INTERVIEW DE M. JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

AUPRES DE L'ASSOCIATION DES AMIS D'ALEXANDRE DUMAS,

MERCREDI 10 AVRIL 2002

Question : Monsieur le Président, cette décision de faire entrer Alexandre Dumas au Panthéon résulte-t-elle chez vous de la volonté du Président de la République, de l'homme politique, ou bien tout simplement du lecteur ?

Connu avant tout comme romancier, Dumas était aussi un auteur dramatique, un grand voyageur, un humaniste, un républicain fervent? Quelles facettes de cette personnalité voulez-vous distinguer plus particulièrement en le faisant entrer au Panthéon ?

Le Président : La décision de transférer les cendres d'Alexandre Dumas au Panthéon, si elle se fonde sur l'admiration et l'affection du lecteur, est d'abord destinée à accorder la reconnaissance de la nation à un grand écrivain certes mais surtout à un grand homme. C'est la nature même du Panthéon••• Grand homme, Dumas le fut assurément par son amour immodéré des êtres, par sa volonté de servir son pays, par son soutien à une République encore balbutiante, par cet immense projet pédagogique que constitue son oeuvre. Conciliant le particulier et l'universel, il fut magnifiquement français, souvent pour le meilleur et jamais pour le pire : en lui, nous nous reconnaissons tous, jusque dans ses contradictions. Dumas, c'est un peu notre maison commune. Et puis parvenir là où il est parvenu en partant d'où il partait, c'est magnifique : l'esclavage n'était pas encore aboli, il faut s'en souvenir pour mesurer l'ampleur de ce qu'il a accompli en étant le petit-fils d'une esclave•••

Question : Petit-fils d'esclave noire et de gentilhomme normand, fils d'un général de Bonaparte et d'une commerçante de Villers-Cotterets, Dumas vous semble-t-il symboliser la France du XIXème siècle ?

Le Président : Oui, il incarne la France, du 19ème siècle et peut-être même du 21ème•••, dans ses contradictions les plus intimes. C'est sans doute pour cela que les Français l'aiment tant•••

Question : Dumas a été très largement ignoré, voire méprisé, par l'Education nationale et l'Université. Espérez-vous qu'après le Panthéon, il pourra enfin entrer dans les écoles ?

Le Président : J'espère sincèrement que l'entrée de Dumas au Panthéon va bousculer enfin certaines idées reçues. On a voulu confiner cet auteur de génie au rang des auteurs de second ordre au seul motif qu'il était, qu'il est toujours, populaire. Comme si cela était une insulte ou un défaut ! C'est l'un des objets de ce transfert : montrer que la culture appartient à tous. Relisez le cycle des Trois Mousquetaires ou le Comte de Monte Cristo... Ce sont de grandes oeuvres. L'étude sur le pouvoir qui est faite dans le Vicomte de Bragelonne est d'une vérité et d'une puissance saisissantes••• J'espère vraiment qu'en entrant au Panthéon, Dumas entrera également davantage au collège et au lycée.

Question : La popularité de Dumas à l'étranger est considérable, comme le montrent par exemple les messages venus du monde entier sur notre site Internet pour soutenir la panthéonisation. Avez-vous constaté cette popularité au cours de vos voyages ? Voyez-vous Dumas comme un ambassadeur de la langue française ?

Le Président : J'ai souvent pu mesurer la popularité de Dumas lors de mes voyages à l'étranger. Jusqu'au Président Jiang Zemin qui a dit un jour que Monte Cristo était le roman absolu••• Quant aux Tchétchènes, ils le révèrent encore aujourd'hui comme une gloire nationale•••Dumas fait partie de ces rares auteurs dans le monde, avec son presque frère Hugo, qui ont su créer non seulement des personnages mais des mythes. En cela, il est exceptionnel. C'est ce que lui reconnaissent les étrangers. Pour ce qui est de son rôle d'ambassadeur de la langue française, il n'est que lire, comme vous le dites, les témoignages figurant sur le livre d'or du site de la société des Amis d'Alexandre Dumas : ils viennent du monde entier.

Question : Quels sont les livres de Dumas que vous préférez ? Les films tirés de ses oeuvres ?

Le Président : J'aime beaucoup ses récits de voyage, notamment le voyage dans le Caucase et le voyage en Russie. Pour ce qui est du cinéma, je garde un souvenir fort du Comte de Monte-Cristo et notamment l'adaptation où Jean Marais tenait le rôle d'Edmond Dantès. Il était formidable.

Question : Auxquels de ses personnages êtes-vous le plus attaché ?

Le Président : Comme Dumas, j'ai une grande tendresse pour Porthos...