Message de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Parlement

Message de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, adressé au Parlement.

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Paris le 19 mai 1995.


Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

A l'heure où je vais assumer le mandat que le peuple français m'a confié, je souhaite m'adresser à la représentation nationale. Qu'elle y voie la marque de ma confiance dans le Parlement auquel je m'honore d'avoir appartenu pendant de longues années. Qu'elle y trouve l'illustration de la haute idée que je me fais de son rôle au sein d'une démocratie toujours plus vivante et toujours plus forte. A mes yeux, chacune et chacun d'entre vous, qui représentez notre peuple, avez une mission et une responsabilité éminentes dans l'oeuvre que nous avons à accomplir et tout particulièrement dans la lutte contre ce cancer de notre société qu'est le chômage.

La Constitution de la Ve République, après presque 37 ans d'existence, a témoigné de ses vertus. Si l'on excepte la IIIe République, c'est le dispositif institutionnel qui, depuis 1789, a offert le cadre le plus long à notre vie publique.

Cette durée, cette permanence, l'adhésion qu'elles suscitent auprès des Français, nos institutions les doivent à l'organisation originale et équilibrée des pouvoirs, voulue par le Général de Gaulle. Le Président de la République incarne la continuité du pays, le Gouvernement conduit la politique de la Nation, le Parlement, expression politique du suffrage universel, légifère, contrôle et débat des grandes orientations de la Nation.

Contrairement aux craintes qui se sont parfois manifestées, nos institutions ont fait la preuve qu'elles étaient à même d'assurer la continuité de l'action politique et, à travers celle-ci, celle de l'Etat, sans laquelle rien de grand n'est possible. Permettant l'alternance, quand le peuple l'a voulu, elles ont créé les conditions de la stabilité et favorisé un apaisement progressif de notre vie politique.

En témoigne, devant notre pays, la façon dont s'est opérée la transition d'un septennat à l'autre. Les chefs d'Etat rassemblés pour les cérémonies du 8 mai ont eu sous les yeux la vivante illustration de notre continuité républicaine. Ce qui s'est passé n'a pas manqué de les impressionner et je tiens à rendre hommage au Président François Mitterrand qui a voulu qu'il en soit ainsi.

Pour autant, notre démocratie demeure perfectible.

Au cours du grand débat national qui vient d'avoir lieu, nous avons tous constaté qu'à la fracture sociale s'ajoute aujourd'hui une distance croissante entre le peuple et ceux qui ont vocation à le représenter.

Les causes en sont multiples.

La confiance des citoyens dans leurs dirigeants s'affaiblit lorsque le chômage et l'exclusion ne peuvent être endigués. Relever ce grand défi est, pour nous tous, une priorité absolue.

De surcroît, au-delà même de la dérive morale de certains comportements individuels, l'influence croissante d'un pouvoir technicien, le foisonnement des lois et des règlements, l'insuffisante clarté dans l'exercice des compétences des différents acteurs publics, peuvent expliquer l'incompréhension du citoyen et la moindre efficacité des politiques conduites.

Cette distance entre le peuple et ses représentants doit impérativement être réduite. Il en va de notre cohésion nationale et de notre capacité à réformer la société française.

A nous, donc, de rétablir le primat du politique en même temps que le respect pour la politique. A nous de rendre tout son sens à la citoyenneté.

La citoyenneté est la valeur clé de la République. Elle conditionne les autres : l'égalité des chances, c'est-à-dire l'égalité devant l'éducation, devant l'impôt, devant le service public, devant la santé, devant la sécurité ; le droit à une activité, à une responsabilité, à une place dans la société ; la juste récompense du mérite ; la tolérance, la laïcité, l'intégration et la solidarité ; l'intérêt général qui prévaut sur les intérêts particuliers.

L'Etat républicain doit être, plus que jamais, le garant de ces valeurs.

Je veux un Etat vigoureux, impartial, exigeant pour lui-même et soucieux de la bonne utilisation des deniers publics. Un Etat proche du peuple, de ses attentes, de ses espérances.

Encore faut-il assurer un juste équilibre des pouvoirs. Dans bien des démocraties, cet équilibre a été compromis au profit des exécutifs.

Cette évolution s'explique et peut se justifier par la complexité croissante des problèmes, leur dimension internationale, la nécessité de prendre des décisions rapides, la recherche de l'efficacité dans un monde en mouvement.

Il n'empêche. Un nouvel équilibre est nécessaire. Afin de l'assurer, la priorité qui s'impose est claire : il faut remettre le Parlement à sa vraie place, une place centrale, permettant de restaurer les liens entre les citoyens et leurs dirigeants.

Nous souffrons d'un déficit démocratique. L'affaiblissement du débat public nourrit la défiance d'un grand nombre de nos concitoyens à l'égard de la classe politique. Le Parlement doit redevenir le lieu privilégié et naturel du débat politique.

En ce qui concerne votre mission législative, je crois utile d'opérer un véritable changement de méthode. Trop de lois tuent la Loi. L'une des conquêtes de la République est la publicité de la Loi : les citoyens doivent connaître leurs droits et leurs devoirs. Aujourd'hui, l'inflation normative est devenue paralysante. Il faut mettre un terme à cette situation qui pénalise les plus faibles et entrave l'esprit d'entreprise au seul bénéfice de spécialistes qui font écran entre le citoyen et le droit. Ce doit être votre préoccupation constante, comme celle du gouvernement, pour les textes nouveaux. Quant aux dispositions existantes, une remise en ordre s'impose, par un exercice général de codification et de simplification des textes, afin qu'ils soient rendus accessibles, et que, dans leur partie législative, ils se bornent à régler l'essentiel. J'invite le Parlement à s'atteler à cette tâche dont il vous reviendra de définir les voies et les moyens.

Dans mon esprit, cette réforme de grande ampleur devra déterminer les principes qui fondent la société française et organiser notre droit autour d'eux.

Cet effort serait inutile si nous ne rompions pas définitivement avec des pratiques qui affaiblissent l'autorité de la Loi. C'est pourquoi je demanderai au gouvernement de ne soumettre au Parlement aucun projet de loi qui ne soit accompagné d'une évaluation permettant d'apprécier les conséquences, tant financières que pratiques, des textes présentés, pour les citoyens comme pour les entreprises. Dans tous les cas, cette étude d'impact devra mesurer l'effet sur l'emploi de toute mesure envisagée.

Je demanderai en outre au Gouvernement d'entreprendre un vaste effort de simplification administrative qui se traduira par l'élaboration d'une Charte du Citoyen fondée sur quelques principes simples : l'amélioration des conditions d'information et d'accueil, la reconnaissance des droits nouveaux, tels le respect des délais et la qualité du service rendu. Je sais pouvoir compter sur l'engagement des administrations et sur leur sens du service public. La mission de contrôle qui est la vôtre inspirera, j'en suis sûr, des propositions qui seront accueillies avec le plus grand intérêt.

Pour ce qui est des finances publiques dont le contrôle constitue la tâche principale du Parlement, les moyens d'action dont disposent les assemblées devront être renforcés. Les gouvernements successifs ont toujours voulu faire de la maîtrise des déficits l'une des priorités de leur action. La dérive persistante de nos équilibres financiers n'a cependant pas été enrayée. Si la volonté ne manquait pas, c'est donc la méthode qui n'était pas la bonne. Je souhaite que la maîtrise de nos finances publiques, condition de notre indépendance et de notre capacité à lutter contre le chômage, soit placée sous le contrôle du Parlement qui, historiquement, avait trouvé dans cette mission sa première raison d'être.

C'est pourquoi j'invite les assemblées à rechercher la meilleure adéquation entre le coût et l'efficacité des dépenses, à charge pour elles de se doter des moyens qu'elles estiment nécessaires.

A vos trois fonctions traditionnelles, s'ajoute aujourd'hui celle qui résulte de la construction européenne. Les premières ont évolué. La quatrième est nouvelle. Il devient difficile pour vous de faire face à ces missions : contraintes d'organisation du calendrier de vos travaux, concentration abusive des séances, recours trop fréquent à des séances tardives, insuffisance du contrôle de l'action gouvernementale, notamment pendant les intersessions, excessive précipitation dans l'examen des textes en fin de session. Pour ce qui est de la construction de l'Europe, pour laquelle votre champ d'investigation est appelé à s'étendre, les travaux du Parlement ne correspondent pas au rythme du fonctionnement des instances européennes.

Je le sais, vous avez déjà eu le mérite d'adapter vos règlements avec le souci de rechercher une plus grande efficacité. Mais l'effort de rénovation que vous avez entrepris dans vos méthodes de travail a sans doute atteint ses limites. Il apparaît désormais qu'une nouvelle organisation du rythme des sessions, condition du bon ordre et de l'efficacité de votre action, s'avère souhaitable, comme le montre la multiplication, au cours de ces dernières années, des sessions extraordinaires.

Après m'en être entretenu avec le Premier ministre et ayant consulté à ce sujet le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée nationale, je souhaite vous soumettre sans délai un projet de loi constitutionnelle tendant à étendre le champ d'application du référendum prévu par l'article 11 de la Constitution, et à apporter les modifications nécessaires pour organiser une session unique du Parlement.

Il vous reviendra ensuite d'en tirer tout le parti possible pour le meilleur ordonnancement de vos travaux.

Dans le même esprit, le gouvernement, sans qu'il soit porté atteinte à ses prérogatives, organisera ses rapports avec vous de manière à vous permettre d'exercer l'intégralité de vos compétences. Le concours du Parlement, et plus particulièrement son contrôle de l'action gouvernementale, doivent être considérés par l'exécutif non comme une contrainte mais comme une chance de mieux répondre aux aspirations des citoyens.

Ainsi modernisé, renforcé dans ses moyens, reconnu dans ses missions, le Parlement prendra toute sa part dans les combats majeurs de demain : l'emploi, le renforcement de la démocratie, le renouveau de la France.

Jacques CHIRAC





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