INTERVENTION TELEVISEE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE INTERROGE PAR M. JEAN-MARIE CAVADA ET M. WILLIAM LEYMERGIE

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CITE DES SCIENCES

LUNDI 10 MARS

M. LEYMERGIE - Mesdames, Messieurs, bonsoir. Bonsoir à tous.

Monsieur le Président, bonsoir.

M. LE PRESIDENT - Bonsoir.

M. LEYMERGIE - Merci d'avoir répondu à l'invitation de France Télévision.

Comme vous venez de le lire sur ce générique, c'est effectivement une émission spéciale, en direct de la Cité des métiers, à la Cité des sciences et de l'industrie à la Villette à Paris.

Derrière vous, Monsieur le Président, la fameuse Géode et, devant vous, un public de personnes qui ont un point commun. Toutes ces personnes ont entrepris des expériences concrètes pour les jeunes, et c'est la raison de leur présence. Soyez les bienvenus.

Le sujet de cette émission spéciale est "Les années 2000 sont-elles réellement une chance pour tous ?". Il y a un point d'interrogation, nous y tenons, et d'ici la fin de l'émission, si nous pouvons enlever ce doute, nous aurons fait avancer le dossier avec vous, Monsieur le Président.

Les chiffres maintenant. Bien sûr, on en donnera au cours de cette émission, mais peu, peu à chaque fois en tout cas. En voici deux :

8 millions de 15-24 ans, parmi eux, plus de 2 millions d'actifs et, parmi ces actifs, 600 000 au chômage.

M. CAVADA - Cette émission, Monsieur le Président, est un parcours, si vous le voulez bien. D'abord, l'univers de l'école, puis ensuite l'univers de l'entrée dans l'emploi et notamment l'insertion. Et puis aussi les jeunes citoyens, les valeurs et la façon dont ils veulent faire bouger la société.

Il y a deux ans, une majorité de jeunes gens, 55 % de 18-24 ans, a voté pour vous. 22 mois plus tard, leur confiance est descendue, elle est aux environs de 35 %. Aujourd'hui, cependant, quand on les interroge, ce que nous avons fait à travers un sondage IFOP pour France Télévision et qu'on leur pose la question suivante : sur qui comptez-vous le plus pour préparer votre avenir et celui de notre société ? Voici, si vous me le permettez, leurs préférences :

- D'abord, sur eux-mêmes, 65 %

- Sur leurs parents, 40 %

- Sur les chefs d'entreprise, 31 %

- Vous arrivez plus bas, en sixième position

-. Plus bas encore et plus loin, les syndicats

N'est-on pas en face d'un certain désenchantement de l'action ?

M. LE PRESIDENT - Monsieur Cavada, merci d'abord de votre accueil.

Si vous aviez été plus loin encore dans votre sondage qui a été publié, donc que je connais, vous auriez vu également qu'une majorité de jeunes est optimiste. Cela est un phénomène nouveau dans notre société, voir que les jeunes aujourd'hui, aux deux-tiers, premièrement, sont optimistes, malgré les difficultés considérables auxquelles ils sont confrontés.

M. CAVADA - 65 %.

M. LEYMERGIE - Entre 60 et 65 %.

M. LE PRESIDENT - Sont optimistes. Et que les deux-tiers comptent d'abord sur eux-mêmes pour réussir. Ce sont les caractéristiques d'une jeunesse formidable.

A partir de là, surtout lorsqu'on a une jeunesse comme cela, une Nation n'est une grande Nation que si elle fait tout ce qui est nécessaire pour intégrer tous ses enfants.

Alors, l'emploi est évidemment l'essentiel. Il est essentiel pour tous, bien sûr, mais s'agissant des jeunes, il résulte pour une large part de l'éducation, de la formation, de l'orientation, de l'insertion. Tous ces domaines qui ont évolué et sur lesquels on peut faire encore d'immenses progrès. C'est de cela que je souhaiterais parler ce soir.

M. CAVADA - Nous allons attaquer tout de suite, Monsieur le Président, la première partie, c'est-à-dire tout l'univers de l'école.

M. LEYMERGIE - Nous allons commencer dès le début, c'est la lecture. A l'entrée en 6e, on a constaté, plusieurs études ont été faites là-dessus, qu'un tiers des élèves ont de moyennes ou de grandes difficultés de lecture. Et on retrouve ce même blocage cinq ans plus tard, les mêmes, ils ont 16 ans à peu près, et 20 % de ces jeunes sont incapables de lire une annonce d'emploi, de rédiger un CV ou une note manuscrite.

Voici le premier reportage sur ce sujet-là, Monsieur le Président.

REPORTAGE

M. CAVADA - Voici, Monsieur le Président, un exemple assez frappant où la lecture est plutôt mal maîtrisée, où l'enseignant fait un effort très intéressant de pédagogie en utilisant la musique. Selon vous qui est responsable de ces difficultés ? Est-ce que ce sont nos méthodes successives qu'on a imposées au fur et à mesure des années ? Est-ce que les enseignants eux-mêmes ne sont pas suffisamment formés ? Quel est votre avis ?

M. LE PRESIDENT - Quand on constate une situation dégradée, 15 à 20 % de nos enfants qui entrent en 6e sans maîtriser la lecture, l'écriture, le calcul, c'est qu'on a mal organisé les choses avant. Nous avons des maîtres qui, dans l'ensemble, sont tout à fait remarquables. Et vous observerez que tous les jugements qui sont portés sur l'école primaire en France la mettent parmi les meilleures d'Europe et du monde.

M. CAVADA - Ce qui est une bonne chose puisque, par le passé, on les a souvent calomniés. Les enseignantes, les enseignants...

M. LEYMERGIE - ... Vous voulez parler des instituteurs en particulier, professeurs d'école, comme on dit aujourd'hui.

M. LE PRESIDENT - Et des enseignants en général, mais notamment des instituteurs dont la responsabilité est considérable et qui ne sont pas reconnus, c'est vrai, comme tels aujourd'hui alors qu'ils l'étaient hier puisque ce sont eux qui apportent l'essentiel, au départ, à nos enfants. Tout ou beaucoup se passe en réalité, au cours préparatoire, et notamment la lecture.

Nous avons 15 à 20 % de gens qui sont en réalité des illettrés, pourquoi ? Probablement parce qu'il y a eu trop d'élèves, un afflux considérable. Il faut voir que l'école a relevé un défi fantastique en France, en 30 ans ou 35 ans, on a doublé le nombre des élèves. On a d'ailleurs multiplié par sept celui des étudiants, ce qui est un autre problème. Il a donc fallu faire face.

Je crois également qu'il faut réfléchir, et j'ai demandé au ministre de l'Education nationale qui fait un grand effort dans ce domaine, à ce qu'on a appelé la méthode globale. Je ne suis pas sûr qu'elle ait toutes les vertus qu'on a eu tendance à lui reconnaître.

M. LEYMERGIE - Vous voulez dire éventuellement une réforme des programmes dans ce domaine-là ?

M. LE PRESIDENT - J'ai demandé que le Comité des programmes réexamine. Je n'ai pas de compétences particulières pour en parler, il faut le faire en concertation étroite avec les instituteurs. Mais je crois qu'il faut réexaminer cette méthode globale d'autant que, en réalité, il y a 150 ou 200 méthodes.

M. LEYMERGIE - Certaines se sont succédées, en plus.

M. LE PRESIDENT - ... et il y a une lecture qu'on apprend sur trois ans. Naturellement, c'est extrêmement déstabilisant. Donc, il y a un effort à faire.

Deuxièmement, il y a un effort, sans aucun doute, sur la formation des maîtres dans les IUFM. Il faut leur donner plus de compétences pour ce qui concerne la lecture.

En tous les cas, ce que je veux vous dire, c'est que je ne peux pas accepter une situation de cette nature. Plus on ira et plus la réussite individuelle et nationale dépendra de l'éducation, dépendra de l'intelligence, dépendra de la connaissance. C'est le monde qui évolue ainsi. Et donc on ne peut pas rester dans cette situation. Et ce que je veux, c'est qu'au terme de mon septennat, tous les enfants, en entrant en 6e, maîtrisent parfaitement les connaissances de base. Et ce que je veux, c'est que tous les enfants, en fin de CE2, sachent parfaitement lire.

M. LEYMERGIE - Cela est l'objectif ?

M. LE PRESIDENT - Cela est l'objectif, et je ferai en sorte qu'il soit atteint.

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, vous avez parlé de la part de responsabilité de l'éducation, des enseignants. On peut en dire un mot de la part de responsabilité des parents dans une situation comme celle-là ?

M. LE PRESIDENT - Les parents doivent être incontestablement beaucoup plus associés, notamment ceux qui se sentent, pour des raisons sociales, un peu loin de l'école. Ils doivent savoir qu'ils doivent s'impliquer, que l'école ne leur est pas étrangère, que l'école, c'est aussi leur affaire et que leurs enfants seront d'autant plus attachés à l'école, ce n'est pas seulement vrai au cours préparatoire, qu'ils verront que leurs parents y sont également attachés.

Puis, il y a naturellement les illettrés adultes.

M. CAVADA - Nous allons faire un point un peu spécial sur les illettrés qui est une spécificité dont nous n'avons pas, et loin d'ailleurs le monopole, mais qui est assez préoccupante dans la mesure des pourcentages que vous avez cités vous-même : 1 jeune sur 5 a des difficultés de lecture et plus de 1 sur 10 est soit analphabète, soit illettré ou, en tout cas, éprouve de grandes difficultés de lecture.

Voici ce qui attend ces jeunes plus tard, c'est-à-dire si on ne corrige pas, comme vous venez de le dire, le cap dès l'entrée à la petite école.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, dans ce que nous venons de voir, on constate deux mouvements contradictoires : d'un côté, il y a un niveau général scolaire qui s'élève et, de l'autre côté, de plus en plus d'élèves qui sont des laissés pour compte puisque sans notions de base. C'est le phénomène de l'illettrisme. Il est amplifié, on l'a bien vu, dans les quartiers difficiles. N'est-ce pas là qu'il faut s'attaquer à ce que vous avez appelé la fracture sociale ?

M. LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord qu'on n'ait pas l'impression...

M. LEYMERGIE - ... que c'est un drame permanent, c'est cela ?

M. LE PRESIDENT - Oui, que l'enseignement français conduit à la catastrophe. Une espèce de masochisme permanent que nous avons pour mettre en lumière tout ce qui va mal et laisser ainsi croire qu'il n'y a pas de chance de s'en sortir ou démobiliser les gens, ce n'est pas bien !

Nous avons, et les sondages que vous avez évoqués tout à l'heure en témoignent, des jeunes qui savent des choses. Nous avons des jeunes qui sont dynamiques, qui veulent faire quelque chose, qui comptent sur eux-mêmes Nous avons naturellement des lacunes, comme partout. Nous disons : "Nous avons 15 ou 20 % d'illettrés", c'est vrai ! et je dis mon ambition, et les instructions que j'ai données au gouvernement, dont je suivrai personnellement l'exécution, c'est qu'au terme du septennat, ce problème soit, pour l'essentiel, réglé. Mais nous sommes tout de même un des pays où il y a le moins d'illettrés. Vous aviez, il y a quelques jours, le Président Clinton qui faisait son discours sur l'état de l'Union et qui disait que 40 % des enfants de 8 ou 10 ans aux Etats-Unis ne savaient pas lire, 40 %.

M. LEYMERGIE - A population égale.

M. LE PRESIDENT - Non, pas à population égale, 40 %. Et donc ne croyons pas que nous sommes un pays désespéré. Nous sommes un pays où il y a une qualité, une capacité. Nous avons des maîtres extraordinaires. Nous avons des lacunes, il faut y remédier.

Je le disais tout à l'heure, je crois qu'il faut s'interroger sur les méthodes, il faut renforcer la capacité des maîtres, il faut adapter nos techniques aux différentes écoles, notamment dans les zones d'éducation prioritaire, et il faut mobiliser ce fantastique potentiel, on en a ici tout autour de nous, que constituent les associations et qui se donnent énormément de mal pour apprendre à lire ou à écrire à ceux qui n'ont pas eu la chance d'apprendre à l'école.

On parlait, il y a quelques jours, j'en ai vu beaucoup, d'une association à Rennes, composée essentiellement de personnes du troisième âge, des jeunes retraités actifs, généralement de l'Education nationale, qui apprennent à lire à des jeunes qui ont entre 18 et 25 ans ou 30 ans. Les résultats sont fantastiques.

Là aussi, il y a un potentiel extraordinaire. Nous avons maintenant des jeunes retraités, souvent, je le répète, de l'Education nationale, qui, pour beaucoup d'entre eux, sont tout à fait prêts à se mobiliser dans le cadre associatif ou directement, branchés sur les établissements scolaires, et qui peuvent apporter le meilleur eux-mêmes, leur coeur, leur intelligence, leurs compétences, et qui le font. Il faut les encourager. Cela aussi est la preuve d'une Nation dynamique et non pas de ce que l'on nous montre.

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, il faut compter sur l'initiative personnelle, vous parlez ceux de Rennes, ou est-ce un mouvement national que vous pourriez...

M. LE PRESIDENT - ... mais c'est un mouvement national. Vous avez, en France, un nombre fantastique d'associations. Nous sommes probablement l'un des pays où il y a le plus d'associations, notamment dans le domaine, je dirais, humanitaire ou social au sens large du terme. Et c'est quelque chose qu'il faut encourager. C'est le coeur au service des autres. Et notamment dans le domaine de la lutte contre l'illettrisme, c'est un élément déterminant. Il faut agir à la racine, nous en avons parlé tout à l'heure, c'est l'école, c'est le cours préparatoire. Car si on n'apprend pas à lire au cours préparatoire, on a 80 chances sur 100 de ne pas apprendre plus tard.

Et puis il faut traiter ceux qui, hélas, ne peuvent pas s'insérer parce qu'ils ne maîtrisent pas la lecture et qu'ils ont entre 16 et 25 ans. Cela suppose un effort de tous, et notamment de tous les jeunes retraités actifs qui, pour beaucoup d'entre eux, ne demandent pas mieux que d'apporter leur aide. Et cela est un pays formidable. Il faut le dire aussi.

M. CAVADA - Monsieur le Président, on a le sentiment, actuellement, que l'éducation est une sorte de valeur politique fondamentale pour les Français, il y a une grande mobilisation autour de cela, ce qui est plutôt un très bon signe. Que voulez-vous faire pour assurer ce qu'on appelle les fondamentaux ? Ce qui est aussi, je crois, votre pensée. Que faut-il faire ? Que faut-il faire à l'école ?

M. LE PRESIDENT - Ce serait un peu long. A l'école, il faut d'abord former des citoyens, et je me réjouis que l'actuel ministre de l'Education nationale ait réintroduit l'instruction civique qui suppose que l'on connaisse la société dans laquelle on vit, au collège et au lycée, mais qui doit s'exprimer au cours préparatoire, au cours élémentaire, au cours moyen, par l'acquisition nécessaire de la politesse, de la civilité, du comportement. Et trop souvent nos enfants n'apprennent pas à maîtriser leur comportement. On a vu que c'était le cas parfois pour les connaissances, c'est vrai aussi pour les comportements. C'est important : faire des citoyens.

L'école doit également donner sa chance à chacun. Cela suppose naturellement que l'on permette à tous d'avoir les mêmes facultés, et nous tombons tout de suite sur ces problèmes liés aux rythmes et donc aux fondamentaux. Les rythmes scolaires ne sont pas bien adaptés aujourd'hui.

M. CAVADA. Vous les trouvez quoi ? Trop chargés ? Trop longs ?

M. LE PRESIDENT - Ils sont trop chargés. Les programmes sont probablement excessifs. J'ai demandé, là aussi, au ministre de l'Education nationale d'essayer de revoir les programmes. Les programmes, c'est au fond ce que l'on apprend à nos enfants, et c'est surtout vrai pour les plus jeunes. Ce n'est pas un problème d'experts, c'est un vrai problème de société.

M. LEYMERGIE - Vous voulez dire la conception des programmes ?

M. LE PRESIDENT - La conception des programmes. C'est un vrai problème de société qui suppose un vrai débat national, qui suppose un débat parlementaire, non pas pour les arrêter naturellement, sinon on changerait de programme, mais pour en débattre, pour que chacun prenne conscience. Et si l'on aménage les rythmes scolaires, si l'on fait davantage de sport et de disciplines de la sensibilité - les enseignements artistiques - dans le programme des enfants, c'est bon pour leur santé et c'est conforme à ce qu'ils peuvent apprendre le mieux. Et donc l'école est moins ennuyeuse, car elle ne doit pas être le lieu de l'ennui.

C'est également une incitation forte à établir des programmes où l'on maintient l'essentiel, et non pas ce qui n'est pas absolument nécessaire. Et cela donne la même chance à tous d'accéder aux disciplines de la sensibilité.

M. CAVADA - Si on vous suit, Monsieur le Président, cela veut dire que vous avez dans la tête de faire présenter par votre gouvernement au Parlement une sorte de débat d'orientation sur l'allégement de certaines matières, l'aménagement des rythmes ?

M. LE PRESIDENT - Le gouvernement fera ce qu'il voudra dans ce domaine. Je dis simplement que les programmes, c'est ce que l'on va apprendre à nos enfants et que ce n'est donc pas un problème d'experts, cela suppose un débat national. Il faut que chacun puisse apporter sa contribution. Après, naturellement, le ministère décidera.

M. LEYMERGIE - Le débat pour l'instant n'a pas lieu...

M. LE PRESIDENT - ... non, il n'a pas lieu.

M. LEYMERGIE - Vous le souhaitez ?

M. LE PRESIDENT - Je le souhaite.

M. LEYMERGIE - Le plus vite possible.

M. LE PRESIDENT - Je le souhaite. Et il faut en particulier faire des choses plus concrètes. Il a été dit des choses très intéressantes par nos prix Nobel, M. de Gennes et M.Charpak sur le retour, en quelque sorte, à la leçon de choses, c'est-à-dire à manipuler les choses, les toucher, les faire fonctionner. Cela aussi devrait être réintégré dans notre conception de l'école.

M. CAVADA - Etes-vous favorable, Monsieur le Président, à l'introduction massive qui a déjà commencé depuis un an et demi, voire la deuxième saison, des langues vivantes dès l'école maternelle ?

M. LE PRESIDENT - Oui, naturellement, et cela a commencé, je m'en réjouis. On a dit : "Oui, mais tous les instituteurs ne sont pas capables d'enseigner", c'est évident !

M. LEYMERGIE - Ils n'ont pas pu se former pour ça.

M. LE PRESIDENT - Et donc on prend des cassettes, ce n'est pas l'idéal. Mais pour un enfant, c'est en réalité la musique de la langue qui est importante. Et tous les experts vous diront que cela facilite la compréhension de la langue maternelle.

Il faut davantage donner aux enfants l'enseignement qui correspond à leurs dons. La langue maternelle, les langues étrangères, tout ce qui touche aux arts, d'où l'importance de la réforme des rythmes scolaires pour leur donner la musique, les arts plastiques. Tout ce qu'ils aiment.

M. CAVADA - Une initiation ?

M. LE PRESIDENT - Oui, et qui permet ensuite une meilleure formation, avoir une tête bien faite également, et pas seulement bien pleine.

Les hautes technologies, le sport naturellement. Les hautes technologies, les enfants acquièrent cela extraordinairement vite, beaucoup plus vite que nous, et ce sont eux qui les utiliseront.

M. LEYMERGIE - Nous sommes en plein dedans, Monsieur le Président. Hautes technologies, cela tombe bien puisque, en plus dans ce décor-là, beaucoup d'enfants voient chez eux des jeux vidéo. Il y a des téléviseurs et, pour presque 15 % des foyers, un ordinateur. Et le Président Clinton, dans son discours sur l'Union, dont vous parliez il y a un instant, a déclaré : "A 12 ans, un petit Américain doit savoir maîtriser l'ordinateur". Y a-t-il, en France, un plan comparable d'équipement massif des écoles en ordinateurs ?

M. LE PRESIDENT - 60 %, aux Etats-Unis, des emplois créés sont maintenant des emplois liés à l'information et à la communication. Ce sera la même chose en Europe et en France. C'est donc très lié à l'emploi de la société de demain.

Deuxièmement, cette société sera forcément tributaire, phénomène fondamental, qui est celui de l'information. Toute l'histoire nous montre qu'il faut deux générations pour qu'une invention devienne un phénomène de société et encore deux générations pour qu'elle devienne une réalité socio-économique.

M. CAVADA - Qu'elle soit maîtrisée par tout le monde !

M. LEYMERGIE - Qu'elle soit familière.

M. LE PRESIDENT - C'est vrai pour la machine à vapeur, l'électricité, les chemins de fer. L'ordinateur a été inventé il y a 50 ans et, maintenant, c'est un phénomène de société et, demain, dans une ou deux générations, ce sera une réalité socio-économique qui conditionnera toute notre existence. D'où la nécessité, effectivement, que chacun, aujourd'hui, puisse la prendre. Or, ce sont les jeunes qui apprennent ces choses et qui nous les apprennent, qui apprennent aux aînés. Les aînés apportent leur expérience, les jeunes apportent leur passion dans toutes les technologies nouvelles et leur aptitude à les maîtriser.

En France, ne croyons pas que nous soyons là encore en retard, bien au contraire ! J'entends : "Ah ! nous sommes en retard", mais ce n'est pas vrai ! Nous avons en France le minitel...

M. CAVADA - ... c'est-à-dire une culture du clavier, en réalité.

M. LE PRESIDENT - Nous sommes le pays du monde qui a la culture du clavier et de l'écran la plus élaborée. Vous parlez des Etats-Unis, mais aujourd'hui la boulangère d'Aubervilliers sait parfaitement interroger sa banque avec son minitel. La boulangère de New-York en est tout à fait incapable. Nous avons une culture grâce au minitel. Naturellement, maintenant, il faut faire le bond suivant, mais nous ne partons pas de rien. Et si vous ajoutez à cela que nous avons des industries de hautes technologies qui sont parmi les premières du monde, si vous ajoutez à cela que nous avons des industries de services et de logiciels qui sont mondialement reconnues, nous avons tous les éléments pour être parmi les premiers.

M. LEYMERGIE - Compte tenu de cela, avez-vous l'intention de mettre en place un plan d'équipement ?

M. LE PRESIDENT - Je constate avec plaisir que l'Union européenne s'en est saisie. Notre commissaire, Mme Edith Cresson, a mis au point un plan très remarquable qui s'appelle "apprendre dans la société de l'information" et je souhaite que ce plan soit soutenu le plus possible par l'Union européenne. Et puis nous avons déjà, en France, fait des efforts.

Je veux que, pour l'an 2000, c'est-à-dire dans trois ans, tous les établissements d'enseignement secondaire soient connectés aux réseaux, et ça le sera parce que c'est capital.

M. CAVADA - A des réseaux existants déjà ou souhaitez-vous aussi la création de réseaux, je dirais, parlant français, pensant européen ?

M. LE PRESIDENT - Il faut évidemment créer nos réseaux.

M. LEYMERGIE - Sinon il y a Internet, mais il n'y a pas que cela.

M. LE PRESIDENT - Internet est un excellent réseau, mais ce n'est pas le seul. Nous devons faire un effort, nous avons d'excellentes entreprises pour cela, pour créer les banques de données nécessaires, pour le faire en français. Nous avons une culture extraordinaire qui est recherchée dans le monde entier. Nous avons la technologie, il nous appartient aujourd'hui, dans le cadre notamment de l'espace francophone, 51 nations, ce n'est pas rien.

M. LEYMERGIE - ... cela veut dire qu'il faut la volonté maintenant.

M. LE PRESIDENT - C'est-à-dire qu'il faut la volonté et créer les réseaux nécessaires pour que chacun puisse s'y rattacher. Et nous parlions de l'emploi, c'est également très important.

J'ai inauguré, il y a quelques jours un espace Cyber-jeunes, c'était le premier, il y en aura un dans chaque région à la fin de l'année, et le plus vite possible beaucoup d'autres. Cela permet aux jeunes qui connaissent l'utilisation de l'ordinateur personnel ou qui sont guidés pour apprendre, d'interroger des centres d'emplois où l'on peut trouver un emploi, où l'on peut trouver un logement.

M. LEYMERGIE - Vous reconnaîtrez, Monsieur le Président, qu'il n'y en a pas beaucoup.

M. LE PRESIDENT - Il n'y en a encore qu'un, mais à la fin de l'année il y en aura déjà beaucoup plus. Et, je le répète, cela va se développer rapidement.

J'étais l'autre jour à Villefranche et je parlais avec des jeunes, et il y a une jeune fille qui m'a dit : "moi, j'habite à 30 kilomètres de Lyon, je cherche un emploi. Si je veux aller à la source, je suis obligée de faire 30 kilomètres à l'aller, 30 kilomètres au retour, c'est un problème pour moi, notamment de moyens", c'est évident ! et de perte de temps aussi. S'il y avait dans son école ou dans sa mairie un ordinateur lui permettant d'interroger directement les demandes d'emplois, 40 % des demandes d'emplois aux Etats-Unis ou au Japon sont trouvés sur ordinateur, 40 %, c'est tout à fait considérable !

M. CAVADA - Ce qui veut dire en clair la mise en réseaux.

M. LEYMERGIE - C'est le rôle de la mairie ? C'est le rôle de la commune ?

M. LE PRESIDENT - C'est le rôle de l'Etat, des régions, des communes, notamment de l'Education nationale pour les écoles.

Nous avons également une industrie qui doit être aidée, je pense en particulier au CD. Nous avons des CD formidables qui sont reconnus dans le monde entier, il faudrait les encourager.

J'ai demandé au gouvernement, au Premier ministre, au ministre des Finances de diminuer la TVA sur les produits et services multimédias comme le CD...

M. CAVADA - ... Cela tombe bien parce que, en effet, c'est encore un peu cher, honnêtement, un CD.

M. LE PRESIDENT - Il faut baisser les prix. J'ai demandé au gouvernement de ramener la TVA à 5,6 % pour encourager. Nous avons, là, des cartes superbes à jouer. Mais en tous les cas, en termes d'ambition, je veux que, pour l'an 2000, je le répète, tous les établissements d'enseignement secondaire soient connectés aux réseaux.

M. CAVADA - Ceci est clair, il y a un point sur lequel je voudrais pointer, Monsieur le Président, le rôle de l'école est une chose. N'avez-vous pas le sentiment que, très souvent, les parents, pour des raisons, d'ailleurs, en gros d'entrée dans le travail - les femmes maintenant travaillent en majorité - ont transféré sur l'école une partie des responsabilités qui leur incombaient. Et avant d'écouter votre réponse, je vous propose de regarder un exemple. Je pense, d'ailleurs, que vous le connaissez ou, en tout cas, qu'il vous a été présenté.

On dit souvent que les parents ont délaissé ces responsabilités. A Chicago, il y a une expérience qui est très intéressante, une prise en main conjointe de l'école par les enseignants, les familles et la municipalité dans un quartier très difficile.

Après le reportage, je vous demanderai votre sentiment sur ce sujet : les parents et l'école.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, vous avez visité cette école en février 1996. Comme à Chicago, peut-on faire cela en France : comment ouvrir l'école aux parents pour les impliquer davantage ?

M. LE PRESIDENT - Il faut ouvrir l'école aux parents. Je ne parlerai pas de l'école de Chicago, parce que la situation là-bas•••

M. LEYMERGIE -... est très particulière.

M. LE PRESIDENT -... est évidemment beaucoup, beaucoup plus désastreuse. Nous ne connaissons pas des situations comme celle-là. J'ai passé une après-midi dans ce quartier il y a un an, et en particulier longuement dans cette école. J'ai vu l'effort fait par les parents, effort à tous égards, parce qu'ils sont présents mais également ils paient parce que ce ne sont pas des écoles gratuites aux Etats-Unis. Enfin, le système américain n'est pas notre modèle.

Oui, il faut associer les parents beaucoup plus et tout faire pour cela. J'ai remarqué que, depuis quelques temps, cela se fait de plus en plus.

L'enfant ne comprendra l'école que s'il a le sentiment que ses parents y sont attachés.

Deuxièmement, il y a le problème - nous en parlerons peut-être tout à l'heure - d'un minimum d'autorité et la nécessité - c'est ce qui a été fait là-bas, mais c'est très bien, c'est ce qui commence à se faire en France - d'associer les élèves à l'élaboration du règlement dans l'école. Et c'est vrai dès le plus jeune âge, c'est encore plus vrai, naturellement, au collège et au lycée.

Mais on ne respecte une loi que lorsqu'on la comprend et on ne la comprend que lorsqu'on a été associé à son élaboration. Et, donc, il est tout à fait indispensable que les élèves soient associés à l'élaboration du règlement de l'école et puissent faire part de leurs propres préoccupations à ce sujet.

Ce qu'ils ont fait là-bas est un bon résultat.

M. CAVADA - Sur l'ouverture de l'université à la famille, l'exemple allemand qui consiste à ouvrir les écoles dans une sorte d'université de base populaire - je parle des écoles primaires et du secondaire - est-ce une solution qui vous plaît bien ?

M. LE PRESIDENT - Ce ne sont pas les écoles primaires et le secondaire que l'on ouvre en Allemagne, ce sont les lycées. Et je crois que l'on pourrait le faire aussi en France.

M. CAVADA - Donc, le secondaire.

M. LE PRESIDENT - Oui, pardon.

En Allemagne, ils ont un système qui pourrait très bien nous inspirer. Les lycées ferment à 18 heures. Ils ont décidé qu'on pouvait les ouvrir de 18 heures à 20 heures et quand vous avez 5 ou 6 ou 7 ou 8 personnes qui se mettent d'accord, ensemble, pour apprendre quelque chose, elles vont voir un proviseur de lycée, qui trouve le professeur. Les 5 ou 6 ou 8 personnes apportent leur cotisation pour payer le professeur et elles ont ainsi les cours qu'elles souhaitent. Il y a 160 ou 170 000 "étudiants" comme cela, et cela fait partie de la formation continue ensemble. Et je crois que l'on pourrait s'inspirer de cela en France, en utilisant les moyens dont nous disposons en locaux qui souvent sont laissés vides et qui pourraient être utilisés dans le cadre d'un système d'université populaire.

Mais, là, nous ne sommes plus à l'école des enfants, nous sommes déjà à la formation des adultes.

M. LEYMERGIE - Je résume rapidement, Monsieur le Président, vous parlez de rythmes scolaires à modifier, de programmes à simplifier, voire à alléger pour leur permettre de mieux se diversifier sur la journée. Vous avez parlé de parents à réintroduire dans le processus d'éducation.

Lors de votre campagne présidentielle, vous aviez songé à forcer ces blocages par un référendum. Etes-vous toujours favorable à cela ?

M. LE PRESIDENT - La réforme de l'éducation est engagée. M. Bayrou l'a engagée, l'a bien engagée, je crois ! Et il faut voir jusqu'où l'on peut aller. De toute façon, je le répète, l'éducation des enfants est le principal sujet de société dans un monde où tout, de plus en plus, dépendra de la connaissance de chacun. Et, par conséquent, s'il faut mobiliser dans un grand débat national, avec un référendum à l'issue, l'opinion publique, je le ferais bien volontiers. Mais je n'ai pas de projet actuel sur ce point.

M. CAVADA - Il y a un problème, Monsieur le Président, qui soucie beaucoup de gens, et vous êtes sans doute au premier rang de ceux-là, c'est l'introduction, la reproduction dans certains collèges notamment, - je pense surtout aux collègues - de la violence des quartiers défavorisés qui rentre dans l'école. Ce qui est un peu quelque chose de nouveau cette dernière décennie. Parce que, traditionnellement dans la République, de la blouse grise après la suppression de l'uniforme, les règles étaient quand même très respectées et très uniformes précisément. L'Etat peut-il faire quelque chose ? Ou bien est-ce ailleurs que cela se situe ?

M. LE PRESIDENT - Cela se situe ailleurs. L'Etat peut faire quelque chose naturellement. On peut et l'on doit mettre les agents nécessaires pour assurer la sécurité, ouvrir davantage les établissements à la famille. Mais cela se situe ailleurs.

Je parlais, il y a quelques jours, avec une petite fille de 7 ans qui va dans une école et elle m'expliquait que tous les jours, dans cette école, ils commençaient par 50 minutes de ce qu'ils appelaient la "causette". Et la "causette", cela consistait simplement à apprendre à se lever quand le maître entre, à ne pas couper son petit camarade quand il parle, à s'exprimer à son tour sur tel ou tel sujet.

Cela veut dire quoi ? Cela veut dire simplement d'apprendre quelles sont les règles de civilité et de politesse. C'est tout. Cela se passe au niveau du cours préparatoire, du cours élémentaire, du cours moyen. C'est une manière, d'abord, de confirmer une personnalité en donnant la possibilité de s'exprimer et c'est une manière de structurer les enfants au niveau de leur comportement. C'est en réalité l'instruction civique adaptée naturellement au jeune âge. Et, à partir de là, vous avez des enfants qui, au collège, seront par définition beaucoup plus civilisés que ceux que, malheureusement, on trouve de temps en temps. Mais tout ceci pose aussi le problème de l'autorité.

M. CAVADA - Est-ce que je vous sous-entends bien, Monsieur le Président, si, à travers vos propos, on croit comprendre que tout ceci a été beaucoup trop négligé par le passé ?

M. LE PRESIDENT - Oui, naturellement que cela a été beaucoup trop négligé par le passé. Vous savez, les choses évoluent en fonction des erreurs que l'on a faites.

Le problème de l'autorité, il faudrait qu'il y ait un jour ou l'autre une vraie réflexion - je l'ai demandée également au Gouvernement - sur ce que doit être l'autorité dans un régime démocratique moderne. C'est un vrai problème !

M. CAVADA - Qu'est-ce que cela veut dire ? Et comment l'organiser ?

M. LE PRESIDENT - Cela veut dire une chose simple, cela veut dire la responsabilité.

C'est la RESPONSABILITÉ qui doit être mise en exergue et d'où découle le minimum d'autorité qui est indispensable.

M. LEYMERGIE - L'autorité de tous, ce sont les parents, les enseignants. Chacun a sa responsabilité dans ce domaine ?

M. LE PRESIDENT - C'est un problème où il y a une espèce de complicité pour ne pas en parler. Un être qui est chahuté n'ose pas le dire à son directeur ou à son principal. Les enfants n'osent pas le dire. Il y a 4 ou 5 meneurs, ils se font traiter de "collabos" et ils n'osent pas dire : "Cela ne va pas...".

Eh bien, il faut reprendre cela et on ne le reprendra qu'à la racine d'abord, ce que je vous disais tout à l'heure, en structurant les enfants, en leur donnant les règles élémentaires de politesse et de civilité, de tolérance, de vie en commun et, ensuite et au-delà, en ayant un minimum d'autorité ; à l'extérieur de l'école aussi.

Toutes les délinquances à l'extérieur de l'école se traduisent par des classements sans suite.

M. LEYMERGIE - Les dossiers sont déjà encombrés dans la justice, c'est vrai.

M. LE PRESIDENT - D'abord, parce que la justice n'a pas les moyens de suivre toutes ces affaires et, ensuite, parce que bien souvent les peines sont tout à fait disproportionnées avec la réalité des choses. Alors, on classe.

Celui qui a commis un acte de délinquance, reçoit une petite lettre dans laquelle on lui dit que c'est terminé. On ne lui donne même pas le conseil de ne pas recommencer...

M. CAVADA - Celui qui l'a subi reçoit la même, d'ailleurs !

M. LE PRESIDENT - Celui qui l'a subi, reçoit effectivement la même et comprend mal. Tout cela n'est pas bien.

Il y a maintenant une technique qui se développe et j'ai demandé au garde des sceaux de, là aussi, faire un effort pour la développer beaucoup plus vite, qui est la peine de réparation, qui est une peine tout à fait adaptée, qui peut être décidée par le substitut du procureur, qui n'a pas besoin d'encombrer la Justice. Et maintenant on a même des délégués des procureurs qui sont des personnes à la retraite, compétentes, issues du secteur judiciaire en général, et qui peuvent donner, en accord avec la victime, l'enfant, la famille, une peine de réparation.

M. LEYMERGIE - A quoi cela peut ressembler une peine de réparation ?

M. LE PRESIDENT - Oh ! Cela peut ressembler à nettoyer le mur qu'on a dégradé, à faire quelque chose dans le jardin, à nettoyer une pièce...

M. LEYMERGIE -... mais cela, c'est une peine officielle ?

M. LE PRESIDENT - Ce sont des peines officielles et cela existe officiellement. Il faudrait les développer. Et ce serait un moyen de responsabiliser.

L'autorité, en réalité, ne peut être que la mise en exergue du principe de responsabilité.

Vous parliez tout à l'heure de vos sondages. Si vous avez regardé attentivement les sondages que vous avez faits...

M. LEYMERGIE - Oh ! que oui ! Oh ! que oui !

M. LE PRESIDENT - vous verrez que la notion de responsabilité est une notion extraordinairement présente...

M. CAVADA - On va y venir un peu plus bas...

M. LE PRESIDENT -... dans l'esprit des jeunes d'aujourd'hui. C'est très important. Il faut répondre à ce besoin-là.

M. LEYMERGIE - Puisqu'on parlait de justice il y a un instant, Monsieur le Président, on va peut-être y rester pour ces affaires qui troublent l'actualité.

M. CAVADA - Il y a un sujet très important qui n'est pas encore très en surface en France, mais peut-être y a-t-il aussi, là, beaucoup de choses à craindre, et qui concerne le champ de la protection de l'enfance. Il y a un certain nombre de réunions très importantes qui se sont succédées cette dernière année au sein du Gouvernement et, ailleurs, au sein des associations.

Et notamment, je voudrais pointer du doigt la pédophilie. Il y a, en Europe, une succession de cas qui révèlent une ampleur insoupçonnée de l'exploitation sexuelle des enfants. Savez-vous si, en France, les cas que nous voyons apparaître dans l'actualité, ces derniers jours, sont des cas isolés ou craignez-vous, vous aussi, la mise a jour prochaine de véritables réseaux d'exploitation dans notre pays ?

M. LE PRESIDENT - On craint toujours le pire dans un domaine comme celui-là parce que, très longtemps, il a fait l'objet d'une espèce de complicité du silence pour des quantités de raisons et quelles que soient les formes qu'il prenait.

Aujourd'hui, on a conscience du caractère monstrueux de la chose et, bien entendu, les recherches et les poursuites vont se développer.

Il y a un an et demi, peu de temps après mon élection, j'avais demandé au ministre de l'Intérieur d'engager beaucoup de moyens nouveaux pour la recherche et la maîtrise de tout ce qui touche la maltraitance des enfants. Alors, naturellement, on a fait un gros effort et cet effort, hélas, à mon avis, ne peut pas ne pas porter ses fruits•••

M. CAVADA - Ce qui veut dire qu'il faut s'attendre à l'éclosion d'affaires dans le genre de ce que l'on voit en Belgique ou ailleurs ?

M. LE PRESIDENT - Ce n'est pas impossible !

M. CAVADA - Et pas forcément dans les milieux les plus défavorisés ?

M. LE PRESIDENT - Non. C'est un mal que l'on doit impérativement éradiquer. Mais, dans ce domaine, il y a aussi des réformes à faire et notamment voir comment l'on peut maîtriser les pulsions de ces gens, qui sont des agresseurs sexuels sur enfants, par des moyens médicaux. Et, aujourd'hui, d'après les experts que j'ai consultés, on peut le faire.

Et, donc, je ne sais pas s'il faut ou non - il y a un débat - soigner en prison. Mais je crois qu'il ne faudrait autoriser la sortie de prison qu'aux criminels qui acceptent de suivre le traitement qui permet d'agir sur certaines hormones et de limiter considérablement, voire d'annuler les pulsions de cette nature. Je trouve qu'il faudrait le rendre obligatoire. Nous aurons ce débat prochainement.

Vous savez qu'une loi va être déposée par le garde des sceaux très bientôt sur le bureau de l'Assemblée nationale. On aura l'occasion d'en parler.

Mais je crois qu'il faut être très ferme et surtout très attentif au suivi...

M. CAVADA -... post-pénal.

M. LEYMERGIE - Il y a un dossier médical et puis il y a un dossier judiciaire. Juste un mot à propos du dossier judiciaire : quelles que soient les personnes et les positions sociales des personnes qui seraient éventuellement mises en cause après les enquêtes que vous avez diligentées, vous serez implacable ?

M. LE PRESIDENT - La question est injurieuse. Je vous le dis amicalement.

M. LEYMERGIE - Vous savez pourquoi je vous dis cela, Monsieur le Président ? Parce qu'il y a des rumeurs qui circulent. On dit : "Tiens, oh ! là, là, il y a des personnes qui seraient impliquées". On se dit : "Oui, mais certaines sont protégées". Souvenez-vous de ce qui s'est passé en Grande-Bretagne et en Belgique ! Donc, ce n'est pas innocent, si je vous dis cela.

M. LE PRESIDENT - Non, non, ce n'est pas innocent ! Je peux vous dire que, pour ce qui me concerne, il n'y aura aucune indulgence d'aucune sorte. Je suis horrifié par ce genre de chose.

M. CAVADA - Et c'était cela le sens de la question, c'est-à-dire que c'est vous qui, personnellement, allez veiller à l'aboutissement de toutes ces choses ?

M. LE PRESIDENT - C'est le garde des sceaux et le Gouvernement. Mais, enfin, je serai attentif. Croyez-le bien !

M. CAVADA - Deuxième partie de cette émission, si vous permettez, maintenant : l'entrée des jeunes dans le monde du travail et, d'abord, les phénomènes qui concernent l'orientation.

M. LEYMERGIE - Tous les jeunes gens dès la 5e, puis en 3e ou en Terminale, de toutes façons sont confrontés au problème de leur choix, le choix de leur orientation.

Le souci est le même chez les parents, chez tous ceux qui les entourent - parents et grands-parents - et l'orientation est souvent irréversible, et d'abord c'est difficilement lisible.

Un exemple de lieu parmi d'autres - nous y sommes -, c'est la Cité des métiers. Et, ici même à la Villette, il faut savoir qu'il y a 1 500 jeunes gens en moyenne qui se présentent ici chaque jour. C'est un endroit qui existe, la Cité des métiers, depuis 4 ans. Ils viennent s'informer de leurs possibilités d'avenir.

REPORTAGE à la Cité des métiers

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, pourquoi n'arrive-t-on pas à multiplier ce genre d'expérience ? Cela marche très bien ici mais il n'y en a qu'une ?

M. LE PRESIDENT - L'orientation est, pour le moment, le parent pauvre dans notre système d'enseignement et il faut la développer.

L'orientation, cela ne peut pas être des prospectus. C'est un contact humain. Ici, cela marche très bien. Il faut toujours un modèle ! Alors, on a un modèle. Je suis partisan de développer considérablement ce modèle un peu partout. Cela ne suppose pas des moyens très importants.

En revanche, il y a tout de même - et vous l'avez entendu dans le film - un effort très important maintenant de l'école pour faire venir des entrepreneurs, des entreprises, pour expliquer aux jeunes, aux élèves quelle est la nature de tel ou tel métier, ce qu'ils peuvent en attendre. Il faut le développer beaucoup.

Et, enfin, l'orientation doit être très fortement accentuée au début de l'université, de façon à éviter ces mouvements massifs de jeunes qui se précipitent, il y a 3 ans sur la psychologie, l'année dernière sur les STAPS, alors que, naturellement, cela ne peut les conduire qu'à l'échec parce qu'il n'y a pas au bout les emplois nécessaires. Mais il n'y a pas non plus une orientation suffisante.

Vous savez, on a fait tout un débat sur la sélection à l'université. J'ai toujours été hostile à la sélection à l'université, parce que je crois que l'on ne peut pas priver un jeune d'université, a priori.

Mais, en revanche, il est indispensable - et c'est ce que j'ai demandé là encore au Gouvernement qui a commencé -, de faire un effort considérable d'orientation, de forte orientation dès la première année de l'université. Et la nouvelle réforme, qui a été faite par le ministre à ce sujet avec la semestrialisation et l'orientation, va tout à fait dans le sens que vous souhaitez.

M. CAVADA - Toujours sur l'orientation, Monsieur le Président, ici, à la Cité des métiers, il existe le CIDJ. - le Centre d'information et de documentation des jeunes - qui a d'ailleurs ses antennes régionales à travers les centres régionaux d'information. On a, d'autre part, des masses très importantes de documentation sous forme de papier. Mais on est à une époque où ne serait-il pas plus raisonnable que tout cela soit informatisé sur des ordinateurs, à proximité des domiciles et en réseau ?

M. LE PRESIDENT - Oui, mais cela commence.

Il est évident que cela va se développer considérablement. C'est ce que nous évoquions tout à l'heure.

M. LEYMERGIE - Quand vous dites : "Il est souhaitable que ce genre d'expérience se développe", celle-ci existe depuis quatre ans. La balle est dans le camp de qui ? Vous, c'est un objectif que vous souhaitez atteindre. Et puis, après, en dessous qui le fait ? C'est la région, c'est le département, c'est la ville. On se renvoie la balle. quatre ans plus tard, il n'y en a plus qu'une !

M. LE PRESIDENT - Vous savez, ne soyons pas trop français de ce point de vue, en disant : "Mais il faut un règlement...". Il y a une création spontanée. Ici, cela s'est fait de cette façon-là. C'est quelqu'un qui a eu l'idée de le faire. Il y a des quantités de régions qui ont déjà pris des initiatives de cette nature. Il faut les encourager. C'est tout à fait évident.

De même que la mise sur réseaux, comme vient de le dire, Monsieur Cavada, est tout à fait évidente et nécessaire. Mais cela se fait, cela se fera. Ce qui est certain, c'est que le prospectus, ce n'est pas cela !

M. CAVADA - Ma question avait surtout pour but de savoir si vous trouviez que cela n'allait pas suffisamment vite et que l'Etat puisse encourager et stimuler, parce que c'est une vraie industrie par ailleurs !

M. LE PRESIDENT - C'est ce que j'ai demandé au Gouvernement de faire.

M. LEYMERGIE - Cela dit, Monsieur le Président, à 16 ou 17 ans savoir ce que l'on a envie de faire... Saviez-vous ce que vous vouliez faire à 17 ans ?

M. LE PRESIDENT - Oui, je le savais parfaitement. C'est ce que je n'ai pas fait d'ailleurs.

M. LEYMERGIE - C'est déjà un bon début, on procède par élimination.

M. LE PRESIDENT - J'avais 16 ou 17 ans, je voulais être médecin. Je ne suis pas médecin.

M. CAVADA - Pas de regrets aujourd'hui ?

M. LE PRESIDENT - On regrette toujours un peu. Vous savez, c'est un métier extraordinaire celui de médecin. Soigner, c'est fantastique !

M. LEYMERGIE - Qu'est-ce qui vous en a empêché ? Pardon d'insister.

M. LE PRESIDENT - La vie s'est présentée autrement.

M. LEYMERGIE - Vous avez été désorienté et orienté ailleurs ?

M. LE PRESIDENT - J'ai voulu voir un petit peu ce qu'étaient les études de Sciences-Po, et puis j'y suis resté.

M. LEYMERGIE - Il faut croire que cela avait du charme ?

M. LE PRESIDENT - Oui, bien sûr !

M. CAVADA - On va parler du chômage.

Quand on demande aux 15-25 ans, quels mots qualifient le mieux leur génération, voici pour eux - à côté de l'optimisme dont on parlait tout à l'heure, et ce sont d'ailleurs des informations assez réjouissantes bien qu'elles soient contradictoires - l'évidence écrasante.

Nous sommes la génération d'un certain nombre de choses. Regardez ce tableau :

C'est d'abord le chômage qui caractérise leur génération (50 %) :

- ensuite, le préservatif (43 %)

- ensuite, nous sommes la génération Internet (28 %)

- ensuite, X files

- ensuite, la console Vidéo

- ensuite, NTM

- ensuite, l'euro

- et puis très loin, les tenues vestimentaires, etc.

Je voudrais vous demander un commentaire sur la chose suivante, 600 000 jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage - c'est cela le souci au fond - 1 jeune actif sur 4.

Parmi ceux-là, les plus frappés sont évidemment les moins diplômés. Dans les chômeurs, cela représente plus du tiers. Alors que seulement 10 % des jeunes chômeurs possèdent un diplôme supérieur. Et donc, l'on voit bien que plus on est qualifié et plus on a de diplômes, moins on a de risques être chômeur. Qu'est-ce que cela vous suggère ?

M. LE PRESIDENT - D'abord qu'il faut tout faire pour améliorer l'éducation et permettre au maximum de jeunes d'acquérir des diplômes. C'est ce que nous disions tout à l'heure en commençant l'émission, nous sommes dans un temps où la connaissance s'impose de plus en plus. Donc, il faut former pour pouvoir insérer convenablement.

Ces statistiques, comme toutes les statistiques, on peut leur faire dire un peu tout. Il y a 600 000 jeunes chômeurs aujourd'hui...

M. LEYMERGIE - Cela est incontestable !

M. LE PRESIDENT - ... cela veut dire que, sur une classe d'âge, il y a 9 % de jeunes qui sont au chômage, parce qu'il ne faut pas oublier que, sur les 600 000, il y en a beaucoup qui sont à l'école. Et donc, nous avons actuellement 9 % de jeunes au chômage par rapport au nombre de jeunes qui ont entre 16 et 25 ans. Là encore, cela ne veut pas dire grand chose parce qu'il y en a beaucoup qui sont à l'école.

M. CAVADA - Le fait intéressant, c'est que les chômeurs sont les non qualifiés.

M. LE PRESIDENT - Oui, le fait intéressant est celui-là. Il y a un deuxième fait intéressant, c'est que si vous essayez de voir par rapport aux actifs, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas à l'école, vous voyez que le pourcentage monte à 25 %, parmi les actifs, pas parmi l'ensemble des jeunes.

M. CAVADA - 1 sur 4.

M. LE PRESIDENT - Et cela est deux fois plus que la moyenne nationale, ce qui veut dire que les jeunes sont particulièrement touchés. Et donc il faut en tirer un certain nombre de conséquences dont nous allons, j'imagine, parler, et cela veut dire que l'on ne peut pas accepter une situation de cette nature, et je me disais tout à l'heure qu'une nation ne peut être qu'une grande nation que si elle intègre tous ses enfants.

M. LEYMERGIE - Je vous propose un exemple puisque nous disions que nous allions émailler cette émission d'un certain nombre d'exemples. Voici une jeune femme qui est non qualifiée.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - Cette jeune fille est optimiste, Monsieur le Président, si elle avait d'autres solutions devant elle, lesquelles aurait-elle pu choisir ?

M. LE PRESIDENT - Je ne vais pas développer. Je voudrais dire que ces missions locales pour l'emploi font un travail formidable et qu'elles inventent énormément. Elles sont très décentralisées. Je dois dire qu'elles ne sont pas assez - ce n'est pas leur faute - connectées sur l'entreprise. Et s'il y avait une meilleure connexion entre les missions locales et l'entreprise - il faut que les entreprises comprennent cela, c'est aussi leur devoir - il y aurait des résultats plus positifs.

J'ajoute néanmoins que les procédures administratives sont trop lourdes. Il y a, par exemple, trop de types de contrats, c'est vrai, il faut simplifier. J'ai demandé, encore récemment au Gouvernement, de faire un nouvel examen pour simplifier les procédures, je crois qu'on va le faire, mais c'est nécessaire.

Il y a un grand débat actuellement. J'ai dit : "les entreprises doivent prendre leurs responsabilités", et on me répond : "la responsabilité de l'entreprise, ce n'est pas de faire du social, c'est de faire des bénéfices", ce qui, d'une certaine façon, est vrai. Et donc si elle doit faire du bénéfice, il faut qu'elle prenne toutes les mesures qui s'imposent pour réduire ses coûts, etc.

C'est un point de vue que je peux comprendre, mais qu'est-ce que je constate ? Que c'est tout de même un point de vue à courte vue. Parce que l'entreprise, si elle se préoccupe exclusivement de son bilan, cela se traduit - il faut bien que le social soit fait quelque part, il est fait à l'extérieur - par des charges pour la société très importantes, qui sont celles liées directement ou indirectement au chômage. Et ces charges au total, qui les paie ? C'est notamment et pour beaucoup l'entreprise, par la voie des charges qui pèsent sur elle, dont elle se plaint à juste titre en prétendant que c'est à cause de cela qu'elle n'est pas compétitive. Et on a une espèce de cercle vicieux.

Je voulais simplement dire, ce soir, aux entrepreneurs : Bien sûr que votre objectif n'est pas social, il est économique. Mais outre le fait qu'il faut tout de même avoir un peu de respect pour les autres, et notamment pour ceux qui travaillent et qui travaillent chez vous, il est de votre intérêt de gérer vos affaires pour qu'il n'y ait pas trop de charges sociales que vous serez, d'une façon ou d'une autre, amenés à payer vous-même sous une forme ou sous une autre.

M. LEYMERGIE - Quand vous dites cela, vous pensez à ce qui s'est passé chez RENAULT ?

M. LE PRESIDENT - Et donc, en réalité, il y a la nécessité pour les entrepreneurs de prendre conscience que rien n'est gratuit et que, d'une façon ou d'une autre, il faut que tout le monde paie.

M. CAVADA - On a l'impression, Monsieur le Président, que, sur ce chapitre du seuil, du périmètre de responsabilité des entreprises, il y a tout de même un malentendu ou un certain désaccord entre votre pensée et leur pensée et leur action...

M. LE PRESIDENT - ... Oui, oui, certainement.

M. CAVADA - Alors, moi, je vous pose la même question à l'envers : au fond, plus on licencie ou moins on recrute, cela dépend des cas de figure, n'appauvrit-on pas de toute façon, dramatiquement, le pouvoir d'achat, et que je sache ce ne sont pas les robots qui vont dans les supermarchés ? N'y a-t-il pas, là, une vraie responsabilité ?

M. LE PRESIDENT - C'est ce que je veux dire également. L'entreprise, naturellement, doit faire, je le répète, des bénéfices et, pour cela, gérer au mieux ses affaires. Mais si elle ne prend pas soin de permettre la consommation et de limiter les charges de la nation qui, finalement, lui reviennent dessus, alors elle crée un processus qui est un processus où l'économie se dégrade et où, par conséquent, son activité se dégrade, et donc elle fait au total un mauvais raisonnement. Je crois qu'il faut également réfléchir à cela.

M. CAVADA - Que pensez-vous à ce sujet, Monsieur le Président, de ce qui se passe actuellement chez RENAULT, tant en Belgique que ce qui va se passer en France, et peut-être aussi pour d'autres entreprises, puisque RHONE-POULENC a fait des annonces aujourd'hui ?

M. LE PRESIDENT - Il est tout à fait certain que si une entreprise veut subsister, elle doit s'adapter. Alors, on peut dire que telle entreprise devra être considérée comme une maison de retraite, ce n'est pas sa vocation. Si on ne s'adapte pas, dans cinq ans, dix ans, nous n'aurons plus d'industrie automobile ou autre chose.

En revanche, si vous faites allusion à ce que nous avons connu ces derniers temps, je trouve qu'il faut y mettre un minimum de formes et que ceci doit être respecté.

M. CAVADA - En clair, vous n'approuvez pas la forme qui a été employée ?

M. LE PRESIDENT - Je n'approuve pas.

M. LEYMERGIE - A propos d'emploi toujours, on y reste, Monsieur le Président, et de responsabilité individuelle, voici trois avis de jeunes gens que nous avons rencontrés. Il sera question d'ambition avec Camille et Elodie et question de flexibilité avec Nicolas. On commence par lui.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - Alors le changement, il pense que c'est vital dans la vie, flexibilité, qu'en pensez-vous ? Cela vous plaît-il ?

M. LE PRESIDENT - Monsieur Leymergie, ne mélangeons pas les choses ! La flexibilité est une chose. Le changement et la mobilité en sont une autre.

M. CAVADA - C'est d'abord lui qui va faire la différence parce qu'il avait, en effet, englobé les deux !

M. LE PRESIDENT - Oui, mais c'est un abus de mot ! La flexibilité est un mauvais débat. Je n'aime pas beaucoup ce mot. Quand vous regardez bien les choses, vous vous apercevez que la France est un des pays, en tous les cas européens, où la "flexibilité" est la plus grande.

M. CAVADA - Vous parlez là de contrat de travail, de type de convention, etc.

M. LE PRESIDENT - C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez un certain nombre d'entreprises étrangères, notamment allemandes, qui viennent s'installer en France ou qui investissent en France, précisément parce qu'elles estiment que, chez elles, la flexibilité est moins grande.

Je le dis, pas pour ouvrir un débat, nous n'en avons pas le temps, mais pour expliquer que je n'aime pas beaucoup ce terme et ce débat. En revanche, la mobilité est tout à fait évidente. Nous sortons d'une période caractérisée par l'emploi à vie qui existe encore au Japon, mais nulle part ailleurs. C'est un phénomène de société qui se dégrade d'ailleurs.

Aujourd'hui, chacun devra changer souvent de métier, ce qui pose un problème fondamental, c'est celui de la formation continue parce que, pour changer de métier, il faut être apte à en changer. Et donc, il faut avoir, de façon permanente, une adaptation de sa formation.

M. CAVADA - Alors, formation continue, parlons-en un instant, Monsieur le Président. Parce que l'on nous dit maintenant qu'une partie très importante des métiers, pratiquement la moitié, que nous exercerons dans 15 ou 20 ans, nous n'en connaissons pas ni la structure, ni l'existence...

M. LE PRESIDENT - ... même dans quelques années. Cela va plus vite que cela !

M. CAVADA - Comment une fille ou un garçon peut-il suivre cette évolution que l'on va lui demander d'appliquer ? Et que proposez-vous au niveau de l'Etat ?

M. LE PRESIDENT - Ce qui est essentiel aujourd'hui, c'est de savoir que l'on changera de métier et donc de se donner les moyens de le faire. Les moyens de le faire, c'est acquérir une formation qui permette de s'adapter à un nouveau métier.

Alors, la formation continue en France, il ne faut pas croire qu'elle est négligée. Les entreprises sont obligées d'y consacrer une certaine somme. Et, en gros, on peut dire aujourd'hui qu'avec quelques 40 milliards sur la formation continue, les entreprises dépensent trois fois plus que l'obligation légale. Ce n'est donc pas négligeable ! Et pourtant ce n'est pas exactement ce qu'il faut. Et l'on s'aperçoit qu'une très grande majorité de ceux qui en auraient besoin, n'y ont pas accès.

Que faut-il faire ? J'ai demandé au Gouvernement d'engager avec les organisations professionnelles une réflexion, dès ce printemps, pour aboutir à une loi à l'automne.

En réalité, il faut faire trois choses pour moderniser la formation continue et donner à chacun la possibilité de faire un nouveau métier :

- la première chose est la mise en place d'un système de validation des compétences et des savoir-faire.

M. CAVADA - C'est-à-dire que vous voulez être sûr que cet argent sert à une formation qui est "adaptée" ?

M. LE PRESIDENT - Oui, cela est un autre problème ! Il y a certainement, là, des efforts à faire également.

M. CAVADA - Et peut-être de l'argent à gagner ?

M. LE PRESIDENT - Probablement. Mais ce n'est pas ce que je veux dire ! Quand vous avez une formation continue qui témoigne du fait que vous avez acquis une connaissance ou un savoir-faire, il faut valider cette formation. Il faut que celui qui apprend quelque chose, puisse porter la preuve qu'il a appris quelque chose et qu'il a une compétence pour trouver un autre emploi.

M. CAVADA - Comme un complément de diplôme ?

M. LE PRESIDENT - Donc, il faut que des jurys spéciaux soient mis en place pour valider les connaissances acquises ou les savoir-faire acquis en matière de formation continue.

- deuxièmement, il faut créer un Compte épargne temps de formation, parce que le travailleur qui prendra un an ou deux ans de formation, il faudra bien qu'il vive. Pour vivre, il faudra qu'il touche l'équivalent d'un salaire, de son salaire. Et donc, il faut avoir un Compte épargne formation qui soit alimenté, en tous les cas, par le travailleur lui-même, par l'entreprise, cela va de soi, dans le cadre de l'effort de formation, peut-être par l'Etat ? Je n'en sais rien ! Mais, en tous les cas, un Compte épargne formation permettant de vivre pendant que l'on acquiert la formation nécessaire.

- et puis, enfin, il faut penser aux jeunes qui sont sortis de la formation initiale avant le bac et qui, donc, ont en quelque sorte un crédit sur la société.

La société pour conduire des jeunes jusqu'au bac, dépense de l'argent, naturellement. Celui qui sort avant, en quelque sorte a un crédit sur la société. Et donc il faut créer un "chèque formation" pour tout jeune qui est sorti d'une formation initiale avant le baccalauréat, pour lui permettre de travailler à nouveau, en touchant naturellement la rémunération qui lui permet de vivre et d'acquérir une formation complémentaire.

M. CAVADA - Je résume les deux derniers points qui sont tout à fait nouveaux....

M. LE PRESIDENT - Le premier est également essentiel.

M. CAVADA - Oui, mais celui-là est très clair à expliquer.

Le deuxième, cela veut dire que nous aurions, au fond, comme sur le modèle du Compte épargne logement, un Compte épargne formation.

Et la troisième chose, je peux tirer toute ma vie, à ma convenance et à mon adaptation, sur le "chèque formation".

M. LE PRESIDENT - Oui, mais pour le montant de ce chèque, naturellement.

M. CAVADA - Bien entendu. Il ne faut pas être débiteur.

M. LEYMERGIE - Quand cet objectif sera-t-il mis en application ? Ce serait bien dans... ?

M. LE PRESIDENT - J'ai demandé au Gouvernement de prévoir une mesure législative, à moins que cela ne puisse être défini par la voie conventionnelle, mais je pense à une mesure législative avant la fin de l'année.

M. CAVADA - Monsieur le Président, quand vous étiez jeune, vous étiez ambitieux

?

M. LE PRESIDENT - Oui, oui, on est toujours ambitieux, quand on est jeune...

M. CAVADA - Vous y allez très prudemment, là, très mollement. Oui, peut-être ! J'étais peut-être très ambitieux !

M. LE PRESIDENT - Oui, parce que l'on ne va pas ouvrir un débat...

M. LEYMERGIE -... sur votre ambition ?

M. LE PRESIDENT - Non, mais sur la définition...

M. CAVADA - Ouvrez, au moins, votre coeur ?

M. LE PRESIDENT -... du terme "ambitieux". Parce que j'ai eu, en vérité, des ambitions successives.

M. LEYMERGIE - Nous avons rencontré des jeunes gens et nous leur avons soumis un certain nombre de mots, dont celui-ci est l'ambition.

Voici leur réponse. On a choisi la réponse de Camille et d'Elodie.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - Vous souscrivez à cela ?

M. LE PRESIDENT - Naturellement.

Quand cette jeune fille, Elodie, dit : "Les adultes ne nous motivent pas". Elle a raison. Elle a évidemment raison. Il y a une espèce de culture pleurnicharde qui est tout, sauf motivante, naturellement.

Je dois dire qu'il n'y a pas que les adultes, il y a aussi les médias, enfin les médias faits par des adultes, naturellement !

M. CAVADA - Qu'est-ce qu'on fait là ? On se met sous la table ou l'on attend un peu ?

M. LEYMERGIE - Vous voulez dire les médias en général ?

M. CAVADA - Je sens l'orage se lever, là ! Je sens, Monsieur le Président, que l'orage se lève ?

M. LE PRESIDENT - Non, non, soyez rassuré.

M. CAVADA - Merci, je reste.

M. LE PRESIDENT - Il y a quelques jours...

M. CAVADA - ... Vous avez failli vous couper en vous rasant, c'est cela ?

M. LE PRESIDENT -... j'ouvre la radio...

M. LEYMERGIE -... C'est de la radio, Monsieur le Président !

M. LE PRESIDENT - Je me rase avec un rasoir électrique, je suis pour les technologies avancées.

M. CAVADA - Je pensais que vous aimiez vous raser avec un ordinateur ?

M. LE PRESIDENT - Pas encore ! Et, par conséquent, j'écoute quand même la radio et, alors, j'entends un commentaire, que j'ai entendu toute la journée : une étude a fait apparaître que les jeunes Français étaient les plus mauvais de tous les Européens, je crois même du monde, en physique et chimie....

M. LEYMERGIE - Oui, en sciences.

M. LE PRESIDENT - Non, en physique et chimie.

Je me suis dit : "Quand même, c'est quelque chose d'étonnant !", et toute la journée, on a expliqué que nous étions les plus mauvais.

M. CAVADA - Là-dessus vous vous renseignez...

M. LE PRESIDENT - Alors, naturellement, je me renseigne. Je m'aperçois que l'étude avait été faite dans des conditions qui n'avaient rien de comparable avec celles - je ne veux pas rentrer dans le détail - faites dans d'autres pays, que cela n'avait aucun sens. Mais en revanche la même étude, qui n'était peut-être pas plus sérieuse, je n'en sais rien !, disait que nous étions les meilleurs en mathématiques et en algèbre.

Eh bien, toute la journée, on nous a expliqué que les jeunes Français étaient de pauvres types en matière de physique ou de chimie, etc., ce qui est complètement infondé, mais ce qui est profondément démotivant.

Vous l'avez montré tout à l'heure avec vos sondages sur l'optimisme et sur la responsabilité : on a aujourd'hui une jeunesse qui est tout à fait exceptionnelle. J'essaie de regarder, soit en regardant l'histoire, soit en regardant à l'extérieur, elle est très exceptionnelle. On ne fait rien pour lui rendre cet hommage, c'est le moins que l'on puisse dire !

Je réunissais la semaine dernière 24 chefs d'entreprise...

M. CAVADA - C'était jeudi dernier.

M. LE PRESIDENT - ... qui ont fait un effort exceptionnel en matière de formation par alternance, ce qui est un élément très important de formation - je pense que nous en parlerons tout à l'heure, si l'on a le temps, peu importe ! Il faut faire un grand effort dans ce domaine. Et l'un de ces chefs d'entreprise, qui avait une entreprise d'environ 15 à 100 personnes, se trouve être un Anglais qui avait dû racheter cette entreprise, je n'en sais rien ! Il était Anglais...

M. CAVADA - Parlant parfaitement le français, d'ailleurs.

M. LE PRESIDENT -...parlant parfaitement le français. C'est un monsieur de 45 à 50 ans...

M. CAVADA - Qu'est-ce qu'il vous dit ?

M. LE PRESIDENT -... et quand il a eu à expliquer ce qu'il faisait en matière d'alternance, je lui ai dit : "Mais, avant de diriger une grande usine en France, avez-vous dirigé de grandes usines en Angleterre ou ailleurs ?".

Il m'a dit : "Oui, dans plusieurs pays et notamment en Angleterre".

Je lui dis : "Quelle comparaison faites-vous entre la formation, la qualité, la motivation des jeunes que vous embauchez, notamment dans l'effort que vous faites pour l'alternance ?"

"Ah ! me dit-il, les Français sont de loin les meilleurs !".

Je lui ai fait répéter, développer...

M. CAVADA -... Pour qu'on l'entende ?

M. LE PRESIDENT - Non. Mais c'est un Anglais qui vient nous le dire !

M. CAVADA - C'est rassurant. C'est une bonne nouvelle.

Un Anglais parlant français, c'est délicieux.

M. LE PRESIDENT - Oui, surtout qu'il parle presque sans accent.

M. LEYMERGIE - On va transmettre.

M. LE PRESIDENT - Poursuivons parce que nous prenons du retard.

M. CAVADA - Monsieur le Président, merci de vous soucier du rythme de l'émission, cela nous décharge d'une responsabilité.

M. LEYMERGIE - Les pistes, Jean-Marie.

M. CAVADA - Parmi les pistes, pour favoriser l'embauche des jeunes. Il y a l'apprentissage. Je vous propose très rapidement un exemple vécu en Charente. Après quoi, nous revenons sur votre conception de l'apprentissage et puis peut-être aussi des formations en alternance.

REPORTAGE

M. LEYMERGIE - On pourra revenir sur sa conclusion.

L'apprentissage, Monsieur le Président, n'a pas très bonne presse auprès des familles en général. Comment le réhabiliter, éventuellement le développer ? Parce que, là, ça marche.

M. LE PRESIDENT - La formation en alternance est aujourd'hui inévitable, et cela fait partie de la nécessaire ambition de rapprocher l'école de l'entreprise ou l'université de l'entreprise. L'expérience prouve d'ailleurs que ceux qui ont eu une formation en alternance trouvent beaucoup plus facilement un emploi que ceux qui n'en ont pas eu. Nous y reviendrons peut-être ! Mais j'ai écouté ce matin à la radio, toujours, un jeune garçon qui était interrogé - il était de Marseille, il s'appelait Nicolas Bocquet, m'a-t-il semblé -, on lui disait : "Monsieur Chirac va parler ce soir, que lui demanderiez-vous si vous aviez la possibilité de lui poser une question ?", il n'a pas hésité une seconde - je n'ai pas compris à quel niveau il était dans ses études - mais il a dit tout de suite : "je lui demanderais que l'on puisse avoir des stages en entreprise".

L'apprentissage est un moyen et un moyen moderne, qui a d'ailleurs permis à l'Allemagne de maîtriser beaucoup mieux que nous le problème de l'emploi des jeunes, qui permet de donner à des jeunes, non seulement des connaissances intellectuelles et techniques, mais également une pratique qui leur permet généralement de trouver un emploi. Il va en de même d'ailleurs d'autres formes de contrats, et notamment des contrats de qualification qui sont un peu de la même nature.

De la même façon, il y a un problème aussi important qui est la dévalorisation curieuse, incompréhensible de l'enseignement professionnel et technique. Nous avons un enseignement professionnel qui est très important, qui n'est pas considéré. C'est encore pire que l'apprentissage, il n'est pas considéré. Et trop souvent les jeunes se disent ou les parents : "je vais à l'enseignement professionnel parce que je ne suis pas bon pour l'enseignement général", ce qui est absurde ! Car l'enseignement professionnel donne une culture et des connaissances qui permettent d'exercer des métiers qui sont souvent et même généralement...

M. LEYMERGIE - ... qui ont une connaissance directe.

M. LE PRESIDENT - Tous les métiers sont de très beaux métiers, pour peu qu'on les fasse avec coeur et intelligence. Tous les métiers sans exception. L'enseignement professionnel devrait être, en France, considérablement revalorisé. Je me suis interrogé sur...

M. CAVADA - ... Il y a les moyens ?

M. LE PRESIDENT - Je me suis interrogé sur les structures. Avons-nous raison de faire dépendre l'enseignement professionnel du ministère de l'Education nationale ou faudrait-il une structure ministérielle à part pour donner une impulsion plus forte ? Je n'ai pas de réponse à ces questions. Le ministre de l'Education nationale est très préoccupé de ce sujet actuellement, et il entend faire avancer les choses. Je pense qu'il le fera, j'en suis même sûr, je lui fais toute confiance. Mais ce qui est certain, c'est que l'on doit réhabiliter, par les moyens mis en oeuvre, mais aussi dans l'esprit, à la fois, des élèves et de leurs familles, l'enseignement professionnel.

Il y a un effort dans ce sens. Le fait que le ministre de l'Education nationale ait décidé de faire des filières technologiques dorénavant dans l'université est évidemment, dans le même sens, un effort.

M. CAVADA - Il y a une sorte de casse-tete à propos des stages. On entend vraiment beaucoup, y compris dans les entreprises, aux portes des entreprises, les jeunes qui disent : "Si nous n'avons pas d'expérience, il est difficile d'obtenir un stage. Mais, par ailleurs, pas de stage égal pas de travail". Ne pensez-vous pas que le moment est venu, par une sorte d'exemplarité, et d'ailleurs pourquoi pas dans les milieux administratifs que dirige l'Etat, de donner l'exemple pour rompre ce cercle vicieux ?

M. LE PRESIDENT - Je crois que c'est surtout aux partenaires sociaux de donner l'exemple, et on vient d'avoir un bel exemple dans l'accord signé entre le patronat, le ministère de l'Education nationale, les syndicats et les étudiants, avec la création de l'unité de valeur de première expérience professionnelle. Ce qu'on avait appelé un temps "le stage diplômant". D'après les renseignements que j'ai, j'encourage beaucoup cette affaire, j'avais beaucoup encouragé cette affaire, il devrait y en avoir très rapidement, de l'ordre de 30 à 50 000, ce qui serait déjà très important. Il est certain que le stage n'est pas dans notre culture, comme il est dans la culture allemande ou anglaise. Et, là aussi, les entreprises doivent faire un effort. Mais sous l'impulsion, je le reconnais bien volontiers, du CNPF, cet effort est engagé, et je m'en réjouis.

En revanche, je reviens sur ce que disait tout à l'heure votre jeune fille - je crois tout au moins - et je l'ai déjà dit : "le nombre de contrats est trop élevé, trop compliqué...

M. CAVADA - ... Trop dispersé. Difficile à comprendre.

M. LE PRESIDENT - Les procédures doivent être impérativement simplifiées.

M. LEYMERGIE - On va aborder le problème du tutorat, Monsieur le Président; on verra le parrainage tout à l'heure.

M. LE PRESIDENT - Je voudrais dire aussi une chose : c'est que dans la conférence nationale que le Premier ministre a tenue récemment, on a décidé d'augmenter sensiblement le nombre de postes d'alternance pour les jeunes, de formation en alternance pour les jeunes, mais qu'on a également pris une décision importante. On disait tout à l'heure qu'il y a 600 000 jeunes qui n'ont pas d'emploi. Parmi ces 600 000, il y en a 100 000 qui sont au chômage depuis plus d'un an, ce qui est un vrai problème, 100 000 ! Et le Gouvernement a décidé que ces 100 000 jeunes seraient reçus individuellement à l'ANPE par des personnes compétentes, des conseillers compétents, et qu'il leur serait proposé à chacun d'entre eux soit une formation, soit un emploi.

Vous savez que j'ai créé moi-même l'ANPE il y a 30 ans et je connais la qualité de cette institution. Je voudrais m'adresser un instant à l'ensemble des agents de l'ANPE pour leur dire que je leur fais confiance. Je suis sûr qu'ils sauront parler à ces jeunes, qu'ils sauront les traiter un peu comme si c'était leurs fils, parce que c'est comme cela qu'il faut aujourd'hui les voir et les recevoir, leur parler comme si on parlait à son fils qui pourrait être exactement d'ailleurs dans la liste ou dans la queue, et tout faire pour que, de façon ouverte et humaine, on trouve une solution. C'est possible, et un an, c'est long !

M. CAVADA - Parrainage et tutorat.

M. LEYMERGIE - Parrainage et tutorat : le tutorat, je disais donc qu'il y a un exemple qui est assez frappant de transmission du savoir et du suivi de la formation à l'intérieur d'une même entreprise entre un aîné : il sait et il a vécu cet emploi, et puis un jeune inexpérimenté. Nous sommes à Montpellier avec Patrick Champagnac qui a réalisé ce reportage.

REPORTAGE.

M. LEYMERGIE - C'est un autre aspect humain de l'emploi, dont vous disiez un mot il y a quelques instants : c'est la relation individuelle entre celui qui sait et celui qui apprend.

M. LE PRESIDENT - Oui, cela se fait de plus en plus. Là encore, je crois que nous sommes plutôt en avance. Les entreprises françaises ont spontanément développé ou développent spontanément le tutorat, notamment avec le développement des contrats d'apprentissage ou de qualification.

Le parrainage dont parlait M. Cavada est différent. Le parrainage, c'est à l'extérieur.

M. LEYMERGIE - Oui, c'était en extérieur.

M. CAVADA - Le tuteur est en entreprise, le parrain vient de l'extérieur.

M. LE PRESIDENT - Et le parrain, généralement, ce sont des associations extraordinaires qui s'occupent de cela et qui permettent de redonner ... Vous avez vu ce garçon disait : "Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Les horaires". C'est vrai que pour quelqu'un qui n'a pas travaillé, qui parfois n'a pas vu ses parents travailler, tout d'un coup se dire qu'il faut être à six heures du matin dans un emploi, c'est extrêmement difficile à sentir et à comprendre. Et donc les associations qui développent le parrainage à l'extérieur de l'entreprise, pour aider, pour restructurer, pour encourager un jeune travailleur, ont un rôle très important.

Je voudrais dire d'ailleurs à ce sujet que les personnes âgées, dites âgées, qui sont de plus en plus jeunes ...

M. CAVADA - Cela commence à 50 et 55 ans.

M. LE PRESIDENT - ... et qui sont toujours de plus en plus actives, ont un rôle essentiel dans notre société d'aujourd'hui. C'est également une force fantastique qu'il faut mobiliser. Vous vous rendez compte de ce que cela représente comme compétence, comme bienveillance, comme tolérance, comme capacité de donner, notamment aux jeunes, toutes ces personnes ? Je ne dis pas que tout le monde est volontaire pour le faire, mais beaucoup plus qu'on ne le pense. Et comme ils sont très nombreux ...

M. LEYMERGIE - Il faut les inciter aussi ...

M. LE PRESIDENT - Il faut les inciter et là il faut, par le biais associatif, faire un très grand effort. Les jeunes retraités actifs auront de plus en plus un rôle capital dans la société de demain. Voilà les tuteurs et les parrains tout à fait naturels.

Je ferme cette parenthèse pour dire simplement un mot sur le marché du travail. J'ai rendu hommage tout à l'heure, et bien légitimement, à l'ANPE. Je voudrais néanmoins remarquer que le lien, au plan local, entre le marché du travail et ceux qui veulent s'y insérer, ou au contraire d'ailleurs ceux qui veulent s'y soustraire, notamment parmi certains qui préfèrent vivre du RMI que de travailler, cela existe aussi, il faut le savoir, le lien n'est pas assez fort. Nous avons l'ANPE, nous avons les ASSEDIC, nous avons les comités départementaux d'insertion. Des rapprochements importants ont été faits, des synergies se sont créées, mais le marché de l'emploi, c'est un marché local et tout doit être fait pour essayer de créer les liens nécessaires pour gérer sur place le marché de l'emploi. C'est comme cela qu'on le gère le mieux.

M. CAVADA - Monsieur le Président, nous avons vu d'abord ce qui se passait pour les jeunes à l'école : difficultés et espoirs. Nous avons vu ce qui se passe dans le monde du travail. Je voudrais maintenant vous proposer de regarder les valeurs auxquelles se réfèrent les jeunes dans notre société, dans quelle société ils veulent vivre et, d'autre part dans quelle société aimeriez-vous, vous le chef de l'Etat, qu'ils vivent.

D'abord une photographie IFOP. La question est la suivante : "A quel groupe avez-vous le sentiment d'appartenir ?"

- Les confiants : 39

- Les enthousiastes : 25

- Les technolo-branchés : 11

- Les révoltés : 10

- Les angoissés : 8

- Les résignés : 6

et le reste ne se prononce pas.

M. LEYMERGIE - Dans ce sondage aussi, Monsieur le Président, vous y avez fait allusion au début de notre entretien, quand on leur pose la question : "Etes-vous heureux ?", il y en a seulement 94 % qui répondent qu'ils sont heureux.

M. CAVADA - C'est-à-dire la quasi totalité.

M. LEYMERGIE - La quasi totalité, et dans le même temps un sur deux se dit appartenir à la génération chômage, vous vous souvenez de ce tableau, suivie de la génération SIDA, et ils sont optimistes à 62 %.

M. CHIRAC - Tout cela pour dire qu'il faut se méfier des sondages.

M. CAVADA - Mais tout cela pour dire aussi que ces jeunes gens sont très réalistes.

M. LEYMERGIE - Comment les trouvez-vous ? Vous avez dit tout à l'heure, en fonction de ces résultats ...

M. LE PRESIDENT - Je vous ai dit comment je les trouvais. Moi aussi, j'ai fait un sondage, enfin quand je dis moi, c'est le ministère de la Défense.

Le ministère de la Défense a fait un sondage important et récent pour interroger les jeunes de 18 à 30 ans sur le volontariat. Ca aussi, c'est une dimension de l'initiative, du coeur, de la responsabilité. Alors "êtes-vous pour le volontariat dans le cadre de la réforme du service national ?" : oui 94%. On est dans des chiffres staliniens quand il s'agit des jeunes ... Ensuite, quand on les interroge sur les différents points qui concernent le volontariat, on a des chiffres qui évoluent entre 82 ou 83 et 90.

C'est également une des caractéristiques des jeunes d'aujourd'hui : le coeur, donner, donner aux autres, la volonté de faire une expérience personnelle, la volonté de travailler en équipe, la convivialité, le refus du rejet, la tolérance, la possibilité de faire des activités diverses. Vous allez voir, avec la réforme du service national, nous allons avoir une véritable explosion du volontariat.

M. LEYMERGIE - Qu'est-ce que c'est exactement, le volontariat ?

M. LE PRESIDENT - Le volontariat, c'est la possibilité pour des jeunes, entre 18 et 30 ans, ceux qui faisaient avant leur service militaire, qui vient être supprimé car il ne correspondait plus à une réalité, s'ils le veulent naturellement, les garçons ou les filles, la possibilité d'entrer dans une période où ils servent comme volontaires d'une part dans la défense, la sécurité, la prévention, c'est-à-dire tout ce qui touche la police, comme on voit aujourd'hui, la gendarmerie, l'armée naturellement pour ceux qui veulent entrer et même peut-être rester dans l'armée, les pompiers, les douaniers, la lutte contre les feux de forets, etc. D'autre part dans tout ce qui touche à la cohésion sociale et la solidarité : ceux qui veulent pendant 9 mois, un an, 15 mois, servir pour aider les personnes âgées, des enfants handicapés ou des personnes handicapées, apprendre à lire ou à écrire à ceux qui en ont besoin, etc. Enfin, la coopération internationale et l'aide humanitaire, pas besoin de développer.

M. CAVADA - Dans quelles conditions économiques ?

M. LE PRESIDENT - Simplement avec d'une part une indemnité, pas de salaire naturellement, une indemnité de façon à leur permettre de faire face à leurs besoins. D'autre part, je veux qu'il y ait une incitation à le faire, et je m'aperçois qu'il n'y aura pas besoin d'une incitation très forte ...

M. CAVADA - La demande a l'air apparemment, selon votre sondage, en effet ...

M. LE PRESIDENT - La demande est importante. L'incitation, cela peut être pour celui qui va pendant 9 mois apprendre à lire, une facilité s'il veut entrer dans l'Education nationale, ou bien cela peut être une bourse, ou bien une année qui compte pour faire l'armée, la police ou la gendarmerie. Il y a toutes sortes d'incitations possibles, mais c'est très important de développer le sens du volontariat.

Je suis très frappé de voir que tous les jeunes avec qui je parle sont très partants pour tout ce qui est volontaire, qu'il s'agisse de quartiers défavorisés ou qu'il s'agisse du Sahel, qu'il s'agisse d'aller creuser des puits ou d'aller apprendre à des enfants à lire ou d'aider un handicapé. Ils sont très partants. J'ai cité parfois le vers d'un poète arabe, ancien, qui dit : "Fendez le coeur d'un homme, vous y trouverez un soleil". C'est plus ou moins vrai, selon les périodes. Mais aujourd'hui, c'est tout à fait vrai.

M. CAVADA - Vous faites allusion à la période du service militaire. On sait qu'il y aura les 5 jours citoyens, probablement 5. Je voudrais vous emmener sur un autre terrain à propos des jeunes, parce qu'après l'école et dès qu'ils entrent dans le travail, ils vivent en citoyens. La question, c'est qu'aujourd'hui la politique n'a pas bonne presse, les responsables, les décideurs pas davantage. Je voudrais vous proposer d'écouter deux formulations, Laurent et Camille, qui disent leur sentiment sur la politique. C'est d'ailleurs très contradictoire, je veux dire que ce ne sont pas les mêmes opinions.

REPORTAGE.

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, il faudrait essayer de les motiver un peu plus, parce que visiblement la politique n'a pas l'air de leur plaire : c'est l'affaire d'une bande, disent-ils. Que pourrait-on faire pour que ces jeunes, à 18 ans, puissent se sentir un peu plus concernés par la vie de la cité ?

M. LE PRESIDENT - Vous savez, d'abord je voudrais dire aux jeunes qui restent entre eux que la politique, c'est comme tout : c'est un métier, cela s'apprend, cela ne s'improvise pas. On avait l'habitude de dire souvent que le café du commerce était l'endroit approprié pour faire la stratégie, la politique et la diplomatie. Ce n'est pas vrai. La stratégie, la politique et la diplomatie, ce sont des métiers qui ne sortent pas spontanément, cela s'apprend.

Il faut d'abord se sentir motivé, je veux dire avoir l'esprit civique, voter. A ce propos, je voudrais vous dire quelque chose : je suis frappé de voir que bien des jeunes, notamment dans beaucoup de banlieues ou de quartiers moins favorisés, ne votent pas pour une raison simple : c'est qu'ils n'ont pas de carte d'électeur, et ils ne l'ont pas parce qu'ils n'en font pas la demande, naturellement. Et ce n'est pas bien. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au Gouvernement, j'ai demandé cela tout récemment d'ailleurs au ministre de l'Intérieur, de mettre à l'étude la possibilité pour les jeunes être systématiquement, automatiquement inscrits, sur les listes électorales, et donc de recevoir automatiquement leur carte électorale.

M. CAVADA - Cela veut dire que c'est l'Etat qui leur écrit pour leur dire •••

M. LEYMERGIE - "Vous êtes électeur" ?

M. LE PRESIDENT - La mairie, et cela doit se faire en liaison avec l'Education nationale, naturellement, parce que c'est par ce biais qu'on peut connaître le nom et l'adresse des jeunes, sinon ce serait impossible.

Ceux qui ne s'intéressent pas, ceux qui n'ont pas de sens civique, et ce n'est pas une critique, c'est une constatation et cela ne changera rien, mais d'une certaine façon, pour un certain nombre, je suis sûr que ce sera en quelque sorte une reconnaissance, la reconnaissance de leur qualité de citoyen, de leur responsabilité de citoyen. C'est un geste. Je ne dis pas que cela va changer beaucoup de choses, mais on doit plus de considération aux jeunes. Il y a aussi un défaut de considération, un problème de génération d'ailleurs, cela passera certainement, et c'est dans cet esprit que j'ai voulu le faire.

Je reviens un instant sur ce que disait l'un des autres jeunes, qui disait tout à l'heure : "Quand on veut le faire, on peut". Je prends le secteur difficile, un secteur en régression démographique : les paysans. On pourrait se dire : "Les paysans, il y en a de moins en moins", c'est ce qu'on entend ...

M. LEYMERGIE - A la radio.

M. LE PRESIDENT - Il y a deux ans, les organisations professionnelles agricoles, sous l'impulsion du Centre national des jeunes agriculteurs, a fait la Charte d'installation et a décidé qu'il n'y avait pas de fatalité, qu'il n'y avait pas lieu de demander des aides dans tous les sens, qu'il fallait faire en sorte que le nombre des installations de jeunes agriculteurs augmente pour l'an 2000 de 50%, de 50% !

M. CAVADA - L'an 2000, c'est-à-dire dans un peu plus de deux ans.

M. LE PRESIDENT - Cela a commencé, il y a deux ans, c'est-à-dire en cinq ans. Ils vont réussir : ils ont encore augmenté l'année dernière de 10% et ils vont réussir, ils gagneront leur pari. Pourquoi ? Parce qu'ils ont une volonté, une détermination, une intelligence des choses. Autrement dit, quand on veut faire quelque chose, on le peut, et ce n'est pas en se plaignant indéfiniment qu'on résout les problèmes.

M. CAVADA - Monsieur le Président, la politique c'est aussi résoudre les problèmes au niveau où ils doivent être résolus, c'est-à-dire quand ils touchent l'ensemble de la Nation. Je voudrais d'abord vous poser une question sur le SIDA. Il y a quelques lueurs d'espoir, comme vous le savez mieux que moi, grâce aux plurithérapies, bi ou trithérapies. L'Etat va-t-il cependant poursuivre, voire peut-être intensifier, je l'ignore, ses efforts, considérant que les choses ne sont toujours pas gagnées ?

M. LE PRESIDENT - Hélas, les choses ne sont pas gagnées. Il y a, c'est vrai, des signes positifs ; ils demandent encore à être confirmés. Ce que je peux vous dire, c'est que le Gouvernement continuera à mettre tous les moyens nécessaires .

M. CAVADA - Combien dépense-t-on par an ?

M. LE PRESIDENT - Actuellement, le SIDA coûte à la Nation six milliards de francs par an, six milliards ! Somme très importante, mais justifiée, et le Gouvernement a bien l'intention de continuer à lutter contre le SIDA.

De la même façon, je lui ai demandé d'accentuer la lutte contre la drogue. J'ai demandé au Gouvernement d'élaborer un plan triennal, nouveau, pour amplifier sensiblement les moyens de lutte contre la drogue qui aujourd'hui prend des proportions extrêmement graves, dans le domaine des drogues dures, qui augmentent beaucoup plus que les autres, dans le domaine des drogues chimiques, dans le domaine de la polytoxicomanie - c'est-à-dire drogue, médicaments, alcool.

La drogue, c'est dramatique, que faire face à un drogué ? Il faut essayer de le soigner, ce qui est difficile, et c'est notamment au niveau des familles un déchirement épouvantable. C'est un élément, là, de fracture sociale dramatique.

M. CAVADA - Objectivement, Monsieur le Président, c'est quelque chose à la fois de terrifiant et de très compliqué, parce qu'en Europe les deux tentatives au fond n'ont pas bien réussi : la libéralisation en Espagne a échoué, catastrophique carrément par moment ...

M. LE PRESIDENT - Monsieur Cavada, je vous interromps tout de suite : la libéralisation a échoué partout, y compris en Hollande.

M. CAVADA - Et par ailleurs, la répression n'est pas suffisante parce qu'on n'avance pas assez, notamment sous l'effet de ce que vous venez de décrire, c'est-à-dire une offre qui sans cesse se renouvelle. Que voulez-vous faire ? Que voudriez-vous engager ?

M. LE PRESIDENT - Je ne voudrais pas développer ce thème qui me tient à coeur, ce serait trop long.

Il y a une action à faire sur la production, une action fortement répressive sur la production, et notamment la production d'ecstasy, c'est-à-dire de drogue chimique. On sait où on la fabrique et il faudrait détruire cette production, interdite par ailleurs.

Il y a naturellement une vraie politique à mener et à conduire, sur le plan national et international, en ce qui concerne la distribution, qui est également une politique répressive.

Et il y a un effort beaucoup plus important à faire pour, je dirais, soigner ceux qui sont tombés dans la drogue.

Enfin, il y a un phénomène qui se développe aujourd'hui : très longtemps, le petit vendeur était en réalité un drogué qui trouvait là le moyen ...

M. CAVADA - ... de se fournir ...

M. LE PRESIDENT - ... et donc ce n'était pas quelqu'un que l'on pouvait traiter par la voie de la répression ; c'était quelqu'un qu'on ne pouvait traiter que par la voie des soins. C'est une forme de maladie. Mais de plus en plus, on voit se développer la catégorie des jeunes qui vendent mais qui ne consomment pas.

M. CAVADA - C'est une forme d'économie souterraine d'ailleurs.

M. LE PRESIDENT - C'est une forme d'économie souterraine. Alors là, il faut une vraie répression.

M. CAVADA - Monsieur le Président, sur ce sujet, il y a une question encore plus précise que je voudrais vous poser : quand le concert des nations veut agir sur l'environnement, il sait se réunir et décider. Vous avez d'ailleurs vous-même esquissé des demandes assez fortes en matière de drogue. Mais pourquoi n'arrive-t-on pas à frapper au coeur financier de la drogue, c'est-à-dire noircir l'argent illicite de la drogue, dans les banques notamment ?

M. LE PRESIDENT - Parce que c'est extrêmement difficile. Il y a d'abord pour le coup une corruption considérable, parce que les sommes en cause sont telles qu'on peut en réalité tout acheter, et il y a toute une série de techniques ou de paradis financiers qui permettent, hélas, de blanchir l'argent sale et le développement de toute une série de mafias qui s'imposent de plus en plus un peu partout et qui, si l'on n'y prend pas garde, seront un élément dramatique de corruption dans tous les Etats.

M. CAVADA - On a carrément l'impression qu'elles tiennent la dragée haute au concert des polices ...

M. LE PRESIDENT - Oui, enfin ne sous-estimons pas ce que font les polices qui font beaucoup de choses et qui le font bien, mais c'est vrai qu'il faut passer à la vitesse supérieure. Avec les Américains en particulier qui sont très soucieux de ce problème, car vous savez qu'on consomme aux Etats-Unis la moitié de la drogue consommée dans le monde et donc les Américains sont particulièrement touchés et sensibles à cela, nous discutons pour voir comment on pourrait relancer très fortement la lutte contre la drogue, du plus petit échelon jusqu'aux grandes mafias.

M. LEYMERGIE - Monsieur le Président, vous le constatez vous-même, nous avons un peu dépassé le cadre que nous nous étions fixé, mais c'est inévitable avec le nombre de sujets et l'importance que nous souhaitions apporter à cela.

Nous étions dans ce chapitre des valeurs. Autre valeur dont on a vu ces dernières semaines des traces dans la rue et c'est vrai qu'il y avait pas mal de jeunes gens dans les manifestations contre la loi sur l'immigration : c'est la tolérance. Pour la jeune fille qui va s'exprimer maintenant, voilà à quoi correspond l'esprit de cette loi.

REPORTAGE.

M. LEYMERGIE - Alors, un individu comme produit illicite, c'est ce que dit cette jeune fille ...

M. LE PRESIDENT - La jeune fille est sympathique, et en plus elle a du coeur ...

M. CAVADA - Alors je vous offre son prénom : Anne-Victoire.

M. LE PRESIDENT - Anne-Victoire est sympathique et en plus elle a du coeur. Mais, Monsieur Leymergie, ce n'est pas elle qui a tort, c'est vous quand vous me dites : "Est-ce que c'est normal de considérer quelqu'un comme une bouteille d'alcool ?". Jamais cela n'a été ni l'ambition ni l'objet ...

M. LEYMERGIE - C'est ce qu'elle comprenait de cette loi.

M. LE PRESIDENT - Mais ne le reprenez pas à votre compte.

M. CAVADA - Détrompez-la.

M. LE PRESIDENT - Vous devriez lui dire : "Non, Anne-Victoire, vous vous trompez, ce n'est pas du tout ça".

M. LEYMERGIE - C'est vous qui devez lui dire, Monsieur le Président, elle vous écoute.

M. CAVADA - Ce sont des électeurs.

M. LE PRESIDENT - Vous parlez des valeurs de la jeunesse. L'une des principales valeurs de la République, c'est l'intégration. Nous sommes un des rares pays du monde qui ait su faire de l'intégration une valeur nationale essentielle, et le vecteur principal de l'intégration, c'est l'école qui ne réussit pas aussi bien qu'il serait souhaitable, qu'il faut encourager dans ce domaine, mais qui est notre principe républicain.

L'intégration, cela veut dire que l'étranger s'intègre complètement, qu'il est à tous égards notre égal par définition ; on ne se pose même pas la question. Cela suppose qu'il en accepte les règles et cela suppose, si l'on veut que l'étranger soit intégré, qu'il n'y ait pas une fraction de clandestins qui arrive et qui déstabilise le système. Quand vous interrogez les étrangers qui sont en situation régulière en France, qui sont les plus nombreux, qu'est-ce qui leur fait le plus peur ? C'est le développement des étrangers en situation irrégulière qui alimente une déstabilisation de leur propre situation et aussi des courants xénophobes, racistes, haineux, intolérants, comme on en voit, hélas, se développer aujourd'hui en France.

Si nous voulons par conséquent faire de la vertu de tolérance qui est probablement parmi les plus importantes des vertus dans une société, et notamment démocratique et républicaine, il faut en tirer toutes les conséquences. Les vertus ont leurs exigences. Nous ne pouvons pas accepter un nombre excessif de clandestins parce que c'est déstabilisant. Voilà ce que je voudrais dire à Anne-Victoire.

M. CAVADA - J'ai compris. Comment comprenez-vous, Monsieur le Président, qu'une partie de cette jeunesse ne le comprend pas, ne le juge pas de la même manière ?

M. LE PRESIDENT - Ce n'est pas du tout qu'elle ne le comprend pas. On lui explique les choses de façon telle qu'elle réagit avec le coeur et sans avoir la connaissance exacte de ce dont il s'agit. J'ai connu cela : j'étais Premier ministre lorsque Alain Devaquet a déposé sa loi, une loi qui aujourd'hui est considérée par tout le monde, plus personne ne le conteste, comme la voie de la sagesse.

M. CAVADA - Il a mis pas mal de monde à la rue ...

M. LE PRESIDENT - A l'époque, on a mis tous les jeunes dans la rue en leur expliquant ce que n'était pas la loi. Mais à partir du moment où vous intoxiquez, par amalgame, les jeunes, il devient très difficile de leur faire comprendre les choses. Quand on touche au coeur, surtout dans une jeunesse qui a un coeur gros comme ça, il est extrêmement difficile ensuite de faire comprendre. De ce point de vue, ceux qui polémiquent ont des torts parce qu'ils trompent.

Ce n'est pas le point le plus essentiel. Le point le plus essentiel porte sur la tolérance.

Il y a une chose, j'ai dit toutes les qualités qui sont celles de notre pays et qui sont immenses, et notamment celles de sa jeunesse. C'est vrai ! On le voit bien quand on est à l'étranger. On est fier être Français quand on est à l'étranger. La tolérance est une vertu essentielle. Elle est aujourd'hui en cause. Il y a des forces d'intolérance qui se développent dans notre pays. Il suffit de lire la presse étrangère pour voir d'ailleurs à quel point...

M. CAVADA - elle commence à s'y intéresser....

M. LE PRESIDENT - Oui, non seulement à s'y intéresser mais à quel point cela donne de la France une mauvaise image, alors que nous avons tant de choses !

Cette intolérance est si étrangère à notre tradition nationale, qui est une tradition d'ouverture. Nous sommes le pays du siècle des Lumières, de la Révolution française. Nous sommes le pays de la générosité. Nous sommes un pays qui a eu parmi les politiques sociales les plus avancées, à tout instant de son histoire naturellement. Et, aujourd'hui, nous voyons des forces d'intolérance qui se développent.

M. CAVADA - Que dites-vous à ces jeunes gens pour les "amener" derrière vous dans ce combat, pour parler très clairement, contre le Front national ?

M. LE PRESIDENT - Là, je leur dis : Rien n'est plus important que la main tendue, que le regard bienveillant, que l'aide, la générosité. Toutes les forces d'intolérance ont toujours, dans l'histoire de tous les pays, conduit aux pires catastrophes, c'est-à-dire à des régimes autoritaires et ensuite à des expériences du type de celle du nazisme, etc. Il faut y faire très attention.

Les jeunes, dans leur immense majorité, sont par définition tolérants.

Et je leur dis, puisque vous me demandez de leur dire cela...

M. CAVADA - Non, je ne vous demande pas de leur dire. Je voudrais savoir si vous voulez qu'ils vous suivent dans ce combat ?

M. LE PRESIDENT - Je ne leur demande pas de me suivre. Je dirais presque qu'ils doivent précéder les générations plus âgées dans ce combat. Ils doivent être les porteurs de la tolérance et être, à cet égard, d'une très grande vigilance.

Tolérance, solidarité, volonté d'intégration, ce sont des valeurs qui ont fait la France, avec la morale républicaine. Et ce sont les valeurs sur lesquelles, aujourd'hui, nous devons appuyer à la fois la réforme de l'Etat et sonder l'avenir qui doit être le nôtre.

M. LEYMERGIE - Anne-Victoire ne disait pas autre chose, finalement !

M. LE PRESIDENT - Ainsi qu'une dernière valeur qu'il ne faut pas oublier, qui est la valeur républicaine française par excellence, qui est la laïcité.

Je vois que vous vous agitez, donc je terminerai là-dessus....

M. CAVADA - Non, non.

M. LE PRESIDENT - A juste titre !

M. CAVADA - Quand on est agité, cela porte chance !

M. LEYMERGIE - On regardait la pendule, simplement.

M. LE PRESIDENT - Nous avons commencé avec l'optimisme des jeunes, qui ressortait de votre enquête et qui est tout à fait caractéristique : voilà des jeunes qui ont des tas de difficultés, à qui l'on explique en permanence que tout va mal - il suffit d'écouter leurs témoignages - et qui sont optimistes, déterminés et qui veulent compter sur eux pour sortir de leurs difficultés.

Nous terminons avec les valeurs : la tolérance, la solidarité, la générosité, les valeurs de la République, le civisme. En parlant des jeunes, il ne vous est pas venu à l'idée de parler d'autre chose ! Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que la France a la chance d'avoir une jeunesse qui a de grandes qualités, cela n'a pas toujours été le cas ! Je ne crois même pas que l'on puisse dire que c'était le cas quand j'étais moi-même jeune. Cela n'a pas toujours été le cas ! Elle a une chance fantastique.

Je vous disais tout à l'heure qu'une grande Nation est une Nation qui sait intégrer tous ses enfants, surtout quand les enfants le méritent. Et, par conséquent, nous devons aujourd'hui tout mettre en oeuvre pour intégrer tous nos enfants.

M. CAVADA - Monsieur le Président, je vous remercie de cette présence ce soir. Je rappelle à ceux qui ont pris votre intervention en cours de route qu'elle est éditée de la Cité des sciences et de la Villette et plus particulièrement de la Cité des métiers.

Merci pour toutes ces explications.

M. LEYMERGIE - Simplement, vous avez fixé un certain nombre d'objectifs, Monsieur le Président, ce soir, et même presque des dates, un an pour certaines informations ; plus tard, pour d'autres. Ce sera, là, à l'été. Nous verrons cela se réaliser prochainement...

M. LE PRESIDENT - Les objectifs seront atteints, Monsieur Leymergie.

M. CAVADA - Monsieur le Président, merci d'avoir répondu à l'invitation de France Télévision.

Merci à vous, Mesdames, Messieurs, d'avoir assisté à cette émission.

Merci de nous avoir suivis. Bonne fin de soirée.

M. LEYMERGIE - Bonsoir.

M. LE PRESIDENT - Bonsoir.