Interview du Président de la République au quotidien "Corse-Matin"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien "Corse-Matin"

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Palais de l'Élysée, publié le vendredi 27 juin 2003

" La Corse doit exprimer sa confiance dans l'avenir "

QUESTION - On vous a dit prudent, parfois frileux, à l'égard du projet de statut sur la Corse : vos réserves sont-elles toutes surmontées ?

LE PRÉSIDENT - J'ai, pour les Corses, un attachement particulier fondé sur une confiance et une estime profondes et anciennes. Parce que je les connais bien, parce que j'ai pleinement conscience de leurs difficultés, parce que je sais aussi leurs ambitions, je veux leur dire que cette consultation est une chance pour la Corse. Et je m'adresse aux Corses pour qu'ils la saisissent : C'est la meilleure manière d'affirmer votre attachement à la France et à la République. Vous allez aussi affirmer votre confiance en votre propre avenir. Ecartez les arguments secondaires pour vous en tenir à l'essentiel : il est temps d'ouvrir ensemble une ère nouvelle pour la Corse dans la France. J'approuve pleinement la démarche du gouvernement soutenue par le Parlement et je félicite le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur pour la détermination avec laquelle ils ont engagé cette consultation.

QUESTION - En quoi ce statut serait-il bénéfique pour l'avenir de l'île ?

LE PRÉSIDENT - Ce statut n'est pas une étape de plus. Les choses sont dorénavant claires. La Constitution permet à la Corse d'être dotée d'une organisation institutionnelle particulière au sein de la République. Et ce seront les Corses eux-mêmes qui l'auront décidé. L'application de ce statut apportera une plus grande efficacité dans l'administration, notamment dans la réalisation du programme exceptionnel d'investissement de 2 milliards d'euros en quinze ans. Il assurera aussi la pleine participation des femmes à la gestion des affaires de la Corse.

QUESTION - Justement, dans le climat de tension que l'on sait, que peut apporter, via la parité, l'avènement des femmes dans le paysage politique insulaire ?

LE PRÉSIDENT - Ce sera une grande novation. Les femmes de Corse jouent déjà un rôle très important dans la vie civique. Elles ont su exprimer avec force leur opposition à la violence. Leur engagement dans la vie publique est indispensable pour faire vivre une démocratie apaisée, plus proche des réalités de la vie, soucieuse de réalisations concrètes. Je me réjouis que le statut soumis au vote des Corses aille dans ce sens.

QUESTION - Est-il symboliquement fort, pour la République et pour la démocratie directe que la première consultation populaire soit organisée en Corse ?

LE PRÉSIDENT - Oui, et j'en suis heureux. J'ai souhaité, par la modification de la Constitution, que les Français soient mieux associés aux décisions les concernant. Mais ce n'est pas une procédure réservée à la Corse et cette forme de consultation pourra être utilisée dans d'autres régions de France.

QUESTION - Vous avez dit à Ajaccio que vous ne vouliez pas d'un rafistolage institutionnel ...

LE PRÉSIDENT - Et ce n'en est pas un. La France a modifié sa Constitution pour qu'il puisse être tenu compte des spécificités de chaque région, dans le respect de l'unité de la Nation. La Corse prend tout naturellement sa place dans ce mouvement de modernisation et de responsabilisation. On saura désormais qui fait quoi en Corse, et ce principe de responsabilité, qui implique de rendre compte aux citoyens, est gage d'efficacité dans l'action.

QUESTION - Quelles réponses apportez-vous aux tenants du non qui craignent : une concentration excessive des pouvoirs, un déséquilibre dans la répartition territoriale des outils de décision, la disparition des élus de proximité dans le sillage des conseils généraux ?

LE PRÉSIDENT - Cette critique n'est pas fondée. Ce dont souffre la Corse, c'est de l'émiettement des pouvoirs et de leur relative impuissance. C'est contre cela qu'il faut réagir. La collectivité unique permettra d'élaborer et d'exécuter un projet cohérent de développement économique, social et culturel. C'est dans ce cadre que les entreprises dynamiques et créatives - et elles sont nombreuses - devront être encouragées et pourront se déployer. Par ailleurs les conseils territoriaux, qui succéderont aux conseils généraux, resteront proches des citoyens. Leurs élus seront à l'écoute. Ils sauront exprimer leurs préoccupations. Personne ne sera délaissé, aucune partie de l'île ne sera oubliée. Rien ne sera changé dans l'organisation communale. Tout comme Ajaccio, Bastia, cette grande cité économique et culturelle, conservera son administration préfectorale pour l'aider à mettre en valeur ses riches potentialités.

QUESTION - Mais dans vos discours sur la décentralisation, vous avez qualifié le Département d'incontournable : quelles spécificités légitiment en Corse cette remise en cause ?

LE PRÉSIDENT - La nouveauté de notre démarche est de vouloir coller aux réalités et de prendre en compte les attentes des citoyens. Avec seulement 260 000 habitants, la Corse ne peut pas supporter l'empilement actuel des structures administratives - communes, départements, région - sauf à disperser les efforts et à stagner.

QUESTION - L'exemple Corse est-il de nature à donner une image plus moderne de la France au sein de l'Europe vis-à-vis de pays comme l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne en avance sur la politique des régions ?

LE PRÉSIDENT - Chaque pays a son histoire. La nôtre, à laquelle les Corses ont pris une si grande et glorieuse part, s'est forgée depuis longtemps à partir d'un État unitaire. Nous en sommes fiers. Mais les temps changent, l'Etat doit se recentrer sur ses missions régaliennes et transférer aux collectivités territoriales le plein exercice de missions qu'elles peuvent mieux exercer pour tenir compte des spécificités de chaque territoire. C'est cela notre modernité.

QUESTION - Compétences accrues, maîtrise fiscale, droit à l'expérimentation législative : peut-on dire que la Corse va, si le oui l'emporte, bénéficier d'un statut d'autonomie ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais qu'on évite les querelles de mots qui n'apportent pas grand chose au débat et qui l'obscurcissent même. La réalité est que la Corse sera dans la République une collectivité territoriale à statut particulier. Ce statut permettra à ses élus de disposer d'une pleine capacité pour agir de façon cohérente dans les domaines économiques, sociaux, culturels. Il leur permettra aussi de proposer des dispositions législatives spécifiques quand la nécessité s'en fera sentir.

QUESTION - Comment jugez-vous le travail accompli par Nicolas Sarkozy ?

LE PRÉSIDENT - Il a bien conduit la réflexion. Il a beaucoup dialogué avec tous. Il fallait vraiment trouver une solution pour que la Corse ne demeure pas figée dans une situation qui ouvre la porte aux excès de toutes natures. Le moment était venu de prendre les bonnes initiatives. Cela suppose en même temps une affirmation personnelle des Corses en faveur d'une certaine idée de la France. Au-delà même de la dimension institutionnelle de la réforme, la Corse doit exprimer sa confiance dans l'avenir.

QUESTION - Avez-vous dû convaincre une partie de la majorité ?

LE PRÉSIDENT - La majorité parlementaire s'est retrouvée tout entière derrière ce projet.

QUESTION - Le Parti socialiste lui-même appelle à voter oui ...

LE PRÉSIDENT - Cela confirme que l'enjeu dépasse les clivages politiques.

QUESTION - Mais l'adhésion de nationalistes à ce projet, notamment ceux qui prônent l'indépendance, vous gêne-t-elle ?

LE PRÉSIDENT - Se déterminer à partir de ce que font les séparatistes, dire non parce que certains d'entre eux disent oui, cela n'a pas de sens. Ce serait en réalité les rendre maîtres du jeu. Que les Corses ne tombent pas dans ce piège ! La création de la collectivité unique n'est pas une concession faite aux séparatistes ; elle a été demandée depuis plusieurs années par des représentants de la plupart des familles politiques de l'île. Que les Corses votent sans se préoccuper de ce que pensent ceux dont ils ne partagent ni les objectifs ni les méthodes. Ce statut, je le redis, est bon pour la Corse. J'appelle toutes celles et tous ceux qui aiment la Corse et qui croient en son avenir à voter oui.

QUESTION - Vous ne nourrissez plus de ressentiment à l'égard de ceux qui ont sifflé la Marseillaise au Stade de France ?

LE PRÉSIDENT - Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. S'en prendre, même par légèreté ou par inconscience, aux symboles de la République, c'est non seulement ignorer ce que chaque Français doit à la République, notamment par l'école, la sécurité, la liberté et la protection sociale, mais aussi insulter la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour que, plusieurs générations après, les citoyens français puissent continuer à compter sur la République et à être fiers d'être français.

QUESTION - Quelles conséquences pourraient avoir un rejet du projet le 6 juillet prochain ?

LE PRÉSIDENT - Si les Corses refusent le nouveau statut, le gouvernement ne le présentera pas au Parlement. Ce sera une occasion gâchée de montrer que les Corses peuvent se rassembler autour d'un projet commun, tourner la page et s'engager résolument dans l'avenir.

QUESTION - Pourquoi pensez-vous que la Corse va voter oui comme vous le lui demandez ?

LE PRÉSIDENT - Mais parce que ce statut est bon pour la Corse et que je fais confiance aux femmes et aux hommes de Corse. Parce que ce qui est en jeu, c'est le développement économique de la Corse et l'avenir de sa jeunesse. Parce que je sais que la très grande majorité des Corses veulent rester français et qu'il serait incompréhensible, au moment où on leur demande de le confirmer, qu'ils ne le fassent pas. Voilà pourquoi j'appelle les Corses à voter oui.

" La violence est le cancer de la Corse "

QUESTION - La mise en oeuvre de la réforme sera-t-elle susceptible d'apaiser le climat de violence dans l'île ?

LE PRÉSIDENT - Tout est lié. Le gouvernement doit avancer sur trois fronts : la relance économique ; la réorganisation des centres de décision ; la lutte contre la violence. La violence est le cancer de la Corse. Elle est lâche. Elle endeuille l'île. Elle appauvrit en détruisant les patrimoines privés et publics. Elle pénalise l'ensemble de l'économie en décourageant les investissements indispensables.

L'État - car c'est et cela restera sa responsabilité - agit en s'attaquant en Corse, comme sur le Continent, à toutes les formes de la violence. Des résultats ont déjà été atteints, grâce à une meilleure mobilisation et à la coopération de tous. D'autres viendront. Les mesures en discussion au Parlement permettront très vite de mieux lutter contre le crime organisé. Et je n'oublie pas non plus la violence quotidienne, l'hécatombe sur les routes, les conflits personnels qui dégénèrent. Je n'oublie pas tous ces jeunes dont la mort pourrait être évitée si les comportements changeaient.

QUESTION - Vous qui avez prôné le message de paix dans le monde, pensez-vous qu'il peut être entendu, sur votre propre territoire, en Corse ?

LE PRÉSIDENT - Je suis persuadé qu'il peut être entendu. Je suis persuadé que les Corses aspirent à une situation de paix et de développement, l'un n'allant pas sans l'autre. Un seul exemple. Lorsque, dans mes fonctions, je rencontre des entrepreneurs auxquels je suggère, Vous devriez aller en Corse, ils me répondent Oui mais. Et c'est le mais qui l'emporte. Par des comportements qui sont, sans aucun doute minoritaires mais violents, la Corse tout entière est pénalisée. La consultation du 6 juillet se présente, dans cette perspective, comme une chance à saisir.

" Je fais confiance aux Corses pour ne pas se tromper de débat "

QUESTION - Votre sentiment sur l'accueil mouvementé du Premier ministre à Bastia ?

LE PRÉSIDENT - Je suis toujours choqué de voir la brutalité se substituer à la réflexion et au dialogue, particulièrement lorsqu'elle se manifeste dans une période propice à un débat sérieux. Je ne peux que déplorer de tels comportements. Je pense que la très grande majorité des Corses partage mon sentiment.

QUESTION - La réforme sur les retraites, qui a généré une forte mobilisation dans l'île, ne parasite-t-elle pas, au profit du non, la sérénité du débat sur l'évolution institutionnelle ?

LE PRÉSIDENT - Je fais confiance aux Corses pour ne pas se tromper de débat. Ceux que la réforme des retraites a inquiétés n'ont aucune raison de pénaliser l'avenir de la Corse en rejetant un statut qui va dans le sens de la démocratie de proximité et du développement de l'activité et de l'emploi.

Vous savez, si la réforme des retraites n'avait pas été faite, ce ne sont pas les Français aisés qui en auraient pâti, car ils peuvent se protéger par leur revenu et leur épargne. Ce sont nos compatriotes les plus vulnérables, ceux qui dépendent entièrement du système de retraites par répartition. Il fallait donc absolument sauver notre système, même si cela passe par un effort, l'essentiel étant que cet effort soit juste et équitablement partagé, et que des mesures soient prises pour les petites retraites. Ce qui est le cas.

QUESTION - Par ailleurs, le projet sur la Corse génère une certaine inquiétude des nombreux fonctionnaires de l'île ...

LE PRÉSIDENT - Il n'y a pas lieu pour les fonctionnaires d'être inquiets. Si cela était nécessaire, leurs besoins spécifiques seraient pris en considération. Je veux surtout leur dire qu'ils auront un rôle essentiel à jouer dans le renouveau de la Corse.





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