Interview du Président de la République à la presse départementale agricole.

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la presse départementale agricole.

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Palais de l'Elysée, Paris, le samedi 21 mai 2005.

QUESTION - Le 29 mai prochain, les agriculteurs, comme tous les Français, sont appelés à répondre par " oui " ou " non " au référendum sur la Constitution européenne. Pourquoi un référendum ?

LE PRESIDENT - J'ai voulu que le Peuple français décide lui-même, parce qu'il s'agit du destin de la France, de notre poids politique en Europe et dans le monde, de notre capacité à défendre nos intérêts et nos valeurs. La France est, depuis l'origine, l'un des principaux moteurs de la construction européenne. Un oui exprimé par le peuple français lui-même nous donnera encore plus de force et d'influence.

Un large débat s'est engagé. Chaque jour qui passe montre que ce débat est utile et nécessaire. Les agriculteurs y participent, avec leurs propres préoccupations sociales et économiques mais aussi, comme tous les Français, en ayant en mémoire l'histoire de notre continent et en portant une ambition pour leur avenir et celui de leurs enfants. Les paysans connaissent le lourd tribut que nos campagnes ont versé au cours des deux dernières guerres mondiales. La paix et la démocratie sont des valeurs auxquelles nous sommes tous attachés. L'Europe les incarne et les garantit depuis un demi siècle.

QUESTION - Les agriculteurs connaissent bien l'Europe au quotidien à cause de la PAC. Ne sont-ils pas des témoins privilégiés de la construction européenne ?

LE PRESIDENT - L'Europe et les agriculteurs, c'est plusieurs décennies d'histoire commune. La construction européenne ne se serait pas faite sans les paysans. C'est d'abord grâce à la PAC que l'Europe s'est construite. La Politique agricole commune a été la première politique commune de l'Europe. Elle a formidablement réussi. Cette réussite, c'est autant celle de nos agriculteurs et de leurs parents que celle de l'Europe. Et je veux rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont participé et qui participent à cette aventure sans équivalent dans d'autres secteurs, sauf peut-être aujourd'hui celui de l'aéronautique.

En vingt ans, de 1960 à 1980, l'Europe, qui était déficitaire en produits agricoles, est devenue autosuffisante puis exportatrice. La France est aujourd'hui la première puissance exportatrice du monde pour les produits agro-alimentaires. Tout cela mérite le respect ; respect pour celles et ceux qui ont permis cette réussite, respect pour le chemin parcouru et les efforts réalisés.

QUESTION - Qu'est-ce que cette Constitution changera pour les agriculteurs ?

LE PRESIDENT - Les principes et les objectifs de la PAC qui ont été définis dans le traité de Rome, seront désormais élevés au rang constitutionnel.

Cette Constitution permet d'aller vers une Europe plus politique et moins technocratique. Là, les agriculteurs sont directement concernés. Pour la première fois, nous aurons une séparation claire entre ce que fera l'Union européenne et ce que feront les Etats. Cela permettra de mobiliser l'action de l'Union européenne quand elle est indispensable, tout en empêchant qu'elle se mêle de tout par des réglementations excessives. Le Parlement français contrôlera que la loi européenne n'empiète pas sur nos prérogatives nationales et pourra intervenir pour s'y opposer.

Ceci est essentiel car, pour la première fois aussi, la PAC bénéficie d'un cadre budgétaire jusqu'en 2013, grâce à l'accord que j'ai conclu en 2002 avec le Chancelier allemand et qui s'est ensuite imposé à l'ensemble du Conseil européen. Cet accord nous garantit un financement stable pour la PAC. Les agriculteurs voulaient de la visibilité, ils l'ont comme jamais auparavant. Voter oui, c'est aussi conforter cet engagement budgétaire en donnant à la France l'autorité et le poids nécessaires pour s'opposer efficacement à toute tentative de remise en cause.

De manière plus générale, et c'est pour nous essentiel, la France pèsera davantage sur toutes les questions agricoles. Nos voix au Conseil augmenteront de 50 %. La France et l'Allemagne disposeront désormais de près du tiers des voix ; les six pays fondateurs de près de la moitié. C'est dire que nous détiendrons la clé des majorités à venir.

QUESTION - Qu'est-ce que les agriculteurs peuvent encore attendre de la poursuite de la construction européenne ?

LE PRESIDENT - La Constitution, c'est un cadre pour l'action. Elle renforce le poids des grands Etats comme la France. Elle donne aussi à l'Union européenne les moyens de l'efficacité. Et elle accroît notre capacité à faire évoluer les politiques européennes dans le sens de nos attentes. Mais, heureusement d'ailleurs, elle ne règle pas elle-même tout en détail. Elle n'est pas faite pour cela. C'est aux Etats, au sein du Conseil et au Parlement européen, de décider des politiques. La poursuite de la construction européenne, avec une France écoutée et respectée dans tous les débats, et en particulier dans les débats agricoles, permettra de mieux répondre, par ces politiques, aux attentes qui sont les nôtres.

Sur des sujets aussi essentiels que l'environnement et les garanties sanitaires, les distorsions réglementaires qui existent actuellement entre les Etats membres devront s'effacer. Avec la mise en place de l'Agence européenne de sécurité alimentaire, par exemple, il y aura une harmonisation progressive et totale des règles dans ce domaine. Cela devrait profiter aux agriculteurs français qui, à juste titre, supportent de plus en plus mal des contraintes et des charges que n'ont pas nos voisins et concurrents européens.

QUESTION - Et s'agissant des complications administratives que les agriculteurs supportent de plus en plus mal ?

LE PRESIDENT - La " sur-administration " dénoncée par les agriculteurs doit être corrigée. Elle est en partie liée à la phase de changement induite par la réforme de la PAC. Le Gouvernement a pris ce problème à bras le corps. Un processus de simplification des procédures et d'allègement des contrôles est engagé. Dès cet été, les bénéfices de cette action seront perceptibles.

QUESTION - Certains incitent à voter contre la Constitution parce qu'ils croient ainsi pouvoir remettre en cause les évolutions les plus récentes de la PAC, notamment la réforme de 2003 qui inquiète.

LE PRESIDENT - C'est illusoire et irresponsable. Je connais et je comprends les inquiétudes des agriculteurs et leurs difficultés actuelles. Mais vouloir leur faire croire qu'en votant non à la constitution on serait en position de renégocier la réforme de la PAC décidée en 2003, c'est les tromper. En rejetant la Constitution, non seulement la France renoncerait à augmenter son poids politique dans l'Union, mais elle s'isolerait et perdrait une grande part de son autorité et de ses capacités de négociation avec nos partenaires. Or, un certain nombre d'entre eux guettent l'occasion de remettre en cause les avantages que nous tirons de la PAC, qui représente près de la moitié des dépenses de l'Union, dont plus de 20% pour les agriculteurs français. Les conceptions de nos partenaires les moins attachés à l'organisation des marchés agricoles conduiraient à une dérive rapide de la PAC, voire à son démantèlement, parce que nous serions isolés et affaiblis.

QUESTION - Ne dramatisez-vous pas ?

LE PRESIDENT - Non, c'est la réalité. Depuis l'origine, la PAC est identifiée aux intérêts français. Si la France vote contre le projet de Constitution, nous ne serons plus crédibles sur les dossiers agricoles vis-à-vis de nos partenaires européens. Or, nous sommes engagés actuellement dans deux négociations essentielles sur le plan agricole.

D'une part, la négociation sur le budget européen pour la période 2007-2013. C'est le financement de la PAC négocié et garanti jusqu'en 2013 qui pourrait être remis en cause. Certains chefs de gouvernement d'autres Etats membres l'ont déjà dit. Affaiblis, comment résisterions-nous à tous ceux qui veulent les crédits de la PAC pour faire autre chose ?

D'autre part, nous avons une négociation déterminante à l'OMC qui doit se conclure au mois de décembre. Si nous étions isolés, nous ne pourrions y faire valoir correctement nos intérêts agricoles.

QUESTION - Les agriculteurs ont-ils autant à perdre que cela alors que depuis 1992 les réformes successives de la PAC l'ont beaucoup vidée de son sens ?

LE PRESIDENT - La France a toujours été le pays qui a le plus bénéficié de la PAC. Encore aujourd'hui, les aides communautaires versées aux agriculteurs français représentent chaque année plus de 10 milliards d'euros, dont 8 d'aides directes prévues jusqu'en 2013. Il faut ajouter à ce chiffre, selon les années, 4 à 7 milliards d'euros correspondant à l'avantage qui résulte pour les agriculteurs français de la différence de prix entre le marché communautaire et le marché mondial. Au total, c'est un montant équivalent au revenu net des agriculteurs français. Sommes-nous sérieusement prêts à nous en passer ?

QUESTION - Pensez-vous que le projet de loi d'orientation agricole qui est très attendu redonnera le moral aux agriculteurs ?

LE PRESIDENT - Le Conseil des ministres vient d'adopter ce projet de loi d'orientation agricole qui sera soumis au Parlement dès le mois de juin.

Il est fondé sur une volonté très forte de reconnaître aux agriculteurs une parité économique et sociale avec l'ensemble des autres professions. C'est pourquoi nous y défendons le projet d'une agriculture économiquement forte prenant en compte tous les grands enjeux de l'avenir, la préservation des équilibres écologiques et le développement des énergies renouvelables.

Dans ce sens, très concrètement, le projet de loi modernise notre droit rural pour faciliter les adaptations nécessaires des exploitations. Il engage aussi un processus de baisse des charges avec, en particulier, l'exonération progressive de la taxe sur le foncier non bâti qui est une demande ancienne et justifiée de la profession. Il comporte des avancées sociales très attendues sur le statut des conjoints. Il crée des aides au remplacement pour que les éleveurs puissent prendre des congés. Ce texte ouvre aussi de nouvelles perspectives pour les usages de la biomasse à des fins énergétiques. En outre, il renforce les dispositifs de protection du revenu agricole, avec un effort particulier en faveur de l'agriculture biologique, et améliore les conditions de transmission des exploitations, auxquelles les jeunes portent une attention particulière.

C'est donc un texte important qui redéfinit, pour les vingt prochaines années, notre politique agricole nationale.

QUESTION - Pour conclure, que souhaiteriez-vous dire aux agriculteurs ?

LE PRESIDENT - Le référendum sur la Constitution européenne est un moment historique pour la France. Ce qui est en jeu, c'est notre capacité à défendre nos intérêts en Europe et à augmenter le poids de l'Europe dans les grandes négociations internationales. Les paysans ont toujours pris une part déterminante à la construction européenne. Les agriculteurs sont une force pour l'Europe et l'Europe est un atout pour notre agriculture. La France a beaucoup à gagner avec la Constitution européenne. Elle aurait beaucoup à perdre en la rejetant. La France est, depuis toujours, aux avant-postes de la construction européenne. Elle ne peut manquer ce nouveau rendez-vous. Et j'ai confiance dans la décision des agricultrices et des agriculteurs.





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