Le président Valéry Giscard d'Estaing évoque au début de ses mémoires la " santé des dirigeants " et en particulier relate les faiblesses physiques qu'il a pu avoir lors de son mandat. Ce passage est aussi l'occasion de décrire le fort de Brégançon.

[...] Chaque fois que nous séjournions à Brégançon, nous nous rendions le dimanche à la messe de onze heures à l'Église de Bormes, Anne-Aymone comptant sur l'assiduité liturgique pour assurer, faute de mieux, le salut de mon âme.

J'aimais beaucoup cette Église, avec son autel Louis XIV, et cette architecture mesurée et baroque qu'on ne rencontre qu'en Provence, comme une version réécrite dans le goût français des inventions de l'Italie du Bernin. Son prêtre, le père Carret, avait jadis accueilli le président Pompidou. A la sortie, sur l'escalier qui dégringole le long de la façade, je signais des autographes et serrais les mains qui se tendaient, pendant que les gendarmes locaux nous frayaient une piste ondoyante vers la voiture dont je gardais ensuite la fenêtre ouverte, pour ne pas insérer un écran de glace entre les visages bienveillants et curieux, et le personnage que j'étais devenu pour eux, rendu mystérieux et comme inaccessible par sa fonction.

Nous nous rendions à Brégançon trois fois dans l'année. Une semaine pendant l'été, deux jours à la Pentecôte, fête que j'aimais pour l'évocation du Saint-Esprit et la couleur rouge des ornements d'Église, et un week-end pendant l'hiver.

Quand Paris est rempli de brume grise, que les ardoises des toits sont huilées par la pluie, le moment où l'on ouvre ses volets sur le ciel étincelant de Provence, légèrement pâli par l'hiver, et où l'on découvre les plans successifs du paysage, les collines de terre rouge piquetées d'oliviers, les massifs de chênes verts, et, à l'horizon, les escarpements de rochers, ce réveil est un rêve.

Le dimanche 15 février [1976], au lendemain d'un sommet franco-allemand où j'avais accueilli le chancelier Schmidt près de Vence, le rituel avait suivi son cours normal : le départ de Brégançon par la petite digue, au volant de la Peugeot verte, accompagnée d'une voiture suiveuse ; la montée vers Bormes ; la place triangulaire, vidée de sa foule de l'été, et peuplée de joueurs de pétanque attentifs au lancer d'un pointeur accroupi. [...]

C'est au retour au fort, dans la salle à manger au plafond arrondi comme une casemate, -là où la rumeur affirmait que j'avais l'habitude de recevoir mes invités installé sur un trône- tandis que nous prenions un déjeuner de poisson, assis sur les fauteuils de paille garnis de leurs cousins de toile provençale, et que le soleil dessinait une Échancrure Éclatante qui se déplaçait sur le blanc du mur, que je me suis décidé à consulter des médecins à mon retour à Paris.

Valéry Giscard d'Estaing,
Le pouvoir et la vie. Paris, Compagnie 12, 1988, p. 24-26.





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