POINT DE PRESSE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET DE MONSIEUR GERHARD SCHROEDER CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

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PALAIS DE L'ELYSEE

MARDI 16 MARS 2004

LE PRESIDENT - A l'issue de cet entretien avec le Chancelier SCHROEDER et en accord avec lui, je souhaite tout d'abord évoquer les attentats qui ont frappé Madrid.

Une nouvelle fois, le terrorisme a montré son visage de haine et de sauvagerie. Tous, nous avons été révoltés par cet acte barbare. Nous avons manifesté notre solidarité à l'égard des victimes et de nos frères espagnols, dont nous partageons bien sûr le deuil.

Vendredi dernier, j'ai convoqué un conseil restreint avec le Premier ministre et les ministres compétents afin de prendre les décisions qui s'imposaient pour renforcer nos dispositifs d'alerte, de contrôle et de sécurité, notamment dans le cadre du plan Vigipirate. Dans le passé, la France a payé un lourd et douloureux tribut au terrorisme. Aujourd'hui, elle n'est pas visée spécifiquement mais, comme toutes les démocraties, elle n'est pas à l'abri d'actes terroristes. La vigilance s'impose. Le Gouvernement et tous nos services sont mobilisés. Ils travaillent bien sûr en liaison étroite avec nos partenaires.

Avec eux, nous allons renforcer le plan d'action européen contre le terrorisme. Nous l'avons notamment évoqué ce matin. Nous allons, mieux encore, coordonner nos services de renseignement et de police et aussi nos justices.

Face à la menace et dans le respect des libertés et de l'Etat de droit, l'Europe protégera ses citoyens. Cette exigence sera au coeur des travaux du prochain Conseil européen.

La communauté internationale doit se rassembler pour lutter contre le terrorisme de toutes ses forces et sans relâche. Mais soyons lucides. Nous devons aussi nous rassembler pour mettre un terme aux conflits qui alimentent la colère et la frustration des peuples, pour lutter contre la misère, l'humiliation et l'injustice qui sont des terreaux de la violence. Nous devons choisir l'espoir, la solidarité, le dialogue et notamment le dialogue des cultures contre la prétendue fatalité d'un choc des civilisations.

Face au terrorisme, nous devons opposer force et détermination. Mais nous devons aussi affirmer dans le monde les valeurs de respect, et notamment de respect de l'autre, de justice et de solidarité.

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs. Nous avons fait avec le Président de la République la même analyse : nous devons faire attention à ce que la lutte contre le terrorisme qui est un vrai défi pour le monde civilisé, que cette lutte soit couronnée de succès. Je partage tout à fait ce qu'a dit le Président CHIRAC. Cette lutte contre le terrorisme suppose qu'on y consacre les forces nécessaires. Mais pour autant, on ne vaincra pas le terrorisme uniquement par la force des armes, il faut lutter contre les racines du terrorisme. Parmi celles-là, sans aucun doute, on trouve le sous-développement dans le tiers monde. C'est un aspect très important, incontournable.

L'Allemagne, comme la France, a renforcé son dispositif de sécurité. Nous constatons que toute l'Europe, indépendamment de ses décisions en matière de politique étrangère et de sécurité, est devenue le théâtre d'actes terroristes et donc, nous devons, ensemble, Européens, faire face à ce terrorisme et lutter contre lui. Il faut que nous ayons un plan européen, ensemble, et aussi l'améliorer. Il faut que nous soyons très vigilants dans nos pays respectifs, au plan national. Mais il faut aussi que la coopération européenne et la coopération transatlantique dans le domaine de la police et des services de sécurité soient intensifiées et que notre coopération en ce qui concerne les services de renseignement soit accentuée pour le gagner, ce combat contre le terrorisme. C'est un défi qui va perdurer et qui va peser lourd en Europe. Au plan politique, nous devons également être à la hauteur de ce défi.

LE PRESIDENT - Au-delà de ce problème vital, nous avons tout d'abord évoqué avec le Chancelier la préparation du prochain Conseil européen. Vous connaissez la position de l'Allemagne et de la France en faveur de la mise en oeuvre, aussi rapidement que possible et sur un texte aussi proche que possible de la Convention, de la réforme des institutions et de la nouvelle Constitution. Nous pensons que le plus tôt sera le mieux et nous faisons confiance à la présidence irlandaise pour trouver des solutions les mieux adaptées pour atteindre cet objectif. Nous pensons que, en toute hypothèse, cette réforme devra être achevée avant la fin de l'année 2004.

Sur nos positions concernant la double majorité, concernant la composition de la Commission, concernant la façon de prendre les décisions à la majorité ou à l'unanimité au Conseil, les positions de l'Allemagne et de la France sont identiques et vous les connaissez.

Nous avons également évoqué, bien entendu, les problèmes liés à l'élargissement. Et pour ce qui concerne la Turquie, nous attendons les conclusions de la Commission qui nous donnera son rapport avant la fin de l'année. S'agissant de la Croatie, nous avons émis un avis de principe favorable en attendant le rapport de la Commission. S'agissant de la Bulgarie et de la Roumanie, nous avons confirmé notre désir que les engagements pris à l'égard de ces deux pays soient tenus, tout en les incitant à faire un effort soutenu pour tenir les engagements que, par ailleurs, ils ont pris.

Nous avons évoqué la relation entre l'Union européenne et la Russie, au lendemain de l'élection présidentielle en Russie. Nous avons en particulier souligné l'importance que nous attachions à la mise en oeuvre des quatre espaces que nous avons définis à Saint-Pétersbourg au nom de l'Union européenne, de façon à ce que la relation, le lien entre la Russie et l'Union européenne soient, autant que faire se peut, renforcés.

Nous avons, ou plus exactement, nous évoquerons tout à l'heure pendant notre déjeuner de travail les problèmes internationaux et notamment ceux qui concernent l'Iraq et le Proche-Orient. Dans les deux cas, nous échangerons nos réflexions mais ce que je peux vous dire c'est qu'à la fois nos approches et nos conclusions sont tout à fait semblables, aussi bien pour l'Iraq que pour le Moyen-Orient. Plus généralement, pour les initiatives éventuelles qui pourraient être prises, soit à Istanbul, soit à Sea Island pour le G8, en ce qui concerne ce qu'on appelle le grand Moyen-Orient et le soutien à la modernisation de cette région.

Voilà ce que nous avons évoqué, mais je vais laisser le Chancelier donner son sentiment.

LE CHANCELIER SCHROEDER - Monsieur le Président, je n'ai de fait rien à ajouter parce que vous avez rendu compte de façon exhaustive de nos entretiens. Je n'ai donc rien à y ajouter, laissons aux journalistes le temps de poser des questions, tant pour la presse écrite que pour la télévision.

QUESTION - En ce qui concerne la Constitution européenne, est-ce que vous croyez que dès la semaine prochaine, à Bruxelles, on pourrait arriver à un accord ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Non, pas la semaine prochaine. Je ne crois pas que ce Conseil de printemps est le moment opportun. Il faut laisser le temps au futur gouvernement espagnol d'arrêter ses positions. Traditionnellement, c'est un Conseil consacré aux questions économiques, à la stratégie de Lisbonne, donc à la modernisation des économies européennes. Je pense qu'il y a encore une chance de boucler l'affaire de la Constitution avant la fin de la présidence irlandaise, en tout cas la France et l'Allemagne oeuvreront dans ce sens. Vous savez que nous avons souvent prouvé notre volonté de participer à un compromis, donc ce n'est pas de nous que cela dépend, cela dépend de la volonté de l'un ou l'autre partenaire de bouger un peu, l'un en particulier et l'autre un peu aussi.

LE PRESIDENT - Je fais exactement la même analyse que le Chancelier, je n'ai donc rien à ajouter.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué les initiatives sur le Proche-Orient. Est-ce que vos partenaires européens sont favorables à l'initiative franco-allemande ? Et est-ce que vous allez mettre à profit cet attentat douloureux en Espagne pour relancer les efforts de paix, soit au Proche-Orient, soit en Iraq ? Merci.

LE PRESIDENT - S'agissant de l'initiative de paix au Proche-Orient, l'Allemagne et la France font la même analyse. On ne sortira de la crise grave actuelle que par un accord négocié et pour négocier il faut se parler, donc se mettre autour d'une table. Il faut bien reconnaître que jusqu'ici on a rien trouvé ou on a rien fait de mieux que la Feuille de route, que nous avons d'ailleurs tous approuvée, et dont nous souhaitons la mise en oeuvre aussi rapide que possible. Cela suppose préalablement, naturellement, le retour à la table des négociations des partenaires palestiniens et israéliens, avec pour objectif que les Palestiniens puissent obtenir un pays indépendant et viable et que les Israéliens puissent être garantis dans la sécurité à laquelle ils ont droit.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que la position du nouveau gouvernement espagnol face à l'Iraq renforce la position franco-allemande face à la situation au Proche-Orient et surtout à l'Iraq ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Nous nous réjouissons tous d'avance de la coopération qui va s'instaurer avec le nouveau gouvernement espagnol, nous en avons longuement parlé aujourd'hui. Nous avons aussi constaté avec intérêt que sur les deux questions particulièrement importantes, c'est-à-dire la Constitution européenne et l'Iraq, les premières déclarations du vainqueur espagnol des élections sont intéressantes. Je n'en dirai pas plus.

J'ai pris avec satisfaction connaissance du fait qu'il a l'intention de faire bouger les choses, je me réjouis de le rencontrer bientôt mais il n'est pas encore l'heure de commenter ses propos.

LE PRESIDENT - Je suis tout à fait d'accord, naturellement, avec le Chancelier sur cette approche.

QUESTION - Avec toutes les réserves que vous avez exprimées, est-ce que vous pouvez nous dire si le retrait annoncé, par le futur Président du Gouvernement espagnol, des troupes espagnoles de l'Iraq est un changement décisif de la donne, du point de vue de l'échiquier international actuel ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - C'est une décision souveraine que le nouveau gouvernement espagnol aura à prendre. Il faudra voir sur quelles bases cette décision sera prise, il faudra voir ses conséquences. Je crois que les journalistes ont peut-être l'obligation de spéculer en amont mais cela n'est pas le rôle des politiques de les suivre.

QUESTION - Toujours sur cette annonce espagnole de retrait des troupes d'Iraq : est-ce que c'est là le début d'une politique d'apaisement et en quelque sorte est-ce que cela ne correspond pas aux objectifs des terroristes ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Je vous propose d'adresser ces questions aux responsables espagnols. Pour ma part, je n'ai pas l'intention d'y répondre.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, est-ce que vous seriez d'accord avec l'idée du Premier Ministre belge de fonder une sorte d'agence centrale d'information européenne ?

LE CHANCELIER SCHROEDER - Vous parlez là d'une agence européenne de renseignement, c'est cela ? Ou des services secrets européens ? Je crois que notre tâche première c'est d'améliorer la coopération entre les services de renseignement existants. Maintenant, est-ce qu'à l'avenir on peut envisager, on doit envisager la création d'une nouvelle structure européenne, je ne saurais l'exclure. Mais enfin pour le moment, il faut d'abord et avant tout renforcer la coopération des services existants dans la lutte contre le terrorisme. Tout le reste relève pour le moment encore d'une lointaine théorie.

LE PRESIDENT - Je voudrais simplement ajouter que la coopération entre ce que l'on appelle " les services " des différents pays européens s'est considérablement renforcée, je dirais depuis un an, un an et demi, considérablement renforcée. Les réserves que l'on avait l'habitude historiquement de connaître entre les grands services ont tout à fait disparu. Il y a maintenant une vraie collaboration, une vraie coopération. C'est notamment tout à fait le cas entre l'Allemagne, la France mais aussi entre l'Allemagne et la France et les autres pays concernés qu'il s'agisse des pays européens ou des autres bien entendu, américains ou d'ailleurs.

Donc on peut imaginer en permanence d'améliorer le système d'information et de renseignement, naturellement, mais sachez qu'il y a tout de même eu une très profonde réforme des mentalités, des méthodes et de la coopération entre les services depuis quelque temps.

Je vous remercie.