Message de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion du colloque "La dignité humaine: un droit inaliénable"

Message de M. Jacques CHIRAC Président de la République à l'occasion du colloque "La dignité humaine: un droit inaliénable"


Palais de l'Élysée, le samedi 19 mai 2001.


Madame la Présidente, Madame la Grande Maîtresse, Messieurs les Grands Maîtres, Mesdames et Messieurs,

Votre rencontre est plus qu'un simple colloque : vous avez voulu en faire un rendez-vous républicain. C'est pourquoi je suis heureux de l'occasion que vous m'avez offerte de m'adresser à vous aujourd'hui.

D'abord en raison du sujet que vous avez choisi : la dignité humaine renvoie aux fondements de nos valeurs démocratiques ; elle est, très profondément, ce qui nous unit tous.

Ensuite parce qu'il n'est pas fréquent de voir les cinq plus grandes obédiences françaises échanger leurs points de vue et, au-delà de cette discussion, s'adresser aux Français pour les inviter à la réflexion et au débat.

La franc-maçonnerie n'est évidemment pas un monde clos. Vous êtes depuis toujours des femmes et des hommes engagés, travaillant au milieu de vos semblables et agissant sur votre époque. Et vous avez contribué à construire, à façonner et à défendre notre tradition républicaine.

La franc-maçonnerie n'en demeure pas moins, pour beaucoup de nos concitoyens, une grande inconnue. Sans trahir votre réserve traditionnelle, un événement comme celui d'aujourd'hui a le mérite de mettre l'accent sur le projet universel que vous partagez avec l'ensemble des républicains et des hommes de bonne volonté : le désir de bâtir un monde plus libre, plus égalitaire et plus fraternel.

L'égale dignité des êtres humains est le fondement de nos démocraties.

Mais plus de cinquante ans après la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la défense des droits les plus élémentaires reste, pour la majorité de l'humanité, un défi et un combat de tous les instants.

Sur tous les continents, et jusqu'aux portes de l'Union européenne, les guerres ethniques continuent à faire rage, avec leur cortège d'exactions et de persécutions contre les minorités. L'effondrement du communisme et l'affermissement de la démocratie en Amérique du sud ne sauraient masquer la persistance de dictatures à travers le monde. À l'échelle de la planète, la liberté d'expression et de conscience reste un privilège, qu'il faut défendre et promouvoir, en ayant conscience de la chance qu'il représente.

Dictatures, esclavage, génocides, racisme, antisémitisme, xénophobie : l'actualité nous rappelle presque quotidiennement la réalité de l'oppression du faible par le fort. Pour un grand nombre d'êtres humains, l'État et les pouvoirs publics présentent le visage de l'arbitraire.

À ces méconnaissances fréquentes des libertés fondamentales, le sous-développement ajoute un scandale économique. Un milliard et demi de personnes vivent dans la misère et 850 millions ne bénéficient pas du droit le plus naturel et le plus imprescriptible, celui de manger à sa faim. Cette immense pauvreté entretient toutes les formes d'oppression : Cent cinquante ans après le grand espoir qu'a fait naître Victor SCHRLCHER, l'esclavage est, au vu de certaines études, une réalité qui gagne du terrain dans le monde. Qu'il s'agisse du trafic d'enfants, de leur travail dans les champs, les mines ou les ateliers clandestins, de la servitude pour dettes ou de la prostitution, des millions d'êtres humains se voient refuser le droit de disposer librement d'eux-mêmes.

Le combat pour la dignité humaine ne se déroule pas seulement en dehors de nos frontières. Il doit aussi se poursuivre en France, parce que rien n'est jamais acquis et qu'en la matière, ne pas avancer, c'est déjà reculer.

La dignité humaine est le point de convergence de toutes nos valeurs politiques. Elle est derrière chacun des mots de notre devise républicaine. C'est en effet la dignité de l'homme qui fonde sa liberté. C'est la dignité de chacun qui commande l'égalité de tous. Et c'est par le respect mutuel des citoyens que commence leur fraternité.

Nous savons combien il est difficile de faire vivre ces idéaux et combien leur mise en oeuvre est, à certains égards, récente. La présomption d'innocence, pourtant solennellement affirmée par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, est restée pendant des années la grande oubliée de notre système judiciaire. La réforme que j'ai voulue, conjointement avec le Gouvernement, s'est traduite l'an dernier par une loi plus respectueuse des droits du justiciable. Encore devrons-nous consentir des efforts importants dans les années à venir pour limiter le recours à la détention préventive, pour faire en sorte que la justice dispose des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ces mesures et pour que notre système pénitentiaire réponde pleinement à nos exigences en matière de dignité humaine.

La valeur primordiale de l'individu est tout aussi essentielle à notre vision de l'économie et des rapports sociaux. Le travail, qui devrait être pour chacun une source de fierté et un facteur d'identité, est encore trop souvent dénaturé par des comportements d'exploitation, d'humiliation ou de harcèlement. Le mérite de notre société est sans doute d'être plus sensible à ces dérives, qui passaient autrefois inaperçues. Mais son devoir est d'y remédier.

Ce combat pour la dignité humaine revêt une importance toute particulière en matière de lutte contre la pauvreté et les exclusions. Le retour de la croissance ne doit pas nous faire oublier que le nombre des Français qui vivent encore dans un état de grande pauvreté ne diminue pas. Elle frappe, chez nous, un nombre croissant de jeunes.

Avec la loi du 29 juillet 1998, la lutte contre les exclusions et la reconnaissance de l'égale dignité des hommes sont devenus des impératifs nationaux. C'est la traduction concrète, dans notre droit positif, d'une des exigences primordiales de la République.

Le combat pour une société plus digne passe aussi par la sécurité de tous, parce que c'est une des exigences les plus fondamentales de l'être humain. Là où la violence s'installe, il n'y a plus de liberté, mais une insécurité qui vide de tout contenu le droit d'aller et venir ou celui d'exercer sa profession. Il n'y a plus d'égalité, mais une sorte de fatalité qui peut condamner des jeunes à rester hors jeu s'ils n'habitent pas le bon quartier ou ne fréquentent pas la bonne école. Il n'y a plus de fraternité, mais une fragmentation de l'espace social, qui laisse la place à toutes les dérives communautaires. C'est notre modèle républicain qui est en cause, et c'est le respect de la dignité de tous.

La défense de la dignité humaine passe aussi par le renforcement de l'égalité entre hommes et femmes. La récente réforme constitutionnelle permettra de faciliter leur accès aux responsabilités politiques. Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour permettre une répartition équitable des rôles entre les sexes et pour assurer l'égalité de rémunération inscrite à l'article 141 du Traité d'Amsterdam.

Défendre la dignité humaine dans notre pays, c'est enfin rejeter fermement le racisme et la xénophobie. Nos sociétés sont de plus en plus ouvertes au dialogue des cultures. Dans le cas de la France, cette diversité est le fruit d'une longue tradition d'accueil et d'asile. Mais la même évolution s'observe aujourd'hui dans tous les pays d'Europe, y compris ceux qui, jusqu'à une époque récente, ignoraient l'immigration.

Il est particulièrement important que nous sachions accompagner cette évolution, en France comme dans le reste de l'Union européenne. Même si l'Europe a trop connu les dangers du racisme pour s'abandonner à la xénophobie, des tensions peuvent toujours naître de l'inquiétude face à l'avenir, ou du sentiment d'être laissé à l'écart. Il revient aux responsables politiques et aux représentants des grands courants de pensée de prendre en compte ces craintes et de savoir y répondre. Il revient à l'ensemble du corps social de demeurer vigilant. Il n'y a pas d'accommodement possible lorsque la tolérance et le respect de l'autre sont en jeu.

Le combat pour la dignité ne s'écrit pas seulement au présent, pour faire entrer les grands principes de notre tradition humaniste dans l'organisation concrète de notre société. Il doit aussi anticiper l'avenir et contrôler l'émergence de nouveaux risques pour l'individu, que ce soit dans le domaine de la protection de l'environnement, de la sécurité alimentaire ou des biotechnologies. Celles-ci donnent à l'homme les moyens d'intervenir sur son propre patrimoine génétique. Elles appellent la mise en oeuvre d'une nouvelle démarche éthique pour prévenir le risque de graves dérives. * Le respect de la dignité humaine est une exigence fondamentale mais difficile à mettre en oeuvre. Lutter contre l'arbitraire et la misère dans le monde, assurer l'effectivité des droits politiques, économiques et sociaux dans notre pays, prévenir le risque de nouvelles atteintes à l'individu dans le domaine des biotechnologies ou de l'environnement : la lutte pour la dignité humaine revêt aujourd'hui ces multiples facettes.

Sur tous ces sujets, nous avons besoin d'une approche volontaire, enrichie par le débat. Votre réflexion s'est toujours développée dans le cadre des idéaux humanistes, à partir d'une pratique personnelle de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Elle se nourrit d'un travail constant, de rencontres régulières, de discussions passionnées. Sans rien sacrifier de votre tradition, il est important que ce travail bénéficie à l'ensemble de la communauté nationale.

Au milieu des espoirs et des risques qui se font jour en ce début de troisième millénaire, tous les Républicains ont un devoir de parole et de témoignage. La franc-maçonnerie a participé de façon éminente à l'élaboration de notre tradition philosophique et de notre modèle démocratique. Elle continue à s'adresser à nos concitoyens sur tous les sujets essentiels qui touchent à l'organisation de la vie en société. Je souhaite que vos travaux contribuent à réunir les Français autour de la dignité humaine, en mettant en lumière les progrès réalisés, ceux qui restent à accomplir et les espoirs que tous nous portons.

Je vous remercie.







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