Interview du Président de la République au quotidien "USA Today"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien "USA Today". Propos recueillis par Barbara Slavin

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New York, États-unis d'Amérique, le jeudi 25 septembre 2003

QUESTION - Ma première question sera sur l'Iraq. Est-ce qu'on peut s'attendre à voir la France annoncer une contribution financière pour la reconstruction à l'occasion de la Conférence de Madrid, compte tenu que vous avez dit à l'occasion de l'interview, avant la guerre, que la France évidemment jouerait son rôle ?

LE PRÉSIDENT - Naturellement, la France jouera son rôle, directement et en relation avec l'Union européenne, dans des conditions qui dépendront de la décision qui sera prise dans le cadre de la résolution qui doit être discutée et votée, je l'espère, par le Conseil de sécurité.

QUESTION - Vous n'êtes pas prêt à fournir des chiffres pour la contribution financière à Madrid pour le moment?

LE PRÉSIDENT - Non. Ce n'est pas seulement une question de chiffres, il y a aussi les engagements de nature technique, par exemple la formation de l'armée ou de la police. C'est une suggestion qui a été faite par nos amis allemands et à laquelle nous souscrivons volontiers. Mais tout cela dépendra, naturellement, de la résolution.

QUESTION - Est-ce que vous avez l'impression qu'après votre entretien avec le Président BUSH, il sera plus probable qu'on ait cette résolution ? Plus probable que quand vous avez quitté Paris ?

LE PRÉSIDENT - Je le souhaite beaucoup. Je ne comprends pas toujours très bien les réactions parfois un peu passionnelles, voire irrationnelles, que j'observe dans certains commentaires aux Etats-Unis, en ce qui concerne la position de la France. Je prends un exemple. J'ai écouté très attentivement, de mon banc, le discours du Président BUSH. Je me suis aperçu que sur les trois quarts, je dirais même que tout ce qui ne concernait pas strictement l'appréciation sur l'Iraq, nous étions totalement d'accord. C'était le cas pour la lutte contre le terrorisme. Je rappelle que la France qui présidait le Conseil de sécurité juste après les événements du 11 septembre, a elle-même fait la proposition d'une solidarité immédiate et d'une réaction militaire contre le terrorisme d'Al Qaïda. Nous n'avons pas changé d'avis depuis. Et tout ce qu'a dit le Président BUSH sur le terrorisme correspond tout à fait à ce que je pense.

De la même façon, tout ce qu'a dit le Président BUSH sur la lutte contre la prolifération, nous y adhérons entièrement. Nous avons approuvé les propositions faites par le Président BUSH dans son discours au sujet de la non prolifération. Tout ce qu'il a dit sur l'éthique du monde et, notamment, la lutte contre les trafics d'êtres humains et toutes les suggestions qu'il a faites à ce sujet, nous y adhérons à cent pour cent.

Alors, nous avons, depuis l'origine, une divergence de vues sur l'Iraq. Nous comprenons parfaitement la réaction des Américains qui ont eu le sentiment très fort d'être directement menacés. Tout cela nous le comprenons parfaitement, mais les modalités de la réaction américaine nous ont paru mal adaptées à la situation. Bien sûr, nous voulions la disparition du régime de Saddam HUSSEIN, mais nous pensions que d'autres moyens auraient été plus efficaces et moins dangereux.

Voilà pourquoi nous avons une divergence de vues sur ce point particulier. Mais vous savez, nous sommes amis depuis 225 ans. Alors, il peut y avoir un petit incident comme cela dans toutes les familles. Mais cela ne veut pas dire que cela porte à conséquence sur ce qui est très profond en France, et d'ailleurs très profond chez moi, qui est l'estime, la reconnaissance et l'amitié pour le peuple américain.

QUESTION - Que dites-vous alors, que ce différend n'est pas tant un problème de fond, qu'un problème de l'administration américaine, du gouvernement américain tel qu'il est aujourd'hui ? Ou alors est-ce que vous pensez qu'il y a une tendance qui se dessine ? Du temps de l'administration de Monsieur CLINTON, Hubert VEDRINE avait parlé d'une hyper puissance américaine et d'une certaine façon, il donnait déjà l'impression que la France devait s'opposer à la puissance excessive des Américains et qu'il fallait peut-être être un contrepoids avec l'Amérique. Alors, est-ce que vous pensez que c'est une tendance lourde qui se dessine ou est-ce que c'est le résultat conjoncturel de la formation de l'administration BUSH ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, je n'ai pas approuvé l'expression d'Hubert VEDRINE. Je me rappelle, et je l'ai dit. Je pense que cela n'avait pas de sens.

Deuxièmement, je n'ai pas à juger l'administration américaine. Je constate simplement qu'elle a une analyse différente de la mienne. Et je revendique simplement le droit qu'a légitimement un ami de s'exprimer librement, sinon ce n'est pas un ami, c'est un esclave. C'est différent.

Troisièmement, je ne crois pas à une tendance lourde qui existerait dans le peuple américain. Le peuple américain est un peuple démocratique.

QUESTION - Mais est-ce que c'est peut-être une tendance, disons française, à devenir un contrepoids face aux Etats-Unis, puisqu'il n'y a plus besoin de s'inquiéter de l'Union soviétique et de la guerre froide ?

LE PRÉSIDENT - J'ai entendu cette thèse. Je la crois absurde. Elle émane de gens qui ne connaissent ni la France, ni les Français. L'immense majorité des Français partagent le sentiment que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire des sentiments d'amitié, de reconnaissance, de respect, d'estime pour le peuple américain. Cela ne fait aucun doute. D'ailleurs, vous savez, je ne suis pas sûr qu'il y ait un sentiment si important contre les Français. On nous avait expliqué qu'il allait y avoir des conséquences économiques pour la France, de sa position présentée comme anti-américaine. Ce qui n'était pas du tout l'intention de la France. Il n'y a eu, en fait, aucune conséquence dans nos échanges.

QUESTION - Une chute dans la vente de vin, peut-être.

LE PRÉSIDENT - Ne croyez pas cela. Ce sont les experts qui diront qu'il n'y a eu aucune chute dans la vente de vin. Il y a eu simplement l'effet, qui n'a rien avoir avec les difficultés que nous venons d'évoquer, qui sont les variations monétaires du dollar par rapport à l'euro. Et le fait que le vin était monté trop haut depuis deux ans. Donc l'effet a été le même en Allemagne qu'aux Etats-Unis.

QUESTION - Revenons sur la question de l'Iraq, si vous le permettez. Un grand nombre d'Américains ont du mal à comprendre exactement la position française. La France parlait, il y a quelques mois, du gouvernement provisoire, du Conseil de gouvernement provisoire en Iraq, en disant que c'était des valets, des laquais des Etats-Unis. Et là, d'un coup, on voit que la France veut transférer la souveraineté et les compétences à ce même groupe.

LE PRÉSIDENT - Premièrement, il n'y a jamais eu, à ma connaissance, de jugements portés sur les autorités gouvernementales mises en place en Iraq. Elles n'ont jamais été qualifiées par nous de façon désagréable. Cela, je vous mets au défi de trouver une déclaration. Où que je sache, il n'y en a jamais eue. Je vous mets au défi d'en trouver une. Ce sont les Américains qui ont dit, c'est la presse américaine qui a dit cela. Mais en France, nous n'avons jamais dit cela, pour une raison simple, c'est que nous savons très bien qu'il fallait mettre en place un système. Naturellement, il ne pouvait pas être parfait et démocratique, mais il était nécessaire et il avait été mis en place le mieux possible ou le moins mal possible. Non seulement nous n'avons pas critiqué, mais nous avons eu des contacts avec ces gens là. Tous ceux qui sont venus en France et qui ont demandé à être reçus, ont été reçus par le ministre des Affaires étrangères. Le dernier en date étant Madame AL HACHEMI qui a été blessée dans un attentat et qui avait été reçue quelques jours avant. Donc, il ne faut pas dire cela.

QUESTION - Est-ce que vous pourriez alors me dire pourquoi vous voulez transférer les compétences, alors que beaucoup de personnes ont l'impression qu'il faudra beaucoup de temps avant que ce groupe d'individus ait les moyens de conduire cette politique, alors qu'on entend l'administration BUSH dire qu'il faut d'abord des élections pour donner une légitimité supplémentaire ?

LE PRÉSIDENT - Vous voyez bien que la situation se dégrade et que les réactions contre l'occupation se développent. C'est une réaction que l'on peut déplorer, mais qui existe. Et ce n'est pas le fait seulement des terroristes. C'est une réaction politique.

Alors, dans ce contexte, vous avez raison de dire qu'il faudra du temps pour que les Iraquiens puissent réellement diriger leur pays. Mais si nous ne faisons pas un geste fort, politique, psychologique, pour dire aux Iraquiens : nous changeons notre vision des choses. Vous êtes détenteurs de votre souveraineté. Vous assumez votre destin. C'est donc une autre approche. Vous n'êtes plus occupés. Vous assumez votre destin. Naturellement, vous ne pouvez pas le faire de suite. Et donc, il faudra prendre le temps nécessaire pour vous transférer les responsabilités.

QUESTION - Mais il y a 150 000 hommes, 150 000 Américains en Iraq, c'est bien une occupation en Iraq ?

LE PRÉSIDENT - Oui, mais ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas la même chose de dire à des gens : vous êtes occupés et nous exerçons la souveraineté aussi longtemps qu'on le souhaiterait. Ce n'est pas la même chose que de dire nous reconnaissons que vous avez vocation à assurer votre souveraineté. C'est un geste politique fort. Mais, naturellement, nous ne sommes pas en mesure de le faire aujourd'hui, pourtant, nous allons vous aider. C'est très différent sur le plan psychologique.

QUESTION - Est-ce que cela suffit, par exemple, d'avoir des Iraquiens être représentés par eux-mêmes aux Nations Unies, à l'OPEP ou à la Ligue arabe, par exemple. Est-ce que cela suffirait ?

LE PRÉSIDENT - Cela ne suffit pas. C'est un geste. C'est une bonne évolution.

QUESTION - Qu'est qu'il faut de plus alors ?

LE PRÉSIDENT - Je vais vous le dire.

QUESTION - Le coeur du problème, n'est-il pas autour de la résolution ?

LE PRÉSIDENT - Le coeur du problème, c'est d'essayer de comprendre un peuple. Ce n'est pas parce qu'il est différent de nous qu'il a tort. Nous avons une situation qui n'est pas bonne et qui ne s'améliore pas. Le risque qu'elle se dégrade est très grand. Et donc il faut essayer autre chose, même si on n'est pas sûr de gagner. Je crois qu'on ne peut qu'améliorer les choses. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire : dire aux Iraquiens, nous vous respectons. Vous êtes un peuple souverain. La situation est aujourd'hui telle que vous ne pouvez pas exercer normalement votre souveraineté. Alors on va vous aider.

Vous pourriez me dire, mais l'institution gouvernementale -le conseil du gouvernement, le conseil des ministres- n'est pas une organisation démocratique, n'est pas parfaite. Elle existe. C'est la raison pour laquelle je dis, il ne faut pas la critiquer. Et nous ne l'avons jamais critiquée.

QUESTION - Et que devient Paul BREMER, est-ce qu'il pourrait avoir une double casquette peut-être, une casquette Nations Unies et une casquette américaine ?

LE PRÉSIDENT - Et une casquette iraquienne.

QUESTION - Vous pensez qu'il pourrait rester en redéfinissant sa mission ?

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas le problème pour moi. Le problème c'est de dire aux Iraquiens, vous êtes souverains. Le pouvoir se trouve entre les mains de votre organisation gouvernementale. Peut-être d'ailleurs sous l'autorité de l'ONU peut-on l'améliorer ? C'est possible.

A partir de là, ce pouvoir ne peut pas se passer de l'actuelle administration de BREMER. Et donc, il y aura forcément une période de transition. Mais il faut qu'elle soit conduite par le pouvoir souverain et que ce serait à leur demande.

QUESTION - Je comprends que c'est la position américaine.

LE PRÉSIDENT - Si c'est la position américaine, ce dont je me réjouirais, je souhaite qu'elle soit dans la résolution et que la résolution évoque le transfert officiel de souveraineté au peuple iraquien. Après, les modalités pourront être discutées tranquillement. Alors, vous me direz, matériellement cela ne changerait peut-être pas beaucoup de choses. Mais psychologiquement et politiquement, cela change beaucoup.

QUESTION - Quels contrepoids : vous avez dit tout à l'heure que vous partagiez l'avis du Président BUSH sur 75% de son discours.

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas cité de pourcentage.

QUESTION - On va en arriver au moment où il va falloir prendre une décision sur l'Iran. Si les Iraniens n'acceptent pas le protocole additionnel, est-ce que la France souhaiterait soutenir une action prise au Conseil de sécurité contre l'Iran y compris peut-être des sanctions économiques ?

LE PRÉSIDENT - J'ai dit au Président BUSH que nous avions la même approche que les Américains sur ce problème, que nous estimions que le consensus qui s'est révélé au sein de l'AIEA, était totalement approuvé, notamment par la France, l'Angleterre et l'Allemagne qui sont intervenus avec fermeté auprès des autorités d'Iran pour le leur dire.

Donc, deux hypothèses, ou bien l'Iran accepte ce que demande l'AIEA, c'est-à-dire tous les contrôles nécessaires, toutes les informations sur les programmes et en plus, la ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires.

Alors, dans cette hypothèse nous sommes satisfaits et là, nous avons peut-être -nous, ce sont les Anglais, les Allemands et nous-, une nuance avec la position américaine dans la mesure où, dans l'hypothèse que j'évoquais, nous ne verrions pas d'inconvénients à ce que l'Iran développe un programme nucléaire civil, c'est-à-dire électro-nucléaire, et seulement dans cette hypothèse. Si l'Iran n'accepte pas les demandes ou les exigences de l'AIEA, alors nous sommes tout à fait d'accord avec les Américains pour que le Conseil de sécurité soit saisi et prenne toutes les dispositions qu'il estimera devoir prendre pour que l'Iran rentre dans le droit international.

Nous n'avons pas de divergences de vues sur ce point avec les Etats-Unis.

QUESTION - Les mesures nécessaires, cela peut vouloir dire des sanctions ?

LE PRÉSIDENT - Nous sommes ouverts à toutes propositions émanant du Conseil de sécurité. Nous espérons que les Iraniens seront raisonnables.

QUESTION - Si l'on regarde ce qui s'est passé dans les quelques mois qui viennent de s'écouler et si l'on repense à l'émotion des Français par rapport à la réaction très forte des Américains, regrettez-vous ce que la France a fait ? Pensez-vous avec le recul que la France n'aurait peut-être pas dû essayer d'organiser cette coalition contre la deuxième résolution au Conseil de sécurité ? C'est cela après tout, je crois, qui a touché les Américains le plus. Les Américains comprenaient l'opposition française, mais ne comprenait pas pourquoi la France prenait la tête d'une campagne contre la position américaine au Conseil de sécurité.

LE PRÉSIDENT - On n'a pas pris la tête. La campagne s'est faite tout naturellement. Vous savez, sur l'affaire de la guerre, il y avait à l'évidence une majorité de peuples et une majorité d'Etats qui étaient contre la guerre et pour la poursuite des inspections. Donc, c'était l'expression d'une forme de démocratie mondiale. C'est difficile d'accepter que quelqu'un ait raison contre tout le monde. Cela arrive que quelqu'un ait raison contre tout le monde et que l'histoire en porte témoignage. Mais je ne suis pas sûr que ce sera le cas en ce qui concerne cette affaire iraquienne.

QUESTION - Vous ne pensez pas que l'histoire montrera que George BUSH avait raison ?

LE PRÉSIDENT - Il ne faut jamais se substituer à l'histoire car quand on veut prévoir l'histoire on a de grandes chances de se tromper. Donc, je me limite à maintenir une position qui était la mienne et celle de beaucoup d'autres, et qui était la suivante : la guerre est toujours la dernière des solutions et il ne faut recourir à la guerre que quand il n'y a vraiment pas d'autres moyens pour atteindre son objectif.

QUESTION - Comment s'est passée votre réunion avec le Président BUSH, hier ?

LE PRÉSIDENT - Elle s'est très bien passée. Moi j'ai toujours eu des relations personnelles, en tous les cas de mon point de vue, tout à fait cordiales et excellentes avec le Président BUSH. J'ai toujours éprouvé du plaisir à le rencontrer et à discuter avec lui. J'ai toujours eu le sentiment qu'il me recevait avec chaleur et amitié, donc peut-être que je ne comprends rien aux choses, mais moi je me suis toujours trouvé très à l'aise avec le Président BUSH, chaque fois que je l'ai vu.

QUESTION - Je comprends que vous connaissez le père, George BUSH ?

LE PRÉSIDENT - Oui, mais je connais maintenant assez bien le fils.

QUESTION - Oui, vous étiez de bons amis ?

LE PRÉSIDENT - J'ai quand même eu beaucoup de contacts avec lui, soit par téléphone, soit par des entretiens. J'ai toujours essayé de lui faire comprendre que la France fait ses propositions, non pas pour l'embêter, mais pour aider à trouver une solution, pour améliorer une situation qui est, à l'évidence, difficile avec l'Iraq. Les risques, aujourd'hui en Iraq, sont plus grands que les espoirs. Peut-être pourrait-on tranquillement parler de l'évolution possible des choses ? Personne n'est détenteur de la vérité. Nous avons, nous aussi, une certaine expérience des choses et ce que nous disons n'est pas obligatoirement complètement idiot.

QUESTION - Un peu amusé, un peu en train d'essayer de les titiller un peu quand même ?

LE PRÉSIDENT - Non.

QUESTION - On a l'impression que la France et vous-même, finalement, cela vous plait d'avoir cette attention des médias américains ?

LE PRÉSIDENT - Quand je regarde, quand je lis la presse américaine, pour dire la vérité, je m'arrangerais très bien qu'ils parlent moins de moi. Parce qu'en règle générale, ce n'est pas très flatteur. Donc, cela ne me fait pas un plaisir particulier. Je préférerais être moins populaire dans les médias américains.

QUESTION - Et quand Tom FRIEDMAN dit de vous que vous êtes un ennemi ?

LE PRÉSIDENT - Qui donc ? Je ne connais pas ce personnage. Je n'ai pas lu cet article, mais s'il a dit que la France est devenue une ennemie des Etats-Unis, il a tout simplement dit ce que nous appelons, en français, une ânerie.

QUESTION - Je lui dirai, ça lui fera certainement plaisir. Quelle est votre vision de la France ? On voit aujourd'hui que l'Union européenne est sur le point de s'élargir. Il y a ces nouveaux membres qui viennent de la nouvelle Europe, qui vous rejoignent, des pays qui sont plus attachés aux Etats-Unis, mais qui en ont peut-être peur, également ? Est-ce que cela va avoir une conséquence directe sur la façon dont la France va jouer son rôle en Europe et sur la scène internationale ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons un grand dessein, c'est la construction de l'Europe. Pourquoi ? Parce que nous avons souffert, pendant des siècles, des guerres et nous avons fini par comprendre que la guerre était absurde et que nous devions nous organiser, nous intégrer pour que la guerre ne soit plus possible.

Deuxièmement, nous avons souffert des dérives politiques de certains pays, c'est-à-dire de la mise en cause de la démocratie. Et nous avons pour ambition d'enraciner la démocratie. Pour cela, il faut faire l'Europe. Alors, nous avons fait une deuxième constatation, si l'Europe veut avancer, ce qu'elle a toujours fait depuis sa création, quand on était six, il y a une exigence fondamentale première : c'est un accord franco-allemand. Si la France et l'Allemagne s'entendent, toute l'Europe progresse. S'ils ne s'entendent pas, l'Europe s'arrête. C'était vrai quand on était six, neuf, quinze, vingt-cinq et donc, nous avons en quelque sorte, l'Allemagne et nous, une responsabilité. L'accord franco-allemand n'est pas suffisant pour faire marcher l'Europe, mais il est nécessaire. Et donc, voilà notre ambition. Vouloir parler de nouveaux pays ou des anciens pays, est absurde.

QUESTION - Si ces nouveaux pays, ces nouveaux membres n'aiment pas particulièrement cette position franco-allemande, que va-t-il se passer ? Est-ce que vous voulez qu'ils se taisent, réellement, comme vous l'aviez déjà dit ?

LE PRÉSIDENT - Il faut que vous compreniez bien une chose qui s'est exprimée quand ils ont voté : ces peuples qui ont été soumis à la pression soviétique, dans leur immense majorité, je parle des peuples, ils voient dans l'Europe la certitude de ne plus être soumis à une pression étrangère. C'est la raison pour laquelle, quelles que soient les déclarations de tel ou tel dirigeant, la très grande majorité des peuples est décidée à avancer dans la construction de l'Europe et chacun sait, ils savent, ils comprennent bien qu'il y ait un moteur franco-allemand qui ne s'impose pas du tout comme une contrainte, mais, au contraire, comme une capacité d'avancer.

QUESTION - Donc, ce n'est pas une identité française à part, c'est une identité franco-allemande dans l'Europe ?

LE PRÉSIDENT - Non, non, c'est une identité européenne qui se construit. La France respecte son histoire, assume ses intérêts mais elle a parfaitement compris que la paix et la démocratie qui sont l'objectif numéro un pour la vie des hommes de demain, passe non pas par l'exaspération des intérêts nationaux mais par l'intégration, la mise en commun des moyens et des espoirs. Et vous aurez observé que l'Europe a toujours progressé. C'est difficile, c'est un chemin difficile mais nous n'avons jamais reculé. On avance plus ou moins vite, selon les périodes. Mais on a toujours avancé.

QUESTION - Si vous me le permettez, je vais passer à une autre question, le Moyen-Orient. Qu'est-ce qu'on doit faire d'ARAFAT ? Si vous aviez le destin d'ARAFAT entre vos mains, qu'est-ce que vous feriez de plus ?

LE PRÉSIDENT - On peut aimer ou ne pas aimer ARAFAT. Mais il y a deux choses qu'il ne faut pas oublier : il est le président légitime et élu de l'Autorité palestinienne. C'est comme cela. Je répète, on peut ou ne pas l'aimer. Mais c'est un fait.

Deuxièmement, je suis naturellement très favorable au soutien donné au Premier ministre palestinien. Mais il faut savoir que pour arriver à un accord entre eux, les Israéliens et les Palestiniens, chacun devra faire des concessions, y compris des concessions territoriales. Et il faut bien comprendre que les choses étant ce qu'elles sont, seul ARAFAT peut imposer aux Palestiniens des concessions pour la paix. Personne d'autre. Alors, il faut être réaliste, ce n'est pas un jugement porté sur ARAFAT. Vouloir éliminer ARAFAT, c'est prendre de très grands risques pour une éventuelle paix. Voilà, pourquoi nous sommes contre l'élimination d'ARAFAT. C'est une position commune à toute l'Union européenne, y compris nos amis britanniques.

QUESTION - Après vos entretiens avec le Président BUSH, est-ce que vous avez l'impression que les Etats-Unis vont relancer la feuille de route et s'impliquer un peu plus, on a l'impression qu'il y a un creux, en ce moment ?

LE PRÉSIDENT - J'ai dit au Président que je pensais que le rôle des Etats-Unis était essentiel dans cette affaire, les autres peuvent aider, mais les Américains sont le moteur et que je pensais qu'il fallait qu'ils relancent la feuille de route, et que cela devait être le sujet de la discussion de la prochaine réunion du Quartet au niveau ministériel. Je pense, en vérité, qu'il faudrait que la conférence internationale prévue, dans le début de la deuxième phase de la feuille de route, se fasse immédiatement. Et cela, il n'y a que les Américains qui peuvent le faire ou ne pas le faire.

QUESTION - Qu'est-ce que le Président vous a dit ? Quelle a été sa réaction à cet égard ?

LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il a intégré. Cela n'a pas été la partie essentielle de notre propos.

QUESTION - Est-ce que vous avez l'impression, est-ce que cela vous inquiète que l'Iraq, en fait, concentre, mobilise toutes les énergies américaines et détourne les énergies américaines, d'autres sujets de politique étrangère ?

LE PRÉSIDENT - Je me garde bien de porter un jugement sur la politique américaine, d'autant que j'ai compris que sur d'autres sujets, dans la région, les Américains étaient parfaitement déterminés à promouvoir un certain nombre d'améliorations.

Mais je voudrais vous dire une chose, pour terminer sur l'Iraq, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, contrairement à ce qu'ont pu dire tels ou tels observateurs américains, notamment dans les médias. Je souhaite évidemment le succès des Etats-Unis en Iraq, parce que la stabilisation de la situation est nécessaire, parce que la reconstruction est inévitable, parce que la démocratisation est évidemment souhaitable. Donc, ces objectifs nous sont communs. Si on peut les atteindre, je souhaite que les Américains réussissent. Ce que je revendique, c'est simplement le droit d'apporter ma contribution à la réflexion et de dire comment, moi, je vois les meilleures voies pour atteindre ces objectifs qui nous sont, par ailleurs, communs. Je le répète, je souhaite le succès américain, évidemment.





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