POINT DE PRESSE CONJOINT

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

ET DE MONSIEUR GUY VERHOFSTADT PREMIER MINISTRE DU ROYAUME DE BELGIQUE PRÉSIDENT EN EXERCICE DU CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE

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PALAIS DE L'ÉLYSÉE

LUNDI 3 DÉCEMBRE 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, nous venons d'achever notre rencontre avec le Président en exercice de l'Union européenne qui passe dans le cadre de sa tournée normale et traditionnelle pour la préparation du sommet de Laeken.

Avant d'en dire deux mots et de lui laisser la parole, je voudrais dire que nous avons évidemment évoqué le nouveau drame qui a frappé Jérusalem et Haïfa et qui a causé un certain nombre de morts, notamment un Français, et nous avons conclu bien sûr par l'horreur que nous inspiraient de tels actes qu'il convenait de condamner sans la moindre réserve. Nous avons conclu qu'il fallait tout mettre en oeuvre pour que cesse cette barbarie. Je voulais dire de surcroît que, bien entendu, nous pensons aux familles de ces victimes et que nous souhaitons ardemment, le Président VERHOFSTADT le dira, que la raison revienne dans cette partie du monde, que le dialogue reprenne et par voie de conséquence que la violence cesse.

Nous avons évoqué la préparation du sommet de Laeken. J'ai tenu à rendre hommage au travail réalisé par la présidence belge, un travail complet, sérieux, qui doit normalement nous conduire à un bon sommet sur tout ce qui touche à la préparation de la déclaration de Laeken sur l'Europe de demain, une Europe plus efficace, plus démocratique. Nous avons exprimé notre propre sensibilité qui, il faut le dire, n'est pas éloignée de celle proposée par la présidence et nous nous sommes assurés qu'au sortir de Laeken, nous aurons une perspective commune, solide, pour la préparation de la Conférence intergouvernementale qui doit venir en 2004.

J'ai indiqué à M. Guy VERHOFSTADT que la France soutenait très fermement la candidature de M. Valéry GISCARD d'ESTAING à la Présidence de la Convention.

Pour les autres sujets, en matière d'élargissement, en matière de politique de sécurité et de défense, nous sommes également d'accord sur l'essentiel de même que nos analyses concernant les différents problèmes auxquels le monde est actuellement confronté se rejoignent très largement.

Nous avons enregistré avec beaucoup de plaisir la volonté de la présidence belge d'inscrire les développements en Afrique en général et la crise de la région des Grands Lacs en particulier à l'ordre du jour du sommet de Laeken. Les vues dans ce domaine de la Belgique et de la France sont très proches et donc nous nous réjouissons de cette décision de la présidence.

Je vais maintenant laisser la parole au Premier ministre belge, Président de l'Union européenne.

Monsieur VERHOFSTADT - Merci beaucoup Monsieur le Président. Tout d'abord, je veux remercier le Président de la République pour le travail qu'on a pu faire ensemble aujourd'hui et la discussion que l'on a eue. Je crois que cela a été une discussion, une réunion très utile dans laquelle on a préparé de manière très détaillée les différents points qui sont à l'ordre du jour du sommet de Laeken.

Et tout d'abord, aussi, ce sommet de Laeken se penchera sur un bon nombre de questions qui sont sur l'agenda international. Tout d'abord le Moyen-Orient, où il y a une nécessité absolue de pousser les différentes parties à se mettre autour de la table des négociations. Je crois pouvoir dire que la situation se dégrade de nouveau comme cela a été le cas en septembre-octobre, alors qu'on a eu une meilleure évolution, moins d'incidents, pendant le mois de novembre, et qu'on est retombé dans des actions des deux côtés qui font que toutes les parties, l'Union européenne, les États-Unis, la Fédération de Russie, les parties arabes modérées, doivent faire pression afin que la violence cesse et que les parties se trouvent autour d'une table de négociations pour parler des différents rapports qui existent. Il n'y a pas manque de rapports, il n'y a pas manque de solutions, il doit y avoir maintenant la volonté de commencer la négociation.

Aussi, au sommet de Laeken, nous parlerons des autres problèmes au niveau international, l'Afghanistan, les Balkans, mais surtout aussi, comme le Président de la République l'a indiqué et comme nous l'avons convenu tantôt dans notre discussion, l'Afrique centrale. L'Afrique centrale et l'Afrique en général, qui est une partie du monde qui est oubliée quand on parle de violence mais qui est encore en ce moment, théâtre de guerres, de violences, de luttes ethniques et où nous, l'Union européenne, devons prendre nos responsabilités. On a une responsabilité historique envers l'Afrique et c'est notre but, la France et la présidence, de mettre ce dossier à l'agenda du sommet de Laeken, certainement aussi après la mission qui a été effectuée par M. SOLANA, M. PATTEN et notre ministre des Affaires étrangères, M. MICHEL.

On a naturellement aussi, c'est la deuxième chose que je veux souligner, parlé de tous les autres dossiers qui sont à l'agenda. Je ne vais pas tous les énumérer, autrement ce n'est pas nécessaire d'avoir un sommet à Laeken. Surtout je veux indiquer qu'on a bien avancé dans la déclaration de Laeken. Je crois pouvoir dire, Monsieur le Président, qu'entre la France et la présidence il y a unité de vues sur cette déclaration. On a aussi apprécié du côté de la présidence la déclaration commune, Monsieur le Président, qui a été faite par vous et par le Chancelier SCHROEDER, quand vous avez eu votre sommet à Nantes. Cette déclaration inspirée par la France, cette volonté d'avoir aussi une Constitution européenne sera certainement un des points importants pour avoir une bonne déclaration, une déclaration ambitieuse qui peut être à la base d'un avenir prospère de l'Union européenne.

QUESTION - Monsieur le Président, vous supportez naturellement le candidat français, le Président GISCARD D'ESTAING pour la présidence de la Convention, mais est-ce que vous allez insister, c'est-à-dire est-ce que cela pourrait être un point de blocage à Laeken ? Et deuxième question : est-ce que les déclarations de M. VÉDRINE concernant le fait que la Roumanie et la Bulgarie devraient être intégrées avec les autres pays candidats en 2004 représentent la position officielle de la France et, si c'est le cas, est-ce que vous allez insister sur cela à Laeken ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, aucun pays européen, aucun membre de l'Union européenne, ne peut partir à un sommet avec l'idée de bloquer. Nous avons un candidat, nous soutiendrons sa candidature et nous comptons sur notre capacité de persuasion pour réussir.

En ce qui concerne la déclaration du ministre des Affaires étrangères, elle est, par définition, la déclaration de la France et cette déclaration n'a rien d'étonnant. Elle consiste simplement à noter qu'il y a un principe, qui est celui de la différenciation, qu'en fin de parcours il peut y avoir une approche et une décision d'ordre politique, et ça c'est la responsabilité du Conseil. Et vous savez notre souci, notamment, pour appeler les choses par leur nom, de voir la Pologne entrer dans la première vague. Mais naturellement, il ne saurait être question de faire cela ou de déclarer quoi que ce soit de façon désobligeante pour la Roumanie et la Bulgarie dont nous espérons bien qu'elles entreront le plus vite possible, même si ce n'est pas tout à fait en même temps, dans l'Union européenne. Voilà notre position telle qu'elle a été précisée par le ministre français, qui est tout à fait celle de notre pays.

QUESTION - J'ai deux questions : d'abord, le Chancelier SCHROEDER, la semaine passée, au moment de la même visite, le tour des capitales, a qualifié la déclaration de Laeken de visionnaire. Quand je vous entends ici, j'ai l'impression que vous êtes beaucoup plus critique. Seconde question : la candidature de M. GISCARD D'ESTAING nous étonne pour deux raisons : d'abord, je croyais que l'Europe est une affaire de l'avenir et pas du passé et, seconde raison, la France aura déjà un Français dans le présidium, le commissaire BARNIER.

LE PRÉSIDENT - Je ne sais pas, à moins que vous soyez arrivé ici avec des idées bien arrêtées, des préjugés solides et l'intention de conclure sans avoir pris la peine de m'écouter, je ne sais pas où vous avez pu voir qu'il y avait dans mon propos quoi que ce soit de critique à l'égard de la déclaration de Laeken. J'ai, au contraire, rendu hommage à la qualité de cette déclaration. Vous voyez comme quoi la presse est un métier difficile. Je répète : je rends hommage à cette déclaration, ce qui ne veut pas dire, naturellement, que, pas plus que le Chancelier SCHROEDER qui me le disait récemment, nous en approuvons toutes les nuances dans le détail et toutes les virgules, sinon ce ne serait d'ailleurs pas la peine de réunir un sommet à Laeken. Mais, je le répète, j'ai tenu à rendre hommage, j'espère que vous l'avez compris puisque je vois que vous prenez des notes, à rendre hommage au travail fait par la présidence belge. Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce point.

Quant à la candidature de M. GISCARD D'ESTAING, elle peut ne pas vous plaire mais vous dites : ça doit être l'avenir. Mais l'avenir est fait d'expérience et c'est aussi la candidature de l'expérience. Et cela, vous savez, surtout quand les choses vont rapidement, on en a besoin. On a besoin d'intelligence et d'expérience. Et dans ces deux domaines, je considère que M. GISCARD D'ESTAING est l'un des meilleurs candidats que l'on puisse trouver dans l'Europe d'aujourd'hui, ne vous en déplaise. Et M. VERHOFSTADT a peut-être quelque chose à dire.

M. VERHOFSTADT - En ce qui concerne le premier point certainement, parce que je n'ai pas entendu de critiques de votre part, Monsieur le Président, au contraire. Comme je l'ai indiqué, je crois qu'il y a une très grande unité de vues entre la France et la présidence et j'ai rendu hommage, je crois que je dois le dire, aux papiers et aux déclarations franco-allemandes qui selon moi sont très importantes. Très importantes, parce qu'elles donnent certainement une contribution à cette déclaration de Laeken. Elles donnent déjà en fait quelques réponses à des questions qui vont être posées dans la déclaration de Laeken et qu'on va certainement peut être utiliser pendant toute la Convention, certainement.

QUESTION - Je voulais juste savoir comment peut-on ou doit-on renforcer le poids de l'Union européenne et de sa parole pour ramener les différentes parties autour d'une table de négociation, comme vous nous l'indiquiez tout à l'heure ?

LE PRÉSIDENT - Je vais laisser la parole au Président VERHOFSTADT.

M. VERHOFSTADT - Je crois que ce qui est important, c'est tout d'abord continuer à chercher la même attitude, la même approche que les États-Unis. Je crois qu'on a travaillé d'une manière très intense à cela. On a eu aussi un discours de M. Colin POWELL qui allait quand même dans le sens des positions européennes. Il y a cinq ans, dix ans, ce n'était pas le cas. Aujourd'hui, c'est le cas. On peut dire que ce n'est pas l'Union européenne qui a changé de position en ce qui concerne le Moyen-Orient, on peut dire que, petit à petit, les différentes positions des États-Unis et de l'Union se sont rapprochées.

Deuxièmement, je crois que, sur le terrain, on a des gens capables, qui font un travail énorme. J'ai travaillé quelques jours avec M. MORATINOS, qui est l'envoyé spécial de l'Union européenne au Moyen-Orient et qui, vraiment, fait tout ce qui est possible pour pousser les différentes parties à se mettre autour de la table de négociations.

Et, troisièmement, je crois que c'est surtout une collaboration étroite au niveau international : États-Unis, Fédération russe, Union européenne, qui peut certainement faire le nécessaire pour mettre les parties autour de la table et qu'il faut continuer dans ce sens-là. C'est pour ça qu'on a mis le point à l'agenda du sommet de Laeken, parce que je crois que le sommet de Laeken a la responsabilité de prendre position dans la nouvelle vague de violence qui est en train de se développer au Moyen-Orient.

LE PRÉSIDENT - Nous partageons tout à fait le sentiment de la présidence.

QUESTION - Je voulais savoir si vous aviez parlé du paquet de sièges à attribuer à différents pays et si vous avez particulièrement soutenu la candidature de Lille pour l'Agence de sécurité alimentaire.

LE PRÉSIDENT - Je vais donner la parole au Président, pour une responsabilité qui est la sienne et qui est délicate, je dois le reconnaître, et donc je me sens tout à fait proche de lui quand il s'agit des affaires à mener avec délicatesse. Alors, la France a sa position, naturellement. Elle défend d'abord et en priorité Lille comme siège de l'Agence de sécurité alimentaire. Elle l'a dit très clairement. Et elle maintient sa candidature. Et, dans l'hypothèse où cette candidature ne serait pas retenue -une hypothèse à laquelle je ne veux pas croire, naturellement- mais dans l'hypothèse où elle ne serait pas retenue, alors la France a demandé l'attribution pour la ville de Nantes de l'Agence de sécurité maritime. Pourquoi Nantes ? Simplement pour des raisons géographiques qui tiennent au fait que c'est dans cette région qu'on trouve essentiellement les victimes des drames et des difficultés depuis trente ans. Alors voilà la position de la France. Mais ensuite, le Conseil de Laeken, dans sa sagesse, décidera.

M. VERHOFSTADT - C'est en effet, Monsieur le Président, ce que le Conseil de Laeken va faire. Je crois que c'est nécessaire de décider sur le paquet et je l'ai mis officiellement à l'ordre du jour du sommet.

LE PRÉSIDENT - Et c'était sage.

M. VERHOFSTADT - Et c'était sage de le faire parce qu'on ne peut pas continuer dans l'Union européenne, où chaque fois on dit cela va être l'échec, on le donne à une autre présidence. Et c'est pour ça qu'on l'a mis sur l'agenda. On s'est mis le dos contre le mur, mais c'est peut-être parfois, dans la politique, la meilleure façon d'avancer.

LE PRÉSIDENT - Je vous remercie.