Interview du Président de la République au quotidien "La République d'Arménie"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien "La République d'Arménie"

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Publiée le 28 septembre 2006

QUESTION - Monsieur le Président, puis-je vous demander comment vous évaluez, à l'occasion de votre visite d'État en Arménie, le présent et l'avenir des relations entre l'Arménie et la France?

LE PRÉSIDENT - L'histoire des relations franco-arméniennes n'est à nulle autre pareille. Elle remonte au temps ancien des Croisades, depuis le temps lointain où Baudoin de Boulogne, roi de Jérusalem, épousa Arda, princesse arménienne. Depuis lors, elle a épousé les vicissitudes du monde, la première guerre mondiale, la tragédie du génocide, la fin des empires, les combats communs de la seconde guerre mondiale··· Fruit sans doute de cette histoire singulière, il existe entre nos peuples une affinité particulière. Nous aimons les mêmes choses : la liberté, l'indépendance, la spiritualité et l'intelligence du cœur dans l'art et la culture, la beauté et la sacralité de nos langues respectives.

Le présent, c'est cette affinité naturelle, mais aussi les près de 500 000 Français qui plongent leurs racines dans la terre d'Arménie. Ils ont apporté à la France leur courage, leur talent, leur générosité. Ils sont aussi restés attachés à l'Arménie. Ils contribuent à donner à notre relation toute sa force. Ils s'investissent dans mille projets de coopération. Une réussite aussi exemplaire que l'Université française en Arménie, l'UFAR, bénéficie ainsi non seulement du soutien du gouvernement français, mais aussi du concours de tout un réseau de soutien où les français d'origine arménienne, les institutions des villes, départements et région où ils se sont implantés jouent une part très active, comme l'Université Lyon III.

Pour l'avenir, notre amitié pour l'Arménie nous oblige. La France veut accompagner l'Arménie dans son processus de modernisation politique, sa volonté de bâtir un État de droit garant des libertés publiques. Elle est prête à accompagner la modernisation et la diversification de son économie pour que l'Arménie puisse construire un avenir meilleur pour ses enfants.

Une nation aussi vieille que la vôtre ne doit pas redouter d'emprunter les chemins qui sont ceux du futur. En m'adressant plus particulièrement aux jeunes, je voudrais leur dire la chance qu'ils ont d'appartenir à une vieille nation et d'avoir à construire un pays tout neuf. L'Arménie mérite qu'on s'y investisse et il n'est point de plus grand bonheur et de plus grande réussite que de bien servir son pays.

QUESTION - L'Arménie est intégrée dans la politique du nouveau voisinage de l'Union Européenne. Comment voyez-vous l'avenir des relations entre l'Arménie et l'Union européenne ?

LE PRÉSIDENT - A la suite du dernier élargissement de l'Union Européenne qui a rapproché le Caucase des frontières de l'Union, l'Arménie, comme ses deux voisins du Sud-Caucase, a été incluse en 2004 dans la politique de voisinage en juin 2004. Il s'agissait aussi pour l'Union européenne de marquer sa volonté d'encourager le processus de réformes engagé et d'éviter que n'apparaissent de nouvelles fractures, de nouvelles sources de divisions dans notre espace commun.

Ces relations entre l'Arménie et l'Union européenne sont encore jeunes. Mais c'est une première étape. La conclusion prochaine des négociations sur le plan d'action Union Européene-Arménie, devraient permettre de donner à la politique de voisinage toute sa dimension.

Ma conviction est que progressivement les relations entre l'Union européenne et l'Arménie seront appelées à se développer et à devenir plus intimes, à l'image de ce que sont les relations franco-arméniennes. Mais, il ne faut pas brûler les étapes.

QUESTION - Soutenez vous l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne ? La France va-t-elle insister sur l'ouverture des frontières avec l'Arménie et la reconnaissance du génocide arménien ?

LE PRÉSIDENT - Vous le savez, je pense que la perspective de l'adhésion à l'Union européenne est un élément essentiel pour garder la Turquie sur la voie de l'ancrage à l'occident dans laquelle elle a fait le choix de s'engager. L'adhésion elle-même suppose le respect de critères, l'adoption de réformes. C'est un chemin exigeant, long et difficile. Ma conviction est que l'intérêt de l'Union européenne, comme de l'Arménie, est de voir la Turquie pencher du côté de nos valeurs, de notre conception des droits de l'Homme, de la paix, de la démocratie.

J'ai plaidé à plusieurs reprises auprès des autorités turques pour l'ouverture des frontières. Il est clair cependant qu'un lien très fort a été établi sur cette question avec le règlement du conflit du Haut Karabagh et qu'une avancée dans son règlement aurait un impact décisif sur cette question. Je vous l'ai dit. Je crois aujourd'hui que c'est possible.

S'agissant du génocide arménien perpétré par l'Empire ottoman, l'Europe c'est d'abord un effort de réconciliation, de paix, de respect et d'ouverture aux autres. Un effort qui s'est traduit toujours et partout, par un effort de mémoire. Même si c'est un processus long et difficile, j'ai confiance dans la capacité de la Turquie à mener ce devoir de mémoire à son terme, car l'enjeu c'est l'esprit même de la construction européenne.

QUESTION - Sur le Haut Karabagh, pensez-vous qu'on peut espérer que les parties arrivent à un accord pour le règlement de ce conflit ?

LE PRÉSIDENT - Je me suis engagé personnellement dans le processus de règlement du conflit du Haut-Karabagh parce que je connais les souffrances qu'il a engendré, parce que la paix est le seul moyen de bâtir un avenir de démocratie et de prospérité pour l'ensemble des peuples de la région. L'intelligence arménienne, le dynamisme économique, la situation géostratégique de l'Arménie ne lui profiteront pleinement que dans le cadre de frontières ouvertes et de relations normalisées avec tous ses voisins.

Plusieurs fois, à Paris, à Key West, à Rambouillet, j'ai vu la paix à la portée de la main. Aujourd'hui, je l'ai dit au Président Kotcharian, comme au Président Aliev, les propositions des co-présidents du Groupe de Minsk me semblent honnêtes, équilibrées et raisonnables. Je forme donc le vœu qu'à Erevan, comme à Bakou, on ait l'audace de la paix. Aujourd'hui, les Etats du G8, la communauté internationale sont prêts à garantir un accord de paix. Qu'en sera-t-il demain ? Ne laissons pas passer cette chance.

QUESTION - Quel serait votre message pour le peuple arménien à la veille de votre visite ?

LE PRÉSIDENT - Le profond respect que m'inspire le peuple arménien, sa maturité et sa sagesse me dissuaderait de formuler ici tout ce qui pourrait ressembler à un conseil ou une recommandation. Mais puisque vous employez le mot « message », que celui-ci soit un vœu :

"Arménie, mon amie", que cette année renforce encore l'amitié séculaire entre l'Arménie et la France ; que de nombreux français viennent découvrir l'âme de ce pays, de ses paysages, de ses monastères, de sa culture et de sa convivialité ; que notre amitié contribue à permettre aux espoirs des Arméniennes et des Arméniens de se réaliser.





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