"D-DAY" : interview télévisée du Président de la République à NBC NEWS

Interview télévisée accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à NBC NEWS à l'occasion du "D-DAY"

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Palais de l'Élysée, le vendredi 4 juin 2004

QUESTION - Monsieur le Président, nombreux sont ceux qui craignent qu'après les défilés, les discours et les feux d'artifice l'unité qui existe entre la France et les Etats-Unis pendant les cérémonies du "D-DAY" disparaîtra et laissera la place à de grandes divisions entre nos deux pays.

LE PRÉSIDENT - Vous savez, l'unité entre les Etats-Unis et la France, elle existe depuis l'origine des Etats-Unis, depuis 200 ans. Naturellement, il peut y avoir, comme dans toutes les familles, quelques difficultés ou divergences de vue. Mais l'unité n'a jamais été mise en cause, en tous les cas par la France, et je n'ai pas le sentiment qu'elle le soit du côté des Etats-Unis. Et ce "D-DAY" a pour objectif de marquer fortement cette unité. Je voudrais dire une chose aux Américains : c'est que nous sommes profondément émus à l'occasion de cet anniversaire et je voudrais leur dire merci. Et nous n'oublions pas.

QUESTION - Dans les discours qui précèdent les fêtes du débarquement, et il le redira sans doute le 6 juin, le Président BUSH a comparé la période actuelle à la deuxième guerre mondiale en disant qu'il fallait choisir entre la liberté et la tyrannie. Considérez-vous que ces comparaisons sont opportunes dans le contexte des fêtes du débarquement ?

LE PRÉSIDENT - Je comprends très bien la position du Président. Pour nous le problème est un peu différent. Nous étions sous la tyrannie nazie, sans aucune liberté et nous avons vu arriver la liberté grâce aux soldats américains et alliés, les avions, les bateaux, tout ce qui est arrivé pour nous rendre l'honneur et la liberté. Alors pour nous c'est un élément important, essentiel de notre histoire contemporaine, qui existe en lui-même et n'a pas de rapport avec telle ou telle autre situation passée, présente ou future. C'est une grande commémoration, c'est un moment de respect à l'égard des Etats-Unis et, surtout, de reconnaissance.

QUESTION - Ne fera-t-on que commémorer, que se souvenir du passé ou pourra-t-on également définir ensemble une vision pour l'avenir ?

LE PRÉSIDENT - Une vision commune de l'avenir, nous l'avons. Elle est fondée sur un certain nombre de valeurs qui touchent à la démocratie, aux droits de l'Homme et qui nous sont communes depuis très longtemps. Cela n'empêche pas, bien entendu, que sur tel ou tel problème particulier nous puissions avoir une approche différente, une vision différente des choses.

Et, comme il se doit lorsque l'on est amis, on se le dit et on se le dit clairement. Prenons l'exemple de la réaction américaine dans l'affaire iraqienne, nous n'étions pas d'accord. Bien. Nous l'avons dit, nous l'avons dit sans agressivité mais nous l'avons dit clairement. Nous ne pensions pas que c'était une vision de l'avenir qui était la bonne. Ceci étant aujourd'hui nous avons le même objectif qui est de rétablir la sécurité, la stabilité, les conditions du développement et la démocratie en Iraq et pour cela nous nous associerons, bien entendu, comme partout où la démocratie est en danger.

QUESTION - Comme vous le savez, Monsieur le Président, je me suis souvent rendu en Normandie et je suis toujours très ému par l'affection profonde que les Normands ont envers les Etats-Unis. Le maire d'une commune normande a dit à la 101ème division aéroportée : "nous étions de tout coeur avec vous lorsque vous êtes partis pour l'Iraq et pour l'Afghanistan". J'imagine que ce sentiment n'est pas partagé par toute la population française.

LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, Tom, ce n'est pas un sentiment spécifiquement normand. Les événements ont commencé en Normandie mais c'est de la France et de l'Europe que nous parlons, de la France qui a été libérée du joug nazi. Et ce sentiment que vous évoquez, il est partagé partout en France. Moi j'étais tout jeune à l'époque mais j'ai vécu ces événements au bord de la Méditerranée, où je me trouvais. Et j'ai connu le débarquement en Méditerranée. Et je peux vous assurer que le sentiment qui existe à l'égard des Américains et des Alliés dans la partie sud de la France est tout à fait le même que celui qui existe en Normandie ou d'ailleurs dans l'ensemble du pays. C'est un sentiment de réelle reconnaissance, profonde, et je le répète une reconnaissance fondée sur deux siècles d'adhésion commune à des valeurs humaines.

QUESTION - Pensez-vous que dans soixante ans, nous célébrerons le 120ème anniversaire du débarquement et 60 ans de démocratie et de liberté en Iraq ?

LE PRÉSIDENT - Je l'espère, je l'espère. Cela dépendra de beaucoup de choses, de l'évolution de l'ensemble de cette région. Vous savez, il y a en tous les cas un piège qu'il faut éviter ou une erreur qu'il ne faut pas commettre c'est de créer les conditions que nous avons connues dans le passé lointain, des conditions qui feraient se développer un affrontement entre l'Occident chrétien et l'Orient musulman.

Ce serait la pire des choses et donc ce qui est essentiel c'est de favoriser les rapprochements, le dialogue de nos cultures, de nos civilisations, la compréhension de nos histoires communes. C'est cela qu'il faut privilégier et non pas l'affrontement.

QUESTION - Que souhaitez-vous entendre dans le discours du Président BUSH le 6 juin ?

LE PRÉSIDENT - Oh, je ne veux pas préjuger naturellement de ce que dira le Président et j'imagine que d'abord il rappellera...

QUESTION - Mais que souhaitez-vous l'entendre dire ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas de conseil à lui donner, naturellement. Ce que je pense qu'il dira, ou ce que je souhaite qu'il dise, c'est que nous appartenons à une même famille. Comme dans toutes les familles il peut y avoir des divergences de vue. Mais nous défendons les mêmes valeurs. Nous sommes dans un monde qui évolue, inéluctablement vers la création de grands pôles. Ces grands pôles doivent créer des conditions de leur entente, de leur dialogue. Rien ne serait pire que de voir ces pôles dans 10 ans, dans 50 ans, dans 100 ans s'affronter ; et par conséquent il faut mettre en oeuvre une gouvernance mondiale et il faut faire en sorte que le dialogue se substitue à l'affrontement.

Je crois que ce que nous avons connu dans le passé plaide pour que nous fassions en sorte que ces erreurs ne se renouvellent pas, que nous comprenions bien que la guerre ne conduit en réalité jamais à une solution positive des problèmes humains. Elle laisse toujours des traces et donc ce que je souhaiterais c'est que nous soyons totalement associés dans une action qui permette de faire comprendre que nos valeurs, celle de la démocratie et de la liberté des droits de l'Homme sont les meilleures mais que nous ne cherchons pas à les imposer, nous cherchons simplement à les faire comprendre et à ce qu'elles soient partagées par tout le monde.

QUESTION - L'ancien Ambassadeur des Etats-Unis en France, M. Félix ROHATYN, que vous connaissez bien, a écrit dans un éditorial publié aujourd'hui : "je sais que les Etats-Unis et la France ont besoin l'un de l'autre en termes stratégiques, économiques et culturels. Nous avons besoin d'une relation fondée sur le respect mutuel ainsi que des intérêts communs. Peut-être qu'elle sera relancée à Omaha Beach". Pensez-vous qu'elle sera effectivement relancée à Omaha Beach ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, au-delà des événements du quotidien, il y a les sentiments profonds et cela existe, ils n'ont pas besoin d'être relancés, ils ont des fondements solides et historiques que j'évoquais tout à l'heure. Donc ce respect mutuel est nécessaire entre, notamment, les États-Unis et l'Europe. Nous devons faire en sorte de bien nous comprendre et de ne pas nous laisser irriter par des circonstances exceptionnelles. Je le répète : le dialogue est toujours préférable à la force quelles que soient les circonstances.

QUESTION - Il y a un an, le Président BUSH avait dit qu'il ne s'attendait pas à vous recevoir rapidement dans son ranch. Il a dit récemment que vous seriez le bienvenu dans son ranch si vous aimez les vaches. Seriez-vous prêt à lui rendre visite dans son ranch au Texas ?

LE PRÉSIDENT - D'abord je tiens à vous dire que j'ai toujours été très bien reçu par le Président BUSH et je garde d'excellents souvenirs de tous les entretiens et de toutes les rencontres que j'ai eus avec le Président ou avec Laura. Je n'ai jamais eu le moindre problème. Je n'ai gardé que d'excellents souvenirs de nos rencontres, où qu'elles se soient produites et elles ont été nombreuses. Il est bien évident que si le Président m'invite dans son ranch j'irai avec plaisir, d'autant que j'ai cru comprendre qu'il y élevait des vaches et que je suis moi-même d'une région où on fait des vaches, probablement les plus belles et les meilleures du monde !

QUESTION - Monsieur le Président, vous nous avez déjà accordé beaucoup de temps, j'espère pouvoir revenir et débattre avec vous des autres sujets d'intérêt commun à nos deux pays et des problèmes du monde. J'espère que vous m'accorderez à nouveau une interview.

LE PRÉSIDENT - Thank you, Tom. And I just want to say -excuse my English, it is not very good- but I just want to say at the end that the only message I would like to remain from our talk is the following: the French say "Thank you" to the Americans and they will not forget what they did 60 years ago. And that is very, very important in our minds and in our hearts.

Merci, Tom. Je souhaite vous dire pour conclure, et excusez mon anglais qui n'est pas très bon, que le seul message qui doit rester de notre entretien est le suivant: les Français disent merci aux Américains et n'oublieront pas ce qu'ils ont fait il y a 60 ans. Cela tient une place très, très importante dans nos esprits et dans nos coeurs.)

QUESTION - Merci, Monsieur le Président.





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