Interview de M. Jacques CHIRAC,Président de la République, accordée à Radio Rythme Bleu (RRB).

Nouméa (Nouvelle-Calédone), le jeudi 24 juillet 2003.

QUESTION – Monsieur le Président, bonsoir.

LE PRESIDENT– Bonsoir.

QUESTION – Merci d'accorder cette interview à Radio Rythme Bleu. Vous venez de passer deux jours en Nouvelle-Calédonie. Vous n'étiez pas revenu depuis 16 ans, qu'est-ce qui a changé, qu'est-ce que vous avez vu, entendu et retenu ?

LE PRESIDENT– D'abord j'ai beaucoup regretté d'être resté si longtemps sans venir dans un pays que j'aime et que je respecte. Ensuite, j'ai été très agréablement impressionné par l'accueil chaleureux qui m'a été réservé. Ce qui a changé, c'est à la fois sur le plan matériel une modernisation indiscutable de la Nouvelle-Calédonie et sur le plan psychologique, sans aucun doute, un vrai progrès du dialogue, du respect de l'autre, de la volonté de discuter ensemble des problèmes afin de trouver ensemble des solutions.

QUESTION – Alors, on sait, ici, votre proximité avec la Nouvelle-Calédonie, votre connaissance du dossier, vos contacts avec Jacques LAFLEUR, mais il se trouve que l'ordonnancement des rendez-vous politiques a fait que vous n'avez pas été associé, directement, aux étapes institutionnelles récentes de la Nouvelle-Calédonie. Avec ce voyage, est-ce que vous avez l'impression de retrouver pleinement le dossier calédonien, la Calédonie, sa population ?

LE PRESIDENT– Oui, sans aucun doute. Je n'ai pas été directement associé ni aux accords de Matignon, ni aux accords de Nouméa, mais je peux vous dire que comme je l'avais fait à l'époque, je les approuve sans réserve. Et je considère qu'ils doivent être mis en oeuvre, qu'ils étaient le fruit du dialogue et la voix de la sagesse.

QUESTION – Justement, dans votre allocution place des Cocotiers, vous avez beaucoup parlé de l'esprit de réconciliation, de la volonté de dialogue, de la recherche du consensus. Finalement, est-ce que cette démarche choisie par la Nouvelle-Calédonie ne se trouve pas en harmonie avec la volonté que vous-même, vous avez exprimée à plusieurs reprises dans vos interventions ?

LE PRESIDENT– Oui, je crois que dans le monde d'aujourd'hui, l'expérience prouve que les conflits sont toujours dramatiques, ne résolvent jamais aucun problème, que la recherche d'une solution quand il y a un problème de rapport entre les hommes, c'est le dialogue et un dialogue fondé sur un principe essentiel qui est le respect de l'autre. Et c'est, me semble-t-il, ce qui aujourd'hui, caractérise la Nouvelle-Calédonie.

QUESTION – C'est aussi cette démarche de consensus qui, selon vous, doit prévaloir dans la question du corps électoral. C'est une question que vous n'avez pas eue encore l'occasion d'aborder publiquement ?

LE PRESIDENT– C'est vrai, je ne l'ai abordée qu'indirectement, publiquement, même si je l'ai abordée de façon plus directe avec les représentants des diverses tendances politiques de la Nouvelle-Calédonie. Le problème est, je dirais, simple, mais dans sa complexité. D'abord, il y a des accords, ceux de Nouméa et qui doivent être respectés. Ensuite, je constate qu'au lendemain de la dernière réunion du comité des signataires, à Koné, il est apparu clairement -cela c'est aussi la sagesse de part et d'autre en Calédonie- qu'il ne fallait pas faire de ce problème, un problème d'affrontement. On ne résout jamais rien par la force, par la violence ou par la haine. On ne trouve des solutions que par le dialogue et le respect de l'autre. Et j'ai observé que ce n'était plus une question qui impliquait un affrontement et que cela impliquait en revanche un dialogue à la fois sur les principes et sur les modalités et je m'en réjouis.

QUESTION – C'est donc aux Calédoniens finalement de trouver la solution à cette question ?

LE PRESIDENT– Oui, avec naturellement l'aide de l'Etat qui est forcément impliqué dans cette affaire. J'ai eu l'occasion de dire que le problème matériellement ne se posait pas avant 2009. Et, j'ai indiqué que je prenais l'engagement d'avoir réglé ce problème, en concertation très étroite et en accord très étroit, avec l'ensemble des Calédoniens avant la fin de mon mandat.

QUESTION – Il y a un autre dossier sur lequel on attendait beaucoup vos prises de positions, c'est laquestion minière. Vous avez exprimé la certitude que les trois projets métallurgiques seraient menés à terme. Quels sont les éléments qui fondent cette confiance ?

LE PRESIDENT– C'est une certitude qui est fondée sur une constatation simple, ces trois projets sont rentables et utiles. Il se trouve que la Calédonie dispose de ressources considérables dans une matière première, le nickel, dont le besoin en moyen et long terme est indiscutable. Ces trois projets sont donc, sans aucun doute, rentables. A partir de là, il faut les réaliser. Je ne doute pas un seul instant du fait qu'ils seront réalisés. Pour les réaliser, il faut, naturellement et comme toujours, une aide de l'Etat. Cette aide de l'Etat sera fournie par le biais de la défiscalisation. Pour savoir exactement les modalités de l'intervention de l'Etat, nous avons fait une commission, nous avons demandé un rapport d'un expert, Mme DUTHILLEUL, pour le mois de septembre, qui permettra d'ouvrir, de façon concrète, sur des bases indiscutées, la discussion avec les autorités de la Nouvelle-Calédonie, les promoteurs du projet, les entreprises concernées. Et, tout cela nous permettra de déboucher. Déboucher sur quoi ? D'abord sur la réalisation, ce qui, à mes yeux, est le plus essentiel, c'est-à-dire le projet du Nord. Pourquoi le plus essentiel ? Parce que c'est une des conditions du rééquilibrage qui s'impose, ici, en Nouvelle-Calédonie, qui est d'ailleurs dans l'esprit des accords de Nouméa, mais qui est surtout une nécessité impérative pour l'équilibre économique et social de la Nouvelle-Calédonie. Donc, ce projet Nord, j'en suis sûr, sera réalisé et l'Etat fera ce qu'il faut pour qu'il en soit ainsi.

Je suis persuadé que les deux autres projets se réaliseront de la même façon. J'ajoute qu'ils comportent également un élément important qui est l'usine d'ENERCAL, c'est-à-dire l'usine de production d'électricité qui permettra à la fois de rentabiliser l'usine et de renforcer, ce qui est aujourd'hui nécessaire, le réseau d'électrification de la Nouvelle-Calédonie.

QUESTION – Sur l'usine du sud, comme on l'appelle, le Goro Nickel vous n'avez pas d'inquiétude. Vous pensez que la reprise va être effective ?

LE PRESIDENT– Je n'ai aucune inquiétude. L'entreprise est allée très loin, a dépensé de l'argent. Il faut maintenant voir les modalités, notamment de l'intervention de l'Etat. Mais je ne doute pas un seul instant que ce projet sera conduit à son terme.

QUESTION – Alors, Monsieur le Président, vous le savez, à l'issue du processus de l'accord de Nouméa, les Calédoniens devront choisir leur avenir. Selon vous, quels seront dans 18, 20 ans maintenant, les éléments déterminants dans ce choix ?

LE PRESIDENT– Selon l'élément déterminant, ce sera avant tout ce que penseront dans 15 ans ou dans 20 ans, celles et ceux qui ont aujourd'hui 20 ans et qui sont si nombreux. Et il serait bien présomptueux d'en préjuger. Je fais confiance à la jeunesse de la Calédonie d'aujourd'hui, dans sa maturité, pour prendre la décision qui lui paraîtra la plus conforme à son bien être, à ses intérêts et à la vision qu'elle se fait de la place de la Calédonie et de ses habitants dans le monde demain.

A partir de là, comme vous le savez, la France respecte, naturellement, le droit à l'autodétermination. Si les Calédoniens s'expriment en faveur de l'autodétermination, celle-ci ne sera naturellement pas discutée et la France aura avec la Calédonie des relations, sans aucun doute, privilégiées. Mais je ne suis pas certain que cela soit le sens de l'histoire. Le sens de l'histoire aujourd'hui, c'est le regroupement, ce n'est pas le séparatisme. Quelle que soit la partie du monde que vous observez, qu'il s'agisse de l'Europe avec la construction européenne, malgré les difficultés que nous avons connues dans le passé, que ce soit l'Amérique du Nord ou l'Amérique du Sud, que ce soit même l'Asie, que ce soit l'Afrique où l'intégration régionale s'accélère énormément, chacun a bien conscience qu'il a intérêt à vivre dans un grand ensemble capable de défendre ses intérêts et d'assurer sa vision de la liberté, du développement de l'égalité, du respect de l'autre.

Donc, laissons aux Calédoniens le soin, à la fois, d'observer le monde et d'en tirer les conclusions le moment venu qu'ils croient devoir en tirer.

QUESTION – Ajoutons ce matin que vous avez rencontré les jeunes et à l'évidence vous avez voulu les mettre en confiance en leur disant d'être ambitieux pour la Calédonie. D'une manière plus générale, est-ce que ce n'est pas toute la Calédonie qui a besoin, aujourd'hui, de retrouver un peu une culture de la confiance en soi ?

LE PRESIDENT– De la confiance probablement, du respect de l'autre sans aucun doute, du dialogue des cultures et des civilisations, c'est évident. Et je crois qu'au cours des dernières années, sous l'impulsion donnée à l'origine par deux hommes d'exception, Jean-Marie DJIBAOU et Jacques LAFLEUR, on a fait des progrès indiscutables. Ce que j'ai voulu dire aujourd'hui, aux jeunes, c'est que leur avenir n'était pas dans l'affrontement, dans la violence, n'était pas dans la haine, que leur avenir était dans le respect de l'autre, le dialogue, la compréhension mutuelle et que chacun avait sa part à apporter au progrès commun. Et je crois que les jeunes d'aujourd'hui comprennent probablement mieux, que leurs aînés, cette obligation.

QUESTION – En conclusion, Monsieur le Président, vous avez fait de nombreux voyages en Nouvelle-Calédonie. Est-ce qu'il y a une constante, une ligne force, que l'on retrouve au travers de tous ces déplacements ici ?

LE PRESIDENT– Sans aucun doute et cette ligne de force, elle tient à une réalité qui n'a pas toujours été observée avec le réalisme et le respect qu'on lui devait. C'est que nous avons, ici, l'existence d'une vieille culture avec ses traditions, avec son modernisme et avec sa vision du monde qui doit être respectée, sa conception des ancêtres, de la terre. Et puis nous avons des intérêts économiques qui sont des intérêts de notre temps et qui sont peut être davantage exprimés par celles et ceux qui sont venus en Calédonie plus tard et avec l'intention de la développer, de la mettre à l'heure de la modernité. Je crois que la constance, c'est que ces deux réalités coexistent et qu'aujourd'hui, elles discutent, elles parlent, elles ont appris à mieux se respecter, à mieux dialoguer et que c'est là, l'essentiel.

QUESTION – Monsieur le Président merci.

LE PRESIDENT– Merci beaucoup.