Lettre adressée à M. William CLINTON au sujet du prochain G7

Paris, le 24 septembre 1998

Monsieur le Président, Cher Bill,

J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des récentes déclarations en vue de renforcer la stabilité du système financier international. Pour la France, c'est une priorité et le G7 doit prendre l'initiative.

Nos pays, par leur taille et leur puissance économique, ont une responsabilité particulière dans la stabilité et la prospérité de l'économie mondiale. Comme je l'avais souligné à Birmingham, il est essentiel de redonner au G7 son rôle originel d'impulsion.

Le monde connaît aujourd'hui une situation incertaine et agitée. De nombreux pays sont confrontés à des difficultés économiques importantes qui menacent leur croissance. Dans certaines parties du monde, des pressions déflationnistes voient le jour. Nos Ministres des Finances l'admettent tous : la nature des risques de l'économie mondiale s'est désormais modifiée. Nous devons être vigilants et je pense que notre implication personnelle est indispensable.

Tout d'abord, il nous faut assumer nos responsabilités de principales économies du monde, en mettant en oeuvre des politiques économiques appropriées en faveur d'une croissance saine et de l'emploi, et encourager nos partenaires qui connaissent des difficultés à entreprendre les réformes nécessaires.

Son Excellence

Monsieur William Jefferson CLINTON

Président des Etats-Unis d'Amérique

WASHINGTON

Mais nous devons aller plus loin. Nous avons tous profité de l'ouverture de nos frontières. Il est urgent à présent de consolider le système financier international, pour qu'il fonctionne mieux et au bénéfice de tous. Nous devons l'asseoir sur des fondations solides. Nous devons aussi conforter sa légitimité politique, pour prévenir toute désaffection des Etats ou des opinions publiques vis-à-vis du système ouvert qui a favorisé notre croissance et celle de l'ensemble de l'économie mondiale.

A Birmingham, j'ai fait des propositions pour renforcer la stabilité financière internationale. Je voudrais vous en rappeler les lignes principales :

- 1 - Nous devons d'abord renforcer la coordination économique entre nous. L'Europe s'y emploie, dans la perspective de l'introduction de l'Euro. Le Ministre français des Finances a d'ailleurs saisi nos partenaires européens en vue d'une action en commun. Mais nous devons aussi développer notre coopération dans le cadre du G7, pour qu'une concertation plus étroite s'instaure, notamment en réponse aux situations de crise.

- 2 - Nous devons bâtir un " nouveau Bretton Woods ". Le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ont bien servi les intérêts mondiaux pendant cinq décennies. Depuis le début de la crise, ils sont en première ligne, pour prévenir les dérapages et contribuer à l'ajustement. Il s'agit aujourd'hui de les adapter à la nouvelle donne mondiale.

Le F.M.I. doit demeurer le centre du dispositif. Son rôle dans la prévention et le traitement des crises est essentiel. Il faut lui donner de manière urgente les ressources supplémentaires dont il a besoin, c'est à dire mettre en oeuvre sans délai la décision prise à Hong Kong d'augmenter les quotes-parts. Ne pas le faire serait mettre en danger le système international.

La Banque Mondiale, pour sa part, doit jouer tout son rôle, en contact étroit avec le Fonds, en particulier dans les pays en difficulté, pour aider à la mise en oeuvre de stratégies de développement cohérentes, actives dans la lutte contre la pauvreté et prenant mieux en compte les conséquences sociales des crises lorsqu'elles surviennent.

Un " nouveau Bretton Woods ", c'est aussi disposer d'un système plus légitime. Nous devons associer plus étroitement les pays en transition, les pays émergents et les pays en développement à nos travaux. La crise financière actuelle montre que nous avons besoin aujourd'hui d'un dialogue approfondi entre tous, ainsi que d'un mécanisme de prise de décision qui donne aux marchés des signaux politiques forts et manifeste l'adhésion universelle à un système ouvert et sans exclusive. La transformation du Comité intérimaire du F.M.I. en organe décisionnel de niveau ministériel, comme ses statuts en ouvrent la possibilité, répondrait à cet objectif.

- 3 - Nous devons renforcer la solidité et la transparence du système financier mondial. Il faut pour cela développer et mieux coordonner les systèmes prudentiels et les étendre à l'ensemble des institutions financières, qu'elles soient ou non bancaires. Il faut aussi accroître l'information et sa diffusion afin d'assurer plus de transparence. Il faut enfin que les centres financiers off shore respectent les règles internationales. Nous avons oeuvré pour la mise en place de " codes de bonne conduite " dans ces domaines. Mais nous avons besoin d'être plus audacieux. Nos Ministres des Finances, en liaison avec les institutions appropriées, notamment nos banques centrales, doivent aller de l'avant.

- 4 - Nous devons ensuite nous assurer que la libéralisation internationale des mouvements de capitaux soit conduite de manière ordonnée. Elle nécessite en premier lieu une supervision efficace des systèmes financiers nationaux. Nous devons aussi, les secousses auxquelles il a fallu faire face ces derniers mois le démontrent amplement, mieux associer le secteur privé à la résolution des difficultés, dans le cadre de solutions d'ensemble négociées.

- 5 - Enfin, nous devons assurer un flux élevé d'aide publique au développement, pour limiter l'impact de la volatilité des capitaux privés et pour contrer les effets d'exclusion qui résulteraient des difficultés que rencontrent les pays les plus pauvres à réunir les conditions nécessaires au développement de l'investissement privé.

Plus que jamais, la situation actuelle nécessite une excellente information entre nous. Nos sherpas, qui se réuniront bientôt, devraient faire le point sur les possibilités de progrès rapides et concrets dans ces domaines.

Je souhaite enfin réitérer la proposition que j'avais faite à Birmingham de réunir le moment venu les Chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres titulaires et suppléants du comité intérimaire du FMI, pour consolider le système financier mondial, afin d'assurer une croissance durable au bénéfice de tous. La France serait honorée d'accueillir une telle réunion le moment venu.

Jacques CHIRAC




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