MESSAGE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DE LA PREMIERE CONFERENCE DU RESEAU "EUROGOLFE", CONSACREE AUX PERSPECTIVES COMPAREES ENTRE LES PAYS DU GOLFE ET L'EUROPE

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ABOU DABI – 17-18 AVRIL 2004

Majestés, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs, Chers amis,

C'est avec un grand plaisir que je m'adresse à vous aujourd'hui, à l'occasion de cette première conférence du réseau "Eurogolfe", dont l'initiative me paraît particulièrement opportune. En abordant le thème des relations entre les pays du Golfe et l’Europe, et celui de la construction de notre avenir commun, cette conférence contribue éminemment au rapprochement entre les cultures que la France appelle sans cesse de ses voeux.

Aux tenants d'une vision simplificatrice du monde, qui ne peut déboucher que sur l'incompréhension et la confrontation stérile, nous devons en effet opposer une autre voie : celle des réponses nuancées et d'un dialogue fondé sur l'égale dignité de toutes les cultures, sur la reconnaissance de la diversité, sur le respect de l'autre.

La France et l’Europe, par leur géographie, par leur histoire, par leur culture, fécondée par des siècles de découvertes et d’échanges avec le monde musulman en particulier, ont une vocation particulière dans ce dialogue avec le monde arabe.

Les pays du Golfe, de leur coté, chacun avec ses spécificités, peuvent se prévaloir d’une prospérité économique qui leur a permis de réaliser d’immenses progrès. Mais ils sont aussi confrontés aujourd’hui à la mondialisation, qui impose à tous des transformations profondes. Conscients de la nécessité de s’adapter à un monde en constante évolution, ils savent que des réformes sont nécessaires, aussi bien sur le plan économique, que sur le plan politique. Je salue ici les efforts déjà entrepris - ouvertures démocratiques, conseils et parlements, participation des femmes à la vie publique - et que nous avons à coeur, en France comme en Europe, d’accompagner, au plus près des aspirations de chacun.

Dans le cadre de l’accord qui unit depuis 1988, l’Union européenne (UE) et le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG), notre relation s’est pour l’instant concentrée sur les aspects économiques. La signature d’un accord de libre échange, que nous souhaitons prochaine, sera l’étape suivante. Mais il faut maintenant aller de l’avant, élargir cette relation. C’est le sens du renforcement du dialogue politique UE – CCEAG que nous appelons de nos voeux.

L’Europe a tant à partager avec le monde arabe ! Parce que son modèle social, en conjuguant prospérité et solidarité, peut inspirer les sociétés arabes qui aspirent au développement dans la fidélité à leur culture ; parce que l’unité européenne démontre chaque jour qu’un millénaire d’affrontements peut, par la force de la volonté, le céder à l’aventure commune ; parce qu'enfin, l'Europe n'a pour ambition ni de dominer ni de dire ce qui est bien, mais seulement de promouvoir le progrès de l’homme dans le respect de son identité.

En rapprochant l’Europe et les pays arabes, en les faisant travailler toujours plus étroitement, nous établirons un vaste espace d’échanges au profit de toute la région. Nous susciterons une dynamique de coopération et de croissance. Nous permettrons aux intellectuels, aux penseurs et aux institutions des deux sociétés, de se côtoyer et de se féconder mutuellement.

Les pays du Golfe sont trop peu connus en Europe. Cela doit changer : nos concitoyens ne connaissent pas assez, loin s'en faut, la diversité de vos économies, la qualité de vos élites, la profondeur de vos histoires millénaires et singulières. Nous devons rompre avec cet isolement de la pensée. Votre réunion y contribue de façon éminente.

Vous savez combien la France est attachée à la consolidation d’un monde multipolaire, fondé davantage sur le dialogue et sur l’action collective. C’est pourquoi je tiens à vous renouveler ici l’importance qu'elle accorde à votre région.

Ne nous leurrons pas, le travail qui nous attend est immense, car les défis le sont aussi : votre région est confrontée à des crises sérieuses. Le choc du 11 septembre et de la guerre en Iraq ont affecté tous vos pays ; la crise israélo-palestinienne reste un sujet de frustration pour tous. Vous devez trouver aujourd’hui les moyens de conjuguer besoin de sécurité et participation à la mondialisation, dans le respect de vos identités.

Les obstacles, les crises, les conflits, la persistance de la violence, la tentation du repli et les crispations identitaires, ne doivent pas nous arrêter. Ils sont autant de raisons de poursuivre notre rapprochement, de nous engager davantage au service de la paix. Ils sont autant de raisons aussi, pour l'Union européenne, de conforter sa politique extérieure commune afin de jouer tout son rôle dans la région.

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Chers amis,

Abou Dabi, où vous vous trouvez, est l'un de ces lieux où l'Orient et l'Europe se rencontrent. Avec une sagesse, une clairvoyance et une persévérance que tous admirent, Cheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan a su développer les Emirats Arabes Unis et en faire un modèle de prospérité, d’équilibre et de développement. Le monde est global.

Nous rencontrons les mêmes défis. Il nous appartient de surmonter ensemble les dangers sur lesquels cherchent à s’appuyer les extrémistes de tout bord pour attiser l’affrontement. Votre rencontre sera l’occasion, j’en suis sûr, d’apporter à ce destin commun sa part de connaissances approfondies de la région et de fécondation des échanges intellectuels.

Je m'en réjouis et je félicite de nouveau le Professeur Gilles Kepel et son jeune et actif réseau Eurogolfe, qui a organisé ce colloque, avec l’objectif de lancer les synergies et les coopérations qui sont en elles-mêmes porteuses de civilisation, d’esquisser de nouvelles pistes pour l’avenir et de réfléchir courageusement aux moyens de faire progresser la coopération et la paix. Je souhaite plein succès à vos travaux.

Jacques CHIRAC