LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Paris, le 16 novembre 2000

Cher Lazare Kaplan,

Votre lettre chaleureuse et amicale m'a beaucoup touché, je vous en remercie cordialement. C'est pour moi une très grande joie que le nom du Grand Rabbin Jacob Kaplan, votre père, s'inscrive aujourd'hui dans la pierre de Paris, en un lieu qui lui était cher, un lieu riche de symboles, puisque tout proche de la synagogue de la rue de la Victoire, du siège du Consistoire central et de celui du Consistoire de Paris. C'est un événement qui honore sa mémoire et qui honore votre famille. Un événement qui faite également "honneur au judaïsme et à la France", cette belle devise sous laquelle il avait placé sa vie, dès sa jeunesse. Je regrette beaucoup que d'impérieuses contraintes d'agenda ne me permettent pas d'être à vos côtés pour cette cérémonie. Sachez qu'en ce jour de souvenir et de recueillement j'ai une pensée toute particulière pour vous, pour vos soeurs et vos frères, à qui je vous prie de bien vouloir transmettre ma fidèle amitié. Je me souviens qu'à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, quelque temps après sa disparition, un arbre avait été planté en Israël à la mémoire de votre père. Symbole de force, de vie, de pérennité, il dit, là-bas, la haute spiritualité d'un homme qui se savait regardé par Son Créateur, qui priait Dieu à chaque instant pour qu'il l'aide à "trouver grâce et bienveillance à Ses yeux et aux yeux des hommes", un homme à la foi fervente, profonde, exigeante et rayonnante, nourrie d'une immense culture. La place qui portera son nom à Paris sera, pour ceux qui l'ont connu, pour ceux qui l'ont aimé et admiré, comme un écho à l'arbre planté en terre d'Israël, une de ces correspondances du coeur et de l'amitié, un de ces signes qu'il appartient de méditer. Ici la place Jacob Kaplan rappellera les qualités exemplaires d'un homme qui a toujours su concilier les devoirs et les principes du judaïsme avec ceux de la République. Elle rappellera son courage chaque fois que, dans notre histoire, ces principes ont été menacés ou bafoués ; elle rappellera son esprit de dialogue et de compassion, sa générosité, cette tolérance qu'il avait chevillée à l'âme et cet humanisme sincère qui l'ont fait oeuvrer inlassablement au rapprochement des hommes de bonne volonté. À l'évocation de son nom, c'est sa voix chaleureuse, c'est son regard intense, toujours attentif et plein de bonté, c'est son sourire lorsqu'il m'accueillait qui, entre tant de souvenirs précieux, me reviennent en mémoire. C'est aussi ce parcours lumineux, à plus d'un titre exemplaire. Je pense à l'attitude héroïque du jeune soldat de Verdun, de celui qui avait refusé la charge d'aumônier pour rester aux côtés de ses compatriotes catholiques, protestants, israélites, musulmans et partager leur sort jusqu'au bout. Je pense au père de cinq enfants qui s'était porté volontaire pour assurer dans la tourmente nazie, en toute connaissance des périls et des risques, les fonctions de grand rabbin de France alors qu'Isaïe Schwartz était arrêté. Je pense à ses sermons du temps de l'épreuve et à l'admirable leçon d'espérance qu'il donnait à ses coreligionnaires, mais aussi à ses compatriotes et même à ses persécuteurs. Je pense enfin à l'homme de dialogue qui avait su nouer dès l'après-guerre, dans une période terrible pour le judaïsme français, meurtri par l'Holocauste, ces relations de confiance et d'amitié qui unissent désormais, dans notre pays, les communautés juive et chrétienne. Vous connaissez l'immense amitié et l'admiration profonde que je portais à votre père. Vous savez que son souvenir vit à jamais dans mon esprit et dans mon coeur. Je crois qu'en ces temps d'inquiétudes et de troubles le Grand Rabbin Jacob Kaplan, sa vie d'engagement, d'épreuves et d'espérance doivent être pour tous un exemple et un rappel.

Jacques CHIRAC

Monsieur Lazare KAPLAN