Message de M. Jacques CHIRAC président de la République paru dans le bulletin semestriel de l'Institut International de Droit d'Expression et d'Inspiration française (IDEF)

INSTITUT INTERNATIONAL DE DROIT D'EXPRESSION

ET D'INSPIRATION FRANCAISES

bulletin

(1er semestre 1998 - n° 58)

Message de Monsieur Jacques CHIRAC

Président de la République française

Monsieur le Président,

Mesdames,

Messieurs,

C'est avec un grand plaisir que je saisis l'occasion qui m'est offerte par l'Association égyptienne des juristes francophones et l'Institut international de droit d'expression et d'inspiration françaises d'adresser un message aux juristes éminents qui participent à votre colloque.

L'amour de la langue qui unit les francophones n'est pas une simple passion esthétique. Grâce à cet instrument unique, les francophones échangent des savoirs et des expériences tout en découvrant et en mettant en forme des valeurs communes qu'ils proposent au reste du monde avec d'autant plus de succès que ces valeurs sont partagées par des peuples si variés. Ce double effort d'échange et de rassemblement est particulièrement utile dans le domaine du droit.

Certes, le droit exprime la volonté collective de chaque peuple, il ne doit donc pas viser l'uniformité. Mais on n'a cessé de vérifier, en cette fin du XXe siècle, combien le droit détermine la liberté et le bonheur des peuples, y compris sous l'angle du développement économique qui a longtemps paru relever d'une autre logique. Nous avons donc à apprendre les uns des autres parce que chacun de nos pays doit, sans relâche, améliorer ses règles de droit.

Et, par ailleurs, les francophones comme les autres, plus que les autres mêmes, savent que les hommes vivront de plus en plus dans un espace planétaire qui doit être organisé selon les règles juridiques consensuelles et qui suppose que les droits nationaux partagent des valeurs universelles. L'une des plus hautes missions des juristes francophones est de construire, à partir des traditions de nos peuples, des propositions communes susceptibles, par leur valeur propre et grâce à l'autorité morale des pays francophones de devenir des propositions universelles.

J'adresse donc, au nom de la France, mes félicitations et mes remerciements à l'Institut international de droit d'expression et d'inspiration françaises et aux associations nationales qui l'assistent, pour la détermination avec laquelle ils s'acquittent de cette noble tâche.

Le thème de votre colloque, le juge de l'administration et les droits fondamentaux, sous son apparence technique, recouvre l'un des problèmes les plus profonds auxquels la France a été confrontée, depuis la Révolution : profondément attachée aux droits de l'Homme, dont elle se considère la patrie, la France s'est aussi glorifiée d'avoir remplacé son Etat monarchique par un Etat démocratique dont les organes sont investis de la confiance du peuple souverain et admettent mal, de ce fait, que leur action en faveur de l'intérêt général puisse connaître des limites. La nécessité de respecter à tout moment les droits fondamentaux, dans une vision hâtive mais finalement assez répandue, peut apparaître comme une gêne pour un Etat qui agit au nom du peuple et pour son bien.

Vous savez comment, en ce qui concerne le respect des droits de l'Exécutif et son administration, la France a résolu le problème. S'écartant de son goût habituel pour les grandes constructions, elle a fait l'expérience d'une approche particulièrement pragmatique, ce qui prouve que le pragmatisme, mot si souvent associé à l'univers anglo-saxon, est aussi un vocable francophone...

L'édifice, lentement construit, de l'ordre administratif de juridictions, a fourni à la France un savoir-faire exceptionnel en matière de contrôle de l'Etat ; il a donné aux juristes français une habitude suffisante de la soumission de l'Etat démocratique au droit, pour que la Ve République passe à une autre étape, qui aurait paru incontournable à nos pères, celle qui a vu le parlement lui-même et la loi, expression souveraine de la volonté générale, soumis à un juge. Le Conseil constitutionnel, pour l'essentiel, vérifie que la loi respecte les droits fondamentaux.

Le chemin emprunté par la France est particulier et chaque pays doit suivre le sien. Nos institutions de contrôle peuvent sembler complexes, notamment la dualité des ordres de juridiction, mais la capacité, l'indépendance, le courage de résister au puissant appareil d'Etat sans lui ôter ses moyens d'agir ne se décrétait pas, et l'on ne touche pas sans hésitation à quelque chose qui fonctionne tout en conservant une part de mystère qui, peut-être, ont une part essentielle.

Pour conclure, je souhaite dire aux juriste égyptiens, qui sont aujourd'hui vos hôtes, combien j'apprécie que ce colloque se tienne dans leur pays, auquel la France voue une profonde amitié. Il est réconfortant que les juristes francophones puissent lui apporter ce témoignage d'affection.

Je souhaite un plein succès à vos travaux.

Jacques CHIRAC




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