POINT DE PRESSE CONJOINT

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC,

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

ET

DE MONSIEUR LIONEL JOSPIN,

PREMIER MINISTRE

***

AMSTERDAM

MARDI 17 JUIN 1997

le president -

Mesdames, Messieurs, à l'origine nous devions faire une conférence de presse en fin d'après-midi à l'issue des travaux. Les travaux ne sont pas terminés, et nous avons considéré qu'il était plus convenable à votre égard de faire un point, même si nous ne pouvons pas conclure, ni préjuger des conclusions, qui ne devraient aboutir, à mon avis, que tard dans la nuit ; à Quinze, c'est toujours très long. Alors, ce Sommet d'Amsterdam avait en réalité un double enjeu : celui qui concerne la monnaie unique et les modalités de mise en oeuvre, et celui qui concerne la Conférence intergouvernementale.

En ce qui concerne l'euro, l'Europe des Quinze aujourd'hui et élargie demain a besoin d'une monnaie à la fois forte, crédible et qui inspire confiance. Elle a besoin d'une monnaie qui puisse faire face à la monnaie dominante d'aujourd'hui, c'est-à-dire le dollar, ce sont nos intérêts financiers et commerciaux et donc économiques qui sont en jeu. Mais naturellement, la mise en oeuvre de cette monnaie, qui est dans l'intérêt de chacun des pays, et notamment dans l'intérêt de la France, notamment parce que la France, vous le savez, est un très gros exportateur mondial, naturellement, l'intérêt de cette monnaie passe aussi par la croissance, l'emploi, le progrès social. Nous avons en Europe de ce point de vue une tradition que nous entendons maintenir, même si nous connaissons une crise qui se traduit par le chômage et la mise en cause de notre système de progrès et de modèle social.

Alors, dans cette situation, plusieurs mesures ont été décidées : d'abord, naturellement pour que la monnaie soit forte et crédible, il faut qu'elle soit stable, d'où le Pacte de stabilité ; pour qu'elle réponde aux exigences sociales aussi bien en terme d'emploi qu'en terme de progrès, il faut qu'elle soit inscrite dans un ensemble dynamique sur le plan social, d'où les mesures concernant la croissance et l'emploi et le progrès social, et c'est ce qui a fait l'objet des deux décisions hier, prises après un travail important réalisé par les ministres de l'Economie et des finances, et qui s'inscrit d'ailleurs dans le droit fil d'une tradition française ou d'un désir français que soient prises en cause les exigences sociales par rapport aux exigences monétaires. Ces deux résolutions ont donc été adoptées hier - le Pacte de stabilité et la résolution sociale - sous un chapeau de présentation commun marquant qu'il s'agit là d'une inspiration unique, d'une inspiration communautaire.

J'ajoute qu'a été adopté également, je le dis parce que cela nous a coûté très cher, notamment en 1993, le système monétaire européen bis qui évitera les dévaluations compétitives de pays qui n'entreraient pas immédiatement dans la monnaie unique.

Voilà, si vous voulez, le premier enjeu de ce Sommet, enjeu ou défi qui a été relevé de façon, je crois qu'on peut le dire, satisfaisante et qui nous permet de confirmer ce que chacun sait, mais qui doit être en principe en permanence réaffirmé, c'est-à-dire notre volonté claire et déterminée de faire en sorte qu'en respectant notre modèle social, en assumant notre volonté de lutter contre le chômage et de favoriser la croissance, nous puissions, dans les conditions prévues par le Traité, et à la date prévue par le Traité, entrer dans la monnaie unique.

Le deuxième enjeu concerne la Conférence intergouvernementale. Nous aurons probablement l'occasion, peut-être notamment avec quelques uns d'entre vous cette nuit, si cela ne se termine pas trop tard, de conclure. Nous progressons, c'est difficile, parce qu'à Quinze les choses sont difficiles. Chaque pays a ses traditions, sa culture, sa constitution, ses priorités, ses craintes, et donc il faut tenir compte de tout cela et quand quinze chefs d'Etat ou de Gouvernement doivent prendre la parole sur le même sujet, naturellement cela prend du temps, plus que lorsque nous étions moins nombreux.

Néanmoins, les progrès se font, d'une part en ce qui concerne une Europe qui associe la liberté, la sécurité et la justice, avec le transfert de certaines matières dans la compétence communautaire, vous la connaissez tous, je ne m'étendrai pas. Les progrès se font pour une Europe plus proche des citoyens, et notamment l'intégration du Protocole social est évidemment quelque chose d'important.

Une politique étrangère qui sera, je le pense, plus cohérente, et je me réjouis en particulier que les propositions faites à l'origine par la France d'institution de ce que l'on a appelé un "Monsieur PESC", c'est-à-dire une personnalité européenne chargée de suivre les problèmes de politique étrangère et de sécurité commune, aient été adoptées et que la création d'un secrétaire général, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, ait été décidée.

Nous allons discuter ce soir de la rénovation de nos institutions, c'est un des problèmes les plus difficiles, et là je ne me hasarderai pas à faire des pronostics, parce que la discussion va commencer dans quelques minutes. Nous avons pratiquement la certitude, je le pense, sauf difficulté de dernière heure, de pouvoir avoir ce que nous appelons les coopérations renforcées, c'est-à-dire la possibilité, sans pouvoir être bloqués, pour certains pays à l'intérieur de la Communauté, d'aller plus vite et plus loin dans certains domaines.

Nous avons obtenu satisfaction, et c'était pour nous très important pour nos départements et territoires d'outre-mer.

Enfin, nous avons pu faire admettre que le Sommet ne pouvait pas ne pas se prononcer sur la nécessité de reprendre le processus de paix au Moyen-Orient.

Voilà en gros ce qui s'est passé avant que nous ne répondions à vos questions, mais peut-être le Premier ministre souhaitera-t-il compléter mes informations dans ce domaine.

le premier ministre -

Je vous remercie, Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs, j'ai peu de choses à ajouter à ce que vient de dire le Président de la République.

D'abord, je me réjouis de participer à mon premier sommet européen, aux côtés du Président de la République pour ce qui concerne la représentation de la France, et au contact avec mes pairs, les Premiers ministres ou chefs de Gouvernement de l'Union européenne.

Ensuite, le Président de la République a tracé les deux grands axes qui ont structuré les débats de ce Sommet, autour de la troisième phase de l'Union économique et monétaire d'une part, et autour de la Conférence intergouvernementale d'autre part. En ce qui concerne le premier point, nous avons souhaité, dans le respect des engagements de la France et de la parole donnée par la France, donnée par le Président de la République et à laquelle légitimement il tenait, en ce qui concerne le Pacte de stabilité, dans les espaces qui nous étaient donnés et dans le temps bref dont nous avons disposé après la formation du nouveau gouvernement, peut-être sinon faire surgir, en tout cas, insister davantage sur un certain nombre d'exigences que le Président de la République vient de rappeler, et qui tournent autour de deux grandes préoccupations : les unes qui touchent à l'équilibre et à la monnaie, et les autres qui touchent à la croissance, à la lutte pour l'emploi et à l'utilité de la concertation des politiques économiques. Et nous l'avons fait autour de thèmes auxquels le Président de la République était sensible, mais que les derniers jours nous ont permis de faire avancer. De faire avancer, en accord avec le Président de la République, et de faire avancer par la concertation, parfois même par la négociation avec nos partenaires, comme il convient de le faire dans le cadre communautaire. Voilà donc l'essentiel en ce qui concerne le premier point, et vous êtes juges librement de la façon dont ces espaces nouveaux, ces exigences nouvelles, ont pu être pris en compte grâce à l'amitié de nos partenaire, mais sans doute grâce au fait que eux-mêmes considèrent que ces problèmes sont essentiels dans une Union européenne qui compte 18 millions de chômeurs.

Sur le deuxième point de la Conférence intergouvernementale, nous nous sommes inscrits dans la continuité des positions préparées par la France et exprimées là aussi par la voix du Président de la République dans ce Sommet, dans une discussion qui est encore en cours, selon des positions relativement traditionnelles, compte tenu de ce qu'était l'état d'avancement de ce dossier de la Conférence intergouvernementale, qui après tout visait à mettre les institutions et le processus de décision de l'Union européenne en bon état de marche avant l'élargissement, il est trop tôt pour dire si ce but va être atteint, mais en tout cas, c'est dans le cadre de positions préparées par le précédent gouvernement que pour l'essentiel nous avons inscrit notre démarche.

question -

Nous vous avons beaucoup observé pendant la préparation de ce sommet, notamment dans la discussion qui a eu lieu avec nos partenaires allemands sur le complément apporté au Pacte de stabilité, et je crois qu'il a semblé à beaucoup, avec un peu d'étonnement d'ailleurs, que vous vous êtes très bien accommodé de votre nouveau gouvernement, au point, parfois, de donner le sentiment d'arriver à faire avec lui ce que vous ne parveniez pas à faire avec le précédent. Confirmeriez-vous ? Infirmeriez-vous ce sentiment ?

le president

- La requête, ferme, du Premier ministre et du Gouvernement dans le domaine de la croissance de l'emploi et du progrès social, donc de la coordination des politiques économiques, était pour moi un souci déjà ancien. Je rappelle que c'est au mois de mars 1996 que j'ai pris l'initiative de déposer un mémorandum sur le modèle social européen et qui, petit à petit, a fait également son chemin. Donc, la préoccupation du gouvernement s'intégrait parfaitement dans la mienne, c'est-à-dire la préoccupation totale de la France qui, sur ce point, je crois qu'on peut le dire, en tous les cas chez ses responsables, est unanime, pour que soit davantage pris en compte l'aspect humain de la construction européenne.

J'ai souvent l'occasion de le dire, il y a quelque chose qui ne va pas, lorsqu'on s'aperçoit que l'Europe est la région du monde où la croissance est la plus faible du monde entier et une région où, contrairement à une vieille tradition maintenant, la pauvreté s'accroît avec tout ce que cela comporte en liaison avec le chômage naturellement, comme dysfonctionnements sociaux et comme conséquences psychologiques. Donc, l'idée qu'il fallait aller, qu'il fallait marquer une inflexion, est une idée qui s'imposait. Alors, l'occasion du changement de gouvernement a été sans aucun doute une bonne occasion et a montré à nos partenaires que, vraiment, il y avait une continuité dans la volonté française et un vrai problème. Nous n'avons pas eu de difficulté.

question

- Je voudrais poser à Monsieur le Premier ministre un peu la même question. A Poitiers, vous aviez dit que la cohabitation, ce n'est pas la fusion. Alors, pardonnez-moi de le dire comme cela, mais n'avez-vous pas, même dans les affaires européennes, un peu le sentiment d'une forme de récupération ?

LE PRESIDENT

- Je voudrais vous rappeler que nous sommes ici en Hollande et qu'il n'est pas dans les traditions françaises d'évoquer les problèmes de politique intérieure française quand on est à l'étranger. Je voulais simplement le dire à tout le monde.

le premier ministre

- Ca va rendre ma réponse plus brève, Monsieur le Président de la République. Néanmoins, vous vous rappellerez qu'à Poitiers cette question a été posée dans le rapport entre la France et l'Allemagne, et également à l'intérieur. Donc, on avait interrogé le Chancelier, puis le Président de la République, c'était, me semble-t-il, dans cet ordre, et moi-même sur, à la fois les rapports entre la France et l'Allemagne, cette forme de cohabitation à laquelle nous sommes très attachés, vous le savez, et puis, aussi, la cohabitation, la coexistence institutionnelle en France. C'est dans ce cadre que j'avais fait une remarque de bon sens qui avait été ressentie comme telle : j'avais dit pour cohabiter, il ne faut pas être dans la fusion. Ca me parait une évidence. Si on est dans la fusion, on n'a pas à cohabiter. Donc cette réponse qui valait à Poitiers, me paraît valoir à Amsterdam surtout, dans la mesure où je suis de l'avis du Président de la République et je l'ai toujours pratiqué, et les journalistes qui me connaissent le savent, je fais rarement des commentaires sur la vie politique française depuis un pays étranger, fut-il aussi ami que le sont les Pays-Bas. Mais sur le fond des questions que nous avons abordées, si vous voulez m'interroger, si le Président de la République y consent, je répondrai. Mais pour moi, les problèmes de la cohabitation ne sont pas l'objet d'un débat. Et le fait que la France doive s'exprimer d'une seule voix dans les discussions internationales, est pour moi une donnée de départ. Donc, à partir de ce moment-là, ce n'est certainement pas des thèmes où dans les mois qui viennent, vous m'entendrez faire beaucoup de commentaires. Par contre, j'agirai dans la fonction qui est la mienne.

LE PRESIDENT

- En un mot, ce n'est pas la fusion mais ce n'est pas non plus la fission.

question

- Monsieur le Président, est-ce que vos partenaires européens partagent la même analyse et inquiétude sur le Proche-Orient et surtout en vue du désengagement américain ?

LE PRESIDENT

- Je crois qu'on peut dire cela. Oui.

question

- Je voudrais poser une question à Monsieur le Premier ministre. Ce matin, un de vos ministres a dit que peut-être - c'était la première fois qu'un membre du gouvernement disait, laissait planer un doute en tout cas - que peut-être la France pourrait ne pas décider d'entrer dans l'euro l'année prochaine ? Est-ce que c'est une nouvelle orientation ? Comment interprétez-vous ses propos ?

LE PREMIER MINISTRE -

Remarque de méthode, je ne pense pas qu'il soit nécessaire que je commente telle ou telle déclaration de tel ou tel ministre. Je ne pense pas que ce soit mon rôle. Deuxièmement, je ne suis pas sûr que c'est exactement ce qui a été dit si on prend la globalité des propos ce matin, mais on peut tirer une partie dans un sens. Et troisièmement surtout, parce que j'avais dit que je répondrais sur les problèmes de fond. Le gouvernement est profondément attaché à la monnaie unique. Je suis profondément attaché à la monnaie unique pour des raisons qui tiennent aussi bien à l'organisation de l'Europe et à la maîtrise par l'Europe de son avenir monétaire - je parle du plan interne - que pour des raisons, comme l'a dit d'ailleurs le Président de la République à l'instant, qui tiennent à des réalités extérieures ou internationales. J'ai toujours pensé que l'euro était une des façons d'affirmer, sur le plan monétaire et financier, la force de l'Europe et peut-être pouvait constituer une étape vers la reconstruction d'un système international digne de ce nom qui, je crois, est nécessaire à la stabilité des relations économiques mondiales. Donc c'est pour moi un engagement de fond, pas simplement parce que la parole de la France a été engagée, et avant même l'actuelle Présidence bien sûr, mais parce que c'est ma conviction. C'est donc l'orientation du gouvernement, et dans ce sens, je suis, dans des conditions que j'ai évoquées dans le débat politique, totalement favorable à la réalisation de la monnaie unique et à la réalisation de la monnaie unique à sa date.

le president

- C'est une dernière question parce que nous allons avoir des problèmes avec nos partenaires.

question

- Monsieur le Président, vous allez demain rencontrer M. MOUBARAK à Paris. Qu'allez-vous lui dire concernant la résolution sur le Proche-Orient qui devrait être adoptée aujourd'hui ?

le president

- Je la lui transmettrai et je pense qu'il sera satisfait que l'Europe, à l'initiative de la France, se soit prononcée pour la reprise du processus de paix et pour soutenir sa propre action.

Je crois que nous allons peut-être nous arrêter parce que nous sommes obligés de remonter en séance. On nous attend.

Je vous remercie.