DISCOURS

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

RECEPTION EN L'HONNEUR DU CORPS PREFECTORAL

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Palais de l'Elysée - Vendredi 26 mars 1999

Monsieur le Ministre de l'Intérieur,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Préfets et Sous-préfets,

Mesdames, Messieurs,

Il est dans l'Etat des fonctions qui donnent un visage à la République et bien sûr votre fonction en fait partie.

Représentants de l'Etat dans nos départements, il vous appartient d'expliquer à vos interlocuteurs la raison et le sens de l'action de la France.

C'est pourquoi vous comprendrez que j'évoque ce matin l'épreuve de force dans laquelle notre pays est engagé au Kosovo. Car c'est une épreuve difficile qui doit être bien comprise par nos compatriotes.

Cette action était nécessaire. Le choix n'était pas entre la paix et les frappes aériennes, mais entre des frappes maintenant ou la guerre plus tard, plus lourde, plus globale, sans aucun doute plus meurtrière. Une guerre qui aurait pu déstabiliser l'ensemble des Balkans et porter une grave atteinte à nos valeurs, à notre sécurité.

Cette action était légitime. Notre objectif de paix est évident. Il demeure notre impératif. Il y a quelques mois, après le massacre de Racak, malgré le massacre de Racak, nous avons refusé les frappes pour donner une dernière chance à la paix. Ce fut la Conférence de Rambouillet, largement initiée par la France et sa diplomatie et ses partenaires européens. Ce fut, pour la première fois, la définition d'un accord agréé par toute la communauté internationale. Un accord respectueux de la souveraineté serbe et respectueux des droits de l'Homme. Cet accord soutenu par les Européens, par la Russie et par les Etats-Unis, cet accord signé par les Albanais du Kosovo, il fut refoulé, je dirais même, aux pieds par le Président Milosevic. Au-delà de ce refus politique, on a assisté au cours des dernières semaines au développement des actions militaires serbes au Kosovo, en violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptées l'automne dernier.

Ces frappes ne signifient pas la guerre. Elles visent des infrastructures militaires, elles visent les instruments armés qui permettent l'oppression du Kosovo et qui risquent de se propager dans toute la région. Ces frappes n'ont qu'un but : faire comprendre au Président Milosevic que le chemin de la paix est préférable à celui du totalitarisme, à celui de la violence contre les populations civiles. L'accord reste sur la table. A tout moment le Président Milosevic peut interrompre ces frappes, en acceptant une solution qui respecte pleinement l'intégrité de la Serbie et garantit la stabilité des Balkans. Cet accord, vous le savez, n'est pas un accord occidental imposé, mais un accord qui a le soutien de toute la communauté internationale et en particulier de tous les Européens, de la Russie et des Etats-Unis.

Enfin, vous pourrez faire valoir le devoir de solidarité. Au moment où des pilotes français mènent une action que la France a décidée en pleine souveraineté, avec la totalité de ses alliés, au service de ses idéaux de paix, je souhaite que la Nation tout entière se montre solidaire. Ce sont les valeurs universelles de notre tradition républicaine que nous défendons.

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De la République, vous incarnez l'unité, l'impartialité, et l'engagement au service de l'intérêt général. Dépositaires de l'autorité de l'Etat, il vous appartient de veiller à l'application des lois.

Sur l'ensemble de notre territoire, en métropole comme outre-mer, vous devez protéger les libertés et garantir l'ordre public. Préserver la cohésion sociale, assurer la continuité et l'efficacité des services publics, les adapter aux besoins des Français et de leurs entreprises. Vous devez aussi -c'est là l'une des priorités de votre action– contribuer au développement de l'activité et de l'emploi en favorisant l'innovation et en soutenant toutes les bonnes initiatives.

Votre mission est parfois difficile. Mais je connais votre engagement et votre disponibilité car vous vivez chaque jour avec conviction votre rôle de vigie donnant l'alerte sur tout ce qui menace ou peut menacer le corps social.

Au plus près des réalités, vous êtes en permanence au contact de nos compatriotes, et notamment de ceux d'entre eux qui sont les plus impliqués dans les évolutions de notre société : élus en priorité bien sûr, mais aussi cadres et agents des services publics, chefs d'entreprise, partenaires sociaux, responsables associatifs. Encouragez les énergies nouvelles, soyez des facilitateurs de projets, c'est ainsi que la France avance.

Notre pays est désormais entré dans une phase, chacun le sait, de mutation rapide. Le passage à l'euro ne fera qu'amplifier ce mouvement. Par vos fonctions, par votre rôle dans la société, vous savez les espérances que suscitent les progrès de la construction européenne. Mais vous percevez aussi les interrogations et les inquiétudes qui se font jour à ce sujet.

Sans cesse, vous devez plaider pour la modernisation et conduire les transformations nécessaires. Dans le mouvement du monde, le changement, raisonné et maîtrisé, est notre meilleure assurance.

C'est dans cette perspective que je voudrais, ce matin, vous entretenir des principaux défis qu'il nous faudra relever pour permettre à la France d'aborder le siècle prochain avec encore plus de confiance.

J'en retiendrai trois : moderniser notre organisation territoriale. Construire une administration de proximité. Assurer la sécurité de nos concitoyens.

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A Rennes, en décembre dernier, j'ai dit devant des élus ma conviction que la démocratie locale devait trouver un souffle nouveau. J'ai dit ma conviction que l'organisation des collectivités territoriales devait être modernisée et que leur armature devait être renforcée. A vous, aujourd'hui, je veux redire qu'il s'agit là d'une attente profonde de nos concitoyens.

Nos compatriotes savent que, dans les domaines qui touchent à leurs principales préoccupations, la sécurité, l'emploi, l'éducation, les solutions ne peuvent venir uniquement des politiques nationales. Elles passent aussi, on serait tenté de dire qu'elles passent d'abord par une libération des initiatives locales.

Bien sûr, avec la création des régions en 1972, puis avec la décentralisation engagée en 1982, une partie du chemin a déjà été parcourue. Un profond rééquilibrage s'est opéré entre l'Etat et les exécutifs locaux. Grâce au rapide essor de l'intercommunalité, dans lequel votre rôle a été déterminant, notre organisation territoriale s'est largement recomposée, témoignant de l'aptitude au changement dont peuvent faire preuve les collectivités et leurs élus.

Mais cette évolution s'est faite, il faut le dire, dans un certain désordre, peut être sans vue d'ensemble. On a superposé les centres de décision sans se rendre compte qu'on les éloignait ainsi des Français. Une distance excessive s'est créée entre citoyens et décideurs.

Les conséquences de cette situation ne doivent pas être sous-estimées. Ce qui est en jeu, c'est le fondement même du pacte politique et social. Comment parler de démocratie lorsque l'imbrication des pouvoirs rend impossible toute identification des responsabilités ? Vous-mêmes, je le sais, faites souvent cette analyse.

Un vaste mouvement de modernisation de notre organisation territoriale est nécessaire. Le territoire français n'est plus habité, exploité, vécu de la même façon qu'au siècle dernier.

Nous devons êtres guidés dans ce domaine par deux objectifs : simplifier et démocratiser.

Simplifier, cela signifie démêler l'écheveau des multiples syndicats, établissements publics et autres structures de coopération qui se superposent sur notre territoire.

Démocratiser, c'est donner une expression politique aux nouvelles communautés de vie qui se sont formées progressivement, dans les agglomérations comme dans les pays ruraux. Pour cela, il faut partir des acquis de l'intercommunalité, sans, bien entendu, créer d'échelon supplémentaire. De nouvelles collectivités doivent pouvoir se constituer librement à partir des communes et de leurs groupements, en maintenant au niveau municipal les services les plus directement au contact du public.

Les départements et les régions doivent participer à cette modernisation. Le département, bien enraciné dans notre organisation territoriale, est appelé –je pense- à demeurer un lieu privilégié de coordination et de synthèse de certaines politiques locales.

La région doit, quant à elle, voir consacrer sa mission d'aménagement du territoire et de développement économique. C'est à l'échelle des régions que se jouera et que se gagnera la compétition des territoires. Nos régions doivent être armées pour y faire face.

Que l'on me comprenne bien. Il ne s'agit pas de procéder à une réorganisation autoritaire de la carte territoriale. Une telle démarche serait vouée à l'échec. Nos traditions étant ce qu'elles sont, l'objectif de simplification et de modernisation ne pourra être atteint que par la concertation et sur la base du volontariat.

Plutôt que d'imposer d'emblée, par voie d'autorité, un cadre uniforme pour tous, il s'agit d'imaginer des instruments juridiques et financiers nouveaux afin de permettre aux acteurs locaux de prendre eux-mêmes, à leur rythme, l'initative du changement. Votre mission sera d'aider, par votre savoir-faire, par votre conseil, à ce mouvement nécessaire.

Parce qu'il n'y a pas d'organisation territoriale idéale et parce que la diversité, loin d'être un handicap, est une richesse, il est temps aussi de reconnaître que plusieurs formes d'organisations territoriales différentes peuvent coexister harmonieusement dans notre pays. Il est temps de reconnaître que l'organisation administrative de l'Etat ne doit pas nécessairement être uniforme.

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A une démocratie de proximité doit correspondre une administration de proximité. Les préfets et membres du corps préfectoral ont un rôle majeur à jouer. Je l'ai souvent constaté : le couple préfet-élus, sa bonne entente, sa complémentarité, sont essentiels.

C'est vrai pour les actions de l'Etat, qui requièrent un concours croissant des collectivités territoriales, qu'il s'agisse de la lutte contre le chômage, de la réalisation des équipements publics ou des aides aux entreprises.

C'est vrai aussi pour les collectivités locales, qui ont besoin du soutien technique et financier de l'Etat, de sa capacité d'expertise et d'animation, de sa présence active pour assurer l'ordre public et la sécurité.

C'est pourquoi il est si nécessaire que le préfet puisse engager directement l'Etat auprès de ses interlocuteurs, sans réserve, dans la seule limite des lois, des règlements et des instructions qu'il reçoit du Gouvernement. C'est ainsi que pourront se fédérer toutes les énergies et qu'elles contribueront à un meilleur aménagement de notre territoire, porteur d'activités nouvelles et d'emplois.

En 1996, un pas important a été franchi avec la déconcentration et la globalisation des crédits de la politique de l'emploi. Vous y aviez trouvé de nouvelles marges de manoeuvre, de nouvelles possibilités d'action. C'est la méthode à suivre, en sachant résister aux tentations de reconcentration, qui sont toujours très fortes au sein des administrations centrales.

Si, comme je le souhaite, un véritable droit à l'expérimentation est reconnu aux collectivités locales, de nouveaux champs d'action s'ouvriront pour coopérer et innover avec elles. Vous devrez avoir les moyens de cette coopération et la capacité d'organiser les services de l'Etat en conséquence.

Construire une administration de proximité, ce n'est pas seulement se rapprocher des élus et des collectivités locales, c'est aussi se tourner davantage vers les usagers. Cela induit de nouveaux comportements, de nouvelles pratiques. Aujourd'hui je voudrais insister sur l'apport des technologies de l'information qui ouvrent à ce sujet des voies prometteuses.

Vous aurez dans les années qui viennent à superviser la conception de grands réseaux de communication interne, qui relieront l'ensemble des services administratifs de l'Etat dans vos départements, dans vos régions. Certains d'entre vous ont d'ores et déjà pris des initiatives en la matière. Je voudrais les en féliciter.

Partager l'information et le savoir-faire, approfondir la pratique du dialogue interministériel, comparer les expériences d'une préfecture à l'autre, faciliter la prise de décision, ces réseaux permettront dans bien des domaines d'améliorer l'efficacité de l'administration territoriale.

Mais l'apparition de ces nouveaux outils peut s'accompagner d'interrogations et aussi d'inquiétudes. Des remises en cause sont inévitables. Il faudra donc expliquer et former. Convaincre et surmonter les réticences. Vous vous trouvez en première ligne pour assurer cette transition vers une administration en réseau, plus souple, plus transparente, plus cohérente.

Il faudra ensuite aller plus loin. La modernisation de l'Etat ne serait pas complète si elle ne se traduisait pas par l'amélioration du service offert au public. Mettre l'administration en réseau cela suppose aussi d'utiliser l'Internet afin de renforcer au niveau local le dialogue avec les usagers, simplifier les procédures administratives, éviter les déplacements inutiles et contribuer au désenclavement des zones isolées.

A vous de tirer le meilleur parti de ces nouvelles technologies de communication et d'en faire un véritable atout pour le service public. Il est nécessaire que votre formation prenne mieux en compte cet objectif afin que vous soyez prêts à animer et à amplifier ce mouvement.

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Enfin, l'une des principales tâches de l'Etat, que vous représentez, c'est de répondre rapidement et complètement aux attentes des citoyens. Parmi ces attentes, l'une mérite tout particulièrement notre attention parce qu'elle est la plus naturelle et la plus légitime. Il s'agit de l'aspiration à la sécurité.

Aujourd'hui, la sécurité des biens et des personnes est devenue en France, en Europe, partout dans le monde, l'une des premières préoccupations des Français. Vous le constatez chaque jour sur le terrain : face à la montée des violences, en zone urbaine mais aussi en zone rurale, face au développement de la délinquance des mineurs, nos compatriotes, et notamment les plus faibles d'entre eux, manifestent un réel désarroi. Ils doutent de la capacité de l'Etat à faire respecter la loi.

Vous vous trouvez, là encore, en première ligne. Responsables de la sécurité des habitants, c'est à vous qu'il appartient de garantir non seulement l'ordre public mais aussi la tranquillité quotidienne de nos concitoyens.

Dans l'exercice de cette tâche difficile, il faut veiller à restaurer entre la prévention et la sanction un équilibre qui a été trop longtemps altéré.

Mais les véritables enjeux de la politique de sécurité vont bien au-delà. Il est essentiel d'assurer une véritable intégration sociale, économique et citoyenne.

Il y faut de la fermeté. Il y faut aussi de l'ouverture, de la générosité et de la considération notamment pour ces jeunes dont l'avenir est nécessairement dans la communauté nationale. A défaut, nous prendrions le risque de voir apparaître des fractures plus importantes encore. Je vous demande d'y être très attentifs.

La sécurité concerne tous les services de l'Etat, par-delà les différences de missions et donc de culture et d'approche. Là encore, c'est à vous qu'il appartient de coordonner les initiatives et les projets. Comme je l'ai déjà dit, vous devez le faire avec les élus, et d'abord avec les maires qui appréhendent mieux que personne les difficultés dans leur commune. Appuyez-vous aussi sur les relais associatifs. Quand il s'agit de lutter contre l'insécurité, il ne faut négliger aucune piste. Il ne faut écarter aucune aide. Même si le représentant de l'Etat demeure l'ultime recours, ce sont toutes les composantes du corps social qui doivent unir leurs efforts pour venir à bout d'un mal qui menace la collectivité dans son ensemble.

Mais il y a une autre attente des Français : celle de la sécurité quotidienne notamment à l'égard des risques naturels et technologiques. L'incendie du tunnel du Mont Blanc en est le tragique exemple. Là encore les Préfets, avec l'ensemble des services de l'Etat et des collectivités territoriales, doivent exercer une vigilance et une rigueur de tous les instants pour prévenir ces enchaînements dramatiques. Mais je voudrais redire aux familles des victimes toute ma sympathie et à tous les personnels français, italiens et genevois, engagés dans les secours, ma reconnaissance, mon soutien et ma solidarité.

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Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais, pour terminer, saluer vos conjoints, qui, à vos côtés, prennent aussi -je le sais- leur part des responsabilités dans celles qui vous incombent. Je sais toute l'importance de leur rôle et je suis heureux de pouvoir en témoigner aujourd'hui.

Je souhaite également rendre un hommage tout particulier à celles et ceux d'entre vous qui servent dans les départements et les territoires d'outre-mer. Ils témoignent de ce que la France, dans l'universalité des principes de la République, est un pays aux multiples visages, riche de son unité comme de sa diversité.

Je vous remercie.