Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Jacques SANTER, président de la Commission Européenne à l'issue du Conseil européen de Cannes.


Cannes - Alpes-maritimes, le 27 juin 1995.


Mesdames, Messieurs.
Nous venons d'avoir la fin du Conseil européen qui s'est terminé vers 14 heures, nous avons ensuite déjeuné avec les onze futurs membres les six chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'Europe centrale et orientale, les trois des pays baltes, Chypre et Malte. Puis nous avons eu la réunion de travail avec ces mêmes personnalités et l'ensemble de notre réunion vient de se terminer.
Je voudrais d'abord dire deux choses avant de faire un compte-rendu rapide avec Jacques Santer, la première c'est que, je sais très bien que votre travail n'est pas facile, car au fond, il y a quelque chose de frappant qui est le fait que vous attendez pendant que nous travaillons et il y a là, un problème forcément difficile de communication et je trouve que nous devrions nous efforcer de faire une communication plus adaptée, je ne sais pas très bien comment mais je l'ai dit tout à l'heure à Felipe Gonzalez, qui va prendre maintenant la présidence, il y a quelque chose qui n'est pas encore tout à fait au point pour ce qui concerne la communication et moi je trouve qu'au fond tout devrait pouvoir être dit au fur et à mesure que cela se passe, selon des modalités à déterminer, mais je crois qu'une Union comme la nôtre n'a pas, et des discussions comme les nôtres n'ont pas, à s'abriter derrière un quelconque secret, d'abord cela n'existe pas à quinze un secret naturellement, et donc il devrait y avoir un moyen d'améliorer la communication. La deuxième observation que je voulais faire c'est que ce déjeuner c'était quand même quelque chose d'étonnant, et moi j'ai connu comme jeune ministre les conseils où l'on était à six et où on commençait l'élargissement de six à neuf et la période transitoire. J'étais ministre de l'Agriculture lorsqu'on passait des nuits et des nuits, on appelait cela des marathons pour essayer de faire en sorte que les intérêts, notamment français et britanniques ne se contredisent pas trop, et on allait de drame en drame pour essayer de s'entendre. C'était l'époque où existait le mur de Berlin, ensuite on s'est à nouveau élargi à douze, et je trouve tout à fait extraordinaire en si peu d'années, quand on y réfléchit aujourd'hui nous étions vingt-six chefs d'Etat et de gouvernement pour la première fois dans l'histoire de l'Europe depuis très longtemps autour d'une même table, certes naturellement avec des interprètes mais sans aucune raison de nous quereller, autres que des aspects techniques et avec une ferme volonté de reconstituer ensemble la famille européenne.
C'est la première fois au fond que cela se passait ; et que cela se soit passé à Cannes et en France par conséquent, est quelque chose, je trouve, de profondément émouvant ; moi cela m'a ému de voir ces vingt-six chefs d'Etat et de gouvernement qui sont, ou qui ont vocation à être dans les années qui viennent, membres d'une construction européenne unie, c'est quelque chose d'extraordinaire au sens authentique du terme dans l'histoire de notre continent, cela méritait d'être souligné. D'ailleurs le Chancelier Kohl a eu quelques mots fort, évoquant son premier Sommet, il y a treize ans, à Copenhague, il indiquait combien il était au fond stupéfait de voir qu'aujourd'hui pour la première fois, on était là rassemblé ensemble. Au delà du côté émotionnel de la chose, mais qui était fort chez tous ces gens, et je voyais certains de ces chefs d'Etat et de gouvernement qui au moment d'arriver ou quand ils ont parlé avaient un peu, certains d'entre eux, l'eau du coeur qui leur montait aux yeux quand ils évoquaient leur volonté de retrouver la famille, et une famille organisée.
Alors pour revenir à des choses plus concrètes et moins fortes, je dirais que nous sommes à un moment où plusieurs grandes négociations ont été achevées, celle de Maastricht, celle du GATT, celle de l'élargissement au pays de l'AELE et où plusieurs négociations commencent, celle de la conférence intergouvernementale pour améliorer fortement nos institutions, et elles en ont besoin, compte tenu d'une part de l'expérience, et d'autre part de l'élargissement, celle de la monnaie unique, celle de l'élargissement lui-même à vingt-six, et nous l'espérons rapidement à l'ensemble des pays européens et donc là un grand dessein, on peut imaginer que dans les dix ans qui viennent l'Europe sera entièrement réunie dans des structures qui renforcent sa cohérence et qui affirment son identité phénomène historique considérable, et ceci curieusement à un moment où les peuples européens, surtout ceux de l'Ouest qui sont plus blasés que les autres, s'interrogent sur le destin de l'Europe, critiquent, souvent à juste titre, cet effort de cohérence européenne. J'indiquais hier soir à certains de nos collègues qu'il fallait être attentif à cela et à cette sorte de décrochement entre les responsables européens et les opinions publiques. C'est très net, quand on essaye de s'interroger pour savoir pourquoi on a ce phénomène, on s'aperçoit qu'en réalité cela vient probablement du fait que nombreux sont celles ou ceux, notamment dans le les pays de l'Europe occidentale, qui trouvent que au fond leurs problèmes ne sont pas véritablement pris en compte ou traités et que bien souvent les discussions qui se développent au sein des structures européennes sont des discussions de nature bureaucratique, incompréhensible.
Nous avons eu un long débat hier au dîner sur les affaires d'Europe et de la Cour internationale de justice, un débat de fond, un débat fondé, un débat qui mettait en jeu des conceptions différentes, à la fois de la nation, de l'homme, de ses droits, donc un débat sur quelque chose de réel et de sérieux et je me disais néanmoins et j'en ai fait part aux autres que, s'il y avait eu par miracle les peuples à l'écoute de ce débat, probablement se seraient-ils dit : "c'est extraordinaire, on discute de notre sécurité, qui n'est pas assurée, on discute de la criminalité, de la grande criminalité qui se développe et nous ne comprenons pas un mot de ce que se disent ces gens". Ces gens, c'étaient nous et au fond c'était vrai. Ce qui montre à quel point c'est difficile et je crois que l'Europe a, au total ces derniers temps, depuis quelques années, eu le travers de trop suivre sa bureaucratie et cela l'a au fond éloignée des peuples. Tout à l'heure, le Président de la Commission répondant à une intervention du Chancelier Kohl sur la subsidiarité et la nécessité de bien afficher, bien admettre le principe de subsidiarité, le Président Santer nous disait qu'il en avait tellement conscience que le nombre de textes qu'il proposait était infiniment inférieur à ceux que l'on avait l'habitude de proposer dans les années passées. Ceci précisément pour limiter l'intervention de la Commission aux secteurs qui sont à l'évidence de sa responsabilité et de sa compétence. Je crois qu'il y a eu beaucoup d'abus et que ces abus au total ont un peu déconsidéré l'Europe dans l'esprit de l'opinion publique. Notre problème aujourd'hui c'est d'une part de bien comprendre quels sont les préoccupations des Européens et à partir de là d'adapter à la fois nos comportements, nos réactions naturelles, nos contraintes à ces exigences mieux perçues. C'est ainsi que l'on devra faire la conférence internationale de 1996 pour adapter nos institutions dans le sens d'une plus grande démocratie, plus grande efficacité.
Je vois qu'aujourd'hui lorsque l'on parle avec ces chefs d'Etat et de gouvernement, surtout ceux qui sont les plus anciens dans le processus européen, quand on parle avec le Président de la Commission, on voit bien que ces problèmes qui n'étaient pas ou mal perçus il y a encore peu de temps commencent à être vraiment perçus.
A partir de ces considérations plus générales, quelques considérations plus particulières. On a parlé naturellement de cette conférence intergouvernementale et nous avons examiné la mission du groupe des représentants personnels, où la France est représentée par le ministre Michel Barnier, et qui a été installée à Messine sous l'autorité vous le savez ou la présidence du ministre espagnol, M. Westendorp.
Nous avons donné quelques grandes orientations. Pour ma part, j'ai beaucoup insisté sur le fait que nous devions avoir pour ambition d'une part de rendre l'Europe plus démocratique et plus efficace et d'autre part de la rendre plus proche des préoccupations des Européens.
Alors nous avons arrêté cinq grands axes pour atteindre ces objectifs : d'une part le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune, on voit bien à l'évidence combien nos approches divergentes en matière de politique étrangère ont coûté cher finalement et notamment en Yougoslavie mais dans d'autres régions aussi. Il faut avoir dans ce domaine une plus grande synergie si nous voulons être efficaces.
D'autre part, il faut mieux répondre aux urgences dans le domaine de la sécurité intérieure, nous voyons bien le développement aujourd'hui notamment de tout ce qui est grande criminalité, fondé sur le développement du trafic international de la drogue qui est l'un des maux les plus essentiels de notre temps et sur lesquels j'ai eu l'occasion d'intervenir.
Il faut accroître l'efficacité de nos institutions qui sont un peu essoufflées, encore que c'est vite dit, et c'est facile à dire quand on regarde les choses de loin. Mais quand des hommes qui sont en charge de leur pays, qui doivent rendre des comptes démocratiquement à leurs électeurs, discutent entre eux de problèmes qui souvent touchent aux traditions, aux habitudes, aux comportements, aux intérêts de leurs mandants. Il est légitime que des choses qui peuvent paraître modestes soient étudiées et travaillées avec sérieux et donc lorsqu'on est nombreux autour d'une table avec des longueurs, voire des risques de blocage ou d'échec, c'est cela la démocratie aussi ; que chacun puisse défendre son point de vue, ce n'est pas avec du "y a qu'à" que l'on fera l'Europe de demain, c'est un consentement mutuel, le consentement c'est comme la conviction cela s'acquiert, cela s'acquiert avec du temps, avec de l'explication.
Il faut aussi raffermir le soutien des peuples européens, je vais y revenir, être plus sensible et plus attaché à répondre à leurs préoccupations et mieux assurer, et cela c'est la mission que le Président Santer assume avec beaucoup de courage et de détermination, la mise en oeuvre du principe de subsidiarité. Nous avons également, naturellement, en deuxième partie, après avoir parlé de ces problèmes institutionnels, parlé des problèmes de l'Union économique et monétaire, nous avons bien entendu étudié le livre vert, c'est un document intéressant, bien fait, qui a été très bien accueilli, par l'ensemble des partenaires. C'est une bonne étape vers la monnaie unique, sur ce point d'ailleurs, je le dis parce qu'on m'a indiqué qu'un bruit avait couru alors je voudrais revenir d'un mot dessus ; je suis intervenu, comme d'autres d'ailleurs, et notamment M. Kohl et M. Major, pour faire part de mon inquiétude sur la façon dont nous allions définir et ensuite résoudre les problèmes liés à l'existence au début du siècle prochain d'une zone composée de pays qui auront une monnaie unique et qui seront cinq, six, sept, huit, je n'en sais rien, avec dans un même marché unique d'autres pays qui eux n'appartiendront pas à la zone à monnaie unique. Et donc cela c'est un vrai problème et vous observerez que, dans le traité de Maastricht, il n'y a rien qui définisse les modalités de cette cohabitation monétaire. Si tout le monde pouvait, et devait passer ensemble à la monnaie unique, cela ne poserait aucun problème, enfin cela poserait un certain nombre de problèmes, mais cela ne poserait pas de grands problèmes. Mais il y a un vrai problème dû à cette cohabitation monétaire, ce problème a été posé et il a été naturellement décidé que la Commission, l'Institut monétaire européen, le conseil des ministres de l'Economie et des Finances allaient y travailler.
J'ai dit que c'était naturellement les gens compétents, ceux que je viens de citer, mais que finalement c'était un peu là encore l'expression d'une certaine pensée, d'un certain - employons le mot - conformisme et qu'il ne serait peut-être pas mauvais d'avoir une autre vision des choses dont on tiendrait compte ou dont on ne tiendrait pas compte, après le conseil des ministres est souverain. Alors j'avais donc pensé que face à cette étude faite par les instances compétentes de nos institutions sur un problème aussi délicat que la cohabitation monétaire dans un marché unique, que l'on aurait pu nommer trois ou quatre personnalités qui auraient une approche différente, plus politique, plus visionnaire et pour dire la vérité, j'avais, répondant à une question de plusieurs des chefs d'Etat et de gouvernement, j'avais dit que je trouvais qu'un bon Président pour un groupe de cette nature pouvait être Monsieur Giscard d'Estaing qui avait une compétence, une expérience, et une vision de ces choses, et un intérêt pour ces choses. Je dois à la vérité dire que je ne l'avais pas consulté, il est très possible qu'il l'ait refusé, mais après tout je pouvais toujours faire une proposition.
L'avantage que j'y voyais, c'est que, entouré de quelques hautes personnalités, ils auraient apporté quelque chose de différent. Et je crois que nous sommes dans un monde et dans un temps où nous répétons inlassablement les mêmes choses et où nous sommes soumis à la pression de ceux qui pensent tous de la même manière et que l'un des problèmes auquel nous sommes confrontés, c'est d'essayer d'avoir d'autres pensées, puis ensuite on arbitre, chacun prend ses responsabilités. Alors j'ai fait cette proposition qui aurait pu être refusée, naturellement, par M. Giscard d'Estaing, mais j'aurais trouvé une autre personnalité, j'aurais pu demander à M. BARRE, par exemple, ou à d'autres, d'assumer cette fonction, mais plusieurs de nos partenaires ont fait valoir que cela pouvait créer une certaine confusion, ce qui n'est pas faux d'une certaine façon puisqu'il y avait la Commission, l'Institut monétaire, les ministres de l'Economie et des Finances qui étaient compétents, et que au total cela risquait davantage de créer la perturbation que l'efficacité, donc j'ai retiré cette proposition. Si je la cite, c'est simplement pour vous dire que tout de même, il y a encore des progrès à faire pour lutter contre le conformisme. Il faut essayer d'intégrer la pensée des, si j'ose dire, non-alignés.
Nous avons également parlé des fluctuations monétaires bien entendu, ces fluctuations monétaires sont très perturbantes. J'ai indiqué notamment au Premier ministre italien combien la France était contrariée par le fait que la lire ait été dévaluée de l'ordre de 60 % depuis 1992 et que je considérais qu'il y avait une part non négligeable de ce pourcentage, peut-être le tiers qui correspondait en réalité à un gain de compétitivité qui donc était perturbateur pour l'économie française. Je lui ai indiqué par exemple que sur le plateau de Millevaches où nous avons l'habitude d'exporter ce que nous appelons des veaux d'Italie, le nom est bien choisi, c'est-à-dire des jeunes "broutards" vers l'Italie depuis toujours, les ateliers italiens finissant ces taurillons, et bien cette année nous ne pourrions pas exporter à cause de la dévaluation de la lire et que c'était un certain nombre de paysans qui avaient travaillé beaucoup et qui étaient ruinés alors on vient de prendre des mesures particulières pour pouvoir compenser les effets de ces distorsions monétaires mais c'est malsain, c'est tout à fait malsain. J'aurais pu citer d'autres exemples que les taurillons limousins mais ils m'étaient particulièrement chers.
On a réglé en partie ces problèmes effectivement dans le dernier conseil des ministres de l'Agriculture avec les mesures agri-monétaires mais enfin il faut absolument que nous trouvions des moyens, que la Commission nous aide et fasse des propositions sur ce point pour maîtriser ces fluctuations monétaires qui sont tout à fait décourageantes pour ceux qui en subissent les conséquences.
Voilà pour le côté institutionnel et monétaire ensuite nous avons étudié les problèmes qui sont davantage ceux des citoyens et là je dois dire que j'ai été assez content.
J'assiste à des réunions internationales depuis longtemps, à divers titres, et pour la première fois, je parle là sous le contrôle de Jacques Santer, nous avons eu de vrais échanges à plusieurs reprises et longs sur le problème de l'emploi. J'ai eu le sentiment que pour la première fois, j'avais déjà perçu cela à Halifax, pour la première fois dans ces sommets internationaux on parle de l'emploi. Notamment sous l'impulsion des chefs d'Etat ou de gouvernement des pays du nord très sensibles à tous ces problèmes, très sensibles à toutes les questions humaines peut-être plus que dans les pays du sud. Il y a eu une vraie prise de conscience, me semble-t-il de l'importance qu'il y avait à mettre l'emploi au coeur de nos réactions, de nos comportements, de nos décisions. J'ai souri à un moment donné en entendant l'un des Premiers ministres dire : il faut que chaque fois que nous prenons une décision nous nous interrogions sur ces conséquences, sont-elles bonnes ou sont-elles mauvaises pour l'emploi ? C'est une phrase qui m'avait rappelé quelque chose et qui par conséquent m'a fait sourire mais il est très frappant de voir qu'il y a tout de même une vraie prise de conscience. Pour la première fois j'ai entendu parler, encore modestement, mais enfin..., de l'exclusion et des problèmes que cela pose à nos sociétés. De ce point de vue il y a eu un progrès psychologique non négligeable, je le répète je l'avais décelé à Halifax, cela c'est bien confirmé ici. C'est une évolution des mentalités, c'est ce qu'il y a de pus difficile et de plus important les évolutions de mentalité. Sortir de son sillon et regarder un peu au-dessus de la motte de terre en face c'est toujours ce qu'il y a de plus difficile. Alors naturellement nous avons décidé de poursuivre le programme élaboré à Essen mais nous avons surtout décidé que les ministres des Finances et les ministres des Affaires sociales devraient s'enfermer ensemble et discuter davantage car l'une des faiblesses de notre système c'est le manque de communication entre les ministres des Finances et les ministres des Affaires sociales. Tout cela, ce sont des problèmes de communication, je les évoquais au début de mon propos, mais c'est vrai aussi à l'intérieur du système. Il y a maintenant des choses qui sont admises et qui ne l'étaient pas, de même qu'il a été trouvé normal et naturel que j'aie demandé à Halifax que l'on tienne un deuxième sommet, mais cette fois-ci, plus approfondi entre les sept et en présence de l'Union européenne pour l'emploi à l'image de ce qui avait été initié à Détroit mais qui doit être maintenant approfondi et prolongé. Ceci aura lieu en France au début de l'année prochaine.
Il y a également naturellement la nécessité de poursuivre le dialogue social, cela n'a rien de nouveau, j'avais moi-même reçu juste avant de partir en tant que Président en exercice à la fois le CES, c'est à dire le Comité des organisations sociales, et l'UNICE, qui est le rassemblement du patronat européen. Néanmoins j'ai fait remarquer que dans pratiquement toutes les interventions, avait été très fortement souligné le rôle capital que devaient avoir les petites et moyennes entreprises dans la reconquête de l'emploi. Je crois que tous les intervenants pratiquement ont consacré une part non négligeable de leur intervention au rôle décisif des petites et moyennes entreprises, au sens large du terme, c'est-à-dire des petites et moyennes entreprises et de l'artisanat pour la création de l'emploi, insistant sur le fait que ce ne sont pas les grandes entreprises naturellement qui créeront de l'emploi. Donc la nécessité d'avoir une politique qui encourage les petites et moyennes entreprises et l'artisanat dans les différents domaines où ce secteur de l'activité économique est découragé. Qu'il s'agisse du secteur de l'accès au crédit ou aux fonds propres ; qu'il s'agisse de la fiscalité, notamment de la transmission des entreprises ; qu'il s'agisse de l'épouvantable bureaucratie et les contraintes que cela engendrent pour ces structures économiques faibles et qui n'ont pas les moyens de les assumer : qu'il s'agisse des contraintes inacceptables que la grande distribution en France fait peser sur ce secteur qu'il soit commercial ou productif ; qu'il s'agisse des délais de paiement qui sont devenus immenses et que les entreprises supportent sans pouvoir réellement les faire raccourcir car lorsqu'elles ont des exigences elles sont mises sur des listes rouges, bref toute une politique de relance des petites et moyennes entreprises a été fortement soulignée par tout le monde. Et j'ai fait remarquer que c'était tout de même curieux que la tradition du dialogue social du moment était de rencontrer les syndicats ouvriers, très bien, le patronat, parfait, mais jamais les représentants des petites et moyennes entreprises alors qu'il y a une organisation européenne, qui s'appelle, si je ne m'abuse, l'Union européenne des PME et de l'Artisanat et qui est vraiment représentative de ces choses, que j'avais pris la peine de rencontrer avant de venir, ici à Cannes, la semaine dernière et dont j'ai indiqué que je pensais que dorénavant elle devait être consultée au même titre que les organisations syndicales ou patronales. Je sais bien que le patronat a théoriquement pour vocation de représenter tout le monde, mais là encore, ce n'est pas la même vision des choses qui est exprimée par, si je prends la France, le CNPF et la CGPME ou l'artisanat.
Nous avons également évoqué à plusieurs reprises un problème qui a beaucoup agité la France à juste titre ces derniers temps, et dont je me suis aperçu que nos inquiétudes étaient très largement partagées par tout le monde et qui était l'éventuelle mise en cause de notion de service public dans le cadre de la déréglementation. J'avais pris la peine d'indiquer au Président Santer qu'au titre de la subsidiarité la France n'accepterait que l'on mette en cause la notion de service public qu'elle a traditionnellement chez elle. Mais alors je me suis aperçu à l'occasion de ce Conseil européen, que la quasi-totalité des délégations avait exactement la même préoccupation, le même souci que la France, chacun pour des raisons d'ailleurs qui sont liées à leur tradition, mais qui doivent être respectées. Et alors nous c'est le service public au sens large du terme, d'autres ce sont les problèmes liés à la santé, d'autres à la législation, à la réglementation, particulièrement en avance dans les pays du Nord sur les problèmes de l'environnement ; chacun a ses traditions, et entend ne pas y renoncer car il ne voit pas au nom de quoi les choses seraient plus simples et l'Europe plus cohérente, s'ils renonçaient à leurs traditions dans ces domaines. Donc je crois qu'il est tout à fait maintenant bien compris par tous que le principe de la subsidiarité devait s'appliquer, et qu'il n'était pas question de mettre en cause la notion que chacun se fait de son service public, même si naturellement les discussions peuvent être ouvertes sur l'amélioration de l'efficacité.
Nous avons aussi parlé naturellement de ces fameux grands réseaux. Il a fallu attendre, je dois le dire, l'arrivée du Président Santer pour que la chose reparte, car elle était un peu au point mort depuis un an, ou un an et demi, elle a été débloquée à la fois par la Commission et le conseil des ministres de l'Economie et des Finances et maintenant le processus est engagé. Nous avons dit naturellement, on ne fera pas les quatorze projets de transport ensemble, comme avec une baguette magique, ces projets cela représente entre 90 et 100 milliards d'écus et nous en avons 2,3. On ne va pas tout faire, mais il ne s'agit pas pour l'Europe de tout payer. Il s'agit d'initier, de lancer des projets soit pour ceux qui sont prêts en permettant, en apportant un complément de financement qui permet d'engager les travaux soit, ce qui est le cas de la plupart d'entre eux, d'engager les études, de financer les études, alors pour cela les décisions ont été prises, on est sorti de l'ornière, et je tiens à exprimer toute ma reconnaissance et celle du Conseil au Président Santer, comme je pense qu'une majorité de journalistes ici sont français, je ferais un petit récapitulatif des projets français pour ces deux années qui viennent, il nous sera accordé 35 à 40 millions d'écus pour le TGV Est, 4 millions d'écus pour les études préalable au lancement du TGV Sud Montpellier et Madrid et 20 à 25 millions d'écus pour les études du TGV Lyon-Turin.
Nous avons demandé, par ailleurs, à la Commission, non pas de revenir sur le veto opposé sur le Conseil au projet d'emprunt éventuel, d'accélérer, d'amplifier ces recours à des financements complémentaires pour ces projets.
Nous avons ensuite parlé de la sécurité, alors là on a eu, je l'ai évoqué rapidement tout à l'heure, un problème avec Europol, un problème que chacun peut comprendre à condition d'être un peu initié, en réalité nous avions en face de nous un problème, - c'est là où l'on voit d'ailleurs les vertus de la diplomatie - qui est de savoir si, là, tout le monde était d'accord pour créer une structure nous permettant d'améliorer sensiblement nos moyens de lutte notamment contre la grande criminalité, le blanchiment de l'argent sale, etc. Mais on se heurtait à un problème qui était cuit en cas de contestation, notamment quel est le rôle de la Cour de justice européenne, et alors là il y avait quatorze pays qui étaient d'accord pour que la Cour de justice soit saisie le cas échéant, et un pays qui, pour des raisons de principe et qu'on peut parfaitement comprendre, qui est le problème culturel, était opposé. C'était l'Angleterre. Alors tout cela était bloqué, parce que dans les 14, il y en avait trois qui étaient très attachés à la reconnaissance de la compétence de la Cour de justice pour des raisons de principe, les trois pays du Benelux, eux, qui étaient totalement opposés et les autres qui étaient prêts à trouver des compromis comme on le fait généralement lorsqu'il s'agit de questions juridiques. Alors, nous avons considéré que dans la situation politique difficile de l'Angleterre, il ne fallait pas rendre la tâche plus ardue au Premier ministre John Major. Le Premier ministre John Major incarne avec beaucoup d'élégance et d'intelligence l'Angleterre à la fois moderne et traditionnelle et il nous semble l'un des responsables britanniques avec lequel le dialogue, pour ce qui concerne l'Europe, est peut-être le plus efficace. Donc, nous n'avons pas voulu le gêner. Nous avons donc tout de suite décider de créer Europol, parce qu'il fallait le créer et que ces organisations ne se mettent pas naturellement en place par un coup de baguette magique, que les conventions seraient donc élaborées, qu'ensuite elles seraient présentées au Parlement et que, c'est à ce moment-là, c'est-à-dire environ dans un an et nous en avons fixé le délai au Conseil qui aura lieu en Italie, Conseil de juin 1996.
Nous avons reporté à cette date le problème de savoir comment interviendra ou n'interviendra pas la Cour de justice. Alors toutes sortes de solutions qui peuvent intervenir. C'est un problème, mais l'essentiel, si vous voulez, c'était le lancement de l'affaire Europol, l'élaboration des textes et la création de l'entité. Ensuite, chaque parlement jugera s'il peut ratifier la convention ou non. Pour ceux qui la ratifieront c'est très bien, ceux qui voudront attendre que cela soit tranché, c'est essentiellement les trois parlements du Benelux qui voudront attendre que soit tranché le problème du rôle de la Cour de justice, et bien ils attendront que ce problème soit tranché, ce sera au plus tard au Sommet italien de juin 1996.
Nous avons été assez rapides, sur la culture pour dire la vérité, parce que les choses avaient été traitées au niveau des ministres, en ce qui concerne la directive de télévision sans frontières, en ce qui concerne le programme de média II qui a été adopté et qui permet de soutenir les productions européennes qui a été d'ailleurs augmenté de 50%, ils passent en gros de 100 à 300 millions d'écus. Voilà pour la politique intérieure.
Enfin, la politique extérieure. Petit à petit se mettent en place les moyens d'une politique extérieure. Là encore, on peut toujours voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. On peut voir les échecs de l'Europe en ex-Yougoslavie, encore que, maintenant nous avons dans ce domaine une politique cohérente et commune et nous nous exprimons d'une seule voix, ce qui est un progrès par rapport à ce que l'on a connu il y a un ou deux ans, ou trois ans. Moi qui ai l'habitude de regarder les bouteilles qui sont juste à moitié et de les considérer à moitié pleines plutôt qu'à moitié vides, je constate plusieurs choses, d'une part l'Europe aujourd'hui s'est réunie à 26, la première fois, je l'ai évoqué tout à l'heure.
J'ai reçu avant de partir le Premier ministre turc, Madame Ciller et je lui ai dit que je souhaitais vivement, compte tenu de la situation politiquement difficile de la Turquie et compte tenu des risques que la progression éventuelle de l'intégrisme pourrait faire courir au processus qui petit à petit transformera ce pays en un pays totalement démocratique, je le souhaite. Je souhaite que l'accord d'union douanière soit votée par le Parlement devant lequel il est et je lui ai dit que tel était mon point de vue et celui que je défendrais ici et j'ai été heureux de voir que la totalité des délégations, c'est-à-dire les Quinze, ont apporté un soutien sans réserve à cette position, c'est-à-dire approbation du principe de l'union douanière avec la Turquie et que les quinze chefs d'Etat et de gouvernement se sont engagés tous, y compris notre collègue grec, à faire campagne auprès des parlementaires européens pour que ceux-ci en septembre-octobre puissent voter le principe de l'union douanière. C'est là aussi quelque chose qui n'aurait pas pu se faire il y a encore deux ou trois ans. Nous avons fait sur un problème tout de même important, l'union douanière avec la Turquie, l'unanimité.
On a une politique à l'égard de la Turquie. Il en va de même pour l'ex-Yougoslavie, je vous l'ai dit tout à l'heure, il en va de même pour la Russie. La Russie, nous avons été unanimes à condamner l'intervention russe en Tchétchénie, en tout les cas les modalités de l'intervention russe en Tchétchénie, nous avons été unanimes à souhaiter la signature de l'accord intérimaire et donc il va être signé.
Il aurait dû l'être et vous le savez mais les problèmes liés à l'intervention russe en Tchétchénie l'avait retardé et bien là encore, l'Union s'est prononcée à l'unanimité. Or ce n'est pas vrai dans tous les domaines. C'est ainsi par exemple qu'ayant reçu en tant que Président de l'Union le Président Gligorov, le Président de la Macédoine, j'ai évoqué le problème de ce petit pays en pleine zone des Balkans, le plus pauvre de l'Europe, un pays en paix dans cette zone turbulente, en paix, qui entend bien le rester. Un pays qui s'efforce de maintenir et de renforcer la démocratie et qui malheureusement pour des histoires locales se trouve en but à de fortes hostilités de son voisin grec, pour des raisons qui tiennent au nom du pays, au drapeau et à ce qui figure sur le drapeau et qui est victime d'un embargo de la Grèce, qui naturellement rend très difficile sa survie, qui est exclue en raison de la position de la Grèce de toute aide communautaire elle ne participe pas à ce que l'on appelle le programme phare , c'est le pays qui en a le plus besoin en Europe et celui à qui on ne donne rien et qu'on ne veut pas non plus accepter dans l'OSCE alors que les représentants de l'OSCE sont sur le terrain et le Président de la Macédoine m'a dit "moi maintenant je romps avec l'OSCE" je lui ai dit attendez, laissez ces gens et puis on va essayer d'obtenir que vous soyez membre de l'OSCE ce qui est tout de même la moindre des choses et bien là nous n'avons pas réussi à convaincre les Grecs, il fallait lever l'embargo et par voie de conséquence donner la possibilité au Président de la Macédoine de se rendre à New York autour de la table sous l'autorité du médiateur, M. Cyrus Vance, pour trouver une solution a un conflit qui est un conflit de terminologie et un conflit de drapeau. Peut-être que la prochaine fois on réussira, en tous les cas, quatorze pays ont approuvé mon intervention.
Enfin nous nous sommes mis d'accord non sans mal pour une politique ambitieuse de coopération avec les pays tiers. Non sans mal, quand on veut agir en temps de paix sur le plan de la politique extérieure et de la diplomatie il faut s'en donner les moyens. L'Union européenne doit avoir une politique en direction des pays de l'Europe centrale et orientale et des pays baltes. Cela suppose des aides au développement, ces pays en ont besoin. Ils ont d'ailleurs ceux là vocation à intégrer la communauté assez rapidement.
L'Europe a réalisé enfin qu'elle avait intérêt à avoir aussi une politique méditerranéenne, c'est à dire une politique d'aide au développement des pays du pourtour méditerranéen qui fait partie de l'environnement immédiat et incertain de notre continent et qu'il fallait la encore apporter les aides nécessaires. Enfin l'Europe se doit de participer au développement des pays en voie de développement.
Je ne serais pas très long sur ce point vous savez le souci qui est le mien à cet égard. Et bien on n'était pas d'accord, on n'était pas d'accord sur les chiffres, sur les priorités. Il y avait ceux, essentiellement les pays du nord qui souhaitaient donner la priorité aux pays de l'Europe centrale et orientale et aux pays baltes. Il y avait les pays du sud qui, tout naturellement, voulaient donner la priorité aux pays de la Méditerranée. Il y avait ceux qui veulent se désengager de l'aide au développement comme hélas les Etats-Unis mais enfin qui ne sont pas dans le coup pour cela aujourd'hui, mais comme l'Angleterre et ceux qui sont agacés par le fait qu'ils font à eux seul l'essentiel du travail comme la France et l'Allemagne qui fournissent la moitié des crédits du Fonds européen de développement - et le chancelier a manifesté quelque agacement à ce sujet -, non sans raison. Il y a les pays, il s'agit des petits pays du nord, le Danemark, la Hollande qui font un considérable effort par rapport à leur produit intérieur brut, entre 0,8 et 1 %, je rappelle que l'objectif est toujours, au temps où il y avait encore un peu de générosité dans le coeur des dirigeants et un peu de croissance dans leurs économies, c'était 0,7 % et la France est à 0,65, l'Allemagne doit être à 0,30, les Etats-Unis à 0,15 mais il y a des petits pays qui assument eux leurs responsabilités c'est notamment les petits pays du nord et qui sont agacés de voir que on leur demande toujours plus, pourquoi ?
Tout cela était compliqué, on en a longuement discuté. On nous avait expliqué qu'un accord était impossible, notamment pour des raisons tenant au désengagement britannique, à la volonté de l'Italie de ne pas supporter un surcoût au moment où la dévaluation de la lire lui rend l'écu plus cher. On en est sorti avec pour ce qui concerne la Méditerranée : 4,68 milliards d'écus sur cinq ans ; pour les PECO 6,69 milliards sur 5 ans, ce qui veut dire 70 pour la Méditerranée, 100 pour les PECO au terme de l'évolution et ce sera une clé de répartition qui sera valable pendant quelque temps et qui paraît une clé légitime. Enfin nous avons réussi à trouver les 13 milliards d'écus qui étaient nécessaires, grâce je dois le dire à la compréhension de l'Allemagne, de la France, de l'ensemble des petits pays nordiques, grâce aussi finalement à la compréhension de l'Italie qui a acceptée de faire beaucoup plus qu'elle n'avait initialement souhaité et enfin grâce à un effort de l'Angleterre non pas en valeur absolue mais par rapport aux propositions qu'elle avait initialement faites. Il faut le dire, elle a été soumise à une forte pression. On est arrivé à ces 13,3 milliards d'écus. Ce n'est pas brillant puisque c'était le montant du 7e FED et que tout ce que l'on a réussi à faire, c'est que à quinze on fait la même chose que l'on faisait à douze. Mais quand on voit d'où on est parti, se mettre d'accord pour être arrivé à un accord c'est satisfaisant.
Ce qui veut dire quoi en réalité au-delà des chiffres. Ce qui veut dire tout simplement que dans un domaine important celui qui touche au portefeuille, au développement, à l'environnement politique, nous avons réussi à faire en sorte que les 15 se mettent d'accord pour se donner les moyens pour la première fois d'une politique à l'Est, d'une politique au Sud et d'une politique de développement. Nous en avions l'habitude mais quand il a fallu intégrer les deux autres avec la première cela faisait naturellement une charge plus lourde sur les épaules et bien cela s'est fait. Tout cela se sont des éléments qui prouve que, petit à petit, se mettent en place les éléments d'une politique étrangère de façon pragmatique mais cela se met en place et c'est heureux.
Enfin dernier signe le Chancelier Kohl nous a fait un compte rendu de son voyage récent au Proche et au Moyen-Orient, il a notamment rendu hommage à l'action des hommes de paix qui essaient, contre vents et marée et contre tous les boutefeux de faire progresser la paix dans cette région et il a souligné la nécessité de promouvoir un certain nombre d'action et de financer un certain nombre d'actions nouvelles notamment en faveur des Palestiniens, pour stimuler le processus de paix et son propos a été approuvé à l'unanimité et nous avons décidé que Felipe Gonzalez en sa qualité de prochain Président flanqué des deux autres membres de la troïka, c'est-à-dire dans le cas particulier du Français et de l'Italien, irait sur place pour voir dans quelles conditions pouvaient être améliorées et plus rapidement l'aide à cette région. Cela aussi c'est un élément d'une politique étrangère. Donc si vous voulez en gros, l'objectif reste bien de faire une grande Europe et cela a été symboliquement fort aujourd'hui avec ces vingt-six hommes, j'ai regretté qu'il n'y ait pas de femmes ; je l'ai indiqué. Pour la première fois aussi dans le texte du Conseil qui a été approuvé page par page, selon la procédure que vous connaissez, on a fait état, et à deux reprises, de la nécessité de progresser sérieusement sur le principe de l'égalité des droits et de l'égalité des chances des femmes dans nos sociétés européennes. Donc une grande Europe, qui ne soit pas simplement une zone de libre échange, mais qui ait de solides politiques communes, notamment dans le domaine de la défense, dans le domaine des affaires étrangères, dans le domaine monétaire et enfin une Europe qui s'affirme haut et fort sur la scène internationale, c'est-à-dire une Europe qui ait une identité, car on ne peut pas vivre sans une identité. Voilà ce que nous avons fait, je ne sais pas si Jacques Santer, avant que l'on réponde aux questions, veut ajouter quelques éléments pour combler mes défaillances.

M. Jacques SANTER: Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs, je serais particulièrement bref compte tenu des commentaires très exhaustifs que Monsieur le Président de la République vient de donner concernant les conclusions de ce Conseil. La Commission est venue à ce Conseil européen avec le souhait que les chefs d'Etat et de gouvernement signalent clairement que l'Union avance sans hésitation vers des objectifs qui ont été fixés par le traité de Maastricht. Je considère que c'est chose faite, et je m'en félicite et je félicite la présidence d'avoir réussi ce résultat.
Le Conseil européen a replacé le débat sur la réalisation de l'Union économique et monétaire fermement dans le contexte du traité. Il m'a paru hautement souhaitable de mettre fin aux spéculations et aux faux débats. Le Conseil européen l'a fait, il a souligné sa ferme détermination à préparer le passage à la monnaie unique au plus tard le 1er Janvier 1999 dans le strict respect des critères de convergences du calendrier et des procédures prévues par le traité. Ici chaque mot à son importance, de plus, en reconnaissance d'une nécessité d'une préparation soigneuse sur le plan technique, le Conseil européen qui a pris en compte le livre vert, de la Commission décidera au mois de décembre du scénario de passage à la monnaie unique. Je souhaite qu'il se mette en même temps d'accord sur son nom.
Je n'avais pas caché ma préoccupation quant à l'engagement de tous les Etats membres en matière d'assainissement économique et budgétaire. Je suis convaincu qu'une politique monétaire et budgétaire rigoureuse est indispensable pour assurer une croissance durable et créatrice d'emplois que le Conseil européen ait partagé cette opinion, j'en suis content, comme du fait que le Conseil européen ait clairement reconnu qu'il faut strictement respecter les critères de convergences. Voilà le signal fort que j'attendais. Je n'ai pas besoin de m'appesantir sur les questions de l'emploi, sur les questions de la croissance, Monsieur le Président de la République, vient d'en faire état, je suis simplement heureux que les propositions et les orientations données par la Commission aient trouvé également leurs répercussions dans le cadre des conclusions du Conseil. Qu'est-ce que je retiens donc en priorité de ce Conseil européen ? Tout simplement, il a remis les pendules à l'heure, en ce qui concerne quelques questions cruciales pour l'avenir de l'Union selon les orientations de la Commission européenne, et a tranché le problème financier relatif à nos problèmes externes et nos politiques externes, et c'est une avancée importante, car Dieu sait au Conseil européen d'Essen, il y a un an, j'étais encore de l'autre côté de la barrière, pas encore Président de la Commission, on ne s'était pas mis d'accord sur les chiffres et aujourd'hui même on s'est mis d'accord sur les chiffres et sur les orientations à donner à nos politiques externes. C'est le résultat que je souhaitais, il prépare le terrain pour le prochain Conseil européen où bon nombre des orientations fixées aujourd'hui devront être traduites en action concrète.
Je m'en voudrais de ne pas remercier tout d'abord le Président Chirac de la manière dont il nous a permis de réaliser ce résultat aujourd'hui même, tout comme d'ailleurs la Présidence tout au long de ce semestre, évidemment important également pour la France, mais important également pour l'Union européenne, la Présidence française qui nous a fait engranger ces résultats aujourd'hui même et donc je voudrais rendre hommage à l'action de la Présidence française, tout d'abord sous la présidence efficace et déterminée de Monsieur Alain Juppé et de Monsieur Lamassoure, reprise après par Monsieur Hervé de Charette et Monsieur Michel Barnier.

LE PRESIDENT: - Ce qu'a dit Monsieur Santer est vrai, il y a quand même des signes qui ne trompent pas. Sur l'affaire des aides à l'extérieur : PECO, pays méditerranéens faibles. A Essen c'était seulement il y a six mois, à Essen impossible de s'entendre, il y avait des divergences telles qu'il était exclus de trouver une solution, aujourd'hui cela n'a pas été facile, mais nous sommes arrivés à un accord unanime. Je suis persuadé que la prochaine fois cela ne posera aucun problème, cela sera entré dans les moeurs. C'est comme cela que, pas après pas, se constitue une communauté, une famille.

QUESTION - Monsieur le Président, la France a exprimé le souhait que l'Union européenne joue un rôle politique dans le processus de paix au Proche-Orient. Comment entend-elle jouer ce rôle ? Et d'autre part est-ce que les problèmes de l'Algérie ont fait partie d'une concertation européenne ?

LE PRESIDENT: - Nous n'avons pas évoqué les problèmes algériens, ce n'était pas à l'ordre du jour et nous n'avons pas l'intention de faire d'ingérence dans les affaires algériennes . En revanche, l'Union a bien l'intention de prendre sa part dans la confortation du processus de paix, et je l'ai évoqué tout à l'heure, notamment en donnant à la troïka, c'est-à-dire au Président Gonzalez et à la troïka la mission de voir comment pourrait être fortement accéléré et éventuellement amplifié les aides matérielles au processus de paix, c'est à dire l'aide économique, notamment aux Palestiniens.
M. Jacques SANTER:
Si vous le permettez Monsieur le Président, j'ajouterais tout simplement une phrase, c'est que l'Union européenne, pour le moment, est le plus grand donateur d'aide déjà au Moyen-Orient. Nous donnons pour l'Autorité palestinienne, par exemple, 73 millions d'écus, nous payons également le surplus du budget de l'Autorité palestinienne, nous payons les salaires et traitements etc. Nous comptons encore faire davantage dans le cadre de notre politique méditerranéenne.

QUESTION: Monsieur le Président, pendant ce Conseil vous avez été fort critiqué par vos collègues pour votre décision de reprendre les essais nucléaires. Comment cela vous influence ? Et deuxièmement si les consommateurs européens, par exemple le Premier ministre danois, vont boycotter les produits français, comment vous le prenez ?

LE PRESIDENT: Alors premièrement, je ne sais pas d'où vous sont venues vos informations mais moi je n'ai enregistré aucune critique forte comme vous le dites, de la part de mes collègues. L'un d'entre eux avec beaucoup de courtoisie m'a demandé si je ne verrais pas d'inconvénient, à l'occasion du dîner, de répondre à une question et uniquement à condition que cela ne me gêne pas. Je lui ai dit que j'étais non seulement disposé à le faire, mais que de surcroît j'avais de toute façon l'intention de le faire, car il était bien évident que compte tenu des opinions publiques, il était légitime que j'indique qu'elles étaient mes intentions aux autres membres de l'Union européenne. Je n'ai enregistré aucune critique particulière, a fortiori personne ne m'a parlé de boycott. Alors faites la part entre les passions exprimées ; je l'ai dit en riant d'ailleurs cet après midi à nos collègues, je n'ai rien entendu, mais il paraît que les journalistes eux en ont beaucoup entendu. C'est un phénomène tout à fait classique, c'est ce que l'on appelle les entourages. Mais méfiez-vous, il y a toujours une grande différence entre ce que disent certains membres des délégations et ce que disent les chefs de délégation. De toute façon, ma décision est irrévocable, vous le savez.

QUESTION: Les pays d'Europe centrale et orientale espèrent qu'ils peuvent commencer les négociations d'adhésion en même temps que Chypre et Malte. Cela veut dire six mois après la fin de la conférence intergouvernementale, quelle est votre opinion sur ce sujet ?

LE PRESIDENT: Sous réserve qu'ils remplissent les conditions pour le faire, et à mon avis ce sera le cas, je souhaite que cela puisse se faire ainsi. Je pense qu'il faut que le plus rapidement possible ces pays, qui sont un peu actuellement dans le no man's land européen, rejoignent la famille européenne même si cela pose quelques problèmes techniques. Il doit y avoir une volonté politique d'accueil de ces pays. Et donc le plus vite sera le mieux.

QUESTION: En vous félicitant Monsieur le Président d'avoir nommé un nombre record mondial des femmes dans votre gouvernement, et qu'à Halifax vous avez entendu Madame Clinton parler de l'importance économique, de l'investissement dans l'éducation des filles. Est-ce que dans les sept années à venir nous pouvons attendre que la France va montrer l'exemple parmi les pays européens de promouvoir l'éducation des filles, soit dans la francophonie soit dans les pays anglo-saxons, à ces pays de l'Afrique, Caraïbes et Pacifique ?

LE PRESIDENT: Cher Monsieur, je le souhaite. Je souhaite que la France en plus donne l'exemple effectivement dans ce domaine.

QUESTION: Est-ce que les Anglais posent un nouveau problème au sein de l'Europe des Quinze, parce que quand on parle d'Europol, monnaie unique, aide aux pays en développement, on a l'impression que ce sont les plus réticents et qu'ils ne jouent pas le jeu avec leurs partenaires ?

LE PRESIDENT: - Je ne dirais pas qu'ils ne jouent pas le jeu, mais chacun sait que l'Angleterre est une île, même si l'on a fait un tunnel, et c'est comme cela. C'est une culture, alors on ne va pas du jour au lendemain supprimer les barrières culturelles, mais on peut faire un effort pour les supprimer. Les barrières culturelles cela se surmonte. J'entends souvent dire : "les Japonais c'est épouvantable, ils sont enfermés dans des barrières insurmontables sur le plan économique, on ne peut pas vendre chez eux et donc ils ont des excédents". Ce n'est pas vrai, quand on veut se donner un peu de peine, un peu de mal, on vend très bien au Japon. Et bien, l'Angleterre, en se donnant un peu de mal on finira par trouver naturellement les moyens d'une véritable adhésion à un projet commun de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la France et des autres. On ne fera pas l'Europe sans l'Angleterre ce n'est pas vrai, alors il faudra bien la faire avec l'Angleterre. Alors l'Angleterre a des réticences sur un certain nombre de sujets par rapport aux autres, eh bien, il faut en tenir compte c'est cela la difficulté des choses, mais cela progresse. Il n'y a pas si longtemps l'Angleterre n'était pas du tout dans l'Europe, bien maintenant elle y est au trois quart et dans quelques années elle y sera complètement. Il ne faut pas confondre hâte et précipitation. Il ne faut pas dire que les Anglais ne jouent pas le jeu. Les Anglais disent parfaitement clairement quand ils peuvent ou quand ils ne peuvent pas.

QUESTION: Vous avez donc parlé de la Bosnie, de la monnaie, de l'emploi, quel est le message le plus fort à vos yeux qui ressort de ce sommet ? Quel est celui qui vous satisfait le plus et qui va lui donner sa marque ?

LE PRESIDENT: - Je me garde bien de vouloir donner une marque. Les Sommets, mais cela ne veut rien dire Sommet, je n'aime pas que l'on utilise ce terme parce que cela n'a rien à voir, un Sommet est quelque chose d'exceptionnel, cela c'est une réunion du Conseil, c'est une réunion traditionnelle normale, il est évidemment pas question d'en attendre des choses extraordinaires si ce n'est que chaque fois que l'on fait chaque pas supplémentaire, j'ai évoqué tout à l'heure les pas supplémentaires que l'on avait fait, ils sont substantiels je souhaite qu'à Madrid on en fasse d'autres, comme on avait fait à Essen, comme on en fera en Italie et c'est comme cela que petit à petit nous conforterons la cohérence et la cohésion de la construction européenne.

QUESTION: Quel est la position française sur la position sur les accords de Schengen dont on n'a pas parlé ?

LE PRESIDENT: - C'est une position qui sera décidée, c'est demain soir, Monsieur le ministre ?

QUESTION: Monsieur le Président, vous avez dit que vous aviez abordé les urgences dans le domaine de sécurité intérieure de l'Europe. Est-ce que l'intégrisme musulman en est une ? Est-ce qu'il y a une position unifiée au sein de l'Europe vis à vis de ce problème ?

LE PRESIDENT: Oui sans aucun doute. L'ensemble des Quinze de l'Europe sont consternés par le recul et les dangers que traduisent les mouvements intégristes. Je souligne en passant que nous avons ajouté à notre communiqué un mot spécial pour dire au Président Moubarak notre solidarité, notre indignation devant l'attentat dont il était l'objet et notre solidarité naturellement dans cette affaire et notre amitié et notre joie de l'avoir vu sortir indemne de ce lâche attentat.
L'intégrisme est un danger pour la civilisation, pour les droits de l'homme. Ce n'est en rien quelque chose qui soit inhérent à l'Islam il fait un tort considérable à l'Islam qui est une des plus grandes religions du monde et l'Europe est tout à fait décidée à lutter contre toutes les formes d'intégrisme.

QUESTION: M. le Président, vous venez d'approuver dans six mois la décision sur un scénario de référence pour la monnaie unique. N'est-ce pas la quintessence de la pensée unique ou si vous me permettez de le dire autrement n'est ce pas pour votre opinion publique quelque chose d'étonnant ? Comment allez-vous expliquer les conséquences inévitables si cela se fait sur l'union politique, sur son organisation et sur un mot qu'emploie souvent quelqu'un que vous avez cité ici, M. Valéry Giscard d'Estaing, sur une certaine dose de fédération ou d'organisations fédératives ?

LE PRESIDENT: Vous savez il y a longtemps que je ne parle plus de fédération car je n'ai encore jamais trouvé, c'était Georges Pompidou qui m'avait dit cela la première fois, quelqu'un qui soit capable de m'expliquer ce que c'était que la fédération par rapport à la confédération. Plus exactement il me disait une chose tout à fait évidente c'est qu'une fédération c'est une confédération qui a réussi. Moi je ne me laisse absolument pas entraîner dans ce genre de faux débat qui relève de la stratégie du "café du Commerce" beaucoup plus que de la réflexion politique. La monnaie unique, moi j'ai toujours été pour. Je l'ai dit je me suis prononcé non sans forte réflexion et quelques mérites pour le oui au moment du référendum de Maastricht. Quand je vois la situation d'un certain nombre de nos producteurs actuellement, je me dis que la monnaie unique aurait bien du mérite et que, ne vous y trompez pas, l'alternative de la monnaie unique si nous n'arrivions pas à la faire, cela pourrait bien être en toute hypothèse une monnaie unique mais sur laquelle nous n'aurions strictement aucune influence ce qui serait pire que tout.

QUESTION: Vous venez de souhaiter un élargissement rapide de l'Union européenne. J'aimerais savoir quel type de réforme vous souhaitez pour éviter une paralysie à cette Union européenne. Vous avez beaucoup insisté sur l'unanimité tout à l'heure, je voudrais savoir exactement si vous souhaitez une Union qui continue à fonctionner à l'unanimité ou vous êtes pour une majorité qualifiée ? Précisez un petit peu votre pensée sur l'Europe de demain ?

LE PRESIDENT: - Ce serez un peu long et je n'ai pas l'intention de trop préciser pour une raison simple qui tient au fonctionnement même de nos institutions. Il est très mauvais qu'un pays veuille déterminer et donner l'impression qu'il veut imposer dans un système, qui est un système à plusieurs, sa décision ou sa volonté. Ce que je dis simplement c'est que nous avons aujourd'hui un système qui n'est plus adapté même à quinze, en tout les cas pas à vingt ou à vingt-cinq et qu'il faut donc le modifier. Le modifier cela veut dire certainement donner plus de pouvoir au Conseil et une responsabilité politique plus grande au Conseil, de mon point de vue, mais tout ceci devra être discuté, analysé, etc. Il faudra également revoir, c'est vrai, les modalités de décision et il y a un risque non négligeable de voir des coalitions de circonstance composées de pays à faible population qui pourraient orienter tantôt d'un côté, tantôt de l'autre et donc de façon un peu aberrante, l'ensemble de l'Union. Il y a donc là une réflexion approfondie qui devra avoir lieu mais vous savez je crois qu'il faut se garder là encore de dire ou de prétendre affirmer quelle est sa vérité elle sortira de la sagesse des négociations qui auront lieu entre le Conseil et ...

QUESTION: - Puisque vous avez évoqué la monnaie unique, est-ce que vous avez parlé du nom que pourrez avoir cette monnaie unique entre chefs d'Etat et de gouvernement et est-ce que vous pourriez nous dire quel est votre souhait personnel en la matière ? Est-ce que l'euro plutôt que l'écu, plutôt que je ne sais pas quoi vous convient, le duca ?

LE PRESIDENT: - Nous n'avons absolument pas évoqué ce problème et je fais un peu la même réponse qu'à votre confrère de Libération : ayons un peu de modestie dans ces affaires. Commençons à en discuter courtoisement ensemble et ne donnons pas le sentiment que l'on veut imposer notre propre décision aux autres. J'ai bien ma petite idée sur cette affaire qui n'est pas essentielle par ailleurs mais nous n'en avons pas parlé et par conséquent je ne l'évoquerai pas.

QUESTION: Sur la Bosnie, une question mais à deux parties. D'abord est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui est ferme dans le papier que nous venons de lire, car pour beaucoup d'entre nous cela semble une répétition de la position déjà établie, et d'autre part est-ce que vous pouvez nous dire ce que peut espérer faire Monsieur Bildt. Ne fera-t-il pas double emploi avec le travail du groupe de Contact pendant les mois à venir ?

LE PRESIDENT: - Vous savez, qu'est-ce que c'est que la fermeté, c'est le fait qu'hier, les Serbes ont tiré sur des véhicules de l'ONU et que nous avons riposté avec des mortiers de 120 ( c'est-à-dire avec de l'artillerie). Voilà ce que c'est que la fermeté. Cela ne s'était jamais fait, jusqu'à avant hier où nous avons détruit un char serbe qui tirait sur la Forpronu, voilà ce que c'est la fermeté. Evidemment cela peut vous paraître insignifiant, mais vous voyez cela change néanmoins tout et notamment cela force les autres à avoir du respect pour nous, c'est un environnement, une situation des pays où l'on est respecté quand on est fort. Ce n'est pas un petit changement que d'avoir dorénavant pour volonté d'être respecté, c'est un grand changement. Alors qu'est-ce que peut faire Monsieur Bildt qu'il n'ait pas été fait par le groupe de contact, et bien tout simplement le groupe de contact n'a pas eu de médiateur. En fait, il y a eu un médiateur américain. Monsieur Bildt nous est apparu comme un homme capable, dans un moment déterminé, de rapport de force caractérisé par les interventions que nous avons faites auprès des différents partenaires, au moment ou nous envoyons la Force de réaction rapide, donc dans un certain rapport de force il nous est apparu qu'une initiative marquant une volonté à la fois unanime du groupe de contact et des quinze, - c'est la première fois, ce n'est pas un petit changement - nous permettrait peut-être d'exploiter une possibilité d'avancer ou de progresser vers la paix. Alors là encore vous pouvez dire : "tout cela ne change rien". Cela m'est égal que vous disiez cela, chacun est libre de son jugement, vous avez peut-être raison, et peut-être que demain les choses seront pires qu'hier. Mais enfin nous mobilisons nos moyens pour essayer dans la dignité d'évoluer vers la paix. Je dis dans la dignité parce que c'est là que réside aussi le changement.

QUESTION: J'aimerais vous demander si vous avez été surpris par le fait que sept de vos partenaires européens ont signé une déclaration à la veille du Sommet condamnant votre décision de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique et vous demandant de revenir sur cette décision. Avez-vous été surpris par le fait que ces sept collègues ont signé la déclaration ?

LE PRESIDENT: - Je n'ai pas vu la déclaration à laquelle vous faites allusion, mais tout cela ne m'étonne pas et cela ne m'impressionne pas non plus, je le répète. J'ai eu l'occasion de dire à mes collègues les raisons qu'y m'avait conduit à prendre cette décision. J'ai d'ailleurs fait connaître au gouvernement australien, comme d'ailleurs nous l'avions fait, - je crois que c'était en 1990 - j'invitais bien volontiers les savants australiens aux frais de la France, à venir constater sur place le caractère, je dirais irrationnel, de leur protestation.

QUESTION: Cannes marque traditionnellement la fin de la Présidence française de l'Union mais non la fin de votre rôle à la tête de l'Etat français. Est-ce que vous avez toujours le projet d'organiser un référendum sur l'Europe ?

LE PRESIDENT: - C'est une question sur laquelle je ne peux pas vous répondre aujourd'hui. Cela dépendra de la conférence intergouvernementale, mais il est tout à fait évident que la ratification de la conférence intergouvernementale pourrait très bien, ou devrait probablement même se faire par la voix du référendum, comme Maastricht a été adopté par la voix du référendum.

QUESTION: Permettez-moi de vous poser deux questions. La première, relative à l'accord qui a été trouvé aujourd'hui en ce qui concerne le VIIIe FED : est-ce que vous pensez que la conclusion de cet accord est une victoire personnelle pour la France ? Deuxième question, je voudrais vous demander : est-ce qu'il ne serait pas temps que les pays membres de l'Union européenne proposent un plan Marshall aux pays africains, en butte aujourd'hui à d'énormes difficultés financières quand on sait que certains pays comme le Rwanda, la Somalie, le Congo, le Zaïre ont d'énormes difficultés à s'en sortir aujourd'hui ? Est-ce qu'il est possible de prévoir un plan Marshall pour ces pays africains ?

LE PRESIDENT: - S'agissant du VIIIe FED, je crois que la France a joué un rôle important dans la conclusion de cet accord, et que rien n'aurait été pire que d'avoir un échec. Cela aurait été un signal désastreux donné à ces pays qui souffrent. Un plan Marshall adapté bien sûr - c'est une image que de parler de plan Marshall pour l'Afrique - est une ambition que je nourris en vain depuis bien longtemps, et je n'ai jamais pu convaincre. Je trouve que c'est dommage parce que chacun doit comprendre que l'Afrique, qui va doubler le nombre de ses habitants dans les vingt-cinq ans qui viennent, se trouve confrontée au problème : pourra-t-elle leur donner du travail ou non ? Et si nous ne créons pas les conditions du développement permettant de fixer les populations là où elles souhaitent par ailleurs vivre, c'est à dire chez elles, nous créons par inconscience les conditions d'une forte déstabilisation de l'Europe et du monde dans vingt-cinq ans, il faut bien le comprendre. On ne peut pas à la fois se prétendre les gardiens des principes de la démocratie, des vertus liées au respect des droits de l'homme, tout ce que l'on entend dans la bouche d'un certain nombre de gens, à commencer par les américains et puis refuser de faire le moindre effort en ce qui concerne le développement dans les pays qui en ont besoin. Cette attitude de désengagement qui caractérise les Etats-Unis est aujourd'hui à la fois, je trouve, choquante sur le plan moral et en tous les cas incompatible avec la volonté de donner des leçons aux autres et d'autre part irresponsable dans la mesure où elle peut entraîner de fortes déstabilisations dans les vingt-cinq ou cinquante ans qui viennent. Voilà pourquoi je suis favorable à cette idée. Malheureusement je prêche depuis longtemps dans le désert, ce que ne m'empêchera pas de continuer à prêcher.
Je vous remercie.