CONFERENCE DE PRESSE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE

(ARGENTINE) _______

BUENOS AIRES - MARDI 18 MARS 1997

LE PRESIDENT - J'ai pris un peu de retard qui a été dû à nos entretiens bilatéraux après la superbe et émouvante manifestation que le Président de la Nation avait organisé pour la remise du drapeau que la France a tenu à rendre à l'Argentine.

Je suis heureux de saluer les représentants de la presse française qui m'ont accompagné, qui viennent de loin et également les représentants de la presse argentine dont je sais le tribut qu'avec l'ensemble du peuple argentin, elle a payé pour le retour de ce pays à la démocratie, tout en me réjouissant de la liberté d'expression dont la presse argentine et dont les journalistes argentins bénéficient aujourd'hui, je voulais simplement vous dire que je n'oublie pas le souvenir de votre collègue José Luis Cabezas, récemment assassiné et vers lequel, j'imagine, va également votre pensée.

Nous avons eu des entretiens très intéressants et très approfondis. Avant de vous en dire deux mots, je voudrais dire combien j'ai été sensible à l'accueil qui m'a été réservé ici par le Président, par le Gouvernement, par la mairie de Buenos Aires, par le gouverneur et aussi par l'université. J'y ai été très sensible.

Nous avons évoqué tous les problèmes à la fois bilatéraux et internationaux. Les problèmes internationaux dans la mesure où l'Argentine, grande puissance aujourd'hui, en plein développement économique - et donc politique -, ne peut rien ignorer de ce qui concerne l'évolution du monde, comme la France et comme les grands pays.

Nous avons évoqué les problèmes économiques et bilatéraux. Vous savez que la France est aujourd'hui, depuis cinq ans déjà, le premier investisseur étranger en Argentine, c'est dire l'importance de nos liens qui ne font d'ailleurs que se développer.

Nous avons évoqué les problèmes culturels, avec la conscience de l'importance des liens qui dans ce domaine nous unissent et la volonté qui est la nôtre, non seulement de les préserver, mais de les amplifier.

Voilà, je n'en dirais pas beaucoup plus en introduction, préférant répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser. Je vous donne la parole.

question

- Monsieur le Président, je représente la "Nacion". Comme l'Argentine a été le dernier pays de votre tournée en Amérique du Sud, je voudrais savoir si vous pourriez nous expliquer, en deux ou trois mots, quelles sont vos impressions sur la région où vous vous êtes rendu pour la première fois. Je voudrais savoir, en fait, quelles sont les conclusions que vous tirez de ce voyage, quels sont les principaux éléments pour l'action à venir de la France, en ce qui concerne les pays du MERCOSUR et les pays associés ?

le president

- Je reviens avec une impression forte, et une certitude. L'impression forte, c'est que je dirai que l'année 1989 a été un tournant en Amérique du Sud, comme en Europe. Aujourd'hui, nous avons un ensemble moderne, c'est-à-dire démocratique, un développement économique fort, et conscient de la nécessité de l'intégration régionale, comme en Europe, comme en Asie du Sud-Est, comme dans d'autres endroits. C'est que l'Amérique du Sud et notamment le MERCOSUR et l'Europe, pour des raisons historiques, je ne reviendrai pas dessus, se sont, je ne dirais pas, ignorés parce que leurs liens culturels ne permettaient pas qu'ils s'ignorent, mais ne se sont pas associés dans un effort commun pendant trop longtemps. Et pourtant, tout les y conduit.

Ce qui m'a frappé, c'est de voir l'importance de l'Europe dans l'économie du MERCOSUR. Je rappelle ce que l'on ne sait pas toujours, c'est que l'Union européenne est le premier client du MERCOSUR, le premier fournisseur, le premier investisseur et plus généralement pour l'ensemble de l'Amérique du Sud, le premier donneur d'aide publique au développement et de très loin.

Autrement dit en clair, politiquement, nous n'avons pas eu les relations qui auraient dû exister entre l'Amérique du Sud et notamment le MERCOSUR et l'Europe. En réalité, l'économie s'est imposée et le partenariat s'est noué et s'est développé. L'Union européenne est de loin le premier partenaire du MERCOSUR aujourd'hui sur le plan économique et financier. Cela est une réalité. C'est une réalité dont il faut tirer les conséquences sur le plan politique, et c'est d'autant plus justifié qu'à l'évidence, et on le voit lorsqu'on se parle, le socle culturel, humaniste, latin, qui nous est commun, est resté un socle très solide. La relation entre le MERCOSUR et l'Union européenne, et plus généralement entre l'Amérique du Sud et l'Europe, est une relation qui est destinée inévitablement à se développer sur le plan politique, sur le plan économique, sur le plan culturel et celui de l'éducation.

C'est pourquoi, je me suis réjoui d'avoir vu l'accord des Chefs d'Etat, que j'ai rencontrés, sur la conférence, l'année prochaine, entre les Chefs d'Etat et de Gouvernement des pays d'Amérique du Sud et des pays de l'Europe pour mettre en place ce triple partenariat politique, économique et en matière d'éducation.

question -

Monsieur le Président, au-delà du constat que vous venez de rappeler sur les relations entre l'Europe et l'Amérique latine, quel est l'apport que vous retirez de votre voyage et les conclusions que vous en tirez pour ce voyage qui a été le plus long depuis le début de votre septennat ?

le president

- Autrement dit, en quelque sorte, quel bilan j'en tire. Oui, c'est le voyage le plus long que j'ai fait, puisqu'il a duré huit jours, cela ne pouvait pas durer moins. Je dis tout de suite que j'ai d'ailleurs l'intention l'année prochaine de faire un deuxième voyage pour rendre visite aux pays d'Amérique du Sud où je n'ai pas pu me rendre à l'occasion de cette première visite.

D'abord, j'ai eu le sentiment que la France était de retour et que, de ce point de vue, un voyage comme celui-ci était utile. Il répondait, m'a-t-il semblé, à une vraie attente de la part des responsables économiques et politiques de nos pays et, de ce point de vue, je n'ai pas été déçu. Je tiens à vous dire que j'ai l'intention d'assumer pleinement, et je dirais personnellement, le suivi de mes voyages en général, de celui-ci en particulier, et de ne pas simplement laisser à l'administration le soin de faire ou de ne pas faire, ce à quoi je me suis engagé. Je tiendrai très prochainement une réunion de ministres à l'Elysée pour que ce suivi soit bien organisé.

Ma deuxième observation, c'est que ma proposition de sommet entre l'Europe et l'Amérique du Sud, entre le MERCOSUR et l'Union européenne, pour un triple partenariat politique, économique, et en matière d'éducation, a été acceptée partout, je dirais, avec beaucoup d'enthousiasme. Je rappelle qu'avant de faire cette proposition, j'avais eu l'occasion d'en parler aux responsables européens, notamment au Premier ministre d'Espagne et du Portugal, ainsi d'ailleurs, qu'au Président en exercice de l'Union européenne, le Premier ministre hollandais, M. Wim Kok. Donc, cette initiative, qui me paraît être quelque chose d'historique, a été accueillie partout favorablement

Ma troisième impression, c'est que progressivement, on le voit physiquement, un monde multipolaire est en train de s'organiser. Personne ne peut douter de la puissance que représentera l'Amérique du Sud. Un MERCOSUR inévitablement élargi et qui approfondira ses liens comme l'Europe l'a fait. Un monde multipolaire qui doit être organisé par des relations telles qu'il se développe harmonieusement, sans agressivité au bénéfice de tous. Et ici, on en a beaucoup plus le sentiment.

En Europe, nous avons tellement l'habitude de la construction européenne, de ses problèmes, de ses critiques, de ses enthousiasmes, de sa vie qui est forte et riche, que peut-être, on ne se rend pas tellement bien compte de ce qui se passe à l'extérieur. Mais ici, on voit qu'un pôle important économique et donc politique est en train de se créer, comme on le voit dans l'ASEAN. C'est donc une conviction très profonde que nous avons d'aller dans le sens du développement de ce monde multipolaire. Voilà, si vous voulez, les trois principales impressions que je tire de ce voyage.

question -

Monsieur le Président, bonjour. Bienvenue à notre Argentine. J'espère que vous avez eu des moments très fructueux avec notre Président Carlos Menem et que les relations entre nous seront encore meilleures dans l'avenir pour le développement de nos peuples En tant que Président de l'Association pour les relations internationales du MERCOSUR, je voudrais dire que nous avons l'Organisation mondiale du tourisme à qui nous avons demandé qu'elle cesse toute agression, toute attitude belliqueuse, je dirais. Nous sommes des spécialistes du tourisme, alors vous comprenez, pour nous, lorsqu'il y a des attitudes belliqueuses, c'est très gênant pour pouvoir travailler. Je voudrais dire, en plus, que notre fédération a organisé une réunion et nous avons invité M. Jacques Cousteau. Alors, nous voudrions vous dire qu'il serait bon que vous puissiez intercéder pour que des grandes personnalités, comme le commandant Cousteau, acceptent de venir à Buenos Aires parler écologie, car c'est un sujet qui nous intéresse particulièrement.

le president -

J'en ferai part au commandant Cousteau !

question -

Vous venez de parcourir 22 960 km d'après l'ordinateur de bord de l'Airbus. La nouvelle performance que vous comptez renouveler l'année prochaine se situera-t-elle dans tous les pays d'Amérique latine ?

le president -

Oui, oui, chère Caroline

question -

Monsieur le Président, quelles sont les relations que vous avez avec l'Association latino-américaine de libres-échanges ? C'est un groupe qui existe en Amérique latine. Est-ce que l'ALCA a un soutien de la part de l'Europe ? Est-ce que l'ALCA a un avenir dans le monde à l'heure actuelle ?

le president

- Il n'y a pas d'organisation, il y a des pourparlers préliminaires. Il s'agit, en réalité, de prolonger l'ALENA, ce que vous appelez, je crois, le NAFTA, jusqu'en Argentine et au Chili. Nous n'avons pas de relations particulières puisque cela n'existe pas encore. Je comprends parfaitement l'intérêt de ce processus. Je me réjouis de tout processus qui permet de créer des liens économiques et donc politiques entre les peuples. Simplement, je crois qu'aujourd'hui l'importance prise par les pays de l'Amérique latine, le dynamisme et la force du MERCOSUR, ne permettent pas à ces pays de s'enfermer dans un système régional fermé. Le MERCOSUR a vocation à être mondial donc il doit développer sa relation Nord-Sud et il doit développer sa relation Est-Ouest.

question -

Quels sont les plans d'investissements français futurs en Argentine et au MERCOSUR ?

LE PRESIDENT

- C'est un peu long à développer. Vous savez que la France, depuis 1991, est le premier investisseur du monde en Argentine. C'est dire que les investissements touchent un nombre considérable de secteurs et nous souhaitons continuer à développer, notamment dans le cadre de la privatisation d'un certain nombre d'entreprises, nos investissements en Argentine. Autrement dit, la France a confiance dans l'Argentine, dans sa capacité de développement, dans la sagesse de sa gestion et donc elle s'investit massivement. Je le répète, depuis cinq ans maintenant, nous sommes le premier investisseur mondial en Argentine.

question -

J'aimerais savoir si, avec le Président de la nation, M. Carlos Menem, vous avez parlé de la possibilité de lancer un processus qui permettrait de stabiliser un peu la balance commerciale entre la France et l'Argentine, car celle-ci à l'heure actuelle est véritablement favorable à la France.

le president -

C'est tout à fait exact, et nous en avons parlé naturellement. Je suis moi-même favorable dans les échanges internationaux, dans toute la mesure du possible, à l'équilibre. Mais je voudrais quand même rappeler que, si en termes commerciaux, la balance est favorable à la France, en termes financiers, la balance est favorable à l'Argentine. Alors tout cela doit évoluer normalement. Ce qui est important, c'est d'augmenter sans cesse nos échanges.

question -

Pour revenir sur le bilan, je suppose que le bilan d'un voyage comme cela se fait sur plusieurs mois, peut être plusieurs années. Sur quels critères jugerez-vous que ce voyage a été une réussite, un succès ?

LE PRESIDENT -

Sur trois critères simples. Est-ce que nos relations économiques et financières se seront développées ? Nous le jugerons dans les mois qui viennent. Je crois pouvoir dire, dès maintenant, que ce sera le cas. Mais enfin, ceci demande à être naturellement confirmé. Sur un critère politique, est-ce que le sommet que j'ai proposé sera une réussite ? Il permettra un renforcement important des liens entre nos deux grands ensembles. Et puis sur un critère culturel, et notamment sur mes propositions en matière de coopération pour l'éducation, est-ce que nous aurons, ou non, fait des progrès ? Eh bien cela, nous pourrons le voir d'ici un an ou un an et demi.

question -

Monsieur le Président, je voudrais savoir quels ont été les axes essentiels de votre réunion de travail avec le Président Menem. Avez-vous évoqué les problèmes qui dérivent de la politique agricole européenne, pas les problèmes de subventions, mais les problèmes d'ouverture des marchés aux produits de l'agriculture et de l'élevage, car ce sont des problèmes qui intéressent beaucoup l'Argentine et l'Uruguay. Alors, en avez-vous parlé ? Avez-vous des propositions à cet égard pour résoudre les problèmes ?

le president -

Nous avons évoqué, hier, les problèmes internationaux et, aujourd'hui, les problèmes bilatéraux. Parmi les problèmes bilatéraux, nous avons notamment évoqué les problèmes d'organisation des marchés agricoles. Je ne voudrais pas redévelopper ce point, mais j'ai observé qu'il y avait beaucoup de malentendus ou d'affirmations qui reposaient sur des réalités qui ont beaucoup évolué. Je souhaite que nous puissions, entre le MERCOSUR et l'Union européenne, engager une réflexion. Ne serait-ce que pour savoir de quoi on parle. Ce qui serait déjà un progrès considérable.

Nous avons également évoqué bien d'autres problèmes, en particulier en matière de politique étrangère et notamment la réforme de l'ONU, et aussi, l'action commune que l'Argentine et la France pourraient avoir pour faciliter le processus de paix au Moyen-Orient. C'est un problème sur lequel nous avons, je dirais, la même analyse, et nous avons décidé d'associer nos réflexions pour essayer de faire progresser dans le bon sens le processus de paix.

question -

Des trois Présidents qui se sont rendus en Argentine, vous êtes le premier qui le fait au début de son mandat. Les Argentins disent, maintenant, la France ne nous oublie pas. Mais avez-vous parlé, durant votre séjour, du capitaine Astiz et de la disparition de Léodid Boudké et d'Alice Dumond ?

le president -

C'est un sujet qui m'a profondément bouleversé et sur lequel j'étais intervenu à bien des reprises. Naturellement, mon voeu était que cet assassin puisse purger la peine à laquelle il a été condamné en France. Mais, bien entendu, il y a une loi et une justice en Argentine. Et je respecte la loi et la justice argentine. Mais je regrette profondément que cet assassin n'ait pas été sanctionné.

Je vous remercie.