INTERVIEW ACCORDÉE

PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

AU QUOTIDIEN "DIENA"

***

PALAIS DE L'ÉLYSÉE

PUBLIÉE LE VENDREDI 27 JUILLET 2001

QUESTION - Votre visite dans les pays baltes est la première après le voyage du Président François Mitterrand dans la région en 1992 suite au rétablissement de l'indépendance dans ces pays. Pourquoi les pays baltes devaient-ils attendre aussi longtemps la prochaine visite d'un Président français ?

LE PRÉSIDENT - Depuis l'indépendance, nos échanges n'ont pas été négligeables de nombreuses délégations lettones se sont rendues en France, et le ministre délégué français chargé des Affaires européennes a effectué plusieurs visites en Lettonie ; de même le ministère de la défense a organisé des missions techniques dans les trois pays baltes. Aujourd'hui, mon voyage marque une étape au moment où la Lettonie se prépare à l'adhésion à l'Union européenne. Je tenais personnellement à souligner l'importance que nous attachons à nos relations avec votre pays et à parler de l'avenir de l'Europe avec les responsables lettons puisque c'est désormais notre destin commun.

QUESTION - Quel est votre agenda de visite et quel est le message que vous allez passer lors de vos rencontres avec les hommes et les femmes politiques lettons ?

LE PRÉSIDENT - Dès mon arrivée, je m'entretiendrai avec la Présidente, Mme Vaira VIKE-FREIBERGA, d'abord en tête-à-tête, puis en formation élargie aux délégations. Je participerai ensuite en sa compagnie à une conférence de presse. Je déjeunerai avec le Premier ministre, M. Andris BERZINS, et avec des hommes d'affaires de nos deux pays, puis me rendrai au Parlement pour un dialogue avec les élus. La visite se terminera par un dîner d'État.

Je souhaite faire passer plusieurs messages aux Lettons. D'abord, la France apporte tout son soutien à la candidature de la Lettonie à l'Union européenne et je me félicite que le traité de Nice ait confirmé l'appartenance de ce pays à l'Europe de demain. Je soutiens aussi l'aspiration légitime de la Lettonie à intégrer l'Alliance atlantique, car chaque État a le droit de choisir souverainement ses alliances en matière de sécurité.

QUESTION - Pendant sa visite en Europe, le Président américain George W. BUSH parlait de sa vision de la sécurité européenne et il affirmait également son soutien à l'élargissement de l'OTAN vers l'est y compris les pays baltes. Quelle est la position de la France à cet égard ?

LE PRÉSIDENT - La conviction défendue avec constance par la France est que l'élargissement de l'OTAN vers l'est, au même titre que celui de l'Union européenne, répond à un objectif légitime de réunification du continent européen. Lors du Sommet de Washington de l'OTAN, en avril 1999, la France et ses aalliés ont pris l'engagement de maintenir ouverte la porte de l'OTAN, afin de ne pas recréer de nouvelles lignes de division. Il faut maintenant penser à concrétiser cet engagement. C'est pourquoi nous sommes convenus, pendant notre rencontre informelle entre chefs d'État de l'Alliance, le 13 juin dernier, que de nouvelles invitations seront lancées lors du Sommet de Prague prévu pour l'automne 2002. Il m'est bien sûr impossible de préjuger des décisions qui seront prises. En revanche, ce que je puis vous affirmer, c'est que la France soutient la liberté de choix des pays baltes, comme celle des autres candidats, s'agissant des arrangements de sécurité auxquels ils aspirent.

QUESTION - Comment voyez-vous les pays baltes dans le contexte de l'élargissement de l'OTAN, comme tous les autres pays candidats, ou bien considérez-vous que c'est une région particulière qui nécessite une solution particulière ?

LE PRÉSIDENT - Il y a un contexte stratégique différend des Balkans ou de l'Europe centrale, mais il n'y a pas d'exception balte. Je ne vois aucune raison d'ordre historique ou géographique qui s'opposerait à ce que les candidatures baltes soient examinées suivant la même approche politique que celle devant s'appliquer aux autres pays candidats. Les pays baltes peuvent, en toute légitimité, exprimer librement leurs aspirations à rejoindre une alliance défensive dont la finalité est de préserver la liberté et la sécurité de ses membres, et de renforcer la stabilité du continent européen.

QUESTION - À Göteborg, les dirigeants de l'Union européenne ont fixé 2002 comme date limite de clôture des négociations à l'adhésion avec les pays candidats les plus avancés. À votre avis, le fait qu'en France et en Allemagne, il y aura entre-temps des élections, permettra-t-il de respecter cette date limite ?

LE PRÉSIDENT - Il n'y a aucune interférence entre les échéances électorales au sein de l'Union et la conduite des négociations d'adhésion. Celles-ci sont conduites en fonction des mérites propres de chaque candidature, dans le respect de la "feuille de route" adoptée au Conseil européen de Nice. Lors du dernier sommet européen de Göteborg, les Quinze ont décidé que les négociations pourraient s'achever d'ici la fin de 2002 pour les candidats prêts et ayant rempli les conditions d'adhésion. Nous nous en tenons à ce calendrier et nous espérons que cet objectif pourra être atteint.

QUESTION - Est-ce que vous voyez des parallèles entre le processus de l'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN. Le Chancelier allemand Gerhard SCHROEDER, par exemple, pense que les pays baltes doivent être admis d'abord dans l'Union européenne et seulement après dans l'OTAN. Est-ce que cela veut dire que les pays baltes ne seront pas invités à Prague ?

LE PRÉSIDENT - L'élargissement de l'Union européenne et celui de l'OTAN sont deux processus distincts par leur finalité, leurs modalités et leur calendrier. Tandis que des critères d'appréciation techniques entrent nécessairement en ligne de compte dans les décisions de l'Union européenne, je pense notamment à l'intégration de l'acquis communautaire par les pays candidats, les décisions de l'OTAN sont de nature plus politique.

QUESTION - En ce qui concerne l'élargissement de l'Union européenne, l'Allemagne veut absolument voir la Pologne admise dans la première vague d'élargissement. Est-ce que vous avez la même position, ou bien pensez-vous qu'on puisse admettre un petit groupe de pays comme la Hongrie, l'Estonie, la Slovénie et les autres avant la Pologne, s'ils sont prêts ?

LE PRÉSIDENT - La France, comme l'Allemagne et ses autres partenaires de l'Union, ne souhaite pas se lancer dans un exercice consistant à établir des listes de pays faisant partie d'une première ou d'une deuxième vague de nouveaux États membres. Je rappelle que les négociations sont conduites selon le principe de différenciation ; l'Union a fixé à Göteborg un calendrier réaliste pour l'achèvement des négociations fin 2002 pour autant que les candidats aient rempli les critères nécessaires. Aucun pays n'a donc de garantie d'être en tout état de cause dans les premiers nouveaux États membres et, en même temps, aucun candidat ne doit se sentir exclu d'une telle hypothèse. Tout reste ouvert, beaucoup de travail doit être effectué dans les prochains mois et nous espérons donc que les négociations avanceront de façon décisive sous présidence belge et espagnole.

QUESTION - D'après les sondages Eurobarometer, les Français sont très peu enthousiastes vis-à-vis de l'élargissement de l'Union européenne. Comment expliquez-vous cela et qu'est-ce qui a été prévu pour amener les Français à penser que l'élargissement est un processus positif pour tous les Européens ?

LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il ne faut pas tirer d'enseignements définitifs de ces sondages et considérer que les Français seraient peu enthousiastes vis-à-vis de l'élargissement. C'est d'abord -me semble-t-il- un problème d'information, qui n'est pas spécifique d'ailleurs à la France. Les négociations ont bien avancé mais elles ne sont pas encore entrées dans leur phase finale ; lorsque ce sera le cas, il y aura évidemment dans tous les pays membres et chez les candidats une mobilisation plus forte de l'opinion et j'en suis convaincu une meilleure compréhension de la nécessité de réaliser ce grand projet de réunification de la famille européenne. Il faut néanmoins dès maintenant intensifier notre communication sur l'Europe de demain et je sais que la Commission a lancé un programme en ce sens, en liaison avec les États membres. Le débat lancé en France, dans les régions, sur l'avenir de l'Union permet également de sensibiliser davantage nos concitoyens à l'importance de ces négociations pour le futur du continent.

QUESTION - Le Président des États-Unis, George W. BUSH, après son récent entretien avec le Président russe Vladimir POUTINE, déclarait que pour la première fois après la guerre froide les opinions des deux pays sur de nombreuses questions stratégiques étaient très proches. Est-ce qu'après votre visite à Moscou, vous avez l'impression que la Russie est prête à soutenir les valeurs qui sont défendues aujourd'hui par la France et ses partenaires à l'Union européenne et à l'OTAN ?

LE PRÉSIDENT - Il y a un processus de réforme engagé en Russie, un processus que nous encourageons et appuyons, qui conduit la Russie à bâtir un état de droit, à se moderniser et à développer des valeurs défendues aussi par la France et ses partenaires ou alliés. Les choses changent progressivement et elles changent dans le bon sens.

QUESTION - Et finalement, est-ce que le fait que Mme la Présidente de Lettonie et M. le Président d'Estonie soient francophones était une raison de plus pour visiter les pays baltes ?

LE PRÉSIDENT - Comme vous le savez la France est particulièrement attachée à la francophonie en tant que vecteur de la diversité culturelle. Lorsqu'on parle de francophonie, il s'agit bien sûr des institutions qui regroupent les pays ayant le Français en partage, mais aussi des locuteurs qui dans le monde entier l'utilisent quotidiennement ou occasionnellement, pour des raisons professionnelles ou personnelles. Toutes ces personnes font vivre notre langue et diffusent par-là même les valeurs qui lui sont associées. Dans ce contexte, le fait que mes homologues maîtrisent le français ne peut que faciliter notre communication et renforcer nos rapports politiques.