Interview du Président de la République à la chaîne américaine "CNN".

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la chaîne américaine "CNN".

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Palais de l'Elysée - difusée le 18 septembre 2006.



QUESTION - Monsieur le Président, merci de nous rejoindre aujourd'hui sur CNN. Vous avez dit, dans une lettre adressée au peuple américain le 11 septembre, que vous souhaitiez exprimer la solidarité et l'amitié du peuple français au peuple américain. Est-ce que cela signifie que vous-même et le Président BUSH êtes d'accord, à l'heure actuelle, en matière de politique étrangère ?

LE PRESIDENT - Je voudrais tout d'abord vous souhaiter la plus cordiale des bienvenues et vous remercier. Nous sommes au lendemain du cinquième anniversaire du 11 septembre, et je voudrais redire la très profonde solidarité du peuple français à l'égard du peuple américain, qui a été traumatisé par les évènements de ce jour-là. L'horreur qui nous a saisis est durable et profonde. Je voudrais exprimer cette solidarité, très profondément, au peuple américain et au Président BUSH.

Sur la politique étrangère, on a souligné que nous avions eu des divergences de vues sur certains problèmes. Cela a été vrai, en particulier sur l'Irak. Je ne l'ai pas caché, et lui non plus. Mais, dans l'ensemble, il y a une vraie solidarité. C'est vrai dans la plupart des conflits auxquels le monde est exposé actuellement, sur lesquels nous avons des analyses communes avec les Américains et avec le Président BUSH. Je me réjouis beaucoup de le rencontrer mardi prochain, à New York, justement pour faire le point sur les problèmes du Proche-Orient et de l'Afrique, notamment du Darfour, qui lui tiennent beaucoup à cœur, je le sais, tout comme à moi.

QUESTION -Monsieur le Président, la France est apparemment sur la liste des cibles d'Al Qaïda, d'après ce que l'on a entendu la semaine dernière. Y a-t-il un risque qu'un rapprochement avec la politique américaine soit à l'origine de ces menaces ?

LE PRESIDENT - Je crois, d'abord, que nous ne connaissons pas la réalité des situations ; ensuite, le terrorisme peut frapper tout le monde, et à tout moment. D'où la nécessité d'avoir une solidarité complète, notamment de la part des nations occidentales, pour lutter ensemble contre le terrorisme. Je ne pense pas que soient plus visés que d'autres, mais nous devons tous, sans exception, être extrêmement vigilants et coopérer très fortement.

QUESTION - Vous avez parlé du Darfour, vous croyez évidemment au multilatéralisme, aux Nations unies et à leur capacité à résoudre les problèmes. Pourquoi le monde, selon vous, n'a-t-il pas pu agir de façon concertée pour empêcher que la situation au Darfour ne devienne un drame ?

LE PRESIDENT -Le Darfour est, déjà, devenu un drame. Et ce drame est en train de s'amplifier. J'ai les plus grandes craintes. Nous sommes maintenant à la fin de la saison des pluies, les gens vont commencer à retrouver la possibilité de se déplacer et je crains beaucoup que nous ayons des millions de déplacés et peut-être encore des centaines de milliers de morts, comme nous en avons déjà eus. C'est la raison pour laquelle, je le dirai à New York, j'appelle solennellement, et je suis à cet égard tout à fait sur la même ligne que le Président BUSH, l'ensemble des pays, et notamment le Président du Soudan, à accepter la médiation de l'ONU. C'est-à-dire le remplacement des forces africaines actuelles, qui ne peuvent pas rester beaucoup plus longtemps, par une force de l'ONU, d'environ 20 000 hommes, qui pourrait probablement apporter une solution à ce dramatique problème.

QUESTION - Certains, aux Etats-Unis, disent que c'est encore la preuve que le multilatéralisme ne peut pas fonctionner, car les choses prennent trop de temps···

LE PRESIDENT - L'expérience prouve que, quand le multilatéralisme a des difficultés, il n'y a pas d'autres solutions. Je ne vois pas d'autre solution. Evidemment, on pourrait imaginer que tel ou tel pays aille faire sa guerre tout seul. Ce n'est pas envisageable. Personne n'y pense. Donc, il n'y a pas d'autre solution que le multilatéralisme. C'est la conscience et l'efficacité du monde. Et cela s'exprime au travers de l'ONU.

QUESTION - Cette semaine, Monsieur le Président, vous avez reçu un émissaire spécial du Président iranien. Quel était son message ? Est-ce que l'Iran essaie de diviser les gouvernements occidentaux ?

LE PRESIDENT - L'Iran a engagé, depuis très longtemps, des processus que nous estimons condamnables. Aujourd'hui, il est indispensable de sortir de cette difficulté, en refusant le danger de la prolifération. Les trois Européens, l'Allemagne, l'Angleterre et la France, suivis ensuite par les Russes et les Chinois et, enfin, par les Américains, qui étaient naturellement informés et positifs dès l'origine, sur cette démarche, ont décidé de faire des propositions à l'Iran. Ces propositions n'ont pas fait l'objet d'un accord spontané, mais elles ont fait, en revanche, l'objet de discussions. Nous avons aujourd'hui, d'une part, M.SOLANA, qui s'exprime au nom des six pays, et puis le représentant de l'Iran, M. LARIDJANI. Je suis convaincu que seul le dialogue peut permettre d'arriver à un résultat positif. J'espère, pour ma part, que nous arriverons à une solution qui nous permettra d'éviter un conflit, quelle qu'en soit la nature.

QUESTION -Est-ce que l'émissaire du Président iranien vous a donné des raisons d'espérer que les Iraniens s'intéressent à un dialogue plus pragmatique ?

LE PRESIDENT - Je l'espère. J'ai interprété ses propos dans un sens plutôt positif. J'en ai naturellement rendu compte à tous nos partenaires.

QUESTION -Monsieur le Président, jusqu'où la France serait-elle prête à aller pour empêcher que l'Iran ait accès à l'arme nucléaire : des sanctions, une action militaire ?

LE PRESIDENT -Je suis, vous le savez, toujours favorable à une solution négociée. Je pense que le dialogue a encore toutes ses chances et, par conséquent, je souhaite que l'on aille au terme du dialogue. Ensuite, nous verrons s'il y a lieu d'en tirer quelque autre conséquence. Je souhaite que le dialogue permette de sortir de cette crise.

QUESTION - Le Président BUSH a dit vendredi dernier qu'il ne rencontrerait pas le Président iranien lorsqu'il viendrait à New York. Est-ce que c'est une occasion ratée, selon vous, est-ce qu'il devrait le rencontrer, le recevoir ?

LE PRESIDENT - Je n'ai, dans ce domaine, aucun conseil, aucune suggestion à faire au Président BUSH. Le Président iranien a eu, il faut le reconnaître, des propos qui sont difficilement acceptables pour un certain nombre de pays, de la communauté internationale, notamment ses propos à l'égard d'Israël.

QUESTION - Vous savez que le Président BUSH a décidé de bloquer les accès des Iraniens à des fonds détenus par les banques aux Etats-Unis. Est-ce que vous seriez prêt à coopérer à cela ?

LE PRESIDENT - Je n'ai aucune observation à faire sur la politique américaine dans ce domaine. Ce que je dis, et ce que je répète, c'est que l'Iran est une grande nation, avec une grande tradition historique, une grande culture, et que nous devons avec elle pousser jusqu'à son terme, jusqu'à sa réussite, le dialogue. Le dialogue est indispensable pour régler le problème auquel nous sommes confrontés, et que nous ne pouvons pas accepter.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé du Moyen-Orient. Les troupes françaises sont arrivées cette semaine avec des chars au Sud Liban. Ils sont en train de se déployer à l'heure actuelle. A votre avis, et de façon réaliste, que peuvent faire ces troupes françaises ? Est-ce qu'elles peuvent empêcher le Hezbollah ou Israël de s'attaquer ?

LE PRESIDENT - D'abord, la France n'est pas seule. Vous parlez des troupes françaises, mais les principales nations européennes sont présentes dans la FINUL réorganisée et renforcée. Mais les Européens ne sont pas seuls non plus. Nous avons, en particulier, la plupart des pays asiatiques, musulmans ou non musulmans, y compris la Chine. Nous avons également la Russie. Et l'ensemble de cette communauté internationale est tout à fait déterminée à assumer les fonctions que la FINUL rénovée doit exercer. C'est-à-dire s'assurer qu'il n'y ait pas d'attaque des uns vis-à-vis des autres et réciproquement. Et que le gouvernement libanais, par ses forces, puisse assumer son autorité sur la totalité de son territoire, dans la mesure où il n'y pas d'Etat libre et indépendant si le gouvernement démocratiquement élu n'exerce pas son autorité sur l'ensemble de son territoire. Ce qui donne une vocation naturelle au Hezbollah à s'exprimer dans le cadre d'un parti politique, dans le cadre de l'action politique. Mais ce qui exclut l'existence de milices. C'est l'un des problèmes qui doivent être résolus.

QUESTION - Et sur la question justement du Liban, Monsieur le Président, certains de vos partenaires européens pensent que le France a tort de ne pas inclure la Syrie dans l'équation, de prendre ses distances par rapport à la Syrie. Serait-il possible, à votre avis, d'avoir un dialogue avec les Syriens ? Ils sont partie-prenante de plain pied dans ce qui ce passe au Liban, n'est-ce pas ?

LE PRESIDENT - Nos amis européens, enfin ceux auxquels vous faites allusion, je comprends parfaitement leur motivation. Peut-être n'ont-ils pas tout à fait une expérience suffisante des rapports avec la Syrie. La France en a toujours eus, mais n'a pas toujours été payée de retour.

QUESTION - Laissez-moi vous poser une question sur une étude faite récemment. La France et les Etats-Unis ont toujours séparé l'Etat et l'Eglise, et certains ont dit, ici, qu'il y avait trop de composantes religieuses dans la politique américaine, et en particulier la politique étrangère américaine. Qu'en pensez-vous, Monsieur le Président ?

LE PRESIDENT - Je ne me permettrais certainement pas de faire un commentaire sur la part de la religion aux Etats-Unis, ou dans la politique américaine. Nous avons un principe en France qui est la séparation entre la religion et l'Etat. C'est un des principes fondamentaux de la République française. C'est la laïcité.

QUESTION - Puis-je vous poser une autre question, Monsieur le Président cela vous énerve-t-il ou vous irrite, que votre ministre de l'Intérieur, ait fait des déclarations qui vous critiquent directement sur la façon dont vous gérez la relation transatlantique, alors qu'il se trouvait à New York ?

LE PRESIDENT - Vous savez, il est tout à fait naturel qu'un homme politique français qui se trouve être, aussi, le président d'un grand parti politique français, un parti qui, de surcroît, a toutes ma sympathie, fasse des commentaires. Vous faites allusion à l'Irak. J'ai pris une position sur l'Irak, et je dois dire que la réalité des choses ne me dément pas, a proprement parler. Je reste très pessimiste sur l'Irak, et sur l'avenir de l'Irak.

QUESTION - Je pense que vous avez surpris un certain nombre de personnes le 14 juillet, Monsieur le Président, et en particulier les analystes, les politologues, lorsque vous avez dit que vous n'aviez pas encore décidé, si vous alliez vous présenter à nouveau aux élections présidentielles. Est-ce que vous pensez que s'il y avait une crise mondiale, le monde se tournerait vers vous, les yeux du monde seraient braqués sur vous ?

LE PRESIDENT - Je ne ferai aucun commentaire sur ce point. J'ai dit de la façon la plus claire qu'il ne fallait pas mélanger les temps. Dans une démocratie, Il y a le temps de la campagne présidentielle. Et il y a le temps de la gestion quotidienne. Le gouvernement doit assumer la gestion quotidienne, sous ma responsabilité et mon autorité. Je suis très attentif à ce qu'il le fasse. Le moment venu, et je l'ai dit, au premier trimestre de l'année prochaine, s'ouvrira la campagne présidentielle. A ce moment là, chacun, à commencer par moi, dira ce qu'il entend faire. Je ne veux pas qu'on préjuge de la campagne. Nous avons beaucoup de choses à faire. C'est pour cela que le gouvernement à été nommé, et non pas pour faire la campagne.

QUESTION - Lorsque CNN vous a interviewé, il y a trois ans, c'est-à-dire juste avant la guerre du Golfe, vous aviez dit que vous aviez prévenu le Président BUSH que l'entrée en Irak serait une erreur. Vous aviez dit que, si vraiment guerre il devait y avoir, il faudrait essayer de limiter les dégâts et les destructions. Trois ans plus tard, quel serait votre message au Président BUSH sur ce thème ?

LE PRESIDENT - Ce n'est pas la peine de revenir indéfiniment sur le passé. Nous apportons aujourd'hui notre soutien à l'ambition du Premier ministre irakien de sortir des difficultés actuelles. Je ne suis pas sûr que l'on puisse vraiment en sortir, en tout cas tant qu'il n'y aura pas un objectif connu des Irakiens pour ce qui concerne le départ des forces étrangères.

QUESTION - Est-ce que la France peut aider les Etats-Unis en Irak, ou à sortir d'Irak ?

LE PRESIDENT - Si le Président BUSH me pose des questions sur ce sujet, il sera certainement le bienvenu, je lui répondrai.

QUESTION - Quel seraient vos conseils, s'agissant de l'Irak ?

LE PRESIDENT - Je crois qu'il faut maintenant être très attentif à ne pas faire exploser l'Irak. Il faut essayer de donner une priorité absolue à la cohésion intérieure irakienne. C'est ce que souhaite le Premier ministre irakien, et ce n'est pas facile. Il faut donner un espoir aux Irakiens, un espoir qui leur permette de penser que, aussi rapidement que possible, ils seront libres et indépendants dans leur pays.

QUESTION - Monsieur le Président, merci infiniment de nous avoir rejoints sur CNN.

LE PRESIDENT - Je vous remercie.





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