INTERVIEW CONJOINTE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

ET DU CHANCELIER SCHROEDER

A LA Z.D.F.

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HANOVRE - ALLEMAGNE

DIMANCHE 25 JUIN 2000

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, Bonsoir.

LE PRESIDENT - Bonsoir et merci de votre accueil

QUESTION - Monsieur le Président, que voulez-vous réaliser pendant la Présidence française, avec votre partenaire Gerhard Schröder ?

LE PRESIDENT - Pour moi l'Europe, c'est la paix, l'enracinement de la démocratie, le progrès économique et social. Cela consiste aussi à relever un grand défi, qui est l'élargissement, et il faut faire tout cela sans s'arrêter, il faut être ambitieux pour l'Europe. Mon ambition, ce à quoi je suis résolu, c'est, grâce à l'entente et à l'amitié franco-allemande, à ce moteur franco-allemand, de progresser et de poursuivre cette grande aventure européenne.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, votre ministre des Affaires étrangères, Monsieur Fischer, a fait un certain nombre de propositions concrètes pour l'Europe. Il pense que l'Europe ne pourra avancer que s'il y a un noyau dur d'Etats qui avancent et avec leur dynamisme, pour ainsi dire, entraînent les autres Etats. Est-ce que c'est ce que vous voulez faire aussi, Monsieur le chancelier ?

CHANCELIER SCHROEDER - Je pense que c'est une vision qui peut nous faire avancer. Il faut que nous le fassions pas à pas, il y a déjà des pays dans l'Europe qui sont allés plus vite que les autres, pensez par exemple aux pays ayant adopté l'euro et aux pays qui n'y sont pas, tous sont dans l'Europe des 15 mais douze ont adopté l'euro comme monnaie commune. Et ça c'est quelque chose qui est un peu plus d'Europe que lorsqu'on ne fait pas partie de la communauté de l'euro. Donc ce n'est pas quelque chose qui est tout à fait nouveau. Mais, comme le Président l'a dit, le défi véritable qui se pose à nous, c'est l'élargissement.

QUESTION - Monsieur le Président, en ce qui concerne la vision de Monsieur le ministre Fischer, il parle déjà d'un gouvernement européen, d'une élection au suffrage universel du président européen, est-ce que vous croyez que la France est vraiment prête à donner encore plus de compétences à Bruxelles ?

LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord dire que nous avons beaucoup apprécié l'intervention du vice-Chancelier allemand. Elle est arrivée au bon moment, pour poser un vrai problème, et elle a proposé des solutions concrètes. Nous sommes nous-mêmes convaincus, comme l'a dit le Chancelier, qu'il sera nécessaire, comme pour la monnaie, comme pour Schengen, pour Airbus ou Ariane, qu'il y ait des pays qui puissent donner l'élan dans certains domaines, ensemble. C'est ce que propose M. Fischer. Pour le détail, nous sommes tout à fait prêts à discuter les solutions qu'il évoque. Vous aurez noté qu'il laisse une part importante à la discussion sur tous les sujets.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, beaucoup disent que vous avez déjà plus ou moins trouvé un accord avec Monsieur le Président Chirac sur le fait que l'Allemagne pourrait avoir plus de voix dans le conseil des ministres, par rapport à sa puissance démographique ?

CHANCELIER SCHROEDER - C'est l'un des sujets qui pourraient être abordés lors de la Présidence française et peut-être qu'il y aura une décision à Nice, en décembre. Je suis sûr qu'à Nice nous aurons un grand succès lors de la Présidence française, et je pense qu'en ce qui concerne la pondération des voix dont vous avez parlé entre la France et l'Allemagne, ce n'est pas une question qui divise la France et l'Allemagne, ce n'est pas tellement une question mathématique, mais une question plutôt politique. Et je pense que c'est comme ça que nous allons traiter cette question. Et c'est là-dessus que je suis vraiment d'accord avec le Président Chirac. Ce qui est important c'est la politique et non pas les mathématiques. La France et l'Allemagne n'auront pas de divergence.

LE PRESIDENT - De toute façon, ce ne sera pas un problème entre nous.

QUESTION - Peut-être avec d'autres. Mais pensez-vous aussi, Monsieur le Chancelier, que l'Union pourra mieux fonctionner lorsqu'il n'y aura plus seulement la règle de l'unanimité mais aussi la majorité? Mais cela signifiera peut-être que l'Allemagne ne pourra plus faire passer son opinion ?

CHANCELIER SCHROEDER - Je ne pense pas que les grands Etats pourront être dominés par les petits Etats. Je ne pense pas que cela sera le cas. Mais, bien sûr, il faut qu'il y ait la possibilité qu'un pays seul ne puisse pas faire passer son opinion et qu'une majorité en décide autrement. Je pense qu'il faut que nous puissions avoir plus de décisions à la majorité. C'est quelque chose qui est très important et qui a déjà été discuté, et qui est pratiquement acquis en Europe.

QUESTION - Cela pourrait-il signifier que l'Allemagne pourrait perdre de sa position dans les questions financières ?

CHANCELIER SCHROEDER - Je ne pense pas qu'il faille craindre quoi que ce soit. L'Allemagne a une part très importante à la création de l'Europe et évidemment aussi un apport financier important dans l'Europe, mais nous sommes pour un développement des décisions à prendre à la majorité, surtout dans une Europe qui va s'élargir, qui va s'agrandir, de façon à ce que l'Europe puisse continuer à fonctionner, il faut que nous en arrivions là. Mais nous continuerons toujours à discuter avec la France et toujours à coopérer avec la France sur les questions importantes, et pratiquement il n'y aura pas de divergence, j'en suis sûr.

QUESTION - Monsieur le Président, quels sont les défis les plus importants pour la France dans le cadre de ces réformes au sein de l'Europe ?

LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord revenir d'un mot sur cette affaire de décision à la majorité ou à l'unanimité, car bien souvent on comprend mal ces choses. La décision à la majorité peut être présentée comme l'obligation pour des pays de faire quelque chose qu'ils ne veulent pas faire. Mais il faut comprendre que le vote à l'unanimité pose également un problème majeur. cela veut dire qu'un seul pays, quelles qu'en soient les raisons, peut empêcher tous les autres d'atteindre un objectif qu'ils veulent atteindre. Ce n'est pas non plus une gestion raisonnable des choses, ce n'est pas solidaire. De toutes façons, vous le savez, il y a pour les pays européens depuis le compromis de Luxembourg, une possibilité, lorsque leurs intérêts fondamentaux sont en cause de discuter de ces choses. Vous me demandez quels sont les grands défis ? Le premier c'est d'éviter que l'Europe ne tombe, je dirais, un peu en panne. Il y a un risque. Nos institutions marchaient bien pour 6, 10, 15. L'élargissement, qui est un grand défi, qui consiste à enraciner la paix et la démocratie dans toute l'Europe, va rendre cette gestion beaucoup plus difficile. Ma priorité c'est de relever ce défi et donc de trouver le moyen d'aller de l'avant pour la construction européenne. Je suis résolu à le faire. Et avec le moteur franco-allemand, nous le ferons.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé de l'élargissement qui est une question très difficile. Concrètement, quand est-ce que la Pologne deviendra membre de l'Union ?

LE PRESIDENT - Ce n'est pas une décision politique. Devenir membre de l'Union, c'est avoir fait tous les progrès, les réformes nécessaires, adopter les règles du jeu pour entrer dans le club. Si toutes les réformes n'ont pas été faites, alors le résultat est très mauvais pour le pays candidat, et peut avoir des conséquences politiques graves pour l'Union. Donc je ne peux pas répondre à cette question autrement qu'en disant : le plus vite possible, dès que la Pologne sera prête et le plus vite possible.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, bien sûr les Polonais aimeraient bien que cela aille le plus rapidement possible, et 2005, dont on parle souvent, c'est quelque chose qui paraît un peu trop tard pour la Pologne. Et je crois que nos voisins sont peut-être un peu déçus.

CHANCELIER SCHROEDER - Non ils ne sont pas déçus, bien sûr que non. Ils savent très bien qu'à Helsinki nous avons pris une décision très sage, nous, l'Europe des 15, nous avons dit -et la France, l'Allemagne étaient là tout à fait du même avis-, que nous, en tant qu'Europe des 15, à la fin de 2002 nous serions prêts à accepter d'autres pays. Cela c'est quelque chose que nous avons dit. Il y a un certain nombre de choses qui doivent être effectuées avant de pouvoir accéder à l'adhésion. Ensuite nous avons dit : quant à savoir si ces pays sont à même d'adhérer, cela c'est une question à laquelle les pays eux-mêmes doivent répondre, les pays candidats à l'adhésion. Ce qu'a dit le Président Chirac est tout à fait juste. On ne peut pas répondre à cette question de façon tout à fait précise, parce que cela dépend concrètement des progrès qui ont été réalisés dans les différents pays. C'est pourquoi il n'y a aucune déception.

QUESTION - C'est un sujet qui est très intéressant, je pense. Mais peut-être qu'on pourrait aborder ça d'un autre côté, Monsieur le Président. On parle aussi de deux voies d'adhésion pour ainsi dire. D'une part, tous les pays de l'Europe de l'est adhèrent en même temps, ou alors on fait ça petit à petit lorsque les critères sont réalisés. A ce moment-là, chaque pays adhère pas à pas. Quelle est la voie que vous pensez être la meilleure ?

LE PRESIDENT - Je crois que la première est tout à fait déraisonnable. Je ne connais personne de responsable qui l'ait proposée. Il est évident, je le répète, que pour entrer dans l'Union, il faut pouvoir le faire, il faut pouvoir adopter les règles du jeu, et donc il faut être prêt, il faut avoir fait soi-même les réformes indispensables. Les pays entreront donc au fur et à mesure de leur capacité à entrer. Il n'y a aucune chance qu'ils rentrent tous ensemble. Ce que nous avons en revanche décidé, comme l'évoquait à l'instant le Chancelier, c'est que tous les pays étaient sur la même ligne, qu'il n'y avait pas a priori des pays qui devaient entrer avant d'autres, et donc que ceux qui sont prêts entrent et que les autres se préparent à entrer.

QUESTION - Monsieur le Président, comme nous en sommes à des questions très concrètes, pensez-vous que l'abandon de l'énergie atomique qui a été réalisé par l'Allemagne soit un modèle qui puisse être appliqué à l'Europe ou à la France ?

LE PRESIDENT - Cela c'est un problème strictement interne et je ne ferai aucun commentaire. C'est un choix économique, énergétique et naturellement je ne ferai aucun commentaire sur ce choix. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce n'est pas le choix de la France.

QUESTION - Oui, il fallait bien que nous posions cette question. Monsieur le Chancelier, en ce qui concerne l'élargissement à l'est, il y a toujours un certain nombre de craintes dans la population. Lorsque vous devez essayer de dire que l'élargissement est bon, quels sont vos arguments ?

CHANCELIER SCHROEDER - Il y a deux arguments. D'abord, il n'y aura pas de paix durable en Europe si l'Europe s'arrête à la frontière entre la Pologne et l'Allemagne, ce n'est pas possible. Deuxième argument, c'est aussi dans l'intérêt national de l'Allemagne, parce qu'il y a des marchés très importants pour notre économie, pour nos salariés, pour notre population active. Nous sommes un pays qui exporte beaucoup et ce sont des chances énormes pour nous. Nous ne donnons pas seulement quelque chose, nous en profitons aussi. L'histoire de l'unification européenne est une histoire dans laquelle on voit toujours que les pays les plus développés qui vont plus loin, comme la France, comme l'Allemagne ont toujours profité par exemple du fait que l'Espagne et le Portugal aient pu adhérer. Et ça ce sera la même chose pour l'élargissement à l'est.

QUESTION - Monsieur le Président, croyez-vous que vous pouvez écarter aussi les craintes des agriculteurs, parce qu'ils disent qu'on aura beaucoup d'argent pour ces pays de l'est et pour nous dans les grands pays agricoles comme la France par exemple, il n'y aura plus d'argent.

LE PRESIDENT - Nous avons, à Berlin, dans des conditions difficiles et à la suite d'une présidence allemande qui a été très remarquable parce qu'elle a dû surmonter de grandes difficultés, arrêté un certain nombre de décisions, notamment pour ce qui concerne les budgets. Je dis aux paysans européens qu'ils n'ont rien à craindre. Naturellement, nous devons négocier là aussi, pour l'entrée des nouveaux pays agricoles, des conditions qui soient acceptables pour tout le monde. C'est particulièrement vrai bien sûr pour la Pologne. Eh bien, nous le faisons.

QUESTION - Sur un autre sujet, vous avez agi en commun pour les sanctions contre l'Autriche. Il y a de plus en plus de discussions là-dessus, est-ce vraiment raisonnable d'avoir cette politique d'isolement ? Cela remplit-il vraiment l'objectif fixé, pensez-vous modifier quelque peu cette attitude ?

CHANCELIER SCHROEDER - Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. En plus, lorsque vous parlez de sanctions, c'est totalement faux. Nous avons décidé à 14 de traiter les relations bilatérales de la même manière. Et comme c'est un point de vue commun, c'est quelque chose qu'on n'a pas besoin de supprimer. La Présidence portugaise a dit qu'elle était prête à faire un pas. Lorsque je connaîtrai les propositions, on en parlera, je me concerterai avec mes amis français pour voir ce qu'on peut faire, mais actuellement, je ne pense pas qu'il y ait à discuter de ce sujet.

QUESTION - Monsieur le Président, en ce qui concerne un isolement diplomatique -il y a un certain isolement de l'Autriche- avez-vous l'intention, lors de votre présidence, de sortir l'Union de cette impasse. C'est une sorte d'impasse, non ?

LE PRESIDENT - Je ne pense pas qu'on puisse parler d'impasse, puisque sur le plan du fonctionnement communautaire, il n'y a aucun changement. Comme vient de le dire le Chancelier, ce sont les relations bilatérales qui sont en cause. Elles le sont, non pas du tout parce que nous n'aurions pas d'estime et d'amitié très réelles pour le peuple autrichien. Elles le sont seulement parce que l'Europe, l'Union, est fondée sur un certain nombre de valeurs morales et on ne peut pas accepter que participent à des gouvernements des partis qui semblent, et quand je dis qui semblent c'est un propos diplomatique, mettre en cause ces valeurs, prôner des mesures extrémistes ou xénophobes. Voilà pourquoi nous avons pris collectivement cette position. Nous sommes, comme l'a dit le Chancelier, tout à fait décidés sur le plan français, pour la Présidence française, à poursuivre la même politique que celle qui a été adoptée par la Présidence portugaise. S'il y a des éléments nouveaux, eh bien nous en parlerons ensemble.

QUESTION - On voit qu'il y a un certain nombre de critiques, des petits pays du nord de l'Europe qui disent qu'ils sont quelque peu inquiets.

LE PRESIDENT - Je comprends toutes les critiques car une Union comme la nôtre ne peut être fondée que sur l'amitié et la confiance. Nous avons pris des décisions à 14, elles n'ont pas été imposées, elles ont été prises sous Présidence portugaise, qui n'est pas démographiquement parlant le plus important des pays de l'Union, ce n'est pas comme ça que le Chancelier et moi nous concevons la convivialité européenne.

QUESTION - Il y a autre chose qui a scandalisé les gens en Europe, ce sont les 58 Chinois qui sont morts à Douvres au début de la semaine. Ils voulaient vivre en Europe et malheureusement la "forteresse Europe" était pour ainsi dire insurmontable. Maintenant tout le monde est choqué par les passeurs, mais est-ce que l'Europe ne devrait pas comprendre que l'immigration est nécessaire au lieu de fermer ses frontières ?

CHANCELIER SCHROEDER - Non l'Europe n'est pas une forteresse. Surtout l'Europe des 15. Lorsque vous voyez combien de réfugiés l'Allemagne a accueilli venant de Bosnie par exemple. Nous avons toujours plus de 100 000 demandeurs d'asile par an. C'est beaucoup moins qu'autrefois, mais c'est toujours 100 000 demandeurs d'asile par an. L'Europe n'est pas une forteresse et on ne peut pas non plus rendre la politique responsable de ces crimes. Mais en Finlande, nous avons décidé, en ce qui concerne le droit d'immigration, le droit d'asile en Europe, que nous aurions une harmonisation, parce que cela est nécessaire. Et c'est quelque chose qui prendra un certain temps, il y a des expériences différentes, il y a des structures différentes, mais nous allons le faire. Ne parlez pas de forteresse, ce sont des crimes, cela n'a rien à voir avec la politique européenne. Je pense que ce n'est pas une bonne approche. Et je suis sûr qu'en commun nous allons tout faire pour que, sur la base de la Convention des Droits de l'homme européenne, de telles immigrations illégales ne puissent plus être possibles et qu'on ait une bonne politique d'immigration et d'asile en Europe. Nous voulons un espace de droit de liberté et de sécurité pour tout le monde.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais aborder un autre sujet important, à quoi sert l'Union, quelles sont ses compétences. L'Union doit-elle décider des dates d'ouverture de la chasse en France ou par exemple de la qualité de l'eau potable en Allemagne ? Ne faudrait-il pas quelques limites à ses compétences ?

LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord dire que, sur l'immigration je partage tout à fait le sentiment qui a été exprimé par le Chancelier. Sur les compétences, je crois qu'il y a là un problème essentiel qui devra être rapidement réglé. Vous parlez de la date de la chasse, si elle a été fixée par la Commission, c'est parce que les Etats membres ont demandé à la Commission de le fixer. C'est à la suite d'excès ou d'abus de ce genre qu'a été invoqué le principe de subsidiarité. Ce qui pose le problème: qui fait quoi dans l'Union? Qu'est-ce qui relève de l'Union, qu'est-ce qui relève de la Nation, qu'est-ce qui relève du Land ou de la région? Il est indispensable qu'on le sache. C'est une demande du Chancelier à laquelle je souscris totalement. Et donc il faudra très rapidement que nous ayions une règle du jeu qui permette de savoir ce qui relève de l'Union, de la Nation, du Land ou de la région. C'est très important. Comment le faire? Nous n'aurons pas beaucoup de difficulté je crois, c'est une question de mise en ordre, et c'est dans un délai bref après la présidence française que ce problème devra être définitivement réglé. Nous sommes d'accord.

QUESTION - Ce dont nous parlons aujourd'hui, Monsieur le Chancelier, c'est une Europe tout à fait nouvelle. Nous allons peut-être avoir jusqu'à 30 membres, il va y avoir de nouvelles procédures de décisions, de nouveaux membres, cela n'aura plus grand chose à voir avec l'Europe du traité de Rome. L'Europe n'a-t-elle pas besoin d'un nouveau visage ou même d'une nouvelle constitution, Monsieur le Chancelier ?

CHANCELIER SCHROEDER - Je pense que là aussi nous avons déjà posé quelques jalons, par exemple avec la Charte que nous sommes en train d'élaborer, dont nous allons parler à Biarritz, dont nous allons parler à Nice, et là il y a des points très importants. Mais je pense qu'à une perspective à moyen terme, l'Europe qui s'élargit devra avoir une base constitutionnelle commune. C'est quelque chose qui doit se faire petit à petit et qui prend du temps. Monsieur le Président Chirac a dit à l'instant qu'il était aussi pour une délimitation des compétences entre l'Europe, les pays, etc, et cela correspond exactement à ce que nous demandons aussi en Allemagne. Mais il ne faut peut-être pas en demander trop à la Présidence française. Actuellement, nous en parlons, nous abordons un sujet, mais c'est quelque chose qui ne peut pas être résolu en six mois. Et je pense que tous les ministres-présidents d'Allemagne le comprendront.

QUESTION - Donc, vous avez peut-être un objectif à très long terme, peut-être une approche constitutionnelle ?

CHANCELIER SCHROEDER - Il ne faut pas donner toujours des dates précises, y compris pour l'élargissement, parce que souvent ce ne sont pas des questions seulement politiques. Nous avons la volonté politique. Mais c'est toujours une question d'économie et de la façon dont on peut le réaliser et généralement les développements sont difficiles à évaluer. Il ne faut pas donner de dates trop claires et cela vaut aussi pour l'approche d'une base constitutionnelle pour l'Europe. Mais cela va se faire petit à petit sur la base de la Charte sur laquelle nous travaillons. Mais cela ne se fera pas tout de suite.

QUESTION - Et vous Monsieur le Président, avez-vous un cadre pour cette approche constitutionnelle? Il est évident que ça ne se fera pas dans le cadre de la Présidence française, mais avez-vous une idée du temps que cela peut prendre ?

LE PRESIDENT - A mon avis, cela peut être résolu rapidement, parce que c'est nécessaire. Et donc c'est une question qui se chiffre en mois beaucoup plus qu'en années. En mois, cela veut peut-être dire un ou deux ans.

QUESTION - On discute beaucoup, Monsieur le Président, de constitution, de président, peut-être encore plus de droits pour l'Europe. Cela ne va-t-il pas un peu trop loin pour la France, la France est un pays très fier, n'a-t-elle pas peur de perdre un peu de son côté nation ?

LE PRESIDENT - Je ne vois rien dans le processus de construction européenne qui mette en cause l'identité et la force des nations. En revanche je suis tout à fait certain que dans le monde tel qu'il évolue, la seule chance pour les nations de conserver leur identité et leur force, c'est de s'unir. Il y a un vieux proverbe qui dit "l'union fait la force". Dans le monde multipolaire, qui de plus en plus s'affirme, ce n'est pas chacun de nos pays qui pourra exister de façon forte, c'est notre Union. De même que nous devons avoir de l'audace et ne pas s'enfermer en permanence dans les raisonnements d'hier ou d'avant-hier, il ne faut pas avoir peur, il faut aller de l'avant . Et enfin, et ça c'est un problème essentiel, il faut de la proximité. Et l'un des défauts qui a été reconnu à l'Union dans le passé, c'est probablement de ne pas avoir suffisamment tenu compte des préoccupations des Européens, de nos concitoyens. Et donc nous faisons maintenant un effort important pour renforcer la proximité. L'union, l'audace et la proximité sont les trois vertus qui nous permettront demain d'exister tous ensemble, individuellement, chaque nation, et collectivement, l'ensemble de l'Union.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, autrefois on parlait souvent en Allemagne des Etats Unis de l'Europe, l'Etat-Nation n'aurait plus d'importance, les nationalités se dissoudraient. Lorsqu'on regarde la situation aujourd'hui, on garde les nations, on garde les nationalités, ce n'est plus vraiment quelque chose de très ambitieux, mais plutôt une approche beaucoup plus pragmatique.

CHANCELIER SCHROEDER - Ce n'est pas une contradiction. Le pragmatisme et les visions ne s'excluent pas les unes les autres. Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le Président Chirac. L'Europe s'élargit et le fait qu'on lui donne une constitution ne va pas contre les cultures nationales, les langues nationales. C'est pourquoi je pense que par rapport à d'autres espaces politiques ou économiques, l'Europe vit de sa diversité. Cette diversité est très importante dans le domaine culturel et c'est ce qui donne sa force à l'Europe. Il faut que nous sachions quels sont les secteurs importants dans lesquels nous devons travailler ensemble et quels sont les secteurs qui peuvent rester différents. C'est pourquoi il y aura toujours une certaine "tension" entre l'Union européenne et les intérêts des différents Etats la constituant. Mais je pense que cette tension est très productive au contraire.

LE PRESIDENT - Je crois que l'image "Etats-Unis d'Europe" est une image confuse et qui n'est pas une bonne image. C'est en réalité non pas les Etats-Unis d'Europe qui sont en question, c'est l'Europe unie des Etats. C'est différent.

QUESTION - Monsieur le Président Chirac, pour finir aux Philippines, il y a, depuis plusieurs semaines, deux Français et trois Allemands, parmi d'autres otages, qui sont retenus. Hier un Malaisien a pu être libéré. Là on a l'impression de nouveau que l'Europe est un peu sans moyens. Pourquoi ?

LE PRESIDENT - Rien n'est plus difficile à régler, j'ai, hélas, dans ce domaine une longue expérience, que les problèmes d'otage. Il nous a fallu des mois et des mois pour récupérer l'otage français qui était retenu en Tchétchénie. Il y a une action extrêmement solidaire notamment entre l'Allemagne, la Finlande et la France pour libérer nos otages. Il y a effectivement deux Français, je pourrais dire qu'il y en a trois, parce qu'il y a une jeune Libanaise qui vit en France et je pense à elle comme aux deux autres. Nous faisons le maximum, je peux vous le dire, avec notre détermination et avec notre coeur, le Chancelier, les autorités finlandaises, nous-mêmes pour obtenir un résultat. Cela ne peut pas se discuter comme cela publiquement. Mais nous avons une action commune, notamment à l'égard du gouvernement des Philippines, qui est aussi efficace que possible.

QUESTION - Monsieur le Chancelier, vous travaillez donc en commun avec la France dans cette question, ne faudrait-il pas montrer à quel point la France et l'Allemagne peuvent être puissantes ensembles ?

CHANCELIER SCHROEDER - Si nous pouvions le faire en le voulant, en le souhaitant très fort, évidemment nous le ferions. Mais s'il y a vraiment un sujet qui est plus difficile à régler lorsqu'il y a trop de médias, lorsqu'il y a trop de publicité, c'est bien ce sujet-là, des otages aux Philippines. Ce n'est pas seulement le fait qu'on a la volonté de libérer les otages qui va faire quelque chose, il faut avoir de la patience. Chacun peut me croire, nous faisons tout, l'Allemagne, la France et la Finlande, pour résoudre cette question. Nous coopérons et vraiment nous utilisons tous les moyens possibles et imaginables pour arriver à une solution. Ce n'est pas de la routine, c'est très important.