CONFERENCE DE PRESSE CONJOINTE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET MONSIEUR YASSER ARAFAT PRESIDENT DE L'AUTORITE PALESTINIENNE

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RAMALLAH, Mercredi 23 octobre 1996

le president yasser arafat -

Monsieur le Président, je vous salue et m'adresse à vous du plus profond de notre coeur en terre de Palestine. Nous n'oublierons jamais la visite que vous avez effectuée hier à Jérusalem. Une visite qui nous a fait chaud au coeur et qui nous a fait sentir cette relation particulière entre nous.

Votre présence, ici, Excellence, lors de cette visite et le discours que vous avez prononcé devant le Conseil législatif donne, en fait, plus de force à la marche palestinienne et à la démocratie palestinienne. Comme je l'ai déjà dit dans mon discours, il y a quelques instants, nous apprenons beaucoup de la démocratie française et nous sommes fiers de cela.

Votre visite, ici, chez nous, dans la région, dans les circonstances actuelles, signifie un véritable engagement vers le processus de paix. Processus dans lequel nous voudrions voir la France jouer un rôle sous votre direction. Processus dans lequel nous voudrions aussi voir l'Europe jouer un rôle aux côtés des deux parrains du processus pour pouvoir réellement parvenir à une paix juste, globale et durable au Proche-Orient.

Je vous souhaite la bienvenue Excellence, Monsieur le Président, -Docteur Chirac-, car ce mot que j'apprécie particulièrement, et comme vous le disiez vous-même il y a quelques instants, vous me l'aviez dit à Charm El Cheik : "lorsque vous avez besoin d'une aide quelconque, appelez le Docteur Chirac par téléphone". Moi, aujourd'hui, je m'adresse à vous de coeur à coeur, je m'adresse à vous du plus profond de mon être, au plus profond de votre être, pour vous dire "oui, nous avons besoins du Docteur Chirac pour sauver le processus de paix et pour donner une impulsion nouvelle à ce processus de paix, non seulement en ce qui concerne le volet palestinien, mais aussi en ce qui concerne le volet libanais et le volet syrien, en faveur de la paix dans la région du Proche-Orient".

Je vous souhaite la bienvenue Excellence. Je vous le répète, bienvenue, bienvenue en Palestine, la terre des trois religions. Nous réitérons devant vous notre engagement stratégique concernant le processus de paix et nous affirmons que nous sommes engagés dans ce processus, mais nous avons besoin de votre aide pour stabiliser cette paix, la paix des braves. Cette expression, en fait, est celle du Général de Gaulle, la paix des braves au Proche-Orient.

Bienvenue Monsieur le Président, notre peuple palestinien a besoin de vous. La région, le Proche-Orient a besoin de vous. Je suis certain que vous ferez tout votre possible pour apporter ce soutien.

Merci beaucoup.

le president

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Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je dirai juste un mot avant que nous ne répondions le Président Arafat et moi à vos questions. Ce mot sera merci pour l'accueil de la population palestinienne qui était venue ce matin pour saluer le Président Arafat et moi-même. Un accueil auquel j'ai été particulièrement sensible depuis l'endroit où nous nous sommes posés jusqu'à ce Parlement.

Quand on a fait beaucoup de visites politiques, on voit et on sent bien dans le regard, dans les gestes des gens, et notamment des jeunes, s'ils sont indifférents ou au contraire heureux, s'ils sont ouverts ou au contraire un peu crispés. Ce matin, j'ai été très impressionné de voir, en particulier tant de jeunes, garçons et filles, et beaucoup avec des rameaux d'olivier et qui, gentiment, nous adressaient des sourires qui étaient à la fois des sourires de paix et des sourires d'espoir. Je voudrais, au-delà du Conseil palestinien devant lequel je me suis adressé, dire toute ma joie d'avoir rencontré ces jeunes et ces moins jeunes d'ailleurs. Je voudrais aussi leur dire toute mon affection.

Je suis maintenant prêt, avec le Président Arafat, à répondre à quelques questions si vous en avez.

question

- Monsieur le Président Chirac, pouvons-nous nous attendre à un rôle français politique réel au Proche-Orient ? Avez-vous évoqué cela avec Monsieur Netanyahou ?

le president

- Oui, naturellement, j'ai évoqué le rôle que la France, que l'Europe, pourrait assumer de façon à renforcer le processus de paix. Je l'ai fait à Damas, avec le Président Hafez El Assad, je l'ai fait à Jérusalem avec Benjamin Netanyahou et aussi avec le Président Weizman, je le fais ici aujourd'hui.

Je voudrais bien que l'on comprenne ma position. D'abord, je veux rendre hommage à tous ceux qui depuis dix ans, quinze ans, ont tout de même fait évoluer les choses considérablement, qui ont eu une vision de paix. Parmi ces hommes, il y a, naturellement, le Président Arafat, mais également des hommes comme Sadate, Begin, Rabin. C'est-à-dire des hommes qui ont compris que la paix était une nécessité et un droit pour tous les citoyens. Dans ce processus, les Etats-Unis ont joué un rôle essentiel et on ne leur dira jamais assez merci pour ce qu'ils ont fait.

Je constate qu'aujourd'hui, qu'il y a une espèce d'essoufflement du processus. Nous le voyons bien, chacun peut avoir son jugement sur l'origine de cet essoufflement, sur les responsabilités des uns ou des autres. Mais c'est un fait. Cette situation s'explique entre autre chose par une certaine dégradation de la confiance entre les uns et les autres. C'est très difficile de progresser vers la paix s'il n'y a pas la confiance. Quand je dis que l'Europe, la France peuvent apporter quelque chose à ce processus, ce quelque chose c'est tout simplement un peu plus de confiance. Il est sans aucun doute des choses qu'aujourd'hui la France ou l'Europe peuvent mieux expliquer à la partie arabe où à la partie israélienne que ne le fait le système actuel. Voilà pourquoi, je propose que la France, que l'Europe soient associées, cela a justifié, par exemple, la création du groupe de surveillance pour le Liban sud qui est co-présidé par la France et les Etats-Unis et qui, depuis quelques mois, a très bien fonctionné. D'ailleurs on n'en parle pas. C'est ce qui prouve que cela fonctionne bien.

Voilà, la confiance pour la paix. C'est cela tout le message que je voulais donner.

question

- M. Arafat, qu'attendez-vous de cette visite historique de M. Jacques Chirac et du rôle futur de la France dans le processus de paix ?

le president arafat

- Sans aucun doute nous sommes pour un rôle français déterminant dans le processus de paix. Ici devant le monde entier j'appelle son Excellence le Président Docteur Chirac à participer pleinement avec nous pour faire avancer le processus de paix dans toutes les directions et à tous les niveaux.

question

- Monsieur le Président Arafat, pouvez-nous nous dire ce qui empêche le processus d'avancer ?

le president arafat

- Je dois dire que les négociations concernant le processus de paix continuent avec la participation de l'envoyé des Etats-Unis, M. Dennis Ross. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de boucler ce processus. Nous espérons parvenir bientôt à l'application de ce qui a déjà été conclu concernant Hébron, concernant le redéploiement, concernant les prisonniers, concernant les résolutions de Jérusalem, de Béthléem, les expropriations des terres, ainsi que le passage entre les territoires. Il reste encore trente cinq points qui sont en discussion entre nous et le gouvernement israélien. Nous espérons que toutes ces questions seront résolues, mais nous avons besoin de la participation de la France, de l'Europe, ainsi que des autres co-parrains, et des autres participants, afin d'avancer sur le chemin de paix.

question

- Monsieur le Président Chirac, vous avez dit qu'en résolvant le problème de Jérusalem on pourrait assurer la paix au Proche-Orient. Pouvez-vous préciser un peu, quel est précisément votre point de vue sur Jérusalem ?

le president

- Jérusalem est un point naturellement très délicat dans le règlement du contentieux entre les Israéliens et les Palestiniens. Quand les choses sont très compliquées, je crois qu'il faut essayer d'être simple. Premièrement, il y a actuellement un statut international, un accord international qui doit être respecté par tout le monde étant qu'il n'a pas été transformé.

Deuxièmement, Jérusalem est ville qui a une caractéristique particulière, c'est la ville des trois religions, ville trois fois sainte, de mon point de vue, chaque musulman, chaque juif, chaque chrétien, doit pouvoir avoir un libre accès à Jérusalem et y être respecté. Tout le monde, s'il croit en un dieu unique, doit avoir accès à Jérusalem. Troisièmement, il y a un problème politique qui d'ailleurs a été évoqué au moment des accords d'Oslo où il a été prévu qu'une négociation entre les Palestiniens et les Israéliens permettrait de dégager la solution d'avenir pour ce qui concerne Jérusalem. Je ne veux pas naturellement, préjuger de ce que sera cet avenir. Ce que je sais c'est que conformément à ce qui a été acquis à Oslo il faut, dès que le moment sera venu, et malgré les difficultés que cela implique, -avec toutes les bonnes volontés, tous les hommes, toutes les femmes de bonne volonté- élaborer ensemble Palestiniens et Israéliens un nouveau statut de Jérusalem.

question

- Monsieur le Président Chirac, vous avez dit dans votre discours devant le Conseil Législatif Palestinien qu'il faut imaginer le statut d'Israël selon les intérêts légitimes des uns et des autres, que vouliez-vous dire par cela ?

le president

- Il parait que j'ai fait ce matin dans mon discours un lapsus, j'ai dit statut d'Israël quand je voulais dire naturellement statut de Jérusalem, cela va de soi. Il s'agissait donc d'un simple lapsus, qui n'appelle aucun commentaire si ce n'est des excuses !

question

- Monsieur le Président Arafat, il semblerait que les Palestiniens ne connaissent que la Djihad, cela a-t-il été réparé par le discours de ce matin, pouvez-vous nous expliquer ?

le president arafat

- Que dois-je faire si vous ne comprenez pas convenablement la langue arabe ? Vous expliquez et vous traduisez un autre langage, quand vous le comprenez, mais vous ne tenez pas compte des faits et des réalités. La plus grand Djihad c'est la Djihad où il faut construire, édifier des Etats, la petite Djihad ce sont les combats. Mais la grande Djihad c'est la Djihad où l'on veut construire un Etat. Maintenant nous sommes engagés dans la Grande Djihad.

question

- Monsieur le Président Chirac, vous exigez un règlement pacifique et vous demandez qu'Israël ne modifie pas le statut de Jérusalem. Les porte-paroles américains et israéliens refusent l'aide de l'Europe et disent qu'ils traitent ce problème. Ils veulent que l'Europe ne soit uniquement qu'un bailleur de fond. Comme allez-vous résoudre le problème posé par le refus des Américains et des Israéliens ?

le president

- Lorsque l'on s'adresse aux hommes de bonne volonté on finit toujours par avoir raison. Je ne doute pas de la bonne volonté ni des Israéliens ni des Américains qui ont fait en même temps que les Palestiniens un travail considérable depuis des années et des années. Je le répète les bonnes volontés ne sont jamais trop nombreuses. Il est vrai qu'aujourd'hui l'EUROPE et la FRANCE en particulier, peuvent apporter un élément supplémentaire de confiance dans les négociations, qui est bien nécessaire.