Réponse conjointe à la lettre de la jeunesse africaine du Président de la République et du Président du Mali.

23ÈME CONFERENCE DES CHEFS D'ETAT D'AFRIQUE ET DE FRANCE

Réponse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et M. Amadou TOUMANI, Président de la République du Mali, à la lettre de la jeunesse africaine adressée aux chefs d'Etat.

Bamako, Mali, le dimanche 4 décembre 2005.

Chers jeunes d'Afrique et de la Diaspora africaine,
Chère Marie TAMOIFO NKOM,

Vous nous avez parlé au nom de la jeunesse africaine. Nous vous avons entendue. Nous saluons l'énergie, l'engagement, l'ambition des jeunes dont vous portez la voix. Ils nous ont livré leurs espoirs et leurs ambitions, leurs indignations et leur refus des prétendues fatalités. Leur volonté aussi de prendre leur destin en main : celui d'une jeunesse qui s'inscrit dans l'histoire et dans la mémoire des combats des générations qui l'ont précédée. D'une jeunesse debout qui fera du XXlème siècle le siècle de la renaissance africaine.

Nous tous, Chefs d'État et de Gouvernement d'Afrique et de France, nous partageons cet idéal. Conscients des difficultés que doit surmonter l'Afrique, mais confiants dans son avenir, nous assumerons toutes les responsabilités que nous ont confiées nos peuples. Nous savons que vous assumerez les vôtres, en vous affirmant comme des citoyens responsables, décidés à mettre toutes vos forces au service de ce continent que vous nourrissez de toute la sève, de toute l'exigence de vos vingt ans.

Le regard du monde sur ce que fait et sur ce que représente l'Afrique est en train de changer, en même temps que le regard que l'Afrique porte sur elle-même. L'Afrique, dites-vous, a soif d'apprendre mais le monde aussi a beaucoup à apprendre d'elle. De ce qui donne aux cultures africaines leur force singulière : l'enracinement dans une terre qui renvoie aux origines, le sens du partage, le pragmatisme et la souplesse nés de la confrontation à un environnement difficile, le dialogue avec le ciel qui rend familières les plus hautes abstractions.

Du continent ou de la diaspora, soyez fiers d'être Africains.

Aujourd'hui, alors que s'affirme la société de l'information, la créativité africaine se déploie dans le monde. En témoignent tous ces écrivains, cinéastes, artistes, peintres, sculpteurs, sportifs, architectes, scientifiques qui illustrent partout l'excellence africaine.

Vous-mêmes, forts de vos racines, vous vous ouvrez au monde et respirez le vent du large. Les technologies de l'information vous donnent un moyen supplémentaire de faire vivre cette aspiration à l'universel, de la rendre tangible, concrète. Grâce à elles, déjà, vous êtes citoyens du monde, pleinement informés sur votre époque et décidés à y imprimer votre marque.

Nous nous engageons à développer et à rendre accessible ces technologies pour vous permettre, à travers tout le continent, d'affirmer votre voix, votre présence, votre esprit d'entreprise, votre capacité créatrice. Il s'agit pour vous d'une priorité. Pour nous, il s'agit d'un devoir. Vous êtes tous dépositaires d'une partie de l'âme de votre continent, d'une partie de son avenir. Celui-ci ne se bâtira pas sans vous. Il appartient à chacun d'entre vous de l'imaginer et de le faire vivre.

À nous de mettre en place les conditions pour que vous y parveniez, avant toute chose, en répondant aux besoins vitaux.

En oeuvrant pour la paix, condition sine qua non de tout épanouissement, pour que cessent à jamais ces conflits intolérables où l'Afrique se déchire, conflits dont ses enfants les plus vulnérables sont toujours les premières victimes. C'est une priorité pour l'Union africaine qui a mis en place le Conseil de Paix et de Sécurité et pour ses partenaires, au premier rang desquels la France, mobilisée aux côtés de l'ONU, dans les opérations de maintien de la paix, dans les actions de formation.

En livrant un combat quotidien, difficile, souvent frustrant, pour assurer à tous les soins et les savoirs fondamentaux. La santé, car il est inacceptable que la jeunesse d'Afrique vive dans la constante menace de ces fléaux que sont le sida, la tuberculose, le paludisme, les maladies de l'eau, alors même que des solutions existent. Nous redoublons d'efforts pour mettre en œuvre des systèmes efficaces de prévention, de développement de réseaux sanitaires, d'accès aux médicaments, de recherche sur les maladies négligées. L'éducation, qui conditionne la capacité à faire advenir une société plus juste. Éducation primaire pour que tous les enfants, filles et garçons, disposent des connaissances indispensables. Éducation secondaire et formation professionnelle pour que tous soient en mesure d'accéder à l'emploi. Éducation supérieure, pour que l'Afrique, qui compte tant de brillants scientifiques, occupe toute sa place dans l'économie de la connaissance.

En dotant le continent des outils de base qui lui font défaut : nous avons décidé d'accélérer la réalisation des grands projets régionaux ou panafricains d'infrastructures qui permettent le désenclavement et une meilleure circulation des hommes et des biens. Routes, ports, aéroports, voies ferrées, réseaux d'assainissement, politiques durables en matière d'énergie, autoroutes de l'information, seront pour l'Afrique un accélérateur de développement et une source pérenne d'emplois. Les ressources existent, à la mesure des richesses immenses que crée la mondialisation. Les institutions internationales et les États devront soutenir cet effort général d'investissement. Nous ne nous payons pas de mots : notre action est concrète, les résultats pourront en être mesurés.

En oeuvrant à ce que tous, jeunes urbains mais aussi jeunes ruraux, trouvent leur juste place dans la société et perçoivent la juste rémunération de leur travail ; à ce que l'Afrique mange à sa faim et puisse développer son agriculture. La dimension agricole de l'Afrique doit être réaffirmée, soutenue et défendue dans toutes les enceintes internationales. C'est le sens de notre combat à l'OMC.

En portant loin l'avenir du continent, car nos choix affectent les générations futures. Tous, nous sommes des passeurs. La planète sera ce que vous en ferez. En Afrique, plus qu'ailleurs encore, le danger est immédiat : désertification, érosion des sols, déforestation, pénurie d'eau douce, disparition accélérée d'espèces animales et végétales uniques, c'est la vie même qui est menacée. Nous vous appelons, vous les jeunes d'Afrique, à vous mobiliser pour que votre continent demeure le joyau écologique du monde, pour que ses ressources naturelles soient mises au profit d'un développement durable, source d'emplois et de compétences nouvelles. C'est une aventure collective à la hauteur de vos ambitions.

Vous avez raison, le développement de l'Afrique dépend d'abord des Africains. Ils sont les mieux à même d'en fixer les ambitions et les termes. En créant l'Union africaine, en s'organisant autour du NEPAD, l'Afrique s'est donnée une feuille de route. Vous, jeunes Africains, vous devez vous emparer de cet engagement. Car ce qui est en jeu, c'est la place de l'Afrique dans le monde. C'est votre capacité à vivre libres et en paix, à participer à la grande aventure de notre temps : l'humanisation de la mondialisation.

Les dirigeants africains, vous le savez, développent des trésors d'ingéniosité pour réserver aux nouvelles générations du continent les moyens d'un véritable épanouissement politique qu'il convient de soutenir avec vigueur.

Mais prendre en main son destin, cela ne veut pas dire être abandonné à soi-même. Les handicaps hérités de l'histoire, du climat, de règles commerciales inadaptées, font obligation à la communauté internationale d'aider l'Afrique. Il en va de l'avenir du continent mais aussi de l'avenir du monde. Cette conviction est d'abord celle de la France avec qui de nombreux pays d'Afrique entretiennent tant de liens culturels, économiques et humains. Au service de la paix et du développement, elle est engagée à leur côté dans une relation d'égalité fondée sur le respect et l'indépendance. Elle appelle la communauté internationale à se mobiliser pour trouver les financements innovants qui assureront au continent les revenus stables qui lui font encore défaut. En partenariat avec l'Afrique, la France oeuvre à réformer, pour plus de justice, les règles du commerce international ; à donner la priorité à des actions concrètes en faveur des pays qui consentent d'importants sacrifices pour donner l'espérance d'une vie meilleure à leur jeunesse. Selon les termes d'un calendrier que la France respecte, entre 2002 et 2012, le montant de son aide publique aura plus que doublé pour atteindre 0,7 % de son PNB. Elle appelle l'Union européenne à faire de même d'ici 2015 et plaide pour une relation d'exception entre l'Afrique et l'Europe.

Nous avons évoqué l'enjeu capital que sont les bourses et les visas. La France continuera à accueillir sur son sol les étudiants africains en veillant à ce que les compétences des jeunes diplômés puissent profiter à leur pays d'origine. Elle facilitera les déplacements de tous les chefs d'entreprise, créateurs, chercheurs, qui doivent pouvoir participer sans entraves aux échanges internationaux. Elle appuiera la stratégie du co-développement, levier puissant pour démultiplier l'apport des Africains de France et de la diaspora à leurs pays d'origine.

Chers jeunes d'Afrique et de la Diaspora africaine
Et Chère Marie TAMOIFO NKOM,

Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, la voix de l'Afrique s'est incarnée dans une jeune femme. Il reviendra aussi à votre génération de s'engager pour que les droits des femmes, des mères et des filles africaines, leurs droits politiques mais aussi leur droit à la santé et à la sécurité, soient pleinement reconnus et protégés sur tout le continent. Libérées des contraintes qui trop souvent pèsent sur elles, elles pourront prendre une part plus importante encore au développement du continent.

Nous vous saluons tous, jeunes femmes et hommes qui portez haut l'espérance de l'Afrique : votre message est éloquent, juste et lucide. En répondant à notre sollicitation, vous êtes entrés avec force dans la vie publique, pour rappeler des principes universels : l'exigence de la démocratie, les droits de l'Homme, la consolidation de l'État de Droit. Ces principes, l'Union africaine a décidé de les mettre au coeur de son action. Nous avons conscience du chemin qui reste à parcourir pour qu'ils s'enracinent partout. Mais des expériences de plus en plus nombreuses sur tout le continent démontrent qu'ils répondent à une aspiration générale et qu'ils continueront à se propager, tout simplement parce qu'ils sont l'expression de l'aspiration irrépressible de tout homme à la dignité et au respect.

Chers jeunes d'Afrique et de la Diaspora africaine
Chère Marie TAMOIFO NKOM,

Notre génération a vu l'Afrique reconquérir son indépendance. Certains d'entre nous en ont été les acteurs. Aujourd'hui, confrontés aux obstacles sans nombre qui se dressent sur la route de jeunes États, nous avons l'ambition de construire l'Afrique nouvelle qui atteindra pleinement les objectifs du millénaire. Cette Afrique est en marche et pour en accélérer la cadence, nous avons besoin de vous. Nous approuvons votre proposition d'un "Conseil de la Jeunesse Africaine et de la diaspora" qui se réunira en prélude à nos sommets. Il sera la voix d'une Afrique qui fait sienne l'exhortation du Mahatma GANDHI, " Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ".

Solidaire et engagé avec la jeunesse,
Amadou TOUMANI TOURÉ, Président de la République du Mali.

En confiance et en amitié avec la jeunesse d'Afrique,
Jacques CHIRAC, Président de la République Française.

(Mentions manuscrites.)





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