DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PLACE DU MARCHÉ DE MAMOUDZOU

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MAYOTTE

SAMEDI 19 MAI 2001

Monsieur le Maire, Monsieur le Ministre, Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président du Conseil général, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs, mes chers compatriotes,

Je suis très heureux de vous retrouver et je suis heureux de retrouver Mayotte, notre France de l'océan Indien, si belle, si attachante, si généreuse. C'est avec émotion que je m'exprime aujourd'hui, sur la place du marché de Mamoudzou, aux côtés des élus qui, depuis plus de quarante ans, ont conduit le combat pour que votre île demeure française.

À tous les Français de Mayotte, j'adresse le même message de fraternité, de soutien, de fidélité et d'affection. Votre accueil chaleureux me touche profondément. Vous tous, dignitaires religieux, responsables syndicaux, magistrats, fonctionnaires, militaires, acteurs du monde associatif, chefs d'entreprises, artisans et agriculteurs, vous construisez l'avenir de Mayotte dans notre République. Vous donnez à la France les couleurs de la diversité, de la tolérance, de la fraternité. Je vous en remercie du fond du coeur, au nom de l'ensemble de nos compatriotes de métropole et d'outre-mer.

En saluant vos élus, en rappelant leur détermination et leur travail infatigable, je tiens aussi à rendre hommage à tous ceux qui ont proclamé l'attachement, l'adhésion de Mayotte à notre patrie, et tout particulièrement aux femmes qui ont illustré cet émouvant combat. J'ai une pensée particulière pour Zaïna M'Déré et Bouéni M'Titi qui, hélas, ne sont plus là pour en constater le succès, mais dont je tiens à saluer respectueusement et affectueusement la mémoire.

Ma présence ici est évidemment un engagement. Un engagement manifesté dès 1986, lorsque, Premier ministre de notre pays, j'ai effectué la première visite d'un chef de gouvernement à Mayotte. Un engagement que je suis heureux de poursuivre en étant le premier Président de la République à venir saluer chez eux, en terre française, les Mahoraises et les Mahorais. Un engagement que vous me verrez affirmer aux côtés de vos élus chaque fois qu'il s'agira de renforcer la place de Mayotte dans la République et de promouvoir son développement économique et social. * * * En vous retrouvant aujourd'hui, je mesure l'immensité du chemin parcouru par votre île depuis quinze ans. La transformation est profonde et impressionnante : elle témoigne de l'effort exceptionnel de la métropole comme de votre volonté de façonner votre destin et d'offrir un avenir à vos enfants. Nous avons ensemble le devoir de faire en sorte que les années qui viennent soient aussi riches de progrès, qu'elles contribuent à accélérer la croissance de Mayotte et à resserrer encore ses liens avec le territoire métropolitain.

Je salue le travail effectué depuis cinq ans par les Mahorais pour élaborer un nouveau statut donnant toutes ses chances à votre île. Les deux groupes de réflexion mis en place par le précédent gouvernement, en juin 1996, ont permis de multiplier les échanges et les débats et de formuler des propositions respectant les traditions culturelles et les spécificités géographiques de Mayotte. La concertation qu'ils ont menée, qui a permis à toutes les sensibilités de s'exprimer, est le meilleur gage d'efficacité pour l'avenir. Elle a débouché sur un projet d'accord qui a été massivement approuvé par les électeurs mahorais le 2 juillet 2000.

C'est cet accord qui inspire la loi relative à Mayotte actuellement débattue par le Parlement. En modernisant les institutions mahoraises, en tournant définitivement la page de la précarité statutaire, ce texte donne à votre île la certitude de son ancrage dans la République en même temps qu'il lui fournit les moyens les plus efficaces pour préparer, dans les dix années qui viennent, le rapprochement des législations de Mayotte et de la métropole.

Ce statut de collectivité départementale, c'est d'abord l'assurance, pour Mayotte, de fonctionner dans les conditions ordinaires d'une collectivité décentralisée. Dans trois ans, le président de votre Conseil général assumera la responsabilité du pouvoir exécutif, conformément au modèle qui prévaut sur le reste du territoire français depuis 1982. Parallèlement à cette réforme, les actes de la collectivité départementale se verront reconnaître un caractère exécutoire dans les conditions du droit commun.

Cette décentralisation doit être accompagnée des moyens indispensables pour assurer sa réussite. Les programmes de formation des élus et des agents de la collectivité sont en cours d'élaboration. Il appartient au gouvernement de les mettre en oeuvre rapidement, c'est ce qu'il fait. Il lui appartient aussi de veiller à ce que la dotation de rattrapage et de premier équipement soit suffisante pour assurer une mise à niveau des équipements communaux en rapport avec la progression rapide de la population mahoraise. C'est la volonté et la responsabilité du ministre en charge de l'outre-mer.

En faisant de Mayotte une collectivité décentralisée à part entière, ce nouveau statut ouvre aussi la voie à une harmonisation rapide des législations locale et nationale.

Je pense d'abord à la décision de rendre applicable de plein droit à Mayotte la totalité des lois et des règlements relatifs à la nationalité, au droit civil des personnes et des biens, au droit pénal ainsi qu'à la procédure administrative contentieuse et non contentieuse. Je pense aussi aux nombreux dispositifs qui assureront l'extension du droit commun à Mayotte dans des domaines aussi variés que les compétences de la collectivité départementale, la coopération régionale, le rapprochement des dispositions fiscales. Je pense enfin à la réforme du régime communal, à celle de la justice cadiale et à la clarification des relations entre statut personnel et statut de droit commun.

Toutes ces mesures reposent sur le même principe : l'identité législative avec la métropole prévaudra chaque fois que cela sera possible, les seules exceptions étant liées au respect de vos traditions culturelles et religieuses, ainsi qu'à la nécessité de prendre en compte votre environnement géographique. C'est un grand message de tolérance, qui répond aux idéaux les plus profonds de notre pacte social. C'est le gage d'un nouvel équilibre entre tradition et modernité, entre les particularités de votre île, qui doivent être respectées, et son appartenance à la République, qui ne saurait être remise en cause. C'est l'assurance que les dix années qui viennent seront employées au mieux pour enraciner la particularité mahoraise dans la communauté française.

Au terme de ces dix années, les Mahorais dresseront le bilan de la période et ils décideront de la forme qu'ils souhaitent donner à leur présence dans la République.

J'ai eu l'occasion de l'affirmer plusieurs fois au cours de mes déplacements outre-mer, et hier encore à La Réunion : l'heure de l'uniformité des statuts est passée. Il appartient à chaque collectivité d'outre-mer de choisir le cadre institutionnel qui assurera au mieux son développement au sein de la République. Rien ne doit être figé et Mayotte, comme les autres collectivités françaises d'outre-mer, doit avoir cette liberté de choix du statut le mieux adapté à ses spécificités, qu'il s'agisse du statut départemental ou de tout autre statut. Mais pour cela, je le répète, deux conditions doivent être réunies : le respect des principes et de l'unité de la République, la consultation préalable des populations.

J'ai la conviction que la loi en cours de discussion est une première étape qui donnera à Mayotte les moyens de progresser sur la voie qu'elle s'est choisie, sur la voie qu'ont choisie pour elle ses habitants, dans le respect du débat démocratique : celle d'une collectivité solidement ancrée dans la République, fière de sa culture et de ses traditions, en même temps que déterminée à appliquer, dans toute leur extension, les lois en vigueur dans les départements français. * * * Les dix années qui viennent ne seront pas seulement importantes pour l'évolution institutionnelle de votre île. Elles seront aussi décisives pour son développement économique.

Dynamisme démographique, mutations sociales : tout chez vous semble aller plus vite. Le temps n'a évidemment pas la même signification lorsque la population double tous les quinze ans et lorsqu'une société aux traditions séculaires rejoint en quelques années le rythme de la mondialisation.

Votre vivez à l'heure des bouleversements. C'est d'abord le choc démographique que représente tous les ans l'arrivée sur le marché du travail de 3 500 jeunes, qui seront, à très brève échéance, 5 500. Il y a là un formidable réservoir d'énergie et de dynamisme, de créativité et d'imagination, mais aussi une évolution qu'il faut savoir anticiper et préparer.

L'État et les élus de Mayotte se sont donné comme priorité d'aider à l'éducation et à la formation professionnelle des jeunes. Je salue le choix qui a été fait de consacrer près de la moitié des crédits du contrat de Plan au renforcement des qualifications de la jeunesse mahoraise. C'est un investissement indispensable pour l'avenir. Il devra être complété par des mesures favorisant la mobilité des jeunes Mahorais, notamment pour leur permettre de continuer leurs études dans le reste de la France, ou d'y acquérir une formation professionnelle débouchant sur un emploi.

En marge de cette transition démographique, Mayotte vit un développement accéléré. L'économie fait preuve d'une grande vitalité et l'emploi a progressé de 7% par an au cours de la période récente.

À côté du secteur traditionnel, tourné vers l'autosubsistance et les cultures de rente, surgissent des entreprises modernes et performantes orientées vers le commerce, les services, le bâtiment et les travaux publics.

Ce développement économique est le seul moyen de faire face à la pression démographique. Il doit toutefois être maîtrisé, en se gardant des effets destructeurs d'une modernisation aveugle, qui bouleverserait l'équilibre des solidarités traditionnelles.

L'apparition de la concurrence, la mise en oeuvre de nouvelles normes juridiques, l'élévation du niveau des emplois et des qualifications : tous ces facteurs posent la question de l'adaptation des artisans, des foundis de Mayotte et des petits commerçants, à cette mutation rapide.

C'est pourquoi il est important de mettre en place une véritable stratégie de développement, en encourageant la création d'une agence et d'un fonds de développement permettant de soutenir l'effort d'adaptation de l'économie traditionnelle. L'institution consulaire devra aussi jouer son rôle avec la création prochaine d'une chambre des métiers, d'une chambre d'agriculture et d'une chambre de commerce et d'industrie. Plus encore que sur le reste du territoire français, il est essentiel de veiller ici à la formation des professionnels et d'aider à la gestion des entreprises ainsi qu'au renforcement des filières de production.

Pour conserver la maîtrise de son développement, Mayotte a tout intérêt à investir sur ses atouts traditionnels. Je pense évidemment à l'agriculture, qui recèle de formidables potentialités de croissance, notamment avec la vanille, le café ou l'ylang-ylang, production à forte valeur ajoutée que votre île est seule à pouvoir fournir avec un tel degré de qualité. Je pense aussi à la richesse de votre lagon qui permet le développement de l'aquaculture et de la pêche, ce qui suppose que les professionnels puissent s'équiper dans des conditions modernes et efficaces.

Dans tous ces domaines, il est important que le développement local s'appuie sur des fonds de garantie et des aides à l'investissement, afin que les producteurs mahorais trouvent les outils nécessaires à la mise en valeur des richesses de votre île. Il serait également particulièrement utile que Mayotte puisse à nouveau bénéficier, à côté du contrat de Plan, d'une convention de développement avec l'État. J'avais mis en place en 1986 un tel dispositif qui avait été ensuite reconduit par le précédent gouvernement et dont l'efficacité et la souplesse d'utilisation ont fait leurs preuves.

Mayotte a également une chance à saisir en matière de tourisme, à condition que celui-ci se développe dans le respect de l'environnement et de ses traditions. Le lagon, les ceintures de corail, les plages et les massifs forestiers des deux terres offrent des beautés d'une richesse inégalée. Il faut poursuivre les efforts qui ont été engagés pour offrir des sites aux investisseurs, accroître l'offre de services touristiques et mettre en valeur la faune remarquable de votre archipel.

Dans cette perspective, la réalisation d'une desserte aérienne directe entre Dzaoudzi et Paris est désormais une ardente obligation. La première convention de développement que j'évoquais à l'instant a permis, en 1986, de désenclaver Mayotte en créant une première piste pour des avions de moyenne capacité. Il faut aujourd'hui franchir une nouvelle étape en engageant sans tarder les études pour doter votre île des infrastructures aéroportuaires permettant d'accueillir les gros porteurs nécessaires au développement touristique.

Dans l'intervalle, une liaison aérienne directe avec escale doit être mise en place entre Mayotte et la métropole. La compagnie Air Austral a présenté un projet qui a reçu le soutien du président de votre Conseil général, de tous les élus de Mayotte ainsi que des présidents des Conseils général et régional de la Réunion. Je souhaite qu'avec l'aide de toutes les parties prenantes, il puisse se concrétiser rapidement.

Ce projet n'est pas seulement la clé du développement du tourisme dans votre île, avec toutes les retombées économiques que cela suppose. C'est aussi la manifestation tangible du lien qui unit Mayotte à la métropole en même temps que le moyen d'assurer la mobilité des Mahorais qui souhaitent poursuivre leurs études en dehors de leur île ou retrouver leur famille après une formation en métropole.

La réduction des effets de l'éloignement passe aussi par le développement des nouvelles technologies de l'information. Le réseau de téléphonie mobile et le nouvel accès à Internet, dont la mise en place est aujourd'hui effective, contribueront à rapprocher Mayotte de l'Europe ainsi que du reste de l'océan Indien.

Mayotte a longtemps souffert de l'isolement dans ses relations avec les États voisins. La multiplication des actions de coopération dans les domaines les plus divers, qu'il s'agisse du sport, de la culture, de l'agronomie, de la recherche ou des infrastructures, montre que cette période est désormais révolue.

Lors du sommet des chefs d'État de la Commission de l'océan Indien qui s'est tenu à Saint-Denis de la Réunion en décembre 1999, j'ai eu l'occasion d'expliquer à nos partenaires et amis de la zone l'attachement indéfectible de la France à Mayotte, la volonté des Mahorais d'être français et leur souhait d'être impliqués dans les actions de coopération.

Le mieux-être des peuples de l'océan Indien et la stabilité régionale commandent que soient dépassés les blocages et les réticences hérités de la décolonisation. Les réformes en cours permettront d'ailleurs à Mayotte de renforcer ses actions de coopération et de tisser les liens indispensables à son développement, dans un esprit de dialogue et de solidarité.

La participation des sportifs mahorais aux jeux de l'océan Indien s'inscrit naturellement dans ce cadre. C'est un symbole auquel la France est très sensible. Avec toute l'amitié et toute la fermeté nécessaires, nous devons faire comprendre à nos partenaires que l'éthique du sport ne peut s'accommoder d'aucune discrimination. Je tiens à être clair sur ce point : la France ne saurait garantir sa contribution au financement d'événements sportifs auxquels les jeunes Mahorais se verraient encore refuser la possibilité de participer.

L'octroi de compétences en matière de coopération régionale fera de plus en plus de Mayotte un partenaire écouté et solidement intégré à cette partie de l'océan Indien. La France est profondément attachée à l'établissement de relations durables entre Mayotte et les îles voisines. C'est une nécessité pour Mayotte ainsi que pour l'aide au développement des Comores. C'est aussi indispensable pour apporter une réponse sérieuse à l'immigration clandestine et aux drames humains dont elle s'accompagne. * * * Mesdames et Messieurs les élus, Mes chers compatriotes,

Je vous remercie encore pour la chaleur de votre accueil, pour la constance et pour la fermeté avec laquelle vous construisez la France dans cette partie de l'océan Indien.

Faire vivre la particularité mahoraise au sein de la République, mettre en valeur les richesses de Mayotte, anticiper les besoins en formation d'une population en forte progression, maîtriser un développement économique rapide, favoriser l'insertion de l'île dans son environnement régional : ce sont ces défis auxquels il faudra répondre dans les dix prochaines années.

Vous avez déjà fait le choix de privilégier les revenus de l'activité sur ceux de l'assistanat. La métropole vous soutiendra dans cette politique courageuse tout en apportant son aide aux personnes en situation vulnérable, en favorisant l'accès de tous à l'eau, à l'électricité et au téléphone et en donnant aux femmes seules les moyens d'élever leurs enfants.

Il serait en effet contraire à tous les principes de notre République de laisser des citoyens ou des familles privés des progrès qui se répandent à Mayotte.

Mais nous devons aussi regarder plus loin. La brutalité des changements que connaît votre île, l'affaiblissement des solidarités traditionnelles, l'émergence de nouveaux modes de vie sont autant de facteurs qui ne sauraient être ignorés. Les jeunes Mahorais ne trouveront ni les perspectives d'avenir, ni les repères dont ils ont besoin, si tous les efforts ne sont pas faits pour renforcer le dialogue social et inscrire le progrès économique dans le respect des valeurs traditionnelles de Mayotte.

Les Mahorais doivent demain témoigner, en faveur du développement de leur île, de la même ténacité et de la même persévérance que celles dont ils ont fait preuve pendant quarante ans pour confirmer leur choix d'être français.

Vous connaissez, mes chers compatriotes, mon attachement profond et ancien pour Mayotte. Vous pouvez compter sur moi pour que la République soit toujours à vos côtés pour vous aider à mettre en oeuvre ce projet. Avec la volonté et la détermination de construire l'avenir de votre île. Avec l'immense fierté d'affirmer la présence de Mayotte dans la France.

Vive Mayotte ! Vive la République ! Vive la France !