Lettre conjointe adressée à M. Tony BLAIR concernant le conseil européen des 15-16 juin 1998 à CARDIFF

Paris, Bonn, le 9 juin 1998

Monsieur le Président,

Les 15 et 16 juin prochains le Conseil européen se réunira à Cardiff sous votre présidence.

Lors de notre dernière rencontre au niveau des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, le 2 mai dernier à Bruxelles, nous avons accompli un pas historique en décidant d'introduire l'euro dans onze Etats membres.

Dans la perspective des grands défis auxquels l'Union européenne devra faire face dans les années à venir, nous sommes, avec vous et avec nos collègues, convaincus qu'il importe de faire progresser l'unification européenne et de garantir le développement de l'Union européenne ainsi que son élargissement. Les peuples de l'ancien bloc de l'est qui aspirent aujourd'hui à devenir membres de l'Union européenne ont droit à notre solidarité. Mais l'Europe ne peut faire preuve de cette solidarité que si elle est elle-même forte et dotée de structures d'action efficaces, si elle est proche du citoyen et peut compter sur son adhésion.

C'est pourquoi il nous parait important d'amorcer au Conseil Européen de Cardiff un débat ouvert et objectif sur l'état actuel du processus d'intégration européenne et ses perspectives : il s'agit en effet, à partir de l'acquis communautaire, de développer l'Union politique en harmonie avec l'Union économique et monétaire dans la perspective du prochain élargissement.

Monsieur le Président

L'Allemagne et la France entendent exposer par cette lettre de premières réflexions et suggestions communes sur les moyens d'augmenter la capacité d'action et l'efficacité de l'Union européenne et d'accroître l'adhésion des citoyens à l'Europe.

L'objectif de la politique européenne n'a jamais été et ne peut être d'édifier un Etat central européen, c'est-à-dire une Europe organisée de manière centralisée. Tous nos efforts doivent plutôt viser à créer une Union européenne forte et capable d'agir, tout en préservant la diversité des traditions politiques, culturelles et régionales.

Il convient de garantir que, dans la future Europe, les décisions seront prises le plus près possible du citoyen. Le citoyen ne peut souscrire davantage à l'Europe commune que si les processus de décision sont clairs et transparents et s'il a le sentiment que " l'Europe est là pour lui ", qu'elle aide à défendre ses intérêts. Il est donc très important de garder à l'esprit les particularités locales, régionales ou nationales lors des prises de décision.

A cette fin, il importe que le principe de subsidiarité, dont nous avons convenu dans le cadre des traités de Maastricht et d'Amsterdam qu'il doit être strictement respecté, soit appliqué de manière encore plus rigoureuse à l'avenir, en corrigeant certains développements contestables et en tenant compte des structures constitutionnelles et administratives nationales.

Le citoyen n'acceptera les décisions au niveau européen que quand il sera évident à la fois que certaines réglementations ne peuvent pas être prises de manière satisfaisante au niveau local, régional ou national, et que certaines décisions doivent absolument être prises au niveau européen dans l'intérêt des gens.

Compte tenu de la tendance de certaines institutions européennes à s'éloigner des citoyens et de leurs problèmes quotidiens, il convient d'inviter les membres du Conseil Européen à une discussion sur la mise en oeuvre pratique du principe de subsidiarité, afin de clarifier la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres et d'examiner dans quelle mesure l'actuel niveau d'intervention est le bon.

Loin d'être une renationalisation, cette clarification vise à respecter les principes d'efficacité, de proportionnalité et de proximité avec le citoyen et à corriger les excès de centralisation. Il convient à cet égard de redonner tout leur sens aux directives afin que les instances nationales disposent d'une plus grande marge de manoeuvre ans l'application des décisions européennes.

Il va de soi par ailleurs que nous devons avoir plus d'intégration dans certains domaines et en particulier dans celui de la PESC. S'agissant de la sécurité intérieure et de la justice, le Traité d'Amsterdam permet de réelles avancées et ouvre de nouvelles perspectives. Nous suggérons que les Ministres de l'Intérieur et de la Justice soient priés de présenter lors du Conseil Européen de Vienne un plan d'action pour assurer au mieux la mise en oeuvre des nouvelles dispositions.

Enfin, nous devons réfléchir aux réformes institutionnelles envisagées à Amsterdam et qui doivent faire l'objet d'un accord avant le prochain élargissement.

Pour parvenir à une Union européenne vraiment efficace et proche des citoyens, il est en effet nécessaire d'améliorer substantiellement le fonctionnement du Conseil. Il s'agit en particulier de mieux coordonner les processus décisionnels et les structures du Conseil afin d'assurer une meilleure cohérence des décisions de l'Union. De même, il conviendrait de réformer en profondeur les structures de la Commission et de ses services.

Monsieur le Président,

En tant que Chefs d'Etat et de gouvernement, il nous incombe de ne pas déléguer cette responsabilité, mais de répondre nous-mêmes à ces questions afin que l'Union européenne réussisse à maîtriser les défis qui se présentent à elle.

Lors du Conseil Européen de Cardiff, nous devrons dresser, en toute transparence et objectivité, un bilan critique de la situation actuelle de l'Union européenne et préciser la manière dont nous concevons son avenir afin qu'elle puisse assumer, au XXIème siècle aussi, sa responsabilité pour la paix, la liberté, la démocratie, la prospérité et la protection sociale dans toute l'Europe.

A cette fin, nous devrions nous entendre sur un calendrier. La nomination d'une nouvelle Commission européenne pour le début de l'an 2000 et l'élargissement qui approche sont des échéances importantes. Lors du Conseil Européen qui se tiendra à Vienne en décembre 1998, il conviendrait d'approfondir le débat sur les thèmes abordés aujourd'hui et, si possible, de tirer de premières conclusions.

Nous nous permettons, Monsieur le Président, d'informer également les autres membres du Conseil Européen de nos réflexions et suggestions.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre haute considération.

Jacques CHIRAC Helmut KOHL




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