INTERVENTION TELEVISEE

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

SUR L'AVENIR DU SERVICE NATIONAL

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Mardi 28 mai 1996 - Palais de l'Elysée

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Mesdames, Messieurs

Mes Chers Compatriotes,

Le 22 février dernier, je vous ai fait part de ma décision de professionnaliser l'ensemble de nos forces de défense. En effet, la conscription traditionnelle ne répond plus aux exigences d'une armée moderne dans un grand pays moderne.

Cette décision a naturellement des conséquences directes sur le devenir de notre service national.

Parce qu'il s'agit de la France. Parce que cette question engage la nation et les générations à venir, j'ai souhaité qu'à défaut de référendum, impossible pour des raisons d'ordre constitutionnel, un grand débat permette à tous les Français de mesurer l'enjeu, d'exprimer leur opinion, de dire ce qu'ils avaient dans le coeur.

Partout dans le pays, à l'Assemblée Nationale et au Sénat bien sûr, mais aussi dans les communes, les Universités, les lycées, les associations de jeunes, c'est plus de dix mille réunions qui ont été organisées. Toutes celles et tous ceux qui le souhaitaient ont pu défendre leurs idées. La presse s'en est fait l'écho tout au long de ces deux mois. Elle a pris sa part d'une réflexion d'excellente tenue qui a su dépasser les clivages partisans. Tout cela témoigne d'une authentique vie démocratique, vivante et forte. Et je voudrais aujourd'hui exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont enrichi ce débat.

J'ai été bien sûr très attentif aux différents points de vue qui se sont exprimés. J'ai constaté que la professionnalisation des armées était comprise et acceptée par la très grande majorité des Français, et je m'en suis réjouis. J'ai constaté aussi que se manifestait une forte préférence en faveur d'un service national fondé sur le volontariat mais assorti d'un rendez-vous obligatoire entre les jeunes et la nation.

J'ai pris acte de ces orientations et je m'en suis entretenu avec le Premier ministre et le Ministre de la Défense. Je propose donc que le service national que nous connaissons aujourd'hui soit supprimé dès le 1er janvier 1997 et qu'il cède la place à des volontariats, tout en maintenant le principe d'un rendez-vous entre la nation et sa jeunesse.

C'est une décision dont chacun mesure l'importance. Elle tourne une page de notre histoire nationale, mais elle touche aussi à la vie personnelle de chacun. Beaucoup d'entre vous ont dans le coeur et dans la mémoire bien des souvenirs des mois ou des années qu'ils ont passés à l'armée. Pour un homme de ma génération qui, comme tous ses camarades, a servi sous les drapeaux dans une période tourmentée, c'est une décision difficile. Mais vous m'avez confié pour sept ans la destinée de notre pays. Le souci de préparer son avenir exigeait que cette décision fût prise.

Pendant près d'un siècle, la conscription a mêlé, dans la fraternité des casernes, des jeunes de toutes conditions, venus de toutes les régions. Elle a permis de défendre la patrie dans les heures les plus tragiques de notre histoire et les noms inscrits sur les monuments aux morts de chaque ville, de chaque village nous le rappellent avec force.

Si le service national est peu à peu devenu inadapté, je dois et je veux défendre l'idéal républicain auquel il se réfère, qui est un idéal d'égalité, un idéal de solidarité, un idéal de patriotisme.

C'est pourquoi je souhaite que chaque jeune Français, dans l'année de sa majorité, vive une rencontre avec la nation.

Ce rendez-vous citoyen ne doit pas souffrir d'exception. Il permettra d'établir un bilan général de la santé et du niveau scolaire des jeunes Français. Il aura pour vocation d'ouvrir des voies nouvelles pour favoriser leur insertion lorsqu'ils sont en difficulté. Il dispensera une information civique sur le fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions, sur le respect des droits de l'homme sur les impératifs de notre sécurité. Enfin, ces quelques jours permettront de proposer aux jeunes les différentes formes de service pour lesquelles ils pourront se porter volontaires s'ils le souhaitent.

La durée de ces volontariats sera variable : 9 mois, peut être moins, peut être davantage selon les spécialités. Ces volontaires pourront servir dans trois domaines :

D'abord la prévention et la sécurité, entendues au sens large : l'armée, la police, la gendarmerie, les douanes, les pompiers et la sécurité civile, mais aussi la protection de l'environnement.

Ensuite la solidarité, qui s'exercera dans les quartiers difficiles, les hôpitaux, les écoles, les associations et organismes qui aident leur prochain en situation de précarité.

Enfin la coopération internationale et l'aide humanitaire, en faveur des pays que la France veut aider à se développer.

Les jeunes Français qui choisiront d'offrir ainsi quelques mois de leur vie devront naturellement bénéficier d'une reconnaissance concrète de la nation.

Je tiens à préciser à nos compatriotes d'outre-mer que la possibilité d'un service militaire adapté, qui rend aujourd'hui d'immenses services à la jeunesse comme aux communautés locales, sera maintenu sous une forme que j'ai demandé au Gouvernement d'étudier.

Bien entendu, les besoins de notre défense ne doivent pas être affectés pendant la période conduisant à la professionnalisation des armées. Une période de transition est donc nécessaire.

Le nouveau système s'appliquera, à partir du 1er janvier 1997, à tous les jeunes gens nés après le 1er janvier 1979. Le service volontaire sera ouvert dès cette date aux jeunes filles qui le souhaiteront.

A la fin de la phase de transition, c'est-à-dire en 2002, c'est l'ensemble de la jeunesse, garçons et filles, qui sera appelé à ce rendez-vous citoyen d'une durée d'environ une semaine.

Quant aux jeunes gens sursitaires, nés avant le 1er janvier 1979, ils continueront, comme leurs camarades actuellement incorporés, à effectuer leur service national selon l'ancienne formule mais avec une durée qui sera progressivement réduite. Certains, je le comprends, ressentiront peut-être difficilement cette disparité de destin et d'obligation. Mais les besoins de la défense nous l'imposent pendant la période de transformation de nos armées, et il n'y a pas de système plus juste que celui qui consiste à appliquer un même principe aux jeunes d'une même classe d'âge.

Mes Chers Compatriotes, le monde change, le 21ème siècle est à nos portes. Il y a pour notre pays une exigence de modernité, mais il y a aussi une exigence de fidélité. Fidélité à une histoire, fidélité à des valeurs, fidélité à une culture marquée par le lien particulier qui unit chaque Français à sa patrie.

La multiplication des échanges et les évolutions du paysage international rendent plus fragiles les sentiments d'appartenance, donc de solidarité. Les Français aiment la France, et ils en sont fiers. Mais parfois, et surtout les jeunes, ils perçoivent moins facilement qu'avant ce que signifie "être Français".

Je souhaite que la réforme qui va avoir lieu, avec notamment le rendez-vous citoyen entre la nation et sa jeunesse, même s'il est de courte durée, permette à chaque jeune Français, à chaque jeune Française, de découvrir ce qu'il doit à sa propre dignité, ce qu'il doit aux autres, ce qu'il doit à son pays et ce qu'il peut en attendre.

C'est le sens profond de cette réforme. Je sais qu'elle répond à l'intérêt de la Nation et aussi au souhait d'une grande majorité d'entre vous.