DISCOURS PRONONCE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

DEVANT LE KEIDANREN

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(JAPON)

TOKYO - Lundi 27 Avril 1998

Monsieur le Président,

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

et chers amis,

Je vous remercie du fond du coeur, Monsieur le Président, pour votre accueil et pour votre invitation à venir m’exprimer devant les chefs d’entreprise de votre pays. Et merci de m’offrir cette occasion nouvelle de retrouver beaucoup de mes amis japonais.

Déjà, il y a un peu plus d’un an, j’étais votre invité. Ici même, j’avais souhaité partager avec vous ma passion pour la France et ma confiance en l’avenir. J’avais appelé à un rapprochement entre nos deux pays, et notamment entre nos entreprises, japonaises et françaises.

L’heure n’est pas encore aux bilans, mais on peut déjà mesurer les progrès accomplis dans les relations entre le Japon et la France. Depuis ma visite et l’adoption de notre plan " 20 actions pour l’an 2000 ", nos relations sont entrées dans une ère nouvelle.

350 entreprises françaises sont désormais présentes chez vous. Et nos entreprises, je le sais, veulent s’investir sur le grand marché japonais qui a vocation à s’ouvrir davantage.

Une puissante dynamique d’association et de coopération a été initiée par nos plus grands groupes et ceci dans tous les domaines : les microprocesseurs avec Hitachi et SGS-Thomson, les services urbains avec Marubeni et la Compagnie générale des Eaux. La recherche et le développement avec NEC et Thomson Multimédias qui ont lancé un ambitieux programme pour les écrans de télévision de demain.

Ce ne sont là que quelques exemples, je pourrais en citer beaucoup d'autres, mais ils montrent bien la complémentarité de nos savoir-faire, l’étendue, la diversité, la richesse de nos relations économiques. Cette dynamique doit encore s’amplifier. Et je suis heureux que de plus en plus d’entreprises françaises, parmi lesquelles beaucoup de petites et moyennes entreprises, se tournent maintenant vers le Japon.

Mais, Monsieur le Président, en un an, que de bouleversements aussi ! Aujourd’hui, votre région se relève d’une crise financière grave qui a touché de nombreux pays d'Asie. Crise douloureuse pour les peuples d'Asie. Mais crise dont le meilleur peut sortir, si nous savons en tirer, tous ensemble, les enseignements.

Nous avons en France un proverbe sur les épreuves et leurs leçons. " A chaque chose, malheur est bon " disent mes compatriotes. Et si la secousse a été terrible, si le contexte demeure difficile, la crise est aussi le révélateur de mauvais fonctionnements. Elle doit être l’occasion salutaire de bâtir plus solidement l’avenir.

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D’abord, gardons confiance. Ne cédons pas au pessimisme. Sachons voir les extraordinaires capacités de l’ensemble du continent asiatique.

Bien sûr, je mesure les contraintes de la situation. J’en mesure pleinement les conséquences sociales, hélas, le drame vécu par les populations frappées de plein fouet par le chômage et par la baisse de leur niveau de vie.

Pour autant, les clés des succès exceptionnels de l’Asie depuis 20 ans demeurent les mêmes : un taux d’épargne élevé, des budgets en équilibre, des populations remarquablement formées et qualifiées, une véritable culture du travail et de la réussite.

Les perspectives de croissance demeurent fortes, une fois passée la période d’ajustement inévitable. C’est le moment d’intensifier nos échanges et nos investissements.

La santé, dans ce contexte, de l’économie japonaise est très importante. Elle est importante pour l’Asie et elle est importante pour le monde.

Deuxième puissance économique, premier créancier de la planète, le Japon dispose de très solides atouts. Il doit les mettre au service de sa croissance.

Pour ma part, j’ai toute confiance dans la sagesse et dans la parole de vos dirigeants pour mener à bien les réformes qui s’imposent. Je connais la volonté de beaucoup de chefs d'entreprise japonais. Je connais la volonté du Premier ministre du Japon, mon ami Ryu Hashimoto, volonté de sortir de la crise, de renforcer le système financier et de redonner à l’économie japonaise le dynamisme nécessaire. Déjà, des mesures très importantes ont été prises. D’autres viennent d’être annoncées. Je souhaite la pleine réussite des actions entreprises par les autorités japonaises. J'ai toute confiance dans l'avenir de l'économie japonaise. J'ai toute confiance dans le Japon.

Vous comprendrez que nous, Français et Européens, portions une attention particulière aux efforts engagés dans votre pays. Car, de la croissance du Japon, de ses capacités à relancer son économie, dépendent aussi, pour une part importante, notre propre vigueur et notre vitalité.

Oui, le monde a besoin que l’Asie retrouve équilibre et stabilité. Le monde a besoin d’un Japon fort, mais aussi d’une Chine puissante, d’une ASEAN solidaire, d’une Corée prospère.

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Aujourd’hui, l’interdépendance des économies du monde est totale. La mondialisation, avec l’ouverture des frontières et des marchés, avec la libre circulation des hommes, des capitaux et des produits, est une chance. C’est un formidable moteur de croissance.

Cette interdépendance a une conséquence logique : aucun pays, aucun ensemble, quelle que soit sa taille, quelle que soit sa force, n’est à l’abri des chocs qui frappent ses partenaires, proches ou lointains.

Voilà pourquoi c’est toute la communauté des nations qui doit se mobiliser et s’unir face aux difficultés. Voilà pourquoi la solidarité internationale a pleinement joué aux premières heures de la crise asiatique. Voilà pourquoi les financements nécessaires ont été réunis immédiatement, pour des montants jamais, jamais égalés dans l’Histoire.

Je rends hommage au Japon qui a très largement contribué au financement des programmes du FMI. L’Europe a, elle aussi, pris une part décisive dans les plans de financement et de soutien.

L’Europe est parfois trop discrète. Je voudrais rappeler que les pays de l’Union européenne représentent 30% du capital du Fonds monétaire international, alors que les Etats-Unis ne représentent que 18% de ce capital. De plus, plusieurs Etats européens, en particulier la France, ont ajouté à cela des contributions bilatérales considérables. Les grandes banques européennes, et notamment françaises, ont joué un rôle essentiel pour éviter une grave crise de liquidité en Asie.

Ainsi, l’Europe s’est elle massivement engagée aux côtés de ses partenaires asiatiques. Le récent Sommet euro-asiatique de Londres a réaffirmé fortement la confiance des Européens et leur solidarité à l’égard de l’Asie.

Permettez-moi également de saluer la sagesse et le courage des dirigeants chinois. En maintenant son taux de change, la Chine a joué un rôle majeur pour aider à stabiliser la situation. Elle donne l’exemple d’une grande puissance, qui assume pleinement ses responsabilités mondiales.

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C’est donc ensemble que nous devons renforcer le système financier mondial car le premier enseignement de cette crise, c’est la nécessité de bâtir une nouvelle architecture du système financier international, une architecture adaptée au nouvel environnement économique mondial.

Il ne s’agit pas de réglementer le système monétaire international. Nous aurions tous à y perdre. Il s’agit de le renforcer et de lui assurer plus de stabilité. Pour mieux prévenir les crises, et donc leurs conséquences sociales, souvent dramatiques. Pour mieux bénéficier des avantages de la libéralisation des marchés financiers. Il s’agit aussi d’assurer plus de transparence dans un monde où les flux financiers internationaux sont désormais libres et massivement privés.

Il y a deux ans, lorsqu’elle présidait le G7-G8, la France avait appelé au renforcement de la stabilité du système international. Depuis, des progrès ont été accomplis. Mais le système reste fragile. Les règles du jeu demeurent insuffisantes.

Sur cette question, le Japon et la France partagent depuis longtemps des vues convergentes. Nous devons réfléchir ensemble aux moyens d’améliorer les choses et nous devons faire des propositions communes. Nos ministres des Finances viennent d’évoquer ces problèmes à l'occasion des réunions du FMI à Washington. Nous en discuterons au niveau des chefs d’Etat et de Gouvernement au prochain Sommet du G7-G8 à Birmingham dans une quinzaine de jours.

Nous devons, bien sûr, accroître l’efficacité du contrôle bancaire et prudentiel et augmenter la transparence de notre système financier. C’est-à-dire d’abord la transparence de l’information.

Mais nous devons aussi conférer plus de justice et de solidarité au développement économique de la planète. Réfléchissons ensemble à la question des transferts financiers vers les pays en difficulté. Aucun pays, aucun peuple, aucun homme ne doit être exclu de la croissance et du progrès. Voilà pourquoi l’aide publique au développement demeure une nécessité. Ensemble, Japonais et Français, deux des tout premiers contributeurs du monde n’ont cessé d’appeler la communauté des nations à ses responsabilités, à son devoir de solidarité.

Nous devons ensemble travailler à la modernisation et au renforcement des institutions financières internationales. La mondialisation accorde une importance grandissante aux décisions de ces institutions, et d'abord du Fond monétaire international, qui est, en faite, la pierre angulaire de la coopération internationale. Son rôle s'est avéré déterminant dans la gestion des crises. Nous devons d’urgence lui donner les moyens financiers d’assumer ses missions.

Nous devons enfin renforcer la coopération entre les institutions internationales afin que l’ensemble des problèmes financiers soient traités de manière globale et adaptée, qu’il s’agisse des bourses, des assurances ou des banques.

Faisons preuve d’imagination. La tâche est difficile. Mais il est temps d’aller plus avant.

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Plus de stabilité du système financier international : voilà précisément l’un des enjeux de l’euro.

Le 2 mai prochain, à Bruxelles, l’Union européenne donnera le coup d’envoi de l’euro. Et le 1er janvier 1999 verra la naissance d’une nouvelle monnaie.

Pour les Européens, c’est un rendez-vous historique. L’euro scellera l’union de nos vieux pays. Elle ancrera la solidarité des nations qui se sont si souvent déchirées dans le passé. Le siècle qui s’achève aura vu les Européens s’affronter au cours des guerres les plus meurtrières que l’humanité ait jamais connues. Champ de batailles millénaire, l’Europe est devenue, en seulement un demi siècle, et par la volonté de quelques hommes, un continent de paix et de démocratie.

Mon ami, le Chancelier Helmut Kohl, rappelait récemment, au Bundestag, cette belle phrase de Konrad Adenauer, je le cite " l’unité européenne, ce rêve caressé jadis par une poignée d’hommes, ce rêve devenu pour beaucoup une espérance est pour nous tous désormais, une nécessité " et permettez-moi d'ajouter aujourd'hui cette nécessité est devenue une réalité.

L’euro est bien plus qu’un simple moyen de paiement. Il a une portée symbolique. Avec lui les Européens seront plus forts et plus solidaires dans un monde qui affirme chaque jour, sa volonté, sa vocation multipolaire.

Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour que l’Europe réussisse son passage à la monnaie unique le 1er janvier prochain.

Pour réussir, pour emporter la confiance des opérateurs économiques nationaux et internationaux, une monnaie doit être crédible. C’est à dire fondée sur des réalités économiques tangibles. Il fallait que nos économies soient " compatibles ". C’est tout l’objet des fameux critères de Maastricht. Critères de bonne gestion et critères de rapprochement, de convergence de nos économies.

En cinq ans, que de progrès accomplis. Il y a cinq ans, les économies européennes tiraient à hue et à dia. Les déficits publics minaient la croissance. Les taux d'inflation et les taux d'intérêt étaient très différents d'un pays à l'autre, en Europe.

Certes les difficultés n’ont pas manqué. Mais les Européens ont relevé le défi. Et le succès est là.

Onze pays participeront à la monnaie unique. Je me félicite de la force d’attraction de l’euro et des efforts de tous les pays pour figurer sur la ligne de départ. Je souhaite que, très vite, l’euro soit la monnaie de l’Union tout entière d'aujourd'hui et de l'Union européenne de demain.

La performance de la France mérite d’être soulignée. Engagée avec détermination dans ce grand projet, elle fait partie des trois seuls pays de l’Union économique et monétaire avec le Luxembourg et la Finlande, qui respectent strictement la totalité des critères fixés à Maastricht.

Ainsi, le 1er janvier prochain, l’Europe achèvera l’unification de son marché, le plus grand du monde, et l’un des plus puissants et des plus prometteurs. Un marché fort de 350 millions de femmes et d’hommes. Demain l'Europe qui s'élargit comptera 500 millions d'habitants.

Avec l’euro, disparaîtront les incertitudes monétaires et les crises de change qui ont fait tant de mal à nos économies dans le passé. Avec l’euro et l’unification du grand marché européen, l’horizon de nos entreprises s’élargit. Leur compétitivité s’améliore, aiguillonnée par la concurrence qui bénéficie également au consommateur européen. L’efficacité de notre outil de production se renforce, dynamisant notre croissance et demain nos emplois.

Déjà, la seule perspective de l’euro, vous l'avez noté, a protégé l’Europe des turbulences de la crise financière asiatique. Avec l’euro, l’Europe, première puissance économique du monde, devient une grande puissance monétaire. L’euro sera, à côté du dollar, un stabilisateur du système monétaire international.

Mais la monnaie unique a ses exigences. Elle doit inspirer la confiance à ceux qui la détiennent. Elle doit être solide et stable. Voilà pourquoi il nous faut poursuivre la restauration de nos finances publiques et réduire notre endettement. On ne fonde pas une monnaie solide sur des dettes. Voilà pourquoi nous devons mieux coordonner nos politiques économiques et mener ensemble des politiques pour l’emploi adaptées. Voilà pourquoi nous avons défini, entre nous, un cadre de croissance et de stabilité.

Mon ambition est celle d’une Europe forte et ouverte. Une Europe en croissance. C’est l’intérêt de tous. L'Europe ne sera jamais une forteresse. Elle ne se refermera pas sur elle-même. Elle est déjà l’ensemble le moins protectionniste du monde.

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Vous, entrepreneurs japonais, prenez une part active au développement de l’Europe et, au coeur de l’Europe, il y a la France. La France qui a les atouts pour être votre partenaire privilégié. Sa situation géographique, la qualité de ses infrastructures et de ses transports, celle de sa formation et de son éducation, les performances de sa main d’oeuvre, sa recherche parmi les meilleures du monde. Faire le choix de la France, c’est faire le choix de l’Europe.

Mon ambition pour la France est qu’elle soit forte dans l’Europe. Pour qu’elle demeure elle-même. Pour qu’elle y fasse entendre sa voix, sa vision de l’homme, sa conception du monde. Voilà pourquoi elle doit être au premier rang des nations européennes. Voilà pourquoi elle doit continuer à s’adapter et à se moderniser.

Ce n’est pas un hasard si la France est, en Europe, l’une des premières destinations de l’investissement étranger. Et notamment de l’investissement japonais. Beaucoup d’entre vous ont déjà fait le choix de la France. Récemment, Toyota, Canon, Mitsui Toatsu, Shiseido et d’autres encore ont fait confiance à la France. J’espère que beaucoup d’autres entreprises japonaises s’y engageront à leur tour.

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De même, la France entend affirmer sa présence aux côtés de ses amis japonais. Vous le savez, j’ai fait du Japon une priorité pour la France. Avec mon amitié pour votre pays, c’est la raison de ma présence parmi vous. Et c’est l’une des vocations de cette " Année de la France au Japon " que je suis venu lancer et qui est l’occasion pour vos compatriotes de mieux connaître mon pays. L’occasion d’en apprécier la force et les promesses. L’occasion aussi de découvrir tout ce qui rapproche nos deux peuples.

L’" Année du Japon en France " a connu un immense succès en 1997. Je suis sûr qu’à son tour, cette " Année de la France ", que beaucoup d’entre vous ont soutenue financièrement, et je les en remercie, va conquérir le coeur des Japonais.

Vous le savez, j’ai de grandes ambitions pour nos relations. Parce que, pour bien connaître votre pays, j’ai depuis toujours le sentiment que le Japon et la France peuvent accomplir ensemble de grandes choses. Et que le moment n’a jamais été meilleur pour se rapprocher. Il revient maintenant aux entrepreneurs de nos deux pays de porter cette ambition. Certains d’entre vous ont montré le chemin. Je souhaite que d’autres les suivent. J’espère vous en avoir convaincus. Et je salue le Japon éternel, le Japon de demain. Je souhaite une amitié nippo-française toujours plus confiante et toujours plus forte.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.