ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE LORS DE LA RÉCEPTION OFFERTE EN L'HONNEUR DES INSTITUTIONS ET PROFESSIONS AYANT CONTRIBUÉ AU PASSAGE À L'EURO

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PALAIS DE L'ÉLYSÉE

VENDREDI 15 FÉVRIER 2002

Monsieur le Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, Monsieur le Gouverneur de la Banque de France, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Vous me permettrez avant de commencer mon propos d'évoquer la mémoire de Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE qui vient de nous quitter. La France est en deuil d'une grande dame, d'une très grande dame. Vous comprendrez que je tienne à dire mon émotion et à lui rendre au nom de tous les Français l'hommage que lui doit la République.

D'une profonde humanité, elle symbolisait l'esprit de résistance et la force de son engagement, sa détermination et son courage ont toujours été exemplaires.

Résistance contre tous les asservissements et notamment celui de la France pour laquelle elle connut les souffrances de la déportation.

Résistance contre toutes les misères, toutes les exclusions, toutes les injustices qui la conduisit très tôt à faire sienne les thèses et les ambitions, la générosité d'ATD-Quart Monde.

La lutte de cette association dans une société où le combat pour la dignité des hommes et des femmes reste plus que jamais une exigence de chaque instant, Geneviève ANTHONIOZ-DE GAULLE restera, sans aucun doute, comme une lumière.

Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue au Palais de l'Élysée où je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui.

J'ai tenu à vous réunir pour vous saluer, pour vous remercier, vous qui représentez l'ensemble des professions qui ont préparé la transition historique de notre pays à l'euro.

Un mois et demi s'est écoulé. Nous avons maintenant le recul qui nous permet de parler de succès, je dirais même d'un formidable succès.

Les Françaises et les Français de tous les âges se sont massivement, et dès les premiers jours, convertis à l'euro. Tous ont vécu son arrivée, d'abord comme on se lance dans une découverte, avec curiosité, voire avec enthousiasme ; impatients de toucher et de posséder cette monnaie qu'on leur promettait depuis plusieurs années ; impatients aussi de participer à une expérience unique, de vivre une réforme historique ; et, au-delà, avec le désir de s'approprier davantage encore l'aventure européenne.

Pour moi, comme pour vous, cet engouement et ce succès sont une grande fierté.

La France a fait des choix difficiles pour demeurer dans la course. Elle ne pouvait pas "décrocher", elle a toujours été à l'avant-garde de la construction européenne. Elle se devait d'être au rendez-vous de l'euro. Il ne pouvait pas y avoir de meilleure récompense que ce succès, qui est naturellement celui de tous les Français.

À l'origine, il y a la volonté politique d'unifier l'Europe, de lui donner une réalité tangible et de conférer à l'Union, première puissance économique mondiale, la force d'une monnaie unique. C'est un objectif auquel j'ai veillé, pour ma part, depuis 1995, convaincu de donner ainsi de nouvelles chances à la France.

Mais tout était à inventer. Tout était à mettre en place : les pièces, les billets, les institutions qui allaient conduire l'opération, les moyens et les circuits que la nouvelle monnaie allait emprunter.

Dans chacun des douze pays, une formidable mécanique s'est mise en marche. Et, cette transition réussie, en douceur, c'est l'aboutissement d'un travail de longue haleine. En amont de ce 1er janvier, qui restera dans les mémoires, c'est d'abord l'intelligence, la patience, la mobilisation de milliers et de milliers de professionnels.

S'il a semblé si facile à la plupart de nos compatriotes, c'est parce que vous en avez assumé toute la difficulté. C'est parce que vous avez été à la peine. C'est parce que vous avez été disponibles. C'est parce que vous vous êtes engagés.

Ensemble, vous avez démontré la capacité de notre pays à se mobiliser pour faire face à la plus importante réforme monétaire de l'histoire de la République.

D'abord au niveau des responsables publics qui, par-delà les alternances gouvernementales, ont fixé puis gardé le cap. Un cap défini clairement par les chefs d'État et de Gouvernement au sein du Conseil européen et dont la tâche a été facilitée par l'aide de la Commission. M. de Silguy, en tant que Commissaire européen, vous avez été aux avant-postes de l'euro ; il vous doit beaucoup et je vous en remercie.

Au niveau national, nous avons pu compter sur la mobilisation intense et intelligente du ministère de l'Économie et des Finances et de ses ministres successifs qui étaient, en quelque sorte, les pilotes de l'opération.

Monsieur le ministre, vous avez été beaucoup sollicité pour le passage à l'euro, et les résultats sont là. Je connais votre satisfaction et je tiens à vous remercier de votre action ainsi que de celle de tous les fonctionnaires de votre ministère, et notamment de la direction du Trésor qui a su être un excellent chef d'orchestre.

À travers vous aussi, c'est l'ensemble des administrations et des agents de l'État que je tiens à saluer pour leur travail et pour leur efficacité.

La première mission c'était de fabriquer, d'imprimer et de livrer à temps la nouvelle monnaie. Ce fut la responsabilité de la Banque de France et aussi de la direction des Monnaies et Médailles.

Malgré quelques difficultés techniques ici ou là, vous avez été au rendez-vous et, Monsieur le gouverneur et Madame la directrice des Monnaies et Médailles, je vous demande d'être mon interprète auprès de l'ensemble de vos personnels pour les remercier de la tâche accomplie. Elle n'était pas facile.

Je voudrais y associer toutes les forces de sécurité : notre police, notre gendarmerie, nos armées qui ont été mobilisées de façon exceptionnelle, et qui d'ailleurs le sont encore, pour assurer le retour des francs. Nos forces ont garanti un niveau de sécurité exceptionnel, lui aussi, au plus grand mouvement de circulation de fonds de notre histoire. Elles ont épaulé le travail des sociétés de transport et des convoyeurs de fonds qui ont dû faire face à une charge considérable, une charge qu'ils ont su effectuer avec la compétence et le dévouement qu'on leur connaît.

Et puis la monnaie, ce sont les banques.

Si notre système bancaire a répondu avec efficacité à ce bouleversement monétaire, c'est d'abord parce qu'il a largement investi dans le passage à l'euro. Les banques ont su mobiliser leurs équipes, former leurs collaborateurs, modifier leurs chaînes informatiques pour être prêtes pour le basculement des comptes, puis des chèques, puis enfin l'arrivée des espèces. Les personnels bancaires ont dû répondre à l'engouement des Français. Jamais les agences bancaires n'avaient été autant sollicitées qu'au début de cette année.

C'est l'ensemble du secteur financier français, privé, mutualiste ou La Poste, qui a été à la hauteur de l'événement.

Puis-je, à cette occasion, faire une réflexion en soulignant combien notre pays a besoin d'un secteur financier moderne et solide. En quelques années, le paysage bancaire a beaucoup évolué. Il s'est concentré. Il s'est renforcé. Il doit l'être encore davantage parce que les banques françaises doivent demeurer françaises et qu'elles doivent pouvoir affronter à armes égales une concurrence européenne plus rude. Il n'y a pas de grande puissance économique sans un secteur financier solide. Je souhaite donc que nos banques puissent poursuivre leur développement en s'appuyant sur une place financière de Paris véritablement attractive.

Le plus important, peut être, était de préparer nos concitoyens à l'euro. Il fallait informer les Français des étapes à venir et des délais à tenir, leur donner une nouvelle échelle de valeurs et de nouveaux repères pour leurs transactions. Et un formidable travail de pédagogie et de préparation était nécessaire. Il a beaucoup reposé sur le tissu associatif.

En octobre dernier, à Montpellier, au cours d'une réunion consacrée à l'arrivée de l'euro, j'avais pu vérifier la bonne préparation de nos concitoyens. J'avais été très impressionné par le dynamisme et l'enthousiasme des associations qui familiarisaient les personnes âgées, les personnes les plus vulnérables, les familles, les malvoyants, d'autres encore à l'arrivée de l'euro.

J'y ai trouvé une fois de plus une très belle preuve de solidarité et de responsabilité collective. Notre mouvement associatif a, une fois encore, montré la place éminente qu'il joue au sein de la société française, au coeur de la vie quotidienne de nos concitoyens.

On peut aussi, je le sais, compter sur la vigilance de nos associations de consommateurs pour prévenir les débordements, ici ou là, sur les prix. Dans ce domaine, il faut être attentif. Et je sais, Monsieur le ministre de l'Économie et des Finances, combien vous partagez cette préoccupation.

Le travail de préparation a été facilité, il faut le souligner, par la mobilisation très importante des médias. Les reportages nombreux, les rubriques quotidiennes mises en place à la radio, dans les journaux, à la télévision, ont permis une parfaite diffusion de l'information. Leur caractère très pédagogique a intéressé les Français. Ils ont pu se familiariser avec leur nouvelle monnaie bien avant le 1er janvier.

Enfin, je voudrais remercier tout spécialement nos commerçants et nos artisans. Ils ont été la cheville ouvrière du passage à l'euro. Et ils ont été à tous égards en première ligne.

Dès le 14 décembre, nos buralistes, tous mobilisés, ont participé avec un grand succès à la distribution des kits-euros. Puis, c'est chez nos commerçants de proximité ou dans les grandes surfaces et chez nos artisans que les Français ont vraiment fait l'apprentissage de l'euro. Conversion des prix, reconnaissance des pièces, rendu de la nouvelle monnaie, récupération de l'ancienne : lourde charge que celle qui a pesé sur les épaules du commerce et de l'artisanat.

Et les avis sont unanimes : lors du passage aux caisses, lors du paiement de leurs achats, les Français ont trouvé des personnels bien formés, une grande gentillesse, une grande disponibilité, beaucoup de compréhension et d'entraide. Le commerce de France a dû faire de lourds investissements financiers pour l'euro. J'en suis tout à fait conscient. Mais il a montré aux Français sa qualité et peut-être surtout sa proximité. Je suis particulièrement heureux que toute la diversité du commerce soit représentée aujourd'hui parmi nous, du président du grand magasin au commerçant de quartier ou aux hôtesses de caisses de nos grandes surfaces.

Ce formidable coup de main que le commerce a donné aux Français méritait un encouragement de la part des pouvoirs publics. Je suis heureux de pouvoir leur manifester aujourd'hui, à travers leurs représentants, je voudrais leur dire la gratitude de notre pays. En bref à tous : bravo et merci ! * Dans quelques jours, dimanche prochain, nous allons fermer un grand et beau chapitre d'histoire, deux siècles d'un étroit compagnonnage où le franc a admirablement servi les ambitions de notre pays.

Rarement, monnaie a été liée aussi intimement à une nation. Par son ancienneté, par sa longévité. Par son nom même.

"La France, écrivait Paul Valéry, s'élève, chancelle, tombe, se relève, se restreint, reprend sa grandeur, se déchire, se concentre, montrant tour à tour fierté, résignation, insouciance et ardeur". De toutes ces vicissitudes, le franc a été un fidèle reflet. Il n'est pas un seul combat, une seule action où notre monnaie n'ait été, à quelque titre, au coeur de l'effort collectif.

Et vous comprendrez, c'est avec beaucoup d'émotion que j'ai signé le décret mettant fin au cours légal du franc. J'ai ressenti toute la signification de cet acte.

La monnaie fut à chaque étape de la construction et de la consolidation de la France. Et c'est tout naturellement par la monnaie que passe aujourd'hui l'ambition européenne.

L'euro assume l'héritage du franc. C'est pourquoi j'ai souhaité que sa continuité s'exprime à travers la devise de la République qui est gravée sur les pièces de un et deux euros. Avec la Semeuse, présente sur les centimes. Cette longue familiarité des Français avec leur monnaie, nous devions, je crois, l'entretenir pour qu'ils s'approprient pleinement l'euro, pour qu'ils reconnaissent en celui-ci leur nouvelle monnaie, pour qu'ils lui transfèrent cette confiance qu'ils ont placée dans le franc pendant plus de deux siècles. * L'euro n'est pas un aboutissement. C'est une étape de l'unification économique de notre continent et un point de départ pour aller de l'avant.

La première de nos responsabilités, c'est de faire grandir et réussir l'euro avec nos partenaires. Ils sont onze aujourd'hui. Ils seront davantage demain.

Ensemble, nous avons des devoirs pour garantir la solidité de notre monnaie vis-à-vis de l'extérieur. L'euro doit être une grande monnaie. Une monnaie qui inspire confiance.

La confiance se bâtit dans la durée. L'euro est né avec un grand capital de confiance, c'est celui dont bénéficiait le franc, le mark, le florin. Cette confiance est un atout. Nous l'avons vu, l'euro nous a déjà protégé contre les crises financières qui ont été sévères ces dernières années. Si nous avons été préservés, c'est parce que la force de notre monnaie et du projet européen ont impressionné. Il nous faut désormais assurer cette confiance dans la durée.

Notre seconde responsabilité, c'est de faire gagner la France dans l'euro. C'est de rendre notre pays plus fort, plus prospère grâce à l'euro. C'est une grande exigence. Elle repose uniquement sur nous, sur nos capacités, sur nos talents. La monnaie unique nous a permis de reconquérir au niveau européen une indépendance monétaire que nous avions en réalité perdue. Elle confère à nos États de nouvelles responsabilités pour le développement économique. Dans un ensemble monétaire uni, qui va désormais du détroit de Gibraltar jusqu'aux confins du cercle arctique, nous pouvons, mieux encore que les autres, recueillir les fruits de l'euro en termes de croissance et d'emplois. Mais il nous faut pour cela lever les obstacles qui empêchent encore d'avancer. Il faut libérer nos énergies, il faut conforter nos atouts.

Deux exigences, je crois, doivent être satisfaites.

La première exigence, c'est que nous ne renoncions pas à être nous-mêmes pour réussir. Que nous ne renoncions pas au modèle français. Car il existe un modèle français. Il est le fruit de notre histoire, de notre géographie, de notre tempérament. Il est fondé sur l'égalité des chances et sur la solidarité. Il est fondé sur la conviction que le progrès économique et la justice sociale vont de pair. Ce modèle est un bon modèle. Il faut le défendre. Il faut le renforcer. Et pour cela en permanence l'adapter et le rénover. Il faut lui donner les couleurs du dynamisme et de l'enthousiasme.

Un pays ne peut gagner s'il laisse sur le bord du chemin, dans l'assistance, une partie de sa richesse humaine et de ses talents. Une France forte, c'est avant tout une France active.

Renforcer la cohésion sociale, c'est donc donner la priorité à l'insertion, assurer l'égalité des chances et comprendre que le travail ne doit pas être bridé car il est une liberté et une valeur fondamentales. Il doit toujours être plus favorable de travailler que d'être inactif.

La seconde exigence, c'est de renforcer sans cesse la compétitivité et l'attractivité de la France. Si l'euro nous protège vis-à-vis de l'extérieur, il aiguise la concurrence entre les États européens. Cette concurrence sera un atout majeur pour la France, à condition que nous sachions rendre notre pays accueillant à l'investissement et à l'emploi.

Je souhaite que nos entreprises investissent en France. Elles ne le font peut-être pas toujours assez. Il y a là une urgence nationale parce que c'est notre croissance, ce sont nos emplois, c'est la place de la France dans l'Europe qui est en jeu.

L'Europe, ce n'est pas le renoncement à ce que nous sommes, à notre histoire, à nos équilibres. C'est un nouveau chemin ouvert à l'ambition nationale.

La réponse à l'évolution du monde, ce n'est pas le repli sur soi. C'est l'action et l'ambition. * Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,

Depuis un mois et demi, les Français font un apprentissage rapide de leur nouvelle monnaie.

Avec l'euro, ils ont montré leur capacité de changement et de réforme quand ils ont une claire appréciation des enjeux. Ils ont adopté l'euro avec le succès que nous connaissons parce que, tous, vous avez beaucoup travaillé pour leur faciliter cette grande réforme monétaire.

C'est pour moi un véritable motif de satisfaction. C'est une grande preuve de confiance dans l'avenir. C'est aussi la preuve tangible de l'adhésion des Français à la construction européenne. Une Europe qui est désormais notre destin.

Je tenais à vous exprimer à toutes et à tous la reconnaissance de la République.

Je vous remercie.