Europe : Entretien du Président de la République à RFO.

Europe : Entretien accordé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à RFO.

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"L'outre-Mer et la Constitution européenne"

Palais de l'Elysée, Paris, le vendredi 20 mai 2005

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, bonsoir.

LE PRESIDENT : Bonsoir, Monsieur BIJOUX.

STEPHANE BIJOUX : Ce n'est un secret pour personne, depuis plusieurs mois maintenant, vous faites activement campagne pour la victoire du "oui" lors du référendum pour la nouvelle Constitution européenne. Aujourd'hui encore, les sondages montrent que le "oui" et le "non" sont au coude à coude, et que rien n'est joué. Est-ce que vous avez le sentiment que dans ce contexte le vote des électeurs d'outre-mer peut faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre ?

LE PRESIDENT : Vous me permettrez d'abord de vous dire que je ne fais pas, à proprement parler, campagne. J'essaye d'informer les Françaises et les Français sur les conséquences qu'auront leurs votes. Mais vous me permettrez, avant de répondre à votre question, de saluer tout particulièrement tous nos compatriotes d'outre-mer : d'Amérique, de l'Océan indien, du Pacifique, mais aussi, naturellement, toutes celles et tous ceux qui sont installés, qui travaillent ou qui sont présents en métropole. Je le fais avec amitié et avec estime et ils savent que ce sont des sentiments que je ressens vraiment.

STEPHANE BIJOUX : Alors, que pèsera leur vote justement lors de ce référendum, à votre avis ?

LE PRESIDENT : Chaque Française, chaque Français où qu'il soit, a une part du destin de la France, de l'avenir de ses enfants dans ce vote. Tous ont une part égale et je souhaite que tous en aient profondément conscience et qu'ils s'expriment du fond de leur cœur pour dire ce que doit être notre avenir dans le cadre européen ou non.
STEPHANE BIJOUX : Justement dans quelques jours, dans toutes les régions d'outre-mer -au total environ 1 500 000 électeurs- seront appelés aux urnes, mais le grand vainqueur pourrait être l'abstention, tout simplement. Alors à votre avis, très loin de Bruxelles, aux Marquises, à Saint-Laurent du Maroni ou à Dzaoudzi, qu'est-ce qui pourraient pousser les électeurs à se déplacer pour choisir entre le "oui" ou le "non" ?

LE PRESIDENT : Ce référendum va être déterminant pour la France, pour tous les Français, mais je dirai particulièrement pour nos compatriotes d'outre-mer.

STEPHANE BIJOUX : Pour quelles raisons ?

LE PRESIDENT : Parce que l'Europe par les valeurs qu'elle véhicule, qu'elle reconnaît dans sa Constitution, par l'aide qu'elle apporte à l'outre-mer, est un élément déterminant de l'évolution de la vie de nos compatriotes d'outre-mer et de leurs enfants. Ils sont peut-être, plus que d'autres encore, intéressés. Vous savez, l'ensemble des grands équipements, des grands projets de développement outre-mer sont financés à peu près pour 50% par l'Europe. Si aujourd'hui, nous avons encore une agriculture outre-mer, notamment dans le domaine de la banane, dans le domaine de la filière canne-sucre-rhum, c'est pour l'essentiel grâce aux aides européennes. Donc, tout ceci a une importance capitale. Il est indispensable que la France notamment, puisse avoir demain en Europe le poids nécessaire pour défendre à la fois les intérêts et les valeurs de nos compatriotes d'outre-mer. Elle ne l'aura naturellement que si elle participe à la construction européenne. Elle les perdra évidemment si elle répond "non".

STEPHANE BIJOUX : Alors, que l'on soit pour ou contre cette nouvelle Constitution européenne, aujourd'hui, l'Europe fait incontestablement partie du quotidien des 2 millions de personnes qui vivent dans les départements, les collectivités ou les pays d'outre-mer. En six ans, l'Union européenne a débloqué plus de 3,3 milliards d'euros, presque 400 milliards de francs pacifiques pour financer des équipements et des infrastructures dans nos régions. Alors, qu'elle est la place de l'outre-mer ? La réponse, tout de suite, en images avec ce reportage.

Reportage.

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, cela est l'investissement de l'Europe aujourd'hui en outre-mer. Il faut ajouter une information supplémentaire, et elle s'affiche sur l'écran : depuis l'an 2000, l'Europe a financé la formation de 140 000 jeunes d'outre-mer. Voilà pour aujourd'hui. Mais parlons de demain. Dans une Europe élargie à vingt-cinq avec des pays plus pauvres que nous, et peut-être plus prioritaires pour les aides européennes, qu'elle sera la place de l'outre-mer ? Autrement dit, comment avoir les garanties d'obtenir les fonds dont vous parliez, tout à l'heure ?

LE PRESIDENT : Tout d'abord, les garanties, nous les avons puisque la Constitution prévoit spécifiquement les régions ultrapériphériques, les reconnaît dans l'article III 424 et que leur avenir est, à cet égard, garanti. Ce n'est pas suffisant et il fait davantage. Cette Constitution va intégrer un élément nouveau qui est très important.

STEPHANE BIJOUX : ···Lequel ?

LE PRESIDENT : C'est qu'elle reconnaît les handicaps dus à l'insularité, à l'éloignement, c'est-à-dire les handicaps structurels. Autrement dit, on ne va pas seulement aider demain, grâce à la Constitution, les départements ou territoires d'outre-mer, les régions ultrapériphériques, parce qu'elles ont besoin de rattraper un niveau de vie qui doit être équivalent à celui des Européens, mais aussi, et au-delà, parce qu'elles ont des handicaps structurels reconnus pour la première fois en tant que tels, et qui doivent être compensés à ce titre. Et cela, c'est une grande victoire qui a été celle de la France. C'est la raison pour laquelle je vous dis, je vous répète, que seule une France, suffisamment puissante et intégrée dans l'Europe de demain, pourra défendre cette politique et défendre les intérêts et les valeurs de ses départements et territoires.

STEPHANE BIJOUX : Vous évoquiez, à l'instant, le fait que dans la nouvelle Constitution, chaque région d'outre-mer sera inscrite nominativement. Est-ce que cette procédure laisse quand même la porte ouverte à une éventuelle évolution du statut pour les uns et les autres ?

LE PRESIDENT : Naturellement, et c'est même ce qui le justifie. Je ne vais pas ouvrir le débat sur le statut des uns ou des autres, mais il est vrai, il peut évoluer. Ce qui est capital, c'est que dans la Constitution, on ne parle plus seulement des départements d'outre-mer comme avant, mais on parle de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, ceci quelle que soit la nature de leur statut de demain. Autrement dit, leur présence en tant qu'élément de l'espace européen est définitivement confirmée. Ce qui est très important pour eux.

STEPHANE BIJOUX : En tous les cas, indépendamment des discours des uns et des autres, aujourd'hui en outre-mer, il y a très clairement un secteur qui redoute la baisse des aides européennes, c'est le monde agricole. Dans les champs de banane ou de canne à sucre, les planteurs attendent des garanties et savent que s'ils ne sont pas soutenus, eh bien, ils devront fermer leurs exploitations. Pour bien comprendre les enjeux, nous allons tout de suite en Guadeloupe.

Reportage.

QUESTION - Monsieur le Président, producteurs de banane en Guadeloupe, nous aurions souhaité savoir que peut nous rapporter, de manière essentielle ce nouveau Traité européen, sachant que par rapport à Madère, nous n'avons pas pu bénéficier, de manière régulière, de ces 75% d'aides que nous avons eus pour l'année 2004 ?

STEPHANE BIJOUX : Alors il faut être clair, Monsieur le Président, cette question se pose dans l'ensemble des exploitations agricoles outre-mer, quelle est votre réponse aux inquiétudes de nos planteurs ?

LE PRESIDENT : D'abord les intérêts de nos producteurs, je pense en particulier, aux producteurs de sucre ou aux producteurs de banane, sont étroitement liés à la capacité que la France aura, demain, à défendre ses intérêts dans l'Europe. Avec la Constitution, la France voit son poids renforcé, les six pays fondateurs qui sont toujours d'accord et notamment, traditionnellement sur les problèmes d'outre-mer de la France, représentent, à eux seuls, la moitié des voix pratiquement, ce qui est un progrès très important par rapport à la situation actuelle, et donc la France aura la possibilité de défendre.
Deuxièmement, les producteurs de banane voient en réalité 60% de leurs revenus venir des aides européennes et quelques 36% pour les producteurs de la filière sucre-canne-rhum. C'est, par conséquent, déterminant. Et ceci sera naturellement poursuivi. Pour la banane, cela ne fait aucun doute et personne n'en doute, quand il y a eu un incident, il y a quelques semaines, vous le savez, et que les producteurs ont eu besoin d'une aide supplémentaire importante, ils l'ont obtenue, sur proposition de la France et avec un appui sérieux de notre pays, mais par décision de l'Union européenne. Quant au sucre, le problème qui a été évoqué tout à l'heure, c'est-à-dire celui des décisions prises par l'OMC ; cela va tout simplement nous conduire à une réforme de l'organisation commune du marché du sucre dans laquelle, je peux vous le dire, les intérêts des Antilles et de la Réunion seront parfaitement sauvegardés.

STEPHANE BIJOUX : Je vais rebondir sur ce que vous venez de dire, Monsieur le Président, effectivement 60% des revenus des agriculteurs proviennent d'aides européennes···

LE PRESIDENT : ···d'une part des agriculteurs···.

STEPHANE BIJOUX : ···des producteurs de banane···

LE PRESIDENT : ···on est bien d'accord.

STEPHANE BIJOUX : ···ça peut faire une bonne raison pour eux de voter pour le "non" ? Parce qu'effectivement, aujourd'hui, ils ont cette aide. Alors pourquoi aller voter pour quelque chose qu'ils ne connaissent pas et dont ils ne connaissent pas l'efficacité ?

LE PRESIDENT : Tout simplement parce que cette aide est garantie par la Constitution. S'il n'y a pas de Constitution, la France sera toujours obligée d'aller réclamer. Alors, elle pourra réclamer, mais si elle s'est exclue de la construction européenne, pensez-vous réellement que les autres pays, dont l'immense majorité n'a pas de territoires d'outre mer, de départements d'outre mer, de régions ultrapériphériques, vont nous suivre ? Pas du tout. Nous avons une influence parce que nous pesons. Si demain, nous nous excluons, comment irons-nous défendre des intérêts qui ne sont absolument pas ceux de la plupart de nos partenaires ? C'est donc capital que la France puisse, demain, défendre les intérêts de ses départements et territoires d'outre mer. La Constitution les garantit. Si la France ne la vote pas, elle n'aura même plus la possibilité de les défendre avec certitude et avec puissance.

STEPHANE BIJOUX : Alors, cette possibilité de défendre les intérêts des agriculteurs justement, est-ce que la France, aujourd'hui, pèse suffisamment lourd dans la balance ? Est-ce que nous n'aurons pas besoin d'alliés dans cette grande Europe à vingt-cinq ?

LE PRESIDENT : Monsieur BIJOUX, premièrement la France voit son poids politique dans l'Union, avec la Constitution, augmenter de 50%.

STEPHANE BIJOUX : Expliquez nous ?

LE PRESIDENT : Simplement parce que nous avions 8,5% des voix et que nous en aurons 12 ou 13% : que le couple franco-allemand qui est toujours solidaire, -et c'est l'un des moteurs essentiels de la construction européenne-, lui-même voit son poids politique augmenter considérablement et passer à plus de 30%. Et enfin, que les six pays fondateurs qui sont toujours solidaires, là aussi, ont à eux seuls 50% des voix. Autrement dit, le poids de la France et de ses alliés naturels augmente considérablement dans la Constitution par rapport à ce qui existe aujourd'hui. Ce qui veut dire que nous serons mieux armés pour défendre nos intérêts, notamment face à une Europe qui est aujourd'hui à vingt-cinq et dans laquelle seuls trois pays ont des intérêts ultramarins d'où la nécessité pour l'outre-mer de se mobiliser en faveur de cette Constitution. C'est pour elle vital.

STEPHANE BIJOUX : Autre dossier important, Monsieur le Président, l'emploi et la formation. Aujourd'hui, outre mer, près de 172 000 personnes sont au chômage. Les jeunes sont durement touchés, et pour comprendre quelles sont leurs attentes face à l'Europe, nous allons maintenant en Polynésie française, là-bas, une personne sur deux a moins de 26 ans.


QUESTION - Bonjour, Monsieur le Président de la République, j'ai 25 ans et je vis en Polynésie français, sur l'île de Tahiti. Je voudrais savoir quelle est la place d'un jeune polynésien au sein de l'Europe surtout concernant la formation et l'emploi, en sachant que nous sommes éloignés de tout, de cette Europe ? Merci.

LE PRESIDENT : Je voudrais d'abord saluer la jeune polynésienne qui a dit, avec beaucoup de bon sens, la situation de tous les jeunes en Polynésie ou de beaucoup de jeunes.
Je voudrais dire d'abord, et vous l'avez rappelé, que l'Union européenne finance largement la formation et 140 000 jeunes ont été formés, vous l'avez dit tout à l'heure, grâce aux fonds de l'Union européenne depuis quatre ans. Il y a du chômage, mais le chômage n'est pas une fatalité. Il revient au gouvernement de prendre des mesures pour le diminuer. Il l'a fait et d'ailleurs le chômage diminue outre-mer grâce à un certain nombre de mesures d'incitations sur le plan du développement économique.

Il y a également la formation qui doit être accentuée parce que beaucoup d'emplois sont vacants, également, outre-mer en métropole aussi, mais on ne trouve pas les jeunes formés suffisamment pour pouvoir les employer. Et enfin, nous devons accepter, c'est naturel, la mobilité. Il est légitime et naturel que des jeunes venant du Pacifique, d'Amérique ou de l'Océan indien, viennent, -et on leur donne pour cela beaucoup de facilités-, trouver une formation, une connaissance en France ou en Europe. Ils reviennent ensuite chez eux pour assurer leur part de développement.

STEPHANE BIJOUX : En même temps, dire aux jeunes que pour trouver un emploi, il faut jouer la carte de l'Europe, la carte de la mobilité, et donc quitter leur région d'origine, Monsieur le Président, est-ce que ce n'est pas un constat d'échec des politiques locales menées outre-mer dans la lutte contre le chômage ?

LE PRESIDENT : ···Ce n'est pas du tout ce que je···..

STEPHANE BIJOUX : ···Est-ce que ce n'est pas un constat d'échec des politiques locales menées outre-mer dans la lutte contre le chômage ?

LE PRESIDENT : Non, cette présentation n'est pas exacte, car on ne peut pas dire···.

STEPHANE BIJOUX : ···Les jeunes peuvent la comprendre comme cela ?

LE PRESIDENT : ···Personne ne peut dire à des jeunes "votre seule issue c'est d'aller ailleurs". Non. Je dis il faut, d'une part, des politiques créatrices d'emplois. Cela c'est la responsabilité des gouvernements. Le gouvernement français le fait, je n'y reviens pas.

Deuxièmement, il faut une politique de formation dans laquelle l'Europe a un rôle très important. De formation sur place, pour donner les compétences nécessaires à des jeunes, pour assumer les emplois et qui doivent se développer.

Et puis troisièmement, la mobilité est une chose naturelle. Quoi de plus naturel pour un jeune que de se dire, je vais partir en France ou en Europe passer un an, passer deux ans, pour acquérir une formation, pour compléter mes connaissances. Cela est tout à fait naturel. Cela fait partie du monde moderne et de l'ambition naturelle des jeunes.

STEPHANE BIJOUX : Autre cheval de bataille important le développement économique. Dans l'Europe d'aujourd'hui les départements d'outre-mer sont des régions ultrapériphériques. Pour rattraper les retards de développement liés à l'éloignement, au climat ou au relief, et bien, plusieurs milliards d'euros sont investis par l'Union. Cela s'appelle les fonds structurels. Plusieurs entreprises en bénéficient directement ou directement. En jeu il y a de l'argent, bien sûr mais aussi des emplois. En Martinique, aujourd'hui, l'inquiétude est grande, des retards ont été rattrapés et l'Europe pourrait être tentée de réduire son aide. Le point tout de suite avec ce reportage.

Reportage

QUESTION - Je dirige une entreprise de transport international, ma préoccupation est la suivante : je voudrais connaître le devenir de l'Octroi de mer dans le cadre de la nouvelle Constitution de l'Europe, sachant l'importance que portent les Martiniquais à cet outil économique ? J'aimerais obtenir de vous une réponse. Je vous remercie.

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, que répondez-vous à l'inquiétude des chefs d'entreprise d'outre-mer notamment sur l'Octroi de mer ?

LE PRESIDENT : Alors, d'abord sur les fonds structurels qui conditionnent l'activité de beaucoup de petites et moyennes entreprises dans ces territoires, je voudrais rappeler que ces fonds structurels subsistent, que rien n'est changé pour ce qui les concernent et qu'ils continueront à être donnés.
Alors j'entends bien que la Martinique a un niveau de vie qui s'est développé et qui arrive presque au niveau à partir duquel les fonds ne sont pas supprimés, mais diminués. Pour le moment l'on n'y est pas. Et il nous appartiendra d'avoir naturellement, le moment venu, les discussions nécessaires pour faire les bonnes évolutions.
Mais, ce que je voudrais ajouter, c'est que pour la première fois, la Constitution permet une initiative nouvelle. C'est-à-dire qu'en plus des fonds structurels, dont la vocation c'est d'augmenter le niveau de vie de ces pays, en plus de ces fonds structurels, nous avons une nouvelle décision, c'est-à-dire la compensation des surcoûts, des surcoûts structurels, -c'est-à-dire ceux qui sont liés et qui eux ne changent pas-, par définition, à l'éloignement, à l'insularité, etc. La Commission prévoit actuellement un fonds de un plus d'un milliard d'euros, qui permet de tenir compte de ces surcoûts. Ce qui est important ce n'est pas tellement les sommes, c'est le principe. On reconnaîtra avec cette Constitution, l'existence de surcoûts structurels liés à l'insularité, liés à la distance. Cela, c'est tout à fait capital. Si bien que l'ensemble de ces aides, naturellement, ne peut aujourd'hui qu'augmenter. Là encore, à condition que nous soyons suffisamment fermes et suffisamment convaincants pour que les choses se fassent ainsi. Et vous pouvez compter sur moi.

STEPHANE BIJOUX : J'ai bien compris votre réponse Monsieur le Président. Je vous propose de revenir à la question de l'Octroi de mer. Parce que pour se développer, on le sait···

LE PRESIDENT : ···Alors l'Octroi de mer, je connais bien la question de l'Octroi de mer, je l'ai bien défendu···

STEPHANE BIJOUX : ···Ce n'est pas que l'Octroi de mer, Monsieur le Président···

LE PRESIDENT : ··· Mais attendez, sur l'Octroi de mer d'abord pour répondre. Je connais bien la question de l'Octroi de mer, je l'ai soutenu et défendu pendant suffisamment longtemps. Et, je constate que nous avons obtenu, l'année dernière, la prolongation de l'Octroi de mer pour dix ans.
C'est une situation dans laquelle nous resterons naturellement, car nous n'avons rien qui nous permette d'avoir un effet équivalent. Donc l'Octroi de mer n'est, en aucun cas, naturellement menacé. Je tiens à le dire à ce chef d'entreprise que je remercie pour son intervention.

STEPHANE BIJOUX : Sauf que pour se développer, on le sait, les petites entreprises d'outre-mer ont besoin d'un accompagnement fiscal, l'Octroi de mer, mais également des programmes de défiscalisation, des zones franches. Et que dans cette nouvelle Constitution, il est écrit noir sur blanc, que les mesures liées à la fiscalité, et on y est, doivent être votées à l'unanimité. Alors si le texte est voté, comment allez-vous faire pour convaincre les vingt-cinq pays de faire un cadeau fiscal à nos régions d'outre-mer ?

LE PRESIDENT : Monsieur BIJOUX, cela n'a aucun rapport.

STEPHANE BIJOUX : Alors expliquez-nous.

LE PRESIDENT : Il y a des mesures qui dépendent des Etats, au titre de leur politique intérieure. C'est ainsi que la France a une loi de programme, qui concerne l'outre-mer et qui prévoit notamment une défiscalisation, qui prévoit des exonérations de charges sociales, qui prévoit un certain nombre de dispositions, qui prévoit l'Octroi de mer, aussi, d'ailleurs.
Ces mesures sont naturellement pérennisées. Il n'est pas question de les remettre en cause. Cela, c'est la décision de la France. Elles peuvent être mises en cause ces mesures, mais par le gouvernement français, pas par l'Europe. Donc, il n'y a de ce point de vue, aucun risque, ou aucun danger. Il n'y a pas de conséquence de la Constitution à l'égard de cela.
En revanche, si sur une mesure d'ordre général, par exemple concernant l'impôt général sur le revenu, ou je ne sais quelle disposition fiscale, c'est vrai la Constitution a décidé que cela devait être à l'unanimité. Mais cela n'a aucun impact et aucune incidence et aucun rapport avec la situation fiscale des régions d'outre-mer.


STEPHANE BIJOUX : Alors pour se développer, nos régions d'outre-mer justement voudraient pouvoir jouer la carte de la coopération régionale avec leurs pays voisins. La revendication est forte, notamment à la Réunion où nous allons immédiatement.

[Reportage]

STEPHANE BIJOUX : Dans cette nouvelle Europe, quelle sera la marge de manœuvre de nos régions pour pouvoir passer directement des accords avec des pays voisins indépendants ?

LE PRESIDENT : D'une part, vous le savez, la France est favorable au développement de la coopération régionale, dans les régions ultrapériphériques. Deuxièmement, l'avantage de la Constitution, c'est qu'elle prévoit deux types d'actions qui donneront plus de souffle et de possibilités, c'est d'une part les plans d'action grand voisinage, c'est-à-dire que la Constitution prévoit cette coopération régionale et l'encourage, et d'autre part, les plans de partenariat, les accords de partenariat avec les pays ACP. C'est donc tout à fait conforme à ce que souhaitait cet interlocuteur.

STEPHANE BIJOUX : En même temps, c'est très difficile pour nos petites entreprises de rivaliser avec les entreprises des pays voisins où le coût du travail par exemple est plus bas.

LE PRESIDENT : Le coût du travail est un élément c'est vrai, mais il y en a d'autres. Travailler et investir chez nous de la part d'étrangers c'est avoir l'ouverture sur un énorme marché, marché européen, ce qui est considérable. C'est avoir généralement une main d'œuvre de qualité, une main d'œuvre supérieure. C'est avoir des infrastructures de qualité et donc le rapport coût/avantage est tout à fait en faveur des avantages.

STEPHANE BIJOUX : Alors, les performances d'une économie dépendent des entreprises, bien évidemment, mais aussi de la monnaie. Aujourd'hui, dans le pacifique, en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française et à Wallis et Futuna, on utilise encore le Franc pacifique, mais il est question de passer à l'Euro. Le projet a des allures de petite révolution et pour bien comprendre, nous allons tout de suite à Nouméa.

[Reportage]

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, voilà pour la Nouvelle Calédonie, mais la question se pose aussi à Wallis et Futuna et en Polynésie française. Alors quelles peuvent être les bonnes raisons d'abandonner le Franc pacifique pour l'euro ? Et est-ce que le passage éventuel à l'euro va changer quelque chose dans l'économie des pays français du Pacifique ?

LE PRESIDENT : D'abord ce passage se fera dans la mesure des concertations qui seront engagées et conduites à leur terme avec les représentants des populations concernées. Ce n'est qu'à partir de ces concertations qu'une décision sera prise.

STEPHANE BIJOUX : Si cela se fait, qu'est-ce que cela va changer dans l'économie ?

LE PRESIDENT : Cela va changer essentiellement deux choses : actuellement le Franc pacifique est un franc qui ne sert que sur le plan purement local, autrement dit qui ne sert pas à grand-chose, qui ne peut pas être changé normalement.

Le changement, c'est d'une part, la confiance des investisseurs. Il est certain que les investisseurs ont beaucoup plus confiance dans une monnaie internationale forte. Deuxièmement, c'est la stabilité économique qui sera évidemment plus grande avec une monnaie reconnue internationalement qu'avec une petite monnaie locale.

Donc je crois que ces territoires auraient intérêt à passer à l'euro, mais laissons les concertations se faire avec les représentants des populations avant de conclure.

STEPHANE BIJOUX : La devise de l'Union européenne est "Unis dans la diversité". Alors parlons un peu de diversité culturelle. L'outre-mer a beaucoup de richesses à défendre : les langues régionales, les musiques, les traditions, le patrimoine architectural et bien d'autres choses encore. La Constitution écrit que l'Union respecte la diversité culturelle. Alors comment être sûr que tout ça ne sont pas que des mots juste pour se faire plaisir ?

LE PRESIDENT : D'abord c'est un progrès de l'avoir dans la Constitution.

STEPHANE BIJOUX : Il faut que ce soit concret après.

LE PRESIDENT : Oui, naturellement il faut que ce soit concret, mais c'est un progrès. Deuxièmement, dans la diversité culturelle, la France a toujours été à la pointe du combat et si vous me permettez de le dire, j'ai toujours été à la pointe du combat pour la diversité culturelle. C'est après un combat difficile que nous avons fait reconnaître définitivement dans la Constitution, comme nous le faisons reconnaître au niveau mondial avec les prochaines délibérations de l'UNESCO. Cette culture, dans son aspect de langues que vous avez évoqué tout à l'heure, de culture, de poésie, d'architecture, de musique, de sport est essentiel pour la richesse de l'ensemble national français et de l'ensemble européen.


Par conséquent, vous pouvez être assuré que dans une Europe active et bien organisée, structurée, reconnaissant dans sa Constitution la diversité culturelle, la France aura, je l'espère, le poids nécessaire pour en tirer toutes les conséquences positives.

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, dernière question. Nous sommes maintenant au terme de cet entretien. En conclusion, je souhaiterais parler avec vous de la méthode utilisée en France pour l'adoption ou pour le refus éventuel de cette Constitution européenne. Vous, et c'était de votre prérogative, vous avez choisi de consulter les Français en utilisant le référendum. Mais maintenant, ou après le scrutin, et quel que soit le résultat, vous vous poserez la question de savoir si vous avez bien fait de choisir le référendum, alors que vous auriez pu choisir la voie parlementaire, comme en Allemagne ou en Belgique par exemple. Est-ce que vous regrettez votre choix Monsieur le Président ?

LE PRESIDENT : Monsieur BIJOUX, je ne me pose pas cette question.

STEPHANE BIJOUX : ··· Même en regardant les sondages ?

LE PRESIDENT : Non, pas du tout. Tout simplement, parce que ce projet est un projet essentiel pour l'avenir de la France, sa place et son poids dans l'Europe, et pour l'avenir de l'Europe. Donc, un projet essentiel pour nos enfants à qui nous voulons laisser une terre de démocratie, de paix, de liberté, un progrès social assuré, un modèle social confirmé et une vraie démocratie. Par conséquent, le projet est d'une telle ampleur qu'il justifiait, puisque nos institutions le permettaient -ce qui n'était pas le cas de tous les pays-, le référendum. C'est la raison pour laquelle je ne me suis même pas posé la question. L'importance de l'enjeu justifiait ce référendum. Nos institutions le permettaient. Et c'est donc la décision que j'ai effectivement prise.

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, je vous remercie.

LE PRESIDENT : ··· Je voudrais simplement en terminant, Monsieur BIJOUX···

STEPHANE BIJOUX : ··· Un mot.

LE PRESIDENT : Oui, très court. Cette Constitution, elle inscrit définitivement ces territoires d'outre-mer dans l'espace européen, ce qui est pour eux une garantie, tant politique qu'économique, considérable.
Deuxièmement, elle leur apporte un soutien décisif au niveau de leur situation culturelle, économique et sociale avec le modèle social européen. Tout à l'heure, on parlait des transferts. C'est une réalité qui est importante pour la vie des hommes et des femmes qui habitent là-bas. Et enfin, elle doit avoir un défenseur, cette politique, fort et assuré au sein de l'Europe de demain.

C'est pourquoi, je le disais, plus que pour tout autre Français, la Constitution et une approbation de la Constitution est indispensable pour l'outre-mer, si l'on veut garantir les intérêts et les valeurs de l'outre-mer français.

C'est pourquoi, je demande à tous nos compatriotes d'outre-mer, le 28 et le 29 mai, de mobiliser l'ensemble de nos concitoyens d'outre-mer pour qu'ils aillent voter, comme ils le veulent naturellement, mais pour qu'ils aillent voter car, rarement dans leur histoire, leur avenir aura autant été impliqué par une décision politique.

STEPHANE BIJOUX : Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir répondu à nos questions ici, à l'Elysée. Bonne soirée.

LE PRESIDENT : Merci, Monsieur BIJOUX.





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