ALLOCUTION PRONONCÉE PAR

MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

DEVANT L'ASSEMBLÉE TERRITORIALE DU NUNAVUT

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IQALUIT – NUNAVUT

LUNDI 6 SEPTEMBRE 1999

Monsieur le Premier Ministre du Canada, mon Cher ami, Jean Chrétien,

Madame,

Permettez-moi de vous dire combien Bernadette et moi, nous sommes sensibles au fait que vous ayez tenu à nous inviter, à nous accompagner pour cette belle journée au Nunavut, je vous en remercie, nous vous en remercions de tout coeur.

Monsieur le Premier Ministre du Nunavut,

Monsieur le Président de l'Assemblée territoriale,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Représentants et Aînés du Nunavut,

Mes chers Amis,

C'est avec beaucoup de joie que je m'adresse à vous ce matin pour vous remercier, d'abord de votre magnifique accueil et pour vous dire l'intérêt et l'importance que j'attache à ce premier contact pour moi.

C'est un honneur d'être le premier chef d'Etat étranger invité à s'exprimer devant votre jeune Assemblée. Et c'est un grand moment pour moi. Vous savez l'intérêt que je porte à votre culture, le Premier ministre a bien voulu le rappeler, M. Chrétien aussi. Vous savez que je soutiens depuis longtemps dans les enceintes internationales le combat des représentants des Premières nations pour que l'on connaisse leur héritage et pour que l'on reconnaisse leurs droits.

Depuis votre invitation, Bernadette et moi-même nous réjouissons à la perspective de découvrir le Nunavut et de rencontrer ses habitants. Notre courte visite, malheureusement, ne nous permettra pas de prendre la mesure de l'immensité de votre territoire. Mais elle nous permettra d'entrevoir la beauté de ses paysages, notamment le site grandiose de Pangniqtunq, et de découvrir sur place la force, la grande force de l'art inuit, à travers ses créateurs et ses artistes que nous aurons le privilège de rencontrer à Cape Dorset.

Cela fait bien des années que je suis avec un grand intérêt, je dirais, une certaine passion le destin des peuples qui habitent le grand Nord.

Il y a deux ans, à l'occasion d'une visite à Saint-Petersbourg, j'ai rencontré les enseignants et les étudiants de l'Académie polaire qui forme des jeunes des peuples arctiques russes et qui les prépare à s'insérer dans notre monde en respectant leurs traditions, leurs traditions ancestrales, leurs valeurs et leur culture.

Et me voilà aujourd'hui au Nunavut, " notre terre ", votre terre.

Ici, devant votre Assemblée territoriale, devant les députés que la population du Nunavut s'est donnée en février dernier, je salue la détermination des Inuits à faire reconnaître leurs droits. Je salue les efforts et la volonté qui ont conduit à cette reconnaissance institutionnelle. Je salue les femmes et les hommes qui en furent les artisans. Je salue les aînés dont vous respectez le savoir et la sagesse, et qui contribuent à la formation des nouvelles générations.

Cette naissance a marqué un moment important pour le Canada qui, pour la première fois depuis cinquante ans, sous l'impulsion du Premier ministre du Canada, modifiait son organisation territoriale. Et je tiens à souligner l'exemplarité canadienne. Voilà, Monsieur le Premier ministre du Canada, un pays immense, terre de Premières nations, terre des Inuits, terre à la fois anglophone et francophone, qui perfectionne, dans la paix et dans la tolérance, l'art de vivre ensemble. C'est bien ce qui s'est passé ici où le Gouvernement canadien a su travailler la main dans la main avec les représentants inuits pour traduire dans les actes leur volonté de reconnaissance.

La naissance du Nunavut a marqué une étape historique pour les Premières nations et, au-delà, pour toutes celles et tous ceux qui se battent pour leur identité à l'heure de la mondialisation. Au fond, à quelle aspiration répond cet événement ? A la volonté farouche de demeurer soi-même dans le grand tourbillon des idées et des hommes qui marque notre temps. Les hommes veulent échanger leurs biens, mais ils veulent garder leur âme. A la volonté d'accéder au progrès et au mieux vivre. De donner toutes ses chances à la jeunesse, cette jeunesse qui représente plus de la moitié de la population du Nunavut, et de lui préparer un avenir sans que, là encore, elle perde son âme.

Ce que l'homme a de plus cher, c'est sa mémoire, c'est son histoire, ce sont ses racines, ses traditions, les valeurs de ses aînés, c'est-à-dire tous ses repères intimes sans lesquels il se sent frustré et malheureux. Aujourd'hui, le défi que vous devez relever, c'est de parvenir à concilier tradition et modernité. C'est notamment de former vos jeunes et de leur donner les moyens de trouver leur place dans le monde, et d'abord un emploi, en préservant l'immense richesse et la beauté de vos traditions et de votre culture. Les représentants du Nunavut y travaillent en collaboration avec le gouvernement fédéral et c'est une belle et grande ambition.

Ce souhait des Inuits d'être enfin reconnus, de maîtriser leur destin, de garder leur culture, nous, Français, nous le comprenons et nous le soutenons.

Monsieur le Premier ministre du Canada et moi-même participions, hier encore à Moncton, au Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement francophones. Nous y avons renouvelé notre engagement en faveur de la diversité culturelle dont dépend la richesse du monde de demain. Nous ne devons pas avoir peur de la mondialisation. C'est une chance formidable que nous devons saisir pour que se développe le grand dialogue des cultures. Demain, c'est sur leur écran d'ordinateur que des millions de femmes et d'hommes vont pouvoir découvrir à leur tour l'art inuit. Mais pour cela nous devons encourager et promouvoir nos créations, nous battre et imposer nos langues, nos cultures, nos traditions sur les nouveaux réseaux de l'information.

Nous devons aussi protéger et faire connaître notre patrimoine. Rien n'est plus important pour la culture humaine que de conserver et de vivifier l'ensemble de ses racines. J'ai voulu, c'est vrai, qu'en France on reconnaisse ce que nous nous appelons les peuples premiers, la place qui leur revient dans le mouvement universel de la création et de la pensée. La France aura bientôt, M. Chrétien l'évoquait tout à l'heure, le Premier ministre aussi, à Paris, son Musée des Arts et des Civilisations qui fera une large part aux prestigieuses et anciennes cultures du continent américain, au premier rang desquelles, la culture Inuit.

Parmi les hommes et les femmes qui ont oeuvré avec passion, avec courage, avec intelligence pour faire reconnaître l'identité inuit, avec ses nouveaux droits politiques et institutionnels, je voudrais saluer tout particulièrement Monsieur John Amagoalik, sans qui le Nunavut ne serait certainement pas ce qu'il est aujourd'hui.

Je l'ai reçu en avril dernier à Paris et j'ai tout de suite compris la force des convictions qui l'animent. Mon cher John, cher ami, vous êtes devenu une référence pour les vôtres. Après une jeunesse qui ne fut pas facile, à l'image de tant d'autres jeunesses inuits d'alors, vous êtes entré dans la fonction publique des Territoires du Nord-Ouest.

A plusieurs reprises, représentant le peuple inuit dans bien des enceintes nationales et internationales, vous y avez défendu ses intérêts avec calme et détermination. En témoignent vos responsabilités à la tête d'Inuit Tapirisat, qui ont fait de vous le représentant officiel de votre peuple entre 1979 et 1988. En témoignent aussi vos attributions au sein du Conseil exécutif de la Conférence circumpolaire inuit, instance internationale reconnue par l'Organisation des Nations Unies.

Vous avez été également président du Forum constitutionnel du Nunavut puis, à partir de 1993, commissaire en chef chargé de la mise en place du nouveau territoire et, à ce titre, le principal interlocuteur du Gouvernement fédéral.

Enfin, je n'oublie pas vos efforts pour faire connaître et reconnaître la culture inuit dans le monde, comme en a témoigné votre visite en France. Vous avez la volonté de nouer une relation forte entre la communauté inuit et la France. Je m'en réjouis naturellement et j'apporterai tout mon soutien à notre rapprochement, un rapprochement, cher Jean Chrétien, qui donnera une nouvelle dimension, une dimension supplémentaire à la relation franco-canadienne qui est déjà si riche et si forte. Vous me permettrez, mon cher John, de saluer ici comme l'a fait à l'instant le Premier ministre du Canada, notre amie, Madame Michèle THERRIEN, dont la présence à mes côtés illustre les liens qui rattachent depuis près de dix ans les Inuits du Nunavut à l'université française.

A vous, cher John Amagoalik, qui incarnez les valeurs inuits : le sens du consensus et de la cohésion, le respect envers les aînés et envers la nature, les vertus du partage et de la patience, à vous, j'ai tenu, et je le ferai dans un instant, à remettre les insignes de chevalier de l'Ordre national de la Légion d'honneur, la plus haute distinction de mon pays, et ceci en témoignage de l'estime et de l'amitié que vous porte la France.

Avant de remettre cette distinction, Monsieur le Premier ministre, cher Paul, je voudrais vous dire ma reconnaissance, celle de Bernadette, pour votre accueil auquel nous sommes tous les deux infiniment sensibles.

Monsieur le Premier Ministre,

vous êtes le premier, dans ce nouveau cadre institutionnel, à porter le destin de votre peuple. Et, au nom de la France, je voudrais vous exprimer très chaleureusement et très sincèrement mes voeux de pleine et entière réussite pour vous-même et pour votre peuple.