MESSAGE ADRESSÉ PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À MONSIEUR PATRICK GAUBERT PRÉSIDENT DE LA LICRA À l'OCCASION DU 75e ANNIVERSAIRE DE LA LICRA

Beaucoup de nos compatriotes ont connu la guerre. Beaucoup de nos compatriotes ont connu les ravages du racisme et de l'antisémitisme. Les tragédies engendrées par certaines idéologies. La douleur de celles et ceux qui les ont vécues dans leur âme et dans leur chair.

Ce qui est Histoire, ce qui se découvre dans les manuels scolaires pour les plus jeunes d'entre nous est souvenir pour d'autres. Un souvenir comme celui-là ne peut s'effacer. Il est une blessure. Il est de ceux qui orientent une vie.

Bien sûr je n'étais qu'un jeune enfant quand la Deuxième Guerre mondiale a éclaté, entraîné dans l'exode, spectateur des drames qui se tramaient. Mais c'est peut-être à cet âge que certaines images s'impriment avec le plus de force, qu'elles forgent les convictions et déterminent l'engagement de l'âge mûr.

Ce souvenir a sans nul doute beaucoup compté dans mon engagement dans la vie publique, au service de la France et de l'idée que je me fais de notre pays, au service de l'Homme et de sa dignité. À l'âge adulte il s'est imposé à moi comme un triple devoir. Devoir de mémoire envers les victimes innocentes, les familles déchirées, les hommes, les femmes, les enfants qui ont pu se sentir trahis par la République. Devoir de témoignage parce que la transmission de la mémoire n'a rien d'automatique et que l'héritage de l'histoire ne relève pas de l'hérédité mais bien de la responsabilité de chacun. Devoir de vigilance enfin, parce qu'en la matière -l'histoire ancienne comme l'histoire la plus contemporaine nous l'enseignent- rien n'est jamais acquis et l'on recule sur ce terrain dès lors que l'on baisse la garde.

Aussi m'est-il apparu nécessaire, dans les responsabilités qui sont les miennes, de rappeler les traditions et le génie de la France en certaines circonstances, quand la fidélité à nos valeurs commandait d'agir là où la dignité de l'homme était bafouée. Et pour cela il m'est apparu nécessaire d'inviter nos compatriotes à regarder le passé en face, à regarder les erreurs commises, les fautes parfois. À tirer toutes les leçons de notre histoire.

Les petites phrases insidieuses d'aujourd'hui puisent aux mêmes sources que l'Affaire Dreyfus, la rafle du Vel d'Hiv, la tentation de la purification ethnique. Rien n'est insignifiant, rien n'est banal en la matière et ce qui semble anodin peut faire commettre l'irréparable.

C'est pourquoi je me suis toujours reconnu dans les combats que mène la LICRA et dans l'esprit de vigilance qui l'anime depuis trois quarts de siècle .

La LICRA aborde le tournant du millénaire avec un bel âge, celui de la maturité, de l'expérience, de la reconnaissance et surtout de la fidélité aux principes qui l'avaient guidée dès ses débuts, lorsque s'était constituée en 1927 la Ligue contre les Pogroms, née de la détermination d'un homme épris de justice, Bernard Lecache, son président fondateur.

Aujourd'hui elle peut être fière d'être la plus ancienne association militant à travers le monde contre le racisme et l'antisémitisme. Elle peut être fière de son histoire prestigieuse, fière d'avoir su mobiliser les bonnes volontés par milliers, fière d'avoir compté dans ses rangs des hommes et des femmes d'exception. Ses combats sont d'hier, d'aujourd'hui. Ils sont également de demain car la conquête de la tolérance n'est jamais complètement assurée, tout simplement peut-être parce qu'elle est aussi le dur combat que l'homme doit mener sans cesse contre une part de lui-même.

Je crois profondément que la France, si elle sait être fidèle à son génie, a dans ce domaine une mission particulière, historique. Parce qu'elle est la patrie des Lumières et des droits de l'Homme. Parce qu'elle est depuis toujours terre d'accueil et terre d'asile. Parce que les valeurs humanistes, les valeurs de liberté, de dignité, de justice, de tolérance qui fondent l'identité française, nous obligent pour l'avenir.

Jacques CHIRAC