Interview du Président de la République au mensuel "Les nouvelles d'Arménie"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au mensuel "Les nouvelles d'Arménie"

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Publiée le 28 septembre 2006


QUESTION - Pouvez-vous nous dire en quelques mots sur l'histoire de l'initiative de l'année de l'Arménie en France ? Comment est-elle née ? Pourquoi l'Arménie ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord saluer tous nos compatriotes, qui par l'histoire ou le sentiment, sont unis à l'Arménie. Je leur adresse un message d'amitié. L'idée d'organiser une « saison culturelle arménienne en France » s'est tout naturellement imposée en raison des liens si forts qui unissent nos deux pays. Nous en avons définitivement arrêté le principe au printemps 2004 lors de la visite du Président Kotcharian à l'occasion du 80éme anniversaire de notre ami Charles Aznavour.

Au long de cette année, avec le concours des institutions les plus prestigieuses de nos deux pays, ce sont plus de quatre cents manifestations qui se dérouleront à travers toute la France. À travers elles, c'est l'Arménie de toujours et l'Arménie d'aujourd'hui qui viendra à la rencontre du grand public français.

Nous avons voulu aussi que cette année soit un moment privilégié pour les Français d'origine arménienne qui vivent pleinement leur appartenance à leur communauté nationale et leur fidélité à la culture de leurs pères. Ce sera tout le sens de la visite d'Etat que j'effectuerai en Arménie, accompagné de nombreux d'entre eux, à l'occasion du lancement d' "Arménie, mon amie".

QUESTION - Nous avons appris l'agréable nouvelle de votre intention de visiter l'Arménie. Que cela évoque-t-il pour vous ?

LE PRÉSIDENT - Le mot qui vient le plus naturellement à l'esprit est certainement émotion. Dans le cœur de tous les français, comme celui de leur Président, le nom d'Arménie fait jaillir les images, réveille les sentiments, les amitiés.

Faire le voyage en Arménie, n'est pas une chose banale. C'est aller à la rencontre d'un lieu qui vit sans doute la genèse du monde, c'est aller à la rencontre d'une des premières et plus grande civilisations indo-européenne, c'est enfin aller à la rencontre d'un peuple ami de la France depuis des siècles et dont les Français connaissent le destin tourmenté. Vous comprendrez et, j'en suis convaincu, partagerez mon émotion.

QUESTION - Comment évaluez-vous l'évolution de l'Arménie qui va fêter cette année le 15ème anniversaire de son indépendance ?

LE PRÉSIDENT - L'Arménie est une très ancienne civilisation et une très jeune démocratie. Notre relation est placée sous le signe de l'amitié. Nous connaissons les contraintes de l'Arménie, comme celles de tous les pays qui sont engagés dans la transition entre l'ordre ancien et la démocratie pluraliste que les peuples appellent de leurs vœux.

Parce que la France est l'amie de l'Arménie, elle veut l'accompagner dans son processus de modernisation politique, elle veut l'aider à bâtir un Etat de droit garant des libertés publiques. A l'occasion de mon déplacement en Erevan, c'est un message de confiance dans la capacité de l'Arménie à mener à bien le processus de réformes politiques, économiques et sociales dans laquelle elle est engagée que je veux porter.

QUESTION - Vous vous êtes à plusieurs reprises personnellement engagé en faveur de la sauvegarde du patrimoine arménien, en particulier le site d'Ani (Turquie) capitale médiévale d'Arménie. Attendez-vous de cette année de l'Arménie des retombées positives sur ce domaine ?

LE PRÉSIDENT - Le patrimoine culturel est le bien le plus précieux des peuples. C'est pour cela que la France s'est engagée dans le combat pour la protection de la diversité culturelle. C'est pour cela que je me suis engagé pour la préservation du patrimoine arménien en Turquie, et particulièrement pour la protection du site grandiose d'Ani près de Kars.

C'est également le sens de la saison culturelle arménienne, qui doit être l'occasion de faire connaître au public français la richesse du patrimoine culturel arménien.

Je forme le vœu que cette meilleure connaissance favorisera également une meilleure préservation du patrimoine associé à l'histoire arménienne dans les différents pays qui ont la chance d'en être les dépositaires et qui ont tout à gagner à en valoriser l'héritage.

QUESTION - Monsieur le Président, nous connaissons votre implication personnelle dans le processus du règlement du conflit du HK. Pensez-vous qu'on peut être encore optimiste et espérer que les parties pourront arriver à un accord et mettre un début à la solution de ce conflit ?

LE PRÉSIDENT - Je me suis engagé personnellement dans le processus de règlement du conflit du Haut-Karabagh parce que je connais les souffrances qu'il a engendré, parce que la paix est le seul moyen de bâtir un avenir de démocratie et de prospérité pour l'ensemble des peuples de la région.

Plusieurs fois, à Paris, à Key West, à Rambouillet, j'ai vu la paix à la portée de la main. Les temps n'étaient pas encore mûrs. Aujourd'hui, les propositions des co-présidents du Groupe de Minsk me semblent honnêtes, équilibrées et raisonnables. Je forme le vœu qu'à Erevan, comme à Bakou, on est l'audace de la paix. Aujourd'hui, les Etats du G8, la communauté internationale sont prêts à garantir un accord de paix. Qu'en sera-t-il demain ? Ne laissons pas passer cette chance.

QUESTION - Il y a environ 500 000 citoyens français qui ont une origine arménienne. Quel regard porte le Président sur cette communauté ?

LE PRÉSIDENT - Les Français d'origine arménienne sont les dignes filles et fils de la République. Français à part entière, pour beaucoup d'entre eux depuis plusieurs générations, ils sont représentatifs de notre société dans sa diversité politique, professionnelle··· Leur seul trait distinctif est souvent leur patronyme et cet attachement sincère, viscéral à la terre sacrée de l'Arménie, qui a vu naître l'un ou plusieurs de leurs aïeux. Ils sont à cet égard un lien indispensable pour faire vivre la relation singulière entre l'Arménie et la France.

QUESTION - Quelle est la position de la France en matière de l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union Européenne ? La France va-t-elle insister sur l'ouverture des frontières avec l'Arménie et la reconnaissance du génocide arménien ?

LE PRÉSIDENT - Vous le savez, je pense que la perspective de l'adhésion à l'Union européenne est un élément essentiel pour garder la Turquie sur la voie de l'ancrage à l'occident dans laquelle elle a fait le choix de s'engager. L'adhésion elle-même suppose le respect de critères, l'adoption de réformes. C'est un chemin exigeant, long et difficile. Ma conviction est que l'intérêt de l'Union européenne, comme de l'Arménie, est de voir la Turquie pencher du côté de nos valeurs, de notre conception des droits de l'Homme, de la paix, de la démocratie.

J'ai plaidé à plusieurs reprises auprès des autorités turques pour l'ouverture des frontières. Il est clair cependant qu'un lien très fort a été établi sur cette question avec le règlement du conflit du Haut Karabagh et qu'une avancée dans son règlement aurait un impact décisif sur cette question. Je vous l'ai dit. Je crois aujourd'hui que c'est possible.

S'agissant du génocide arménien perpétré par l'Empire ottoman, l'Europe c'est d'abord un effort de réconciliation, de paix, de respect et d'ouverture aux autres. Un effort qui s'est traduit toujours et partout, par un effort de mémoire. Même si c'est un processus long et difficile, j'ai confiance dans la capacité de la Turquie à mener ce devoir de mémoire à son terme, car l'enjeu c'est l'esprit même de la construction européenne.

QUESTION - Dans quelles circonstances avez-vous été amené à connaître pour la première fois l'Arménie et les Arméniens. Avez-vous des amis arméniens ? Pourriez-vous en citer quelques uns ?

LE PRÉSIDENT - Presque un français sur cent à des origines arméniennes ! Dans presque toutes les étapes de ma vie, j'ai rencontré des français d'origine arménienne à l'école, à l'armée ··· plus tard des diplomates, des hommes politiques···

Alors parmi les noms les plus connus, il y a bien sur nos ami Charles Aznavour et Levon SAYAN que je connais depuis très longtemps, mais aussi Iouri Djorkaeff que j'ai rencontré à l'occasion de la coupe du monde de 1998 et qui me fera l'amitié de m'accompagner en Arménie. Vous savez également que l'Arménie est représentée à Paris par un excellent Ambassadeur en la personne d'Edward Nalbandian.

QUESTION - En conclusion, quel serait votre message au moment du lancement de cette année qui va constituer un événement exceptionnel dans l'histoire déjà longue des relations entre l'Arménie et la France ?

LE PRÉSIDENT - "Arménie, mon amie", je forme le vœu que cette année renforce encore l'amitié séculaire entre l'Arménie et la France.

Je forme le vœu que de nombreux français viennent découvrir l'âme de ce pays, de ses paysages, de ses monastères, de sa culture et de sa convivialité.

Je forme le vœu que notre amitié contribue à permettre aux espoirs des Arméniennes et des Arméniens de se réaliser.





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