Interview accordée au Frankfurter Allgemeine Zeitung à l'occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome.

Interview de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, accordée au quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung à l'occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome.

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Palais de l'Élysée, Paris, le vendredi 23 mars 2007

QUESTION - Quelle a été la signification du Traité de Rome pour l'Europe et pour le monde ?

LE PRESIDENT - Au cœur du projet européen, il y a la mémoire. Mémoire des "guerres civiles européennes" qui par deux fois ont conduit le monde à la catastrophe. Mémoire des millions de victimes de la Shoah, des totalitarismes, mémoire des destructions infligées à notre continent, de la souffrance des peuples d'Europe centrale et orientale emprisonnés derrière le rideau de fer.

Le Traité de Rome marque une rupture décisive avec un passé de guerre et d'oppression, la victoire des valeurs les plus hautes de l'Europe, le commencement d'une des œuvres les plus importantes de l'histoire contemporaine. Nous devons être fiers d'avoir réalisé ensemble l'idéal d'une Europe réconciliée qui a enraciné sur tout le continent la paix, la démocratie, les droits de l'homme et le progrès social, qui fait de l'Europe un modèle et une force de paix, de stabilité et de progrès humain dans le monde.

QUESTION - Quel a été l'effet de la signature du Traité pour votre pays à l'époque ?

LE PRESIDENT - Avec de grandes figures comme celles de Jean Monnet, de Robert Schuman, la France a apporté une contribution décisive à l'élaboration du Traité. Je me souviens que pour nous, en des temps difficiles et incertains, sa signature a constitué un message d'espoir et de confiance.

Surtout, la réconciliation franco-allemande, œuvre du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, a constitué la pierre angulaire de l'édifice. La relation singulière entre nos deux pays et nos deux peuples est, aujourd'hui comme hier, le moteur de la dynamique européenne. Il est de la responsabilité des dirigeants allemands et français de l'entretenir. Cela a été mon souci constant à travers les liens d'amitié et de confiance que j'ai noués avec le Chancelier KOHL, le Chancelier SCHROEDER et la Chancelière MERKEL. Tout doit être fait pour que vive cette relation si particulière, indispensable au bon fonctionnement de l'Europe.

QUESTION - Quelle importance accordez-vous à l'intégration européenne pour votre pays aujourd'hui ?

LE PRESIDENT - Célébrer à Berlin le cinquantenaire du Traité de Rome, c'est d'abord un magnifique symbole de la réunification de l'Allemagne et de l'Europe !

L'aventure européenne ne fait que commencer. Sa poursuite est vitale.

Vitale pour garantir la paix et la démocratie face aux résurgences toujours possibles du nationalisme, du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme, face à la tentation du repli sur soi.

Vitale pour relever les défis de ce siècle. Le défi écologique, et je me réjouis que l'Europe affirme son leadership mondial dans la lutte contre le changement climatique. Le défi économique et industriel, pour que nous restions à l'avant-garde des puissances économiques. Le défi de la solidarité avec l'Afrique, de l'élimination de la pauvreté dans le monde et son corollaire, la maîtrise des flux migratoire. Le défi du dialogue des cultures, face au péril du choc des civilisations. Le défi du monde multipolaire, où l'Europe doit prendre ses responsabilités pour la paix et pour l'affirmation de ses valeurs.

Pour relever ces défis, la seule réponse c'est une Europe puissante, forte de sa diversité et de sa cohésion sociale, tournée vers l'innovation, une Europe assumant avec détermination sa vocation politique.

J'ai veillé à ce que la France apporte toujours sa contribution à cette ambition, marquée ces douze dernières années par la réalisation de l'euro, l'heureuse réunification de notre continent, la mise en place de l'Europe de la défense, le renforcement de l'Europe de la sécurité, les premiers pas de Europe de l'écologie.

Je regrette évidemment que nous n'ayons pu mener à bien la réforme institutionnelle qui s'impose. Mais les bases sont solides et l'expérience m'a enseigné que la construction européenne, c'est l'histoire de crises apparemment insolubles et pourtant surmontées.

Je souhaite que le 25 mars, à Berlin, les peuples d'Europe prennent la mesure de l'extraordinaire succès que constitue l'œuvre commune. Que cette commémoration soit l'occasion d'un message de confiance, d'optimisme et d'espoir pour tous. Qu'ils se souviennent que ce qui les rassemble est capital, qu'ils ont en main, avec une Europe riche de la variété de ses nations, tous les atouts pourvu qu'ils sachent toujours faire prévaloir l'esprit de concorde et de fraternité.





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