Interview du Président de la République à la télévision chinoise "China Central TV".

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la télévision chinoise "China Central TV".

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Palais de l'Élysée, le mardi 28 septembre 2004

QUESTION - Monsieur le Président, c'est un grand honneur d'avoir cette interview avec vous. D'abord, je voudrais poser la question : vous allez partir en visite d'Etat en Chine au mois d'octobre et vous serez présent pour l'inauguration pour l'année de la France en Chine. Quel message vous voulez transmettre au peuple chinois à travers cette année de la France en Chine ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je voudrais vous dire ma très grande joie d'aller une fois de plus dans votre grand et beau pays. Ensuite, je rappelle que c'est une période exceptionnelle, puisque nous fêtons le 40e anniversaire de la reconnaissance diplomatique de la Chine par la France, premier pays à avoir pris cette initiative en occident. Et nous terminons une superbe année de la Chine en France pour commencer une année de la France en Chine qui, je l'espère, sera également brillante et plaira à nos amis chinois.

Je voudrais rendre hommage au caractère visionnaire qu'a été celui du général de GAULLE lorsqu'il a reconnu le régime de la Chine populaire, en disant que c'était à la fois la raison et l'évidence qui y conduisait. J'ajoute que j'ai été personnellement particulièrement impressionné par les contacts que j'ai eus depuis 1975 alors que j'étais Premier ministre avec M. DENG Xiaoping qui est l'homme qui à mes yeux incarne le redressement et le renouvellement de la Chine moderne.

QUESTION - Monsieur le Président vous êtes maintenant très connu en Chine parce que le peuple chinois sait que vous avez une connaissance très approfondie pour la culture chinoise. Je ne sais pas si c'est vrai que dans votre bureau il y a beaucoup d'objets d'art de la culture chinoise et pour moi, parmi les chefs d'Etat que j'ai interviewés, vous êtes celui qui a la connaissance la plus approfondie de la culture et de la civilisation chinoise. Je voudrais savoir d'où vient cet intérêt pour la civilisation chinoise, pour la culture chinoise ?

LE PRÉSIDENT - C'est un intérêt ancien : lorsque j'avais treize, quatorze, quinze ans, je passais tout mon temps disponible au Musée Guimet qui est le musée parisien français d'art oriental et notamment asiatique. A cette époque, j'étais très impressionné par la culture chinoise, l'histoire de la Chine. Et c'est à ce moment-là que j'ai apprécié et ensuite j'ai développé mon goût pour la culture chinoise, pour l'histoire de la Chine depuis l'antiquité jusqu'à nos jours et pour les différentes formes d'art qui se sont épanouies dans un esprit qui m'a toujours impressionné de la recherche de l'harmonie entre l'homme et la nature.

QUESTION - Vous vous souvenez de votre visite en 1978 en Chine, à cette époque-là c'est notre Vice-Premier ministre DENG Xiaoping qui vous accompagnait pour voir l'armée en terre cuite de l'empereur QIN Shihuang enterrée, dont vous avez dit : c'est la huitième merveille du monde et donc le peuple chinois vous remercie beaucoup pour ce commentaire.

LE PRÉSIDENT - C'est vrai, mais la Chine a brillé dans tous les domaines de la pensée. C'est vrai de ses bronzes archaïques, de ses céramiques et notamment de celles qui entourent le tombeau de Qin Shihuangdi. C'est vrai dans le domaine de la peinture, de la poésie de la musique et quand je m'interroge sur la perfection dans la culture chinoise et dans la culture humaine je pense, où se trouve la perfection ? Je crois qu'elle se trouve dans la poésie calligraphiée où, sans aucun doute, la Chine a atteint des sommets qui probablement ne seront jamais atteints. Et je repense à ce que disait l'un des plus grands poètes de tous les temps, Du Fu, lorsqu'il disait que seule une calligraphie maigre et ferme atteint le divin. Je crois que dans ce domaine, la Chine a atteint le divin.

QUESTION - Monsieur le Président, vous nous étonnez pour votre connaissance très approfondie pour la culture chinoise et hier j'ai eu un entretien avec notre ambassadeur de Chine en France : il m'a rapporté que vous saviez même que le poète Li Bai et Du Fu ont onze ans de différence d'âge. Est-ce que c'est pour votre intérêt personnel ou cela vous aide beaucoup pour connaître la Chine et les relations franco-chinoises ?

LE PRÉSIDENT - La culture chinoise m'a beaucoup apporté. Naturellement, cela m'aide probablement à mieux comprendre la Chine contemporaine. Il faut toujours connaître l'histoire contemporaine pour pouvoir juger du présent, mais je ne me lasse pas d'étudier la culture et la Chine. Par exemple, je suis particulièrement heureux de pouvoir me rendre pour la première fois à Chengdu : vous avez cité les deux des plus grands poètes de l'Humanité, Li Baï et Du Fu, tous les deux d'une façon ou d'une autre, liés à la terre du Sichuan. L'un parce que il y est peut-être né, l'autre parce que il y a vécu ses années les plus sereines. C'est pour moi une grande joie, j'y attache une grande importance et je remercie les autorités chinoises d'avoir bien voulu organiser cela. j'ajoute que j'aurai la possibilité de voir rapidement quelques unes des extraordinaires pièces qui sont sorties de fouilles des puits 1 et 2 de Sanxingdui.

QUESTION - La relation franco-chinoise est, pour la plupart des habitants des deux pays, dans sa meilleure période. Les dirigeants des deux pays ont des relations personnelles très aimables. Cela va peut-être aider à approfondir la coopération et la relation entre les deux pays. Mais il y a aussi une autre opinion selon laquelle votre intérêt pour les pays asiatiques est plutôt dicté par une nécessité politique. Pour répondre à la demande politique intérieure en particulier ?

LE PRÉSIDENT - Non, je ne crois pas que la question se pose de cette façon. Quand le général de GAULLE a reconnu la Chine, sa volonté était de sortir d'un système de confrontation mondiale entre deux blocs. La confrontation est toujours une mauvaise solution dans l'histoire des hommes. Par conséquent, il est essentiel de développer tout ce qui peut permettre le respect et le dialogue des civilisations, des cultures, la recherche d'un intérêt commun et de valeurs communes. Et c'est dans cet esprit que la Chine, qui devient l'une des premières puissances mondiales, a un rôle considérable à jouer. Et il est normal qu'un groupe de pays comme l'Europe veuille avoir avec la Chine des relations de très grande proximité, de façon à pouvoir aborder en commun le monde multipolaire qui est en train de se dessiner pour demain.

QUESTION - La relation franco-chinoise est pour le moment la meilleure dans l'histoire, surtout dans le domaine stratégique. Toutefois, dans les domaines de l'économie et du commerce, il me semble qu'il y a beaucoup de choses à faire. Que pensez-vous que l'on puisse faire pour approfondir les échanges économiques et commerciaux entre les deux pays ?

LE PRÉSIDENT - C'est l'une des ambitions de mon prochain voyage en Chine. En 1997, avec le Président JIANG Zemin, nous avions signé ensemble une déclaration pour renforcer notre coopération et élaborer un partenariat stratégique. En 2004, avec le Président HU Jintao, nous avons fait un pas suivant, qui nous a permis de définir les grands secteurs où notre coopération devait se développer. Je dis bien coopération : échanges de technologies, coopération économique, technique scientifique, dans l'intérêt mutuel des deux parties. Et nous avions notamment désigné quelques secteurs prioritaires, qui étaient l'aéronautique, l'énergie, les transports terrestres et tout ce qui va autour, notamment tout ce qui touche au développement durable.

Je pense que, au-delà de notre coopération politique, notre coopération économique, technique, technologique, peut se développer considérablement. Je le répète, dans le respect des intérêts des deux parties, dans un esprit d'échange, de coopération. C'est vrai dans beaucoup de domaines, et c'est la raison pour laquelle j'ai demandé à un certain nombre d'industriels français, petits, moyens ou grands de participer à ce voyage pour engager des négociations avec leurs homologues et les autorités chinoises afin de développer sensiblement ce qui est possible, la présence française en Chine, pays dont la croissance est tout à fait spectaculaire et à mon avis durable.

QUESTION - J'ai une question plutôt sur les affaires internationales : lors du sommet franco-germano-espagnol de Madrid cette année, vous avez dit que la boîte de Pandore est ouverte en Irak et que nous n'avons pas le pouvoir de la refermer. Je voudrais vous demander ce que vous pensez des démons que l'on a fait sortir de la boîte de Pandore ?

LE PRÉSIDENT - Vous connaissez la position de la France sur l'Irak, elle est d'ailleurs très proche de celle de la Chine, nous avons eu une longue concertation pendant toute cette période. Nous avons ensemble refusé le principe même de la guerre. Nous avons ensemble approuvé la résolution 1546 pour le retour à la souveraineté de l'Irak et à des élections, en principe avant la fin janvier. Donc nous sommes tout à fait sur la même ligne. J'observe que les démons de la guerre civile, du terrorisme, continuent à agir, et même à agir de plus en plus souvent et de plus en plus fort, et donc je suis, c'est vrai, très inquiet pour l'avenir de la situation en Irak. Nous avons une concertation permanente entre la France, l'Allemagne, l'Espagne, la Russie et la Chine sur ces problèmes.

QUESTION - Quand on parle de terrorisme, plus particulièrement l'attentat de Madrid cette année, le 11 mars, quels sont les effets de cet événement sur la guerre anti-terroriste en Europe ?

LE PRÉSIDENT - Naturellement, nous condamnons tous le terrorisme, et nous mobilisons tous nos moyens pour lutter contre le terrorisme et les terroristes, en Europe et dans le monde.

Je ne voudrais pas que cette lutte contre le terrorisme, qui est absolument nécessaire, efface un peu la nécessité de réfléchir sur les causes et les origines du terrorisme.

QUESTION - Quand vous étiez Premier ministre en 1985, vous aviez déjà résolu le problème des otages au Liban. Maintenant, il y a deux journalistes français qui sont otages depuis une quarantaine de jours. Quelle est votre opinion sur la situation en Irak des civils occidentaux ? Cela corrobore-t-il vos prévisions ?

LE PRÉSIDENT - Je vous ai dit tout à l'heure qu'on avait un peu ouvert une boîte de Pandore, et c'est vrai pour les otages français. Je voudrais remercier toutes les autorités musulmanes françaises, du Moyen-Orient et du monde et qui ont été totalement solidaires de la France dans cette épreuve. Je voudrais également souligner les drames que cette méthode inhumaine fait peser sur la stabilité même du monde et des droits de l'Homme. On ne peut que condamner naturellement ces prises d'otages.

QUESTION - Le peuple chinois est très intéressé par les relations franco-américaines parce que nous savons que sur l'affaire de l'Irak, la France a une opinion différente des Etats-Unis et à cause de cette opinion il y a des médias américains qui vous prennent pour l'ennemi des Américains. Mais maintenant nous avons noté qu'il y a des efforts pour réduire la divergence entre les deux pays. Quel est votre commentaire sur la relation franco-américaine aujourd'hui ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, depuis deux siècles, la relation franco-américaine a été excellente et nous n'oublions pas ce que la France et l'Europe doit aux alliés américains et anglais et les autres, au moment de la Libération, après la nuit hitlérienne et nazie. Ces relations seront toujours très bonnes. Cela ne veut pas dire naturellement que l'on doit être en permanence alignés sur les Américains, nous sommes un peuple et un pays libre et indépendant, alors quand nous sommes d'accord nous le disons et quand nous ne le sommes pas, nous le disons aussi. Et je ne pense pas qu'il soit dans la nature de la France de changer cette approche des choses.

QUESTION - Est-ce que vous avez du regret pour votre position, c'est-à-dire votre opposition à la guerre en l'Irak ?

LE PRÉSIDENT - Non, je crois que c'était une mauvaise solution qui n'était pas conforme au droit et à la loi internationale, et donc que c'était une erreur.

QUESTION - Dans ce cas-là, quel pays doit avoir les regrets, ce sont les Etats-Unis ?

LE PRÉSIDENT - L'histoire le dira. La Chine est un pays qui respecte l'histoire, c'est un pays où l'histoire joue un rôle considérable, l'histoire le dira. Je voudrais en terminant, d'abord vous remercier, et signaler que j'ai reçu les médaillés olympiques français des derniers jeux en Grèce. C'est pour moi une occasion, d'une part, de féliciter la Chine et les Chinois pour les superbes résultats qu'ils ont obtenus à Athènes et leur dire tous mes vœux très sincères pour les jeux de Pékin qui seront, j'en suis sûr, une très grande réussite et où la Chine va briller de tous ses feux.





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