l'action humanitaire, pour l'aide aux réfugiés ainsi que pour des activités pacifiques.

Dans l'avenir, je voudrais que cette valeur, que cette solidarité internationale soit maintenue tout au cours de ce processus car on en a besoin pour maintenir la paix au Kosovo.

QUESTION - Monsieur le Président Jacques Chirac, vous venez d'évoquer le concept d'identité européenne de défense. Un Polonais moyen aura du mal a comprendre son sens. Pourriez-vous lui expliquer son besoin profond ?

LE PRÉSIDENT - L'Union européenne se construit, se renforce, approfondit son concept et également s'élargit. Autrement dit, l'Union européenne devient vraiment une très grande puissance, la première sur le plan économique, et une puissance essentielle sur le plan culturel et politique.

Une telle puissance ne peut pas ne pas avoir une capacité de défense qui soit suffisante pour soutenir ses intérêts chaque fois que ceux-ci sont mis en cause quelque part, et c'est ce que nous appelons une identité européenne de défense. Nous avons commencé à travailler et nous pensons qu'après l'euro, la cohésion monétaire, la réforme suivante doit être l'initiative européenne de défense, la capacité européenne de défense, qui ne doit être en aucun cas considérée comme une sorte de rupture ou en opposition avec l'Alliance atlantique, avec l'OTAN. Il s'agit simplement pour l'Europe de disposer d'un système qui -le cas échéant et si elle en a besoin- puisse être mis au service de la défense de ses intérêts communs.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, pouvez-vous imaginer qu'une force de paix soit envoyée au Kosovo sans l'accord de Belgrade ou de Milosevic ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Tout d'abord nous travaillons à l'obtention d'une résolution du conseil de sécurité selon le chapitre sept, c'est la condition préalable à la mise en oeuvre d'une telle force. Ensuite, tout le monde le sait, nous oeuvrons au niveau du secrétaire général de l'ONU ainsi que par beaucoup d'autres activités, songez à la mission Tchernomyrdine par exemple. Donc, à travers tout cela, on cherche à obtenir l'accord de Belgrade. Alors, se hasarder maintenant à des spéculations sur ce qu'il adviendra en cas de refus, cela ne sert à rien et cela ne ferait que saper le travail de Tchernomyrdine, de Monsieur Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, et cela saperait également le travail entrepris par les contacts bilatéraux, par les visites. Et donc on ne peut pas souhaiter qu'il en soit ainsi. Donc, chaque chose en son temps, pour reprendre la formule du Président.

QUESTION - Monsieur le Président Chirac, Monsieur le Chancelier, vous avez parlé du besoin de la participation de la Russie et de l'Ukraine dans ces opérations au Kosovo. Voyez-vous aussi la nécessité de la participation des forces armées polonaises ? Et deuxième question, à vous, Monsieur le Président Chirac, au Sommet de Berlin vous avez dit qu'à Helsinki seront formulées les nouvelles conditions de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne. En quoi devraient-elles consister ? Merci.

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas du tout dit qu'à Helsinki on allait formuler de nouvelles conditions pour l'adhésion de la Pologne. A Helsinki, nous allons examiner les nouvelles candidatures de pays européens qui souhaitent adhérer à l'Union européenne et qui n'ont pas pu le faire encore.

Pour ce qui concerne la participation des forces armées polonaises, elle dépend d'abord de la décision de la Pologne, mais il va de soi que tout ce qui va dans le sens d'un rapprochement entre la Pologne et l'Europe, notamment sur le plan militaire, que d'ailleurs nous avons évoqué longuement ce matin tous les trois, va dans le bon sens et la France y est favorable. Je crois que l'Allemagne également.

LE PRÉSIDENT KWASNIEWSKI - Je voudrais tout juste ajouter un mot à propos de la participation. En ce qui concerne la participation de l'armée on en discutera, mais en ce qui concerne l'Union européenne, je tiens à ajouter une chose. Eh bien, la position du Président qui est exprimée aujourd'hui est très concrète. A Helsinki, on parlera d'un groupe de nouveaux États qui aspirent à adhérer, qui n'ont pas encore été inclus aux négociations. Je vous rappelle que la Pologne a entamé les négociations en novembre dernier, une partie des sujets vient d'être examinée, une partie attend d'être examinée. La Pologne suit cette voie vers l'Union, donc les conditions sont connues et conformément aux bons principes les règles on ne les change pas au cours du jeu et nous nous participons à ce jeu déjà, il n'y a pas de crainte dans ce domaine. Aussi bien la position de Monsieur le Président Chirac que de Monsieur le Chancelier est claire, cette position ouverte est très favorable à la Pologne, je voudrais le souligner très fermement.

LE PRÉSIDENT - Je vous remercie.